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Le philosophe au service du progrès humain






Pour les penseurs du XVIIIe siècle, le savoir est condition du progrès. Assurer la préservation, la mise en ordre, la diffusion et l'extension des connaissances incombe au philosophe pleinement intégré dans la société à laquelle il accorde toute son attention critique. L'article « Philosophe » de l'Encyclopédie, définit ces responsabilités nouvelles :



Il serait inutile de remarquer ici combien le philosophe est jaloux de tout ce qui s'appelle honneur et probité. La société civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui sur la terre ; il l'encense, il l'honore par la probité, par une attention exacte à ses devoirs, et par un désir sincère de n'en être pas un membre inutile ou embarrassant. Les sentiments de probité entrent autant dans la constitution mécanique du philosophe que les lumières de l'esprit. Plus vous trouverez de raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probité. Au contraire, où régnent le fanatisme et la superstition, régnent les passions et l'emportement. Le tempérament du philosophe, c'est d'agir par esprit d'ordre ou par raison ; comme il aime extrêmement la société, il lui importe bien plus qu'au reste des hommes de disposer tous ses ressorts à ne produire que des effets conformes à l'idée d'honnête homme



Cet amour de la société si essentiel au philosophe fait voir combien est véritable la remarque de l'empereur Antonin : « Que les peuples seront heureux quand les rois seront philosophes, ou quand les philosophes seront rois ! »

Du Marsais, an. « Philosophe », Encyclopédie.



Servir la société est ressenti comme un devoir impératif; Par ses exigences intellectuelles et morales, le philosophe est appelé à devenir le guide et le conseiller des peuples et des princes.



1. Le rêve d'une somme des connaissances humaines



L'Encyclopédie

Entreprise éditoriale sans précédent, l'Encyclopédie est le symbole des ambitions de la philosophie des Lumières. Dans l'article « Encyclopédie », Diderot définit l'objectif du travail d'équipe dont il assuma la direction de 1751 à 1766 malgré les interdictions répétées (arrêts du Conseil d'État de 1752 à 1759) et les campagnes hostiles des dévots :



Le but d'une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre ; d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain.

Diderot, art. « Encyclopédie », Encyclopédie.



Les encyclopédistes se donnent pour tâche d'ordonner la somme des connaissances indispensables au progrès. Ce classement n'est pas définitif : le perfectionnement et le dépassement de ces savoirs sont suggérés dans un avenir qui concilierait connaissance, vertu et bonheur.

Ce travail ne peut être que collectif. Le souci de mener à bien le projet de la tolérance à l'égard de la diversité inévitable des points de vue et des analyses, est, selon Diderot, le seul dénominateur commun de l'équipe : « [...] des hommes liés par l'intérêt général du genre humain et par un sentiment de bienveillance réciproque » (Diderot, art. « Encyclopédie », EncyclopédiE). Au-delà de certaines défections provoquées par les intimidations des pouvoirs politiques et religieux, Diderot parvient à susciter, contre vents et marées, des collaborations aussi prestigieuses que compétentes. Diderot lui-même écrit ou retouche de nombreux articles sur les sujets les plus divers : philosophie, littérature, religion, politique, sciences. D'Alembert rédige le Discours préliminaire mais supervise également les articles traitant de sciences et de mathématiques. Montesquieu ne donne que l'article « Goût », d'ailleurs inachevé, mais Y Encyclopédie abonde d'emprunts et de références à L'Esprit des lois. Voltaire se limite aux questions de littérature, et Rousseau, outre son article « Économie politique », se consacre aux études de musique. Buffon intervient dans sa spécialité, les sciences de la nature. Diderot sait faire appel aux spécialistes des disciplines et des arts les plus divers : Quesnay, le physiocrate qui fonde la richesse des États sur l'agriculture, et Turgot, le futur ministre réformateur de Louis XVI, pour les questions d'économie et d'agriculture, Le Roy pour l'astronomie, Blondel pour l'architecture...



L'originalité de l'Encyclopédie tient aussi à la place importante qu'elle accorde aux « arts mécaniques » et aux liens qu'elle souligne et contribue à renforcer entre sciences et techniques. Pour ces questions Diderot sollicite des collaborations inhabituelles. Pour les arts mécaniques, il s'adresse aux artisans « les plus habiles de Paris et du royaume » (Prospectus de l'EncyclopédiE). Planches et notices explicatives permettent aux lecteurs de mieux comprendre la nature des travaux et le mode de fonctionnement des machines. Par cette promotion sans précédent des « connaissances utiles », l'Encyclopédie a largement contribué à réorienter les intérêts et les goûts d'un public de formation classique.



Observer pour classer



Dans le premier versant du siècle, observer, inventorier et classer constituent les activités prioritaires. Ce sont essentiellement les sciences naturelles qui imposent ces impératifs de description et de classification (cf. Réaumur, Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, 1734-1742). Même si l'exigence cartésienne de rationalité demeure, l'objectif d'un système expliquant la totalité de l'univers apparaît inaccessible : la complexité de la nature exige d'abord des observations méthodiques et des expériences répétées.



Avec la diffusion de la pensée de Newton en France, la représentation communément répandue depuis Descartes d'une mécanique universelle fonctionnant dans l'état où Dieu l'a créée et accessible à la pensée humaine se dissipe largement. Le philosophe, en l'occurrence Voltaire, se doit d'expliquer au public des notions essentielles mais difficilement concevables : la gravitation et l'attraction de la matière. 11 revient aussi au philosophe de mener à bien les expériences permettant de vérifier ces lois nouvelles. Ce sont des savants philosophes qui dirigent les expéditions visant à vérifier certaines hypothèses de Newton quant à la forme du globe terrestre : La Condamine se rend au Pérou pour mesurer un arc de méridien sous l'équateur (1735-1744), Mau-pertuis entreprend un voyage en Laponie ( 1736) pour mesurer un arc de méridien au pôle.



Le monde physique et le temps



Observations, expériences et analyses scientifiques conduisent le philosophe à dénoncer des représentations désuètes du monde. En tentant de penser l'articulation des recherches en cours, le philosophe dégage des perspectives inédites, esquisse la mise en ouvre de savoirs nouveaux.

Diderot constate l'impossibilité à penser l'univers en termes de mécanique et de création statique :

Lorsque j'ai vu la matière inerte passer à l'état sensible, rien ne doit plus m'étonner. Quelle comparaison d'un petit nombre d'éléments mis en fermentation dans le creux de ma main, et de ce réservoir immense d'éléments divers épars dans les entrailles de la terre, à la surface des mers, dans le vague au sein des airs !

Diderot, Le Rêve de d'Alembert, 1769.

Ainsi la nature est un tout, de la matière brute jusqu'à la pensée humaine. Ce tout est fondamentalement dynamique et en perpétuelle transformation. La géologie et la paléontologie permettent par ailleurs la formulation de thèses transformistes : les formes vivantes changent avec le temps. L'idée d'une histoire de la nature s'impose et implique une appréhension radicalement nouvelle de la temporalité :

Laissez passer la race présente des animaux subsistants ; laissez agir le grand sédiment inerte quelques millions de siècles. Peutêtre faut-il, pour renouveler les espèces, dix fois plus de temps qu'il n'en est accordé à leur durée. Attendez, et ne vous hâtez pas de prononcer sur le grand travail de la nature.

Ibidem.



L'Histoire naturelle de Buffon définit précisément les méthodes et les documents sur lesquels se fonde cette science nouvelle : l'histoire de la nature.



De nouveaux objets pour l'histoire



De nouvelles questions, des exigences méthodologiques inédites apparaissent aussi dans le champ de l'histoire. Certes l'histoire événementielle des grands capitaines, des princes et des filiations dynastiques attire encore les érudits. Mais l'attention du philosophe qui fait ouvre d'histoire se déplace vers les peuples, leurs inventions et leurs créations, leurs mours et leurs institutions politiques :



L'histoire de l'Europe est devenue un immense procès-verbal de contrats de mariage, de généalogies et de titres disputés, qui répandent partout autant d'obscurité que de sécheresse, et qui -étouffent les grands événements, la connaissance des lois et celle des mours, objets plus dignes d'attention.

Voltaire, Essai sur les mours, 1756.



Les arts et les sciences sont pris en compte, comme dans Le Siècle de Louis XIV de Voltaire (1751), ou font l'objet d'études autonomes parfois spécialisées (Montucla, Histoire des mathématiques, 1758). S'esquisse ainsi la problématique de l'histoire générale de l'esprit humain où s'illustrent Turgot (Tableau philosophique des progrès successifs de l'esprit humain, 1750) et, à la fin du siècle, Condorcet (Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, 1794).

Mais l'attention du philosophe tend surtout à se fixer sur les institutions politiques et l'analyse de leurs mutations (les « révolutions ») à travers l'histoire. Des facteurs politiques président sans nul doute à cet intérêt. Au début du siècle le débat sur la nature du gouvernement de la France des origines est en effet lourd d'enjeux politiques : les tenants de l'absolutisme (les « romanistes ») considèrent le monarque comme l'héritier du pouvoir romain centralisé, alors que les partisans d'une monarchie modérée par l'aristocratie (les « germanistes ») évoquent les origines germaines de la monarchie française. Chartes, capitulâmes, décrets royaux ont été minutieusement transcrits, répertoriés et archivés par les congrégations religieuses, propriétaires de riches et anciennes bibliothèques : l'inventaire et le classement des sources, l'examen critique des documents a ouvert ainsi la voie au travail de l'historien.

Le refus de l'explication du devenir des États par la « fortune » ou la Providence divine ouvre la voie d'une recherche fondamentalement nouvelle des causalités historiques. Dès ses Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains (1734), Montesquieu refuse d'expliquer la dynamique historique des sociétés par la seule Providence :



Ce n'est pas la fortune qui domine le monde : on peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu'ils se conduisirent sur un autre. 11 y a des causes générales, soit morales, soit physiques qui agissent dans chaque monarchie, relèvent, la maintiennent ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes ; et si le hasard d'une bataille, c'est-à-dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. En un mot, l'allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers.

Montesquieu, Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, 1734.



Cette recherche des « causes générales » vise à rendre intelligible la diversité des législations et des mours que Montesquieu, l'un des premiers, envisage dans leur solidarité :



J'ai posé les principes, et j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes, les histoires de toutes les nations n'en être que les suites, et chaque loi particulière liée avec une autre loi, en dépendra d'une autre plus générale.

Montesquieu, L'Esprit des lois, 1748.



Montesquieu établit un lien entre l'étendue des États et leur nature : le despotisme pour les grands empires, la république pour les territoires réduits. Il démontre également qu'une forme de gouvernement va généralement de pair avec une tendance dans l'organisation de la société : inégalité dans la monarchie, égalité dictée par le despote et au contraire assumée dans la république. Il souligne enfin qu'une pluralité de facteurs détermine un « esprit général » qui commande à son tour le devenir historique des sociétés : religion, commerce, démographie, données géographiques (dont le célèbre climat...). Cette recherche des causalités rejoint les exigences de la pensée scientifique : des lois président au devenir historique comme à la marche de l'univers.

Les découvertes et les explorations géographiques, l'élargissement du monde connu conduisent à une redéfinition de l'histoire universelle. Le succès de la littérature de voyage entraîne la multiplication des histoires particulières des peuples les plus lointains : Chine, Perse, Siam, Laponie, Louisiane. Dans son Histoire universelle, Bossuet s'attachait à démontrer le déterminisme exercé par la Providence divine sur le destin des empires et ne prenait en considération que la Bible et son indiscutable chronologie. Il en est encore de même dans la plupart des histoires universelles publiées au xvme siècle (celle de Dom Calmet - 1755/1771 - est la plus célèbrE). Mais en consacrant les derniers chapitres de son Essai sur les mours (1756) à l'Amérique, à l'Inde et à la Chine, Voltaire affirme une prétention inédite à une véritable universalité et dessine la perspective d'une histoire de la civilisation et des peuples : c'est à l'échelle de l'histoire du monde qu'il faut désormais discerner les difficiles progrès de la raison.



L'homme comme objet de savoir



Dans ces ouvres les plus diverses, un discours nouveau se dessine qui prend pour objet l'humanité dans la diversité de ses races et de ses mours. L'antithèse entre homme sauvage et homme civilisé joue là un rôle essentiel. Certes l'évocation des « peuples sauvages » est souvent simple prétexte à juger l'état contemporain de la société : la figure du « bon sauvage » permet de mettre en lumière la corruption de la vie sociale et inversement la férocité des sauvages permet d'apprécier les bienfaits de la civilisation. De plus, même quand il dénonce les excès de la colonisation et l'horreur de l'esclavage, ce discours est souvent pétri des valeurs attachées à la civilisation présentée comme un modèle que l'humanité entière peut atteindre si les peuples civilisés remplissent leur devoir de guide.



Cependant l'étude des caractères physiques des peuples, de leurs mours, de leurs techniques et de leurs coutumes se développe à partir de l'examen critique et de la mise en série des récits des voyageurs. L'Histoire des voyages de l'abbé Prévost (1746) incite à ce type de traitement des textes : outre les récits rassemblés, l'Histoire des voyages présente un « tableau » des mours des peuples de par le monde.

« Fables » et représentations religieuses sont également objets de comparaison par-delà les distances et les époques. Les rapprochements entre les mythes antiques et les mythes des peuples du Nouveau Monde sont particulièrement fréquents (cf. Fontenelle, L'Origine des fables, 1724 ; le président de Brosses, Du culte des dieux fétiches ou Parallèle de l'ancienne religion de l'Egypte avec la religion actuelle de la Nigritie, 1760).

À travers ces observations et réflexions éparses un savoir nouveau se constitue qui se définira à la fin du siècle comme « science générale de l'homme », « anthropologie » (cf. Alexandre Cha-vannes, Anthropologie ou science générale de l'homme, 1788) et qui intègre l'étude des peuples et des « fables » (l'ethnologie et la mythologie comparée futureS).



Au-delà de la compréhension : la critique



Le philosophe du XVIIIe siècle passe au crible les savoirs reçus et désigne à ses lecteurs les croyances non fondées et les risques toujours résurgents d'erreur. Il ne s'agit pas seulement de distinguer la vérité de sa falsification mais de cerner et de réduire à terme les foyers de l'erreur. L'examen critique des mours et des institutions doit permettre d'identifier les forces intéressées à la corruption des esprits.

Dans les Lettres persanes, Rica, l'étranger au regard singulier, dénonce ainsi la papauté comme génératrice de croyances absurdes :



Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t'étonner : il y a un autre magicien, plus fort que lui, qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle le Pape. Tantôt il lui fait croire que trois ne font qu'un, que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce.

Montesquieu. Lettres persanes, lettre XXIV, 1721.



Le Persan sait discerner l'interaction des institutions, des mours et des croyances et inciter le lecteur à l'analyse critique. Dans L'Esprit des lois, le projet central de l'ouvrage - analyser les relations réciproques et dynamiques des législations de fait et de la réalité sociale mouvante - n'empêche nullement l'expression de jugements de valeur, condamnations ou préférences. Abus et préjugés s'expliquent par une situation de fait, ont leurs raisons d'être dans le présent et dans l'histoire ; ils demeurent cependant condamnables au nom de la Raison et de la Nature : il en est ainsi de la question (la torturE) dans les procédures judiciaires, de l'Inquisition, de l'esclavage et du despotisme. Si la démesure du territoire et le climat rendent partiellement compte de la nature despotique du gouvernement, celui-ci n'en est pas moins « monstrueux » (L'Esprit des lois, III, 9).

Dans l'Encyclopédie l'objectif de classement des connaissances est plus encore solidaire d'une critique que Diderot souhaite étendre à tous les domaines :

[...] cet ouvrage demande partout plus de hardiesse dans l'esprit qu'on n'en a communément dans les siècles pusillanimes du goût. Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement.

Diderot, art. « Encyclopédie », Encyclopédie.



Dogmes, autorité des textes sacrés, culte des saints, miracles et violences fanatiques à travers l'histoire sont les principales cibles de cette critique diffuse, parfois absente quand le lecteur l'attend, et qui procède souvent par insinuation :



Le christianisme, je le sais, a eu ses guerres de religion, et les flammes en ont été souvent funestes aux sociétés : cela prouve qu'il n'y a rien de si bon dont la malignité humaine ne puisse abuser. Le fanatisme est une peste qui reproduit de temps en temps des germes capables d'infecter la terre ; mais c'est le vice des particuliers et non du christianisme, qui par sa nature est également éloigné des fureurs outrées du fanatisme et des craintes imbéciles de la superstition. La religion rend le païen superstitieux et le mahométan fanatique : leurs cultes les conduisent là naturellement (voyez Paganisme, voyez MahométismE) ; mais lorsque le chrétien s'abandonne à l'un et à l'autre de ces deux excès, dès lors il agit contre ce que lui prescrit sa religion.

« Christianisme » (art. anonymE). Encyclopédie.



Dans l'ouvre historique de Voltaire, de VHistoire de Charles XII (1731) à Y Essai sur les mours (1756), l'analyse et l'appréciation critique se conjuguent de même. Dans Le Siècle de Louis XIV(1751) Voltaire salue d'abord la modernité de l'ouvre du monarque en matière de justice, de finances, de police et de protection des arts :



Il ne sépara point sa propre gloire de l'avantage de la France, et il ne regarda pas le royaume du même oil dont un seigneur regarde sa terre, de laquelle il tire tout ce qu'il peut, pour ne vivre que dans les plaisirs. Tout roi qui aime la gloire aime le bien public.

Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, 1751.



Avec le Dictionnaire philosophique ou «portatif» (1764) et les Questions sur l'Encyclopédie (1770) de Voltaire, la critique des superstitions et des préjugés se concentre et s'avive. Le choix d'un format aisément accessible au lecteur et d'une écriture pamphlétaire, dégradant aussi bien les thèses de l'adversaire que l'ensemble des signes de son autorité prétendue, manifeste l'urgence d'en finir avec les obstacles au progrès :



On dit proverbialement : « Manger son blé en herbe ; être pris comme dans un blé ; crier famine sur un tas de blé. » Mais de tous les proverbes que cette production de la nature et de nos soins a fournis, il n'en est point qui mérite plus d'attention des législateurs que celui-ci : « Ne nous remets pas au gland quand nous avons du blé. »

Cela signifie une infinité de bonnes choses comme par exemple : ne nous gouverne pas dans le XVIIIe siècle comme on gouvernait du temps d'Albouin, de Gondebald, de Clodevick, nommé en latin Clodoveus. Ne parle plus des lois de Dagobert, quand nous avons les ouvres du chancelier d'Aguesseau, les discours de MM. les gens du roi. Montclar, Servan, Castillon, La Chalotais, Dupaty, etc.

Ne nous cite plus les miracles de saint Amable, dont les gants et le chapeau furent portés en l'air pendant tout le voyage qu'il fit à pied du fond de l'Auvergne à Rome. Laisse pourrir tous les livres remplis de pareilles inepties, songe dans quel siècle nous vivons.

Voltaire, Questions sur l'Encyclopédie, « Blé », 1770.



La nostalgie d'une perfection politique des origines et la croyance aux miracles, la perspective politique erronée et la superstition sont amalgamées dans une condamnation commune que le lecteur est invité, en termes véhéments, à partager.

Mais la contradiction peut aussi atteindre les philosophes eux-mêmes. Voltaire s'oppose nettement à Montesquieu quant à l'appréciation du règne de Louis XIV. La critique philosophique peut enfin prendre pour objet certaines thèses des Lumières communément admises, véritables lieux communs en cours de constitution. Jean-Jacques Rousseau met ainsi vivement en cause dans son Premier discours le caractère bénéfique du progrès des sciences et des arts :



Nos écrivains regardent tous comme le chef-d'ouvre de la politique de notre siècle les sciences, les arts, le luxe, le commerce, les lois, et les autres liens qui, resserrant entre les hommes les nouds de la société par l'intérêt personnel, les mettent tous dans une dépendance mutuelle, leur donnent des espoirs réciproques et des intérêts communs, et obligent chacun d'eux de concourir au bonheur des autres pour pouvoir faire le sien. Ces idées sont belles, sans doute, et présentées sous un jour favorable. Mais en les examinant avec attention, on trouve beaucoup à rabattre des avantages qu'elles semblent présenter d'abord. [...] Qu'avons-nous gagné à cela ? Beaucoup de babil, des riches et des raisonneurs, c'est-à-dire des ennemis de la vertu et du sens commun. En revanche nous avons perdu l'innocence et les mours. La foule rampe dans la misère ; tous sont les esclaves du vice.

J.-J. Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, 1750.



Le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité (1755), en retraçant l'histoire hypothétique de la dénaturation de l'homme, amplifie cette critique et accroît les tensions au sein de la pensée politique des Lumières : l'appropriation du sol par la violence est à l'origine d'une oppression généralisée qu'a confortée et légitimée l'institution d'un État et d'une législation au service du plus fort. Les justifications classiques de l'absolutisme comme les thèses autorisant les gouvernements modérés ou l'absolutisme éclairé cher à Voltaire et à la plupart des encyclopédistes sont ainsi globalement rejetées : il n'est rien à attendre de gouvernements de fait issus d'un coup de force originaire.

Dans le Contrat social (1762), J.-J. Rousseau définit un type inédit de contrat, qui permet déjuger précisément de la légitimité des gouvernements existants :



[..,] chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.

J.-J. Rousseau, Du contrai social, 1762.



II ne s'agit donc nullement d'un pacte de soumission engageant le peuple et les gouvernants : ce contrat constitue le corps moral du peuple dont la souveraineté est indivisible et inaliénable. Le peuple souverain est composé de citoyens qui concourent, à égalité, à la formation de la loi. Dans des assemblées périodiquement réunies, il choisit la forme de gouvernement et le ou les gouvernants dont le pouvoir strictement exécutif doit demeurer subordonné au pouvoir législatif exercé par le peuple souverain. Non sans ambiguïtés et nostalgies (Rousseau refuse tout système représentatif et rêve d'une petite communauté solidairE). S'esquisse ainsi un discours politique nouveau. Le Contrat social sera abondamment et diversement cité par les révolutionnaires de 1789 et 1793.



3. Pédagogies des Lumières



Transmettre des connaissances dont la validité est assurée, dénoncer les erreurs qui font obstacle au progrès, former une opinion éclairée constituent les objectifs essentiels de la philosophie des Lumières. La pédagogie, entendue au sens large, est l'un des soucis majeurs des philosophes.



Dès la fin du XVIIe siècle l'ouvre de Fontenelle atteste, par sa recherche de formes conciliant savoir et plaisir, le souci de s'adapter aux goûts des élites mondaines. L'ironie, qui suscite un lecteur complice et actif, vise à soustraire ce public aux contraintes des dogmes et des interdits. Voltaire définit assez précisément le contour du public auquel il s'adresse prioritairement :



Distingue toujours les honnêtes gens qui pensent, de la populace qui n'est point faite pour penser. Si l'usage t'oblige à faire une cérémonie ridicule en faveur de cette canaille et si en chemin tu rencontres quelques gens d'esprit, avertis-les par un signe de tête, par un coup d'oil, que tu penses comme eux, mais qu'il ne faut pas rire.

Affaiblis peu à peu toutes les superstitions anciennes et n'en introduis aucune nouvelle.

Les lois doivent être pour tout le monde ; mais laisse chacun suivre ou rejeter à son gré ce qui ne peut être fondé que sur un usage indifférent.

Si la servante de Bayle meurt entre tes bras, ne lui parle point comme à Bayle, ni à Bayle comme à sa servante.

Si les imbéciles veulent encore du gland, laisse-les en manger ; mais trouve bon qu'on leur présente du pain.

Voltaire. Questions sur l'Encyclopédie, « Blé », 1770.



Voltaire distingue nettement les élites susceptibles d'être gagnées à la philosophie, du peuple dont il faut avant tout contenir la violence latente et que l'on peut simplement essayer de soustraire aux manipulations des fanatiques.



Après l'expulsion des jésuites, responsables de l'enseignement de la plupart des collèges (1763), les projets de réorganisation du système éducatif et les ouvres de réflexion pédagogique se multiplient. L'organisation concrète des études, les modalités et les contenus de l'enseignement deviennent un problème national relevant des responsabilités de l'État. L'expression « éducation nationale » apparaît d'ailleurs dans le titre de l'un des ouvrages publié immédiatement après l'expulsion des jésuites (Caradeuc de La Chalotais, Essai d'éducation nationale, 1763). Les critiques formulées par les encyclopédistes à l'égard des collèges (d'Alembert, article « Collège », EncyclopédiE) inspirent largement les propositions de refonte des contenus et des méthodes d'enseignement : la langue et la littérature française commencent à être envisagées comme une discipline à part entière, les sciences et les « arts mécaniques » doivent être solidairement étudiés et détachés de l'enseignement de la philosophie. L'observation, l'expérience et le raisonnement doivent occuper une place centrale dans l'enseignement réformé. Le Plan d'une université pour le gouvernement de Russie s'inscrit dans une perspective d'absolutisme éclairé et relève d'un même esprit réformateur : Diderot envisage un système global et progressif d'enseignement permettant de détruire l'ignorance et de former les élites de l'empire de Catherine II à des savoirs résolument modernes et utiles.

Les propositions de redéfinition des méthodes d'enseignement dans les dernières décennies du xvnf siècle sont par ailleurs amplement marquées par Y Emile de Jean-Jacques Rousseau (1762). Au-delà de son respect du cadre traditionnel du préceptorat, cet ouvrage développe une réflexion nouvelle sur l'enfance, sa spécificité et ses rythmes. La suppression de tout enseignement dogmatique au profit de l'expérience et de la découverte du monde entend former un homme libre. Au terme de l'ouvrage, Emile se déclare d'ailleurs apte à rejeter l'aliénation, lot commun de l'humanité :



Plus j'examine l'ouvrage des hommes dans leurs institutions, plus je vois qu'à force de vouloir être indépendants, ils se font esclaves, et qu'ils usent leur liberté même en vains efforts pour l'assurer. Pour ne pas céder au torrent des choses, ils se font mille attachements ; puis sitôt qu'ils veulent faire un pas, ils ne peuvent, et sont étonnés de tenir à tout. Il me semble que pour se rendre libre on n'a rien à faire ; il suffit de ne pas vouloir cesser de l'être.

J.-J. Rousseau, Emile, livre V. 1762.





Ce n'est pas un hasard si Emile paraît aux côtés du Contrat social en 1762 et en contient même un résumé au livre V. Emile adulte est l'homme capable de refuser la corruption et de résister aux contraintes illégitimes, le citoyen énergique en mesure de participer à la régénération de la cité. En cela il est un représentant exemplaire de l'esprit des Lumières.






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