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Le philosophe - Voltaire - Un nouvel homme de lettres






Le philosophe, soucieux de la vie de la cité à laquelle il est pleinement intégré, décèle et critique les préjugés et les superstitions qui font obstacle au progrès. Il se doit de plus de préserver, d'étendre et de faire connaître au public les connaissances assurées et utiles.



Voltaire - Un nouvel homme de lettres



Dans l'article « Gens de lettres » de l'Encyclopédie, Voltaire établit un lien étroit entre littérature et « esprit philosophique ». Il souligne de plus la mission critique de l'écrivain philosophe au sein de la cité.



Les Grecs se contentaient de leur langue ; les Romains n'apprenaient que le grec : aujourd'hui, l'homme de lettres ajoute souvent à l'étude du grec et du latin celle de l'italien, de l'espagnol, et surtout de l'anglais. La carrière de l'Histoire est cent fois plus immense qu'elle ne l'était pour les anciens ; et l'Histoire naturelle s'est accrue à proportion de celle des peuples : on n'exige pas qu'un homme de lettres approfondisse toutes ces matières ; la science universelle n'est plus à la portée de l'homme : mais les véritables gens de lettres se mettent en état de porter leurs pas dans ces différents terrains, s'ils ne peuvent les cultiver tous.

Autrefois, dans le XVIe siècle, et bien avant le xvne, les littérateurs s'occupaient beaucoup de la critique grammaticale des auteurs grecs et latins ; et c'est à leurs travaux que nous devons les dictionnaires, les éditions correctes, les commentaires des chefs-d'ouvre de l'Antiquité; aujourd'hui cette critique est moins nécessaire, et l'esprit philosophique lui a succédé. C'est cet esprit philosophique qui semble constituer le caractère des gens de lettres ; et quand il se joint au bon goût, il forme un littérateur accompli.

C'est un des grands avantages de notre siècle, que ce nombre d'hommes instruits qui passent des épines des Mathématiques aux fleurs de la Poésie, et qui jugent également bien un livre de Métaphysique et une pièce de théâtre : l'esprit du siècle les a rendus pour la plupart aussi propres pour le monde que pour le cabinet ; et c'est en quoi ils sont fort supérieurs à ceux des siècles précédents. Ils furent écartés de la société jusqu'au temps de Balzac et de Voiture ; ils en ont fait depuis une partie devenue nécessaire. Cette raison approfondie et épurée, que plusieurs ont répandue dans leurs écrits et dans leurs conversations, a contribué beaucoup à instruire et polir la nation : leur critique ne s'est plus consumée sur des mots grecs et latins ; mais appuyée d'une saine philosophie, elle a détruit tous les préjugés dont la société était infectée : prédictions des astrologues, divinations des magiciens, sortilèges de toute espèce, faux prodiges, faux merveilleux, usages superstitieux ; elle a relégué dans les écoles mille disputes puériles qui étaient autrefois dangereuses et qu'ils ont rendues méprisables : par là ils ont en effet servi l'État. On est quelquefois étonné que ce qui bouleversait autrefois le monde, ne le trouble plus aujourd'hui ; c'est aux véritables gens de lettres qu'on en est redevable.

Ils ont d'ordinaire plus d'indépendance dans l'esprit que les autres hommes ; et ceux qui sont nés sans fortune trouvent aisément dans les fondations de Louis XIV de quoi affermir en eux cette indépendance : on ne voit point, comme autrefois, de ces épîtres dédicatoires que l'intérêt et la bassesse offraient à la vanité.

Un homme de lettres n'est pas ce qu'on appelle un bel esprit : le bel esprit seul suppose moins de culture, moins d'étude, et n'exige nulle philosophie ; il convient principalement dans l'imagination brillante, dans les agréments de la conversation, aidés d'une lecture commune. Un bel esprit peut aisément ne point mériter le titre d'homme de lettres ; et l'homme de lettres peut ne point prétendre au brillant du bel esprit.

Art. « Gens de lettres », Encyclopédie.



Buffon-Le philosophe et l'histoire de la nature



Dans son Histoire naturelle (1749), Buffon envisage l'ampleur de son domaine d'étude et préconise une méthode qui concilie la minutie de l'observation, la rigueur du classement et l'esprit de synthèse.



L'histoire naturelle, prise dans toute son étendue, est une histoire immense ; elle embrasse tous les objets que nous présente l'univers. Cette multitude prodigieuse de quadrupèdes, d'oiseaux, de poissons, d'insectes, de plantes, de minéraux, etc., offre à la curiosité de l'esprit humain un vaste spectacle dont l'ensemble est si grand, qu'il paraît et qu'il est, en effet, inépuisable dans les détails. Une seule partie de l'histoire naturelle, comme l'histoire des insectes, ou l'histoire des plantes, suffit pour occuper plusieurs hommes ; et les plus habiles observateurs n'ont donné, après un travail de plusieurs années, que des ébauches assez imparfaites des objets trop multipliés que présentent ces branches particulières de l'histoire naturelle, auxquelles ils s'étaient uniquement attachés ; cependant ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient faire, et bien loin de s'en prendre aux observateurs du peu d'avancement de la science, on ne saurait trop louer leur assiduité au travail et leur patience, on ne peut même leur refuser des qualités plus élevées ; car il y a une espèce de force de génie et de courage d'esprit à pouvoir envisager, sans s'étonner, la nature dans la multitude innombrable de ses productions, et à se croire capable de les comprendre et de les comparer ; il y a une espèce de goût à les aimer, plus grand que le goût qui n'a pour but que des objets particuliers ; et l'on peut dire que l'amour de l'étude de la nature suppose dans l'esprit deux qualités qui paraissent opposées : les grandes vues d'un génie ardent qui embrasse tout d'un coup d'oil, et les petites attentions d'un instinct laborieux qui ne s'attarde qu'à un seul point.

Le premier obstacle qui se présente dans l'étude de l'histoire naturelle vient de cette grande multitude d'objets ; mais la variété de ces mêmes objets, et la difficulté de rassembler les productions diverses des différents climats, forment un obstacle à l'avancement de nos connaissances, qui paraît invincible, et qu'en effet le travail seul ne peut surmonter ; ce n'est qu'à force de temps, de soins, de dépenses, et souvent par des hasards heureux, qu'on peut se procurer des individus bien conservés de chaque espèce d'animaux, de plantes ou de minéraux, et former une collection bien rangée de tous les ouvrages de la nature.

Histoire naturelle. Premier discours : « De la manière d'étudier et de traiter l'histoire naturelle », 1749.



Montesquieu - Le philosophe et l'histoire



En distinguant radicalement les lois divines et les lois humaines, Montesquieu refuse toute explication des législations existantes et de leur devenir par la Providence : il ouvre ainsi la voie d'une réflexion inédite sur les causalités historiques.



On ne doit point statuer par les lois divines ce qui doit l'être par les lois humaines, ni régler par les lois humaines ce qui doit l'être par les lois divines.

Ces deux sortes de lois diffèrent par leur origine, par leur objet et par leur nature.

Tout le monde convient bien que les lois humaines sont d'une autre nature que les lois de la religion, et c'est un grand principe ; mais ce principe lui-même est soumis à d'autres, qu'il faut chercher.

1 ° La nature des lois humaines est d'être soumise à tous les accidents qui arrivent, et de varier à mesure que les volontés des hommes changent : au contraire, la nature des lois de la religion est de ne varier jamais. Les lois humaines statuent sur le bien ; la religion sur le meilleur. Le bien peut avoir un autre objet, parce qu'il y a plusieurs biens ; mais le meilleur n'est qu'un, il ne peut donc pas changer. On peut bien changer les lois, parce qu'elles ne sont censées qu'être bonnes ; mais les institutions de la religion sont toujours supposées être les meilleures.

2° Il y a des États où les lois ne sont rien, ou ne sont qu'une volonté capricieuse et transitoire du souverain. Si, dans ces États, les lois de la religion étaient de la nature des lois humaines, les lois de la religion ne seraient rien non plus : il est pourtant nécessaire à la société qu'il y ait quelque chose de fixe ; et c'est cette religion qui est quelque chose de fixe.

3° La force principale de la religion vient de ce qu'on la croit ; la force des lois humaines vient de ce qu'on les craint. L'Antiquité convient à la religion, parce que souvent nous croyons plus les choses à mesure qu'elles sont plus reculées ; car nous n'avons pas dans la tête des idées accessoires tirées de ces temps-là, qui puissent les contredire. Les lois humaines, au contraire, tirent avantage de leur nouveauté, qui annonce une attention particulière et actuelle du législateur pour les faire observer.

L'Esprit des lois, XXVI, 2, 1748.



Rousseau-Le philosophe et l'inégalité



Pour Jean-Jacques Rousseau l'appropriation arbitraire du sol est l'origine d'une inégalité et d'une oppression qui n'ont fait que s'amplifier au profit du plus riche et du plus fort.



Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ! » Mais il y a grande apparence qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature.

Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, seconde partie, 1755.



Une pédagogie des Lumières



Dans l'Emile (1762), J.-J. Rousseau préconise une éducation qui rejette tout autoritarisme et toute précipitation, parce qu'elle reconnaît la spécificité de l'enfance et de ses rythmes d'apprentissage.



Prenez le contrepied de l'usage et vous ferez presque toujours bien. Comme on ne veut pas faire d'un enfant un enfant mais un docteur, les pères et les maîtres n'ont jamais assez tôt tancé, cor

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