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LE GÉNIE ROMANESQUE DE CHATEAUBRIAND






Les Natchez, Atala, René



Du Génie du christianisme, on lit surtout aujourd'hui deux épisodes séparés : Atala et René. Ces deux récits devaient d'abord faire partie des Natchez, roman inspiré à Chateaubriand par son voyage en Amérique du Nord et publié en 1826. Jusque vers 1798, Chateaubriand conçoit Les .Natchez comme une épopée indienne qui, commémorant le massacre d'une tribu rebelle en Louisiane au cours de l'année 1729, montrera à la suite de Rousseau la supériorité de l'homme sauvage sur le civilisé. Mais, poursuivant la composition de son roman en même temps qu'il travaille au Génie du christianisme. Chateaubriand en modifie l'orientation. Les Natchez se composent finalement de deux parties. La première, profondément remaniée, s'enrichit d'un merveilleux dont l'évocation prolonge les compilations du Génie...; ayant quitté la France après que sa sour Amélie eut pris le voile, René demande l'hospitalité à la tribu des Natchez et s'éprend de Céluta, la nièce du vieux Chactas, qui lui raconte un soir les souffrances qu'il connut jadis après la mort d'Atala. Dans la seconde partie, où, dira Chateaubriand, « le roman remplace le poème » et où se multiplient les personnages, René épouse Céluta, mais celle-ci ne peut le rendre heureux ; après avoir appris la mort de sa sour Amélie, René fait à Chactas le récit de ses malheurs.



Imaginé par Chateaubriand à une époque où il n'est pas pleinement convaincu des vertus du christianisme, le récit de Chactas présente Atala victime d'un vou par lequel elle se croyait liée, alors que le bonheur lui était permis. On peut presque, en somme, y lire une dénonciation des superstitions ou du fanatisme auxquels risque de mener la religion. Cet épisode des Natchez sera remanié pour illustrer, dans le Génie du christianisme, «l'harmonie de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cour humain». Publiée séparément en 1801 sous le titre tfAtala, l'histoire de la jeune fille passionne le public par les descriptions des rives du Meschacébe (MississippI) autant que par ce conflit du désir et du devoir que seuls peuvent résoudre le sacrifice et la mort.



Quant au récit adressé par René à Chactas, il connaît en 1802, sous le titre de René, un succès plus éclatant encore qu'Atala. Composé pendant les sombres années de l'exil à Londres, il est à l'évidence fortement autobiographique. Comment croire Chateaubriand, en effet, quand il prétend avoir découvert en 1832 seulement qu'il se prénommait François René, et non François Auguste, comme semble l'indiquer la signature de ses premières ouvres? Comment s'empêcher, devant l'amour incestueux de René pour sa sour Amélie, de songer aux troubles sentiments que l'auteur partage avec sa sour Lucile? Le père Souël, missionnaire qui écoute en même temps que Chactas le récit du jeune homme, tire à la fin les leçons de sa détresse : « La solitude est mauvaise à celui qui n'y vit pas avec Dieu.» Ainsi, dans la préface d'une nouvelle édition de 1805, Chateaubriand peut-il arguer que René illustre les réflexions sur le « vague des passions » dépeint dans Le Génie du christianisme.



La génération de « René »



René doit beaucoup à Jean-Jacques Rousseau. Quand il déclare : «J'ai coûté la vie à ma mère en venant au monde », il s'écarte de la vie de Chateaubriand pour rejoindre celle de l'auteur des Confessions; le conseil que lui donne Amélie de trouver une occupation dans le monde pour rompre avec la solitude fait écho à celui qu'Edouard donnait à Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse; à l'image de Saint-Preux encore, René ne voit dans la foule qui l'entoure qu'un «vaste désert» d'hommes. La célèbre invocation : «Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie» reprend, elle, l'appel à la mort lancé par Ossian ou plus exactement par James Macpherson dans les Poèmes de Fingal publiés en 1760 sous le patronage et le nom du barde écossais. Enfin, Werther (1774), de Goethe, a développé, selon Chateaubriand lui-même, ce poison du suicide auquel René a, pour un temps, la tentation de succomber et dont il se détourne heureusement à la fin. Dans la préface de 1805, Chateaubriand souligne combien René, en finissant misérablement, est puni de ses égarements. «Moralité plaquée», jugera Sainte-Beuve. Le poète Chênedollé est plus sévère encore : « Dans René Chateaubriand a caché le poison sous l'idée religieuse; c'est empoisonner dans une hostie. »



. René inaugure ce qu'on nommera aux alentours de 1830 le « mal du siècle ». À l'instar de Werther, qui gémissait en comparant la petitesse de l'homme à l'immensité de l'univers et désirait «voler au rivage de la mer immesurable», René, monté au sommet de l'Etna, est saisi de vertige devant l'abîme ouvert à ses côtés; comme, lui, il est tenté de croire que sa douleur est unique et d'y puiser un vainsentiment de supériorité. Mais le malheur du héros de Goethe était causé par une circonstance précise : Charlotte, la femme qu'il aima't, appartenait à un autre. Si je pouvais, se disait Werther, la presser contre mon cour, «ce vide serait rempli». Le mal de René tient aux racines mêmes de l'être. En osant formuler qu'Amélie, sa sour, aurait seule été capable de le guérir. Chateaubriand le présente mieux encore comme inguérissable.



. Le chef-d'ouvre de Senancour (1770-1846), Oberman (1804), eut moins de succès que René. Homme des hauteurs, comme le suggère son nom, le héros de Senancour se retire en Suisse pour tenter d'y guérir son ennui. Est-ce le début du «mythe alpestre» (Roland Barthes, MythologieS)! La montagne, censée guérir la maladie du siècle, c'est-à-dire la tuberculose, guérit aussi, à moins qu'elle ne l'approfondisse, le mal du siècle, c'est-à-dire l'ennui, le sentiment du vide. Comme dans René, la nature fait écho, dans Oberman, à la douleur du solitaire. « Senancour c'est moi », écrira Proust. « Rêverie morale inspirée par la nature. C'était je crois un malade. D faut être faible, en effet, pour s'enivrer ainsi avec les choses les plus simples de la nature. » L'écriture offre finalement à Oberman, sinon comme à Proust un véritable dépassement esthétique qui s'accompagne de joie, du moins un remède. On pourrait en dire autant de René si, lisant son histoire comme une confidence vraiment autobiographique, on prenait la liberté de la prolonger par l'expérience de Chateaubriand lui-même : tandis que le personnage du récit se languit, l'auteur domine cette langueur en l'écrivant. Mais la mélancolie, essentielle dans l'homme, ne saurait aux yeux de Senancour trouver de solution en Dieu; il le formulera dans ses Observations critiques sur « Le Génie du christianisme », parues en 1816.

«J'ai lu René et j'ai frémi. [...] Je m'y suis reconnu tout entier», écrira Sainte-Beuve qui, par sa préface à la seconde édition d'Obermann (pourvu d'un deuxième n pour l'occasioN), contribuera, en 1833, à tirer Senancour de l'oubli. Par son recueil intitulé Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (1829), il avait déjà montré sa dette envers ses admirateurs de jeunesse. Chateaubriand connaîtra des héritiers moins talentueux. « Si René n'existait pas, je ne l'écrirais plus », confiera-t-il dans les Mémoires d'outre-tombe; « s'il m'était possible de le détruire, je le détruirais. Une famille de René poètes et de René prosateurs a pullulé : on n'a plus entendu que des phrases lamentables et décousues. »



Les Martyrs



Le lien qui unit originellement Atala et René au Génie... suggère qu'il n'existe pas, chez Chateaubriand, de nette démarcation entre l'ouvre de fiction et l'ouvre philosophique ou apologétique. Les Martyrs (1809) ne rectifient guère cette impression. Commencé en 1803, cet ouvrage répond à une inspiration d'abord romanesque. « C'est un jeune homme très chrétien, autrefois très perverti, qui convertit la jeune personne; le diable s'en mêle, et tout le monde finit par être rôti par les bons philosophes du siècle de Dioclétien, toujours plein d'humanité », écrit sur un ton dépourvu d'onction Chateaubriand à Mme de Custine, en 1804, pour résumer son ouvrage. L'épisode de Velléda, sur lequel s'achevait la première version du roman et qui se trouvera finalement placé en son cour, semble une reprise de l'histoire d'Atala : la jeune prêtresse gauloise meurt pour avoir cédé à sa passion pour Eudore, à qui le repentir inspire des sentiments proches de ceux de René. Dans la version achevée, Les Martyrs ressemblent moins à un roman qu*à une épopée où Chateaubriand montre que le merveilleux chrétien ne le cède en rien au merveilleux païen, même si, comme on le lui reprochera, il entre bien du paganisme dans ces beautés qu'avait déjà célébrées Le Génie du christianisme. Par leur romanesque. Les Martyrs se rattachent à L'Astrée (1607-1627), d'Honoré d'Urfé, et par leur façon d'utiliser l'Antiquité à des fins édifiantes, aux Aventures de Télémaque (1699), de Fénelon. En aucun cas, ils ne préfigurent le roman historique sous la forme où il fera fortune au XIXe siècle.



«J'ai fait mes adieux aux Muses dans Les Martyrs, et je les renouvelle dans ces Mémoires qui ne sont que la suite ou le commentaire de l'autre ouvrage», écrit Chateaubriand à la fin de Y Itinéraire, montrant ainsi quelles passerelles relient chez lui la fiction au reste de l'ouvre. On en a confirmation avec Les Aventures du dernier Abencérage, nouvelle achevée en 1810 et publiée en 1826. L'histoire se déroule à Grenade, avant-dernière étape de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, mais aussi refuge de l'aventure amoureuse que Chateaubriand vécut en 1807 avec Natalie de Noailles. L'omniprésence de René donne un tour romanesque à son ouvre, même quand il la voudrait documentaire ou philosophique; mais dès qu'il s'adonne à la fiction, l'intention apologétique l'empêche de bâtir un véritable univers de romancier.



FORMES DU ROMAN SOUS L'EMPIRE



Mme de Staël et le roman par lettres



L'ouvre de Mme de Staël annonce-t-elle mieux, au plan formel, la floraison du genre romanesque que connaîtra le XIXe siècle? Son Essai sur les fictions contenait des aperçus sur le roman; séparant le bon grain de l'ivraie, c'est-à-dire les romans qui s'intéressent aux mouvements intérieurs de l'âme de ceux qui se complaisent dans le vice ou dans l'invraisemblance, l'ouvrage plaidait pour ceux dont on peut extraire « une morale plus pure, plus relevée que d'aucun ouvrage didactique sur la vertu». Dans De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), tout en mettant en garde contre les dangers de la passion. Mme de Staël indiquait que l'amour est la seule d'entre elles qui appartienne aux femmes. Ces réflexions éclairent Delphine (1802), roman par lettres comme Julie ou la Nouvelle Héloïse ( 1761 ), de J.-J. Rousseau, dont le succès n'avait guère faibli. Les deux romans s'apparentent aussi par leur sujet (l'amour aux prises avec les contraintes sociales et les devoirs de la consciencE), mais, écrit par une femme au lendemain de la Révolution, Delphine célèbre plus fortement la liberté du sentiment, au point de faire scandale auprès d'une grande partie de la presse, qui y lut un plaidoyer pour le divorce.



La forme épistolaire ira déclinant au cours du XIXe siècle. Si le romancier donne par ce moyen l'illusion d'être absent de l'ouvrage, c'est souvent pour mieux déléguer à ses personnages l'exposé contradictoire des thèses qui l'inspirent et, comme le fera observer Sainte-Beuve dans une préface à Delphine : « Les personnages des romans par lettres, au moment où ils prennent la plume, se regardent toujours eux*mêmes, de manière à se présenter au lecteur dans des attitudes expressives et selon les profils les plus significatifs : cela fait des groupes un peu guindés, classiques [...]. »



Les lettres ne sont qu'un procédé narratif parmi d'autres dans le deuxième roman de Mmc de Staël, Corinne ou l'Italie (1807), où elle livre une réflexion sur la place de la femme dans la société, mais aussi sur les différences de mentalité qui séparent les nations. On verra facilement dans Corinne, amoureuse d'Oswald à qui elle devra renoncer avant de mourir de désespoir, une projection de l'auteur. Au reste, de longues dissertations sur la philosophie allemande ou sur les beautés de l'Italie retardent le déroulement de l'intrigue. Confession^ déguisée, méditation sur les grands débats de l'époque, expérience du voyage : ces éléments composites ne dessinent que de façon indécise les contours du_ genre qui dominera le siècle. Il est vrai que, cent ans plus tard, certains douteront encore qu'il faille parler du roman comme d'un genre.



Un genre féminin?



La littérature de la Révolution et de l'Empire compte bien d'autres romancières de talent. Pourquoi donc tant de femmes écrivent-elles des romans? La question valant, quoique à un moindre degré, pour d'autres périodes, on se demandera avec précaution si la sensibilité est une vertu spécifiquement féminine et si les femmes l'expriment avec plus de naturel - avec moins de retenue, prétendront de méchantes langues. Il semble plus précisément qu'après que la législation française a admis le divorce (1792), avant que le Code civil de Bonaparte n'en restreigne l'usage (1804) et tandis que la liberté de mours ne suit qu'à peine la liberté politique inscrite dans les principes de 1789, les femmes soient particulièrement concernées par les conflits qui opposent les règles et la passion ou la société et l'individu, d'où naît presque toujours le roman. En outre, leur aspiration légitime à l'éducation, que devraient satisfaire les idées nouvelles, mais qui n'entre que lentement dans les faits - la loi instituant les lycées de jeunes filles date de 1880 -, renforce leur besoin d'écrire sans que leur soient offertes les ressources culturelles et rhétoriques dont dispose l'autre sexe. Or, le roman est par excellence le « genre » (ou le « non-genre »?) qui autorise que s'expriment sans lois et sans apprentissage des confessions à peine voilées. L'histoire littéraire des xviiic et XIXe siècles compte également de nombreux mémoires écrits par des femmes, qu'une frontière ténue sépare des ouvres de fiction, ainsi qu'une abondante littérature féminine épistolaire. Dans tous les cas, l'anonymat ou l'usage d'un pseudonyme peut atténuer, à défaut d'une transposition réellement littéraire, l'audace des aveux.



Au moins échappent à cette catégorie Claire d'Albe (1799), Malvina (1800) ou Mathilde (1805), de M^Cottin (1770-1807), romans qui font vivre des figures de femmes émouvantes, évidemment inspirées par la destinée de leur auteur, mais qui se haussent, ne serait-ce que grâce aux vertus du dépaysement (Mathilde, sour de Richard Cour de Lion, aime au temps des croisades un prince musulmaN), au rang de vraies créations littéraires. De même Valérie (1803), de Mme de Kriidener (1764-1824), traduit-elle une aspiration à l'amour platonique où peuvent se lire en creux les difficultés de la condition féminine.



Adolphe, de Benjamin Constant



Donner une forme romanesque à des expériences sentimentales n'est certes pas, à cette époque, le privilège des femmes. Chateaubriand nous l'a fait soupçonner; on le vérifiera avec Adolphe, court roman de Benjamin Constant. Celui-ci le conçut en 1806, sous l'influence de son amour pour Charlotte de Hardenberg, et le remania profondément à la suite de sa rupture douloureuse avec Mme de Staël, avant de le publier en 1816. Mme de Staël dut bien reconnaître ses souffrances dans le destin du personnage d'Ellénore, que Constant présente comme une victime. Mais on sous-estimerait Adolphe si on y lisait avant tout une transposition de la fin malheureuse de leur amour.

Le récit est, suivant un procédé romanesque éprouvé, précédé d'un « Avis de l'éditeur», entendez du voyageur censé avoir recueilli par hasard la confession écrite d'Adolphe, puis suivi de manière moins traditionnelle d'une brève correspondance entre l'«éditeur» et un ami d'Adolphe qui lui a donné la permission de publier le manuscrit. Le lecteur de René était entièrement tributaire de la confession du héros; ici s'ajoutent les points de vue fournis par des «documents» extérieurs. Ce sont évidemment des «je» fictifs que Constant superpose, mais une vérité morale moins univoque se fait jour grâce aux éclairages multipliés par la fiction. Le correspondant de l'«éditeur» fait même état d'autres lettres (qui ne figurent pas dans l'ouvrE) où serait confirmé ce mélange d'égoïsme et de sensibilité par lequel son ami fait son propre malheur et celui des autres. En prolongeant ainsi allusivement la fiction et en feignant de tenir pour nulle la clôture qui sépare d'ordinaire le texte et la vie. Constant accroît l'illusion de réalité.

Privé de l'appui de valeurs qui donneraient sens à son existence, Adolphe appartient, si l'on veut, à la génération de René. Toutefois, à la différence du héros de Chateaubriand, il a hérité de son père une sécheresse d'âme qui avait donné aux enfants de Voltaire un scepticisme plaisant, mais qui ne produit auprès de la génération suivante que le dégoût de la vie. Quand il répète gaiement à son fils : « Cela leur fait si peu de mal et à nous tant de plaisir ! », le père d'Adolphe contredit cyniquement ce qu'écrivait Mme de Staël dans De l'influence des passions : « L'amour est l'histoire de la vie des femmes, c'est un épisode dans celle des hommes. » Le désespoir d'Ellénore convaincra Adolphe, mais un peu tard, de la légèreté des aphorismes de son père. On ne trouve guère de religiosité dans le caractère d'Adolphe, ni le désir morose de prendre la nature à témoin de son malheur, mais seulement l'amertume sans fond que donne le sentiment du gâchis. Analysant avec une distance ironique et souvent cruelle la dégradation d'un amour et les lâchetés où elle entraîne, le roman de Constant reflète à sa façon le mal de l'époque, mais en renouant avec le style des moralistes classiques.



LA POESIE



. L'histoire de la littérature n'a guère retenu les ouvres des poètes qui illustrèrent la période de l'Empire. Il gst vrai que la poésie s'accommode mal, quelles que soient les époques, de la complaisance envers l'ordre établi. Pierre Antoine Lebrun (1785-1873) composa dès l'âge de vingt ans une Ode à la Grande Armée, mais sa carrière théâtrale lui vaudra une meilleure réputation, et si Pierre J. de Béranger (1780-1857) obtint de l'Empereur une pension et un emploi pour avoir célébré sa gloire, sa première vraie réussite. Le Roi d'Yvetot (1813), est plutôt due au revirement de son opinion sur le régime. Charles H. Millevoye (1782-1816) publie en 1811 des Élégies précédées d'une réflexion sur le genre élégiaque (défini en fonction de sa tonalité plutôt que de sa formE); «pâle et douce étoile, écrit Sainte-Beuve, à mi-distance de Delille et de Lamartine ».



. Mais c'est peut-être dans ce qu'on a appelé le «groupe littéraire» de Chateaubriand, c est-à-dire parmi ses familiers, que se reconnaissent les poètes les plus significatifs de l'époque. Chênedollé (1769-1833), ancien émigré si sombre qu'il se surnommait lui-même «le Corbeau», publie en 1807 un grand poème. Le Génie de l'homme, didactique et descriptif (l'homme y étudie les cieux au chant I, la terre au chant II, lui-même au chant III), qui n'obtient qu'un succès mitigé. C'était, à en croire Sainte-Beuve, faute d'appartenir franchement à une école : « Le public aime assez les choses simples et les classements bien nets, dût-il en résulter dans les productions quelque faiblesse. » Louis de Fontanes (1757-1821) s'illustre dans tous les genres, mais particulièrement dans l'élégie (Chateaubriand publia dans Le Génie du christianisme sa Chartreuse de Pavie, rêverie mélancolique sur la douceur de la solitude du cloîtrE). Joseph Joubert (1754-1824), auteur de Carnets, mais surtout de Pensées que Chateaubriand fera publier en 1838, n'a pas laissé l'ouvre poétique qu'il ambitionnait d'écrire. «Platon à cour de La Fontaine, il s'était fait l'idée d'une perfection qui l'empêchait de rien achever. Dans des manuscrits trouvés après sa mort, il affirme : «Je suis comme une harpe éolienne, qui rend quelques beaux sons et qui n'exécute aucun air. » (Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, II, I, 7.)



LE THÉÂTRE



Amateur de littérature. Napoléon se passionna surtout pour le théâtre. Il plaçait Corneille au-dessus de Racine et tenait pour inférieures les tragédies de Voltaire. Talma (1763-1826), le plus grand tragédien de l'Empire, aurait, si l'on en croit le Mémorial de Sainte-Hélène, rectifié certains de ses rôles suivant les conseils de l'Empereur. « La tragédie échauffe l'âme, élève le cour, peut et doit créer des héros », lit-on encore dans le Mémorial. Elle a une fonction morale, voire patriotique. La carrière de Talma, qui se prolongera sous la Restauration, donne une bonne idée du répertoire de l'époque. S'il a su, grâce à son jeu, imposer aux mises en scène plus de naturel, Talma reste avant tout, conformément à l'idéologie impériale, un défenseur de la tragédie d'inspiration classique. David, peintre officiel de ['Empire, qui puisait son inspiration dans l'Antiquité, le conseilla pour le choix de ses costumes.



. Le genre tragique ne connaît pas en France un renouvellement comparable à celui que lui imposent Schiller en Allemagne ou Alfieri en Italie. Quand Benjamin Constant s'essaie au théâtre, il se contente d'écrire un Wallstein (1809), adaptation (ou, comme on disait alors, « imitation ») de Wallenstein, de Schiller. Dans le pire des cas, la tragédie française sert une propagande ; ainsi de ces pièces (peut-on parler encore de «tragédies»?) où, sous les figures de Cyrus, de Pierre le Grand ou de Guillaume le Conquérant, le public est convié à admirer la gloire de l'Empereur.



. Le siècle avait pourtant donné d'emblée des promesses de renouveau. Le 22 mars 1800, quatre mois après le 18 Brumaire, on s'écrasait au Théâtre-Français pour assister à Pinto ou la Journée d'un conspirateur, comédie historique de Népomucène Lemercier (1771-1840). Stendhal s'en souviendra en 1832, dans ses Souvenirs d'égotisme. Pinto était le nom d'un valet qui avait permis en 1640 au duc de Bragance d'accéder au trône du Portugal et de délivrer son pays de la domination espagnole. Les spectateurs de 1800 durent lui trouver des accents de Figaro; aujourd'hui, nous le verrions plutôt comme une préfiguration du Ruy Blas de Hugo. Déjà, Lemercier affirmait son opposition aux tyrans. Bonaparte, qui ne pouvait guère s'avouer visé, était intervenu personnellement pour autoriser la représentation de la pièce; une semaine plus tard, elle était interdite. En 1809, Lemercier heurte l'esthétique officielle en faisant jouer Christophe Colomb, présenté comme une « comédie shakespearienne », où les unités de temps et de lieu sont allègrement bafouées. Le public s'y presse à nouveau, ravi de voir sur la scène autre chose que les Grecs et les Romains prônés par le goût de l'Empereur. Le jugement de l'abbé Geoffroy, critique au Journal de l'Empire, sera sans appel : « L'auteur s'est affranchi de la juridiction de l'art; il est sorti du domaine des règles, et il en a fait publiquement sa déclaration formelle; on doit donc le regarder comme étranger à la république des lettres. » D'autres pièces de Lemercier démystifient de grandes figures nationales, comme Clovis ou Charlemagne. Flatté sans résultat par Napoléon, Lemercier va se montrer aussi peu accommodant avec les autorités de la Restauration. Dans son Cours analytique de littérature générale, professé à l'Athénée en 1810 et publié en 1817, il témoigne pourtant en faveur d'une dramaturgie classique ; tout au plus voudrait-il adapter au goût de son époque les vieux principes d'Aristote. Élu à son fauteuil à l'Académie française en 1841, Victor Hugo, que Lemercier n'avait pas ménagé, rendra hommage à ce caractère intransigeant et ombrageux.



Frère cadet du poète André Chénier, guillotiné sous la Terreur, Marie-Joseph Chénier ( 1764-1811 ) se signale par une opposition plus nette encore à Napoléon, mais ses tragédies d'un style oratoire, véritables pièces à thèse, servent la foi militante de l'écrivain plus qu'elles n'enrichissent le genre. Pierre A. Lebrun, qui est au contraire un défenseur sincère de l'Empereur, s'illustre avec Pal las (1806) et Ulysse (1814) avant de s'ouvrir sous la Restauration aux influences du romantisme. Guilbert de Pixérécourt (1773-1844) fera lui aussi carrière sous plusieurs régimes. Ses premiers mélodrames, Victor ou l'Enfant de la forêt (1797), Colina ou l'Enfant du mystère (1800), sont de grands succès populaires. Ce genre, explique Gustave Lanson dans son Histoire de la littérature française, n'est classique « que par la rectitude rapide de son action et par la grosse honnêteté bourgeoise de sa morale : au reste, par ses effets de pathétique brutal, par sa prose tour à tour triviale et boursouflée, par le mélange des genres, par les sujets modernes ou exotiques, par l'exploitation du répertoire allemand ou anglais, il semble bien être un romantisme de la veille ». Les caractères y sont fortement typés : « La variable du mélodrame, écrit Anne Ubersfeld, réside essentiellement dans la richesse des combinaisons sadiques qui permettent au traître de séduire, de tromper, de torturer, de faire chanter sa victime. »

. Peut-être l'exemple de contemporains comme Schiller ou Alfieri eut-il moins d'influence sur le théâtre français de l'époque que celui de Shakespeare. Le grand dramaturge anglais a inspiré Lemercier; plus souvent, il suscite de piètres adaptations. Celles de Jean-François Ducis (1733-1816), successeur de Voltaire à l'Académie française (Hamlet, Roméo et Juliette, Le Roi Lear, Macbeth, OthellO), écrites avant le début du siècle, continuent sous l'Empire d'occuper largement les scènes françaises. Tandis que l'abbé Geoffroy dénonce en 1809 ces «horreurs anglaises, frappées d'anathème par tous les bons esprits», Stendhal juge que les tragédies de Ducis «ressemblent autant aux pièces du poète anglais qu'à celles de Lope de Vega» et que son Macbeth, notamment, «ne vaut pas exactement une pipe de tabac ». Ainsi, le premier, docile à l'idéologie dominante, trouve que Ducis est asservi au mauvais goût de l'étranger; le second lui reproche d'avoir gâté le génie de son modèle. « Ducis semble avoir oublié qu'il n'est point de sensibilité sans détails. Cet oubli est un des défauts capitaux du théâtre français », note encore Stendhal dans son Journal, en 1804, c'est-à-dire vingt ans avant de préférer ouvertement Shakespeare à Racine. Le plus étonnant nous paraît aujourd'hui que les contemporains de Napoléon aient pu sérieusement peser les mérites respectifs de Shakespeare et de Ducis. Le chauvinisme faussait alors les débats. Mais sous la Restauration encore, il faudra de l'audace pour porter ses admirations outre-Manche.



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