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LA RENAISSANCE EST LE TRIOMPHE DE LA VIE - Le Moyen Age






Le Moyen Age et la Renaissance ne s'opposent point comme les ténèbres et la clarté. La seconde, dont le nom ne s'officialisera vraiment que sous la plume des historiens et critiques contemporains du Romantisme, est sortie tout armée du premier, plus exactement de son dernier siècle, particulièrement nourri d'Antiquité, illuminé de hautes figures « humanistes » au plein sens du terme et ponctué d'inventions et découvertes - l'imprimerie, l'Amérique - qui modifient radicalement les rapports de l'homme avec l'écriture, l'espace et l'économie.



S'il est excessif de croire, comme René Guy Cadou, que « les hommes de la Pléiade, venant après Rute-bouf et Villon, n'ont fait qu'ajouter quelques roses à ces églantiers des haies, dont la personnalité et les épines tachaient déjà du rouge de la révolution la robe de jeune fille de notre poésie française », ou est tout à fait fondé à leur reprocher de n'avoir pas inventé grand-chose sur le plan formel - tous les mètres et strophes dont ils usent leur viennent des trouvères du XIIIe siècle et des poètes-théoriciens des XIVe et XVe siècles - et l'on a beau jeu d'observer que la nouveauté qu'ils apportent se démêle assez mal de l'héritage qu'ils ont reçu. Leur façon de récupérer les dieux et les héros antiques consiste souvent à les christianiser. Leur Bible reste le Roman de la Rose amphigourique et charmant, Ronsard fait ses classes chez Lemaire de Belges (1473-1525), qui est un des derniers grands rhéto-riqueurs et un spécialiste de la résurrection des dieux et des déesses. Quant à la tradition médiévale, elle est si peu étouffée par la Pléiade que, dans le temps même où Joachim du Bellay écrit sa Défense et illustration de la langue française (1549), elle inspire un roman de chevalerie, Amadis de Gaule, qui connaît un énorme succès, et nourrit en grande partie les tragédies d'un Théodore de Bèze ou d'un Robert Garnier, concurremment représentées avec de vieux Mystères auxquels le public garde toute sa faveur.





La nouveauté, qui n'eût point pris tant d'ampleur si ceux qui la produisirent n'avaient été des poètes de génie, c'est une joie provocante de vivre, une éclatante jeunesse, une façon quasi téméraire d'appréhender le monde au nom d'une connaissance neuve. Tout arrive, au demeurant, sinon du même coup, du moins dans un laps de temps fort bref qui coïncide avec la naissance de la monarchie absolue, les jeux et les ris de la vie de Cour, la multiplication^ des imprimeurs, la paix religieuse et civile, le remplacement du latin par le français dans tous les actes et documents de justice. En moins de trente ans, de 1530 à 1560 à peu près, Scève, Ronsard et du Bellay, pour ne nommer qu'eux, donnent le meilleur de leur ouvre. Après quoi, les événements qui déchirent la France suffiraient largement à le justifier, on ne peut plus parler de « Renaissance.



Voyant ces monts de vue aussi lointaine.

Je les compare à mon long déplaisir :

Haut est leur chef et haut est mon désir,

Leur pied est ferme et ma foi est certaine.



Clément Marot (1496-1544), lui aussi, a déjà un pied dans la Renaissance. Un pied seulement car, tout comme Mellin de Saint-Celais, Bonaventure des Périers, Lefèvre d'Etaples et autres notables poètes qu'accueille, à sa Cour de Nérac, Marguerite de Navarre, sour de François Ier, et comme le charmant poète qu'elle est elle-même dans les Marguerites de la Marguerite des princesses, Marot reste fortement attaché à une rhétorique hypersavante qui n'a pas grand-chose à voir avec le lyrisme. Certes, Marot ressent profondément l'influence néoplatonicienne et pétrarquisante qui imprègne cette espèce de principauté humaniste et courtoise dont Marguerite est la souveraine bienveillante ; certes - et ses lectures et son séjour en Italie, où ses tendances réformistes le forcent à s'exiler entre 1532 et 1536, y seront pour beaucoup - il devient l'un des plus grands connaisseurs de l'Antiquité, mais il est par trop rationnel et trop épris de sa propre virtuosité pour s'enivrer du monde nu, païen, épique dont l'humaniste Dorât a donné les clefs à Ronsard et ses amis. Il advient cependant que ce poète sans lyrisme se comporte envers les mots avec autant d'audace qu'envers les prescriptions religieuses et, de Max Jacob à Jean l'Anselme, les poètes du XXe siècle qui ont donné ses lettres de noblesse poétique au calembour peuvent reconnaître en lui un précurseur :



Tant rithmassa, rithma et rithmonna

Qu'il a connu quel bien par rithme on a.



Les mêmes, il est vrai, trouveraient infiniment plus à prendre et à admirer à cet égard chez François Rabelais (1484-1553) dont toute l'ouvre est illu-minée~de feux d'artifice verbaux et à qui il suffirait d'avoir rythmé et rimé V Inscription mise sur la porte de Vabbaye de Thélème pour tenir, dans toute anthologie de la poésie française, une place qu'on lui refuse généralement parce qu'il a surtout écrit en prose.

Rabelais, nous- le_trouvons associé à maints cénacles etliéux de rencontre provinciaux qui, concurremment à la Cour de François Ier et à celle de Marguerite de Navarre, dont ils n'ont ni le luxe ni le prestige, élaborent à leur façon la nouvelle poésie française dans le creuset antique, avec d'autant plus de liberté qu'ils sont éloignés de Paris, de la faveur épineuse des Grands et des querelles de Sorbonne. Rabelais est en bonne compagnie, par exemple à Poitiers avec Jean Bouchet, qu'il retrouve aussi à Ligugé, chez les moines, et à Fontenay-le-Comte, chez le jurisconsulte Tiraqueau.



Avec les poètes de Lyon, ou ne peut plus parler de « cercle », mais d'un véritable mouvement, sinon d'une école. Pour Maurice Scève (1511-1564) et ses compagnons des deux sexes, Pétrarque est un tout proche parent, la latinité, un voisinage qui défie la chronologie, et le Quattrocento une toile de fond quasiment tangible. Dans son amour pour Pernette du Guillet (1521-1545), Maurice Scève aura d'autant moins de peine à voir un recommencement de celui de Pétrarque pour Laure, que le célèbre auteur du Canzoniere s'est venu promener sur le Ventoux et que la tombe présumée de son inspiratrice est à deux pas, quelque part en Avignon. Certaines brumes gris perle, enfin, occultent pareillement la jonction du Rhône et de la Saône et la diction raffinée, méandrique et murmurée de Scève et de ses amis.



On a voulu voir dans le nom de Délie, qui est à la fois le titre du chef-d'ouvre de Maurice Scève et le nom de son héroïne, un anagramme de « l'idée ». Pour Albert-Marie Schmidt, il faut voir en Délie la fille de Délos et la sour d'Apollon ; en elle s'incarnent les trois faces, terrestre, céleste et infernale, de la féminité. Quoi qu'il en soit, ce qu'on goûte en Délie, c'est beaucoup moins la casuistique amoureuse, vaguement teintée de masochisme, qui s'y développe à l'infini (non sans sacrifier à certaine influence des grands rhétoriqueurS) que les harmoniques subtiles, diaprées, ramifiées à l'extrême entre l'entendement et la sensation pure, d'un langage poétique qui puise l'essentiel de son charme en lui-même. On a dit à juste titre que Maurice Scève contient en germe Mallarmé, Valéry et René Char. Grand maître du décasyllabe, dans lequel il dessine des « blasons du corps féminin » à rendre jaloux Marot :



Gorge qui est une armoire sacrée

A chasteté déesse consacrée

Dedans laquelle la pensée pudique

De ma maîtresse est close pour relique..,



Scève se montre non moins expert dans le maniement de l'alexandrin. En particulier dans le Microcosme, où il recommence en humaniste, dans le sens de l'espoir et du progrès, l'histoire du premier couple humain :



Et lui allègrement sous le bras la tenant

S'en va par la fraîcheur bien loin la promenant.

Pour lui étendre au long son songe prophétique.

Messager du haut Dieu pour espoir pacifique...



Bref, ce poète dont la pure et quasi abstraite musique est une ostension mystique de l'amour se montre parfaitement concret quand il s'agit de la liberté de l'homme. Jusqu'à nier le péché que la religion attache à son origine. Jusqu'à trouver des accents directs et vigoureux, lui l'allégorique, lui le fluide, lui tout épris d'allitérations (« le vain travail de voir divers pays »), pour dénoncer tout attentat guerrier contre le peuple :



Que mes sanglots pénétrant jusqu'aux cieux

Emeuvent ceux qui en cruauté régnent.



Quand vous voyez que l'étincelle

Du chatte amour sous mon aisselle

Vient tous les jours à s'allumer

Ne me deve«-vous bien aimer ?



Louise Labé (1524-1566), dite « la Belle Cordière » pour avoir épousé, à seize ans, un riche marchand de corde, a-t-elle vraiment participé, vêtue en garçon, à une expédition militaire en Italie ? A-t-elle, tant avant qu'après son veuvage, fait les quatre cents coups, comme l'en accuse Calvin, dans l'espèce de cour d'amour constituée par son salon ? Sans minimiser l'importance de ces questions qui, avec plus d'acuité encore qu'en ce qui concerne Pernette du Guillet, mettent l'accent sur l'évolution de la condition féminine, nous avons surtout à dire que l'ouvre de Louise Labé, débarrassée des genouillères rhétoriques qui alourdissent celle de la « maîtresse » de Maurice Scève, vole infiniment plus haut. Maîtresse, quant à elle, du poète Obvier de Magny (1529-1560), autre belle figure de l'école lyonnaise, c'est à lui qu'elle adresse ses soupirs et ses plaintes après les avoir mis en vers mélodieux avec, dit Albert-Marie Schmidt, une sorte de « morosité spasmodique et tendre ». Certes, les vingt-quatre sonnets - dont un en italien - qui sont le chef-d'ouvre de Louise Labé (on lui doit aussi trois Elégies, une Epître dédicatoire et un Débat de folie et d'amouR) accusent l'influence de Pétrarque ; c'est en cela seulement qu'ils datent ; verbal, à la fois ductile et ferme, musical et plein de sens :



Je vis, je meurs : je me brûle et me noie

J'ai chaud extrême en endourant froidure...

Ainsi Amour inconstamment me mène

Et, quand je pense avoir pins de douleur,

Sans y penser, je me trouve hors de peine...



Pontus de Tyard (1521-1605), qui fut vraisemblablement épris de la Belle Cordière, fait le pont, en quelque sorte, entre l'école de Lyon - à laquelle il faut rattacher encore Antoine Heroët (1492-1568) - et la Pléiade, qu'il rejoint en 1552 après avoir publié son Chant en faveur de quelques excellents poètes de ce temps. Platonicien et pétrarquiste convaincu, prosodiste d'une science extrême, il s'encombre un peu trop de métaphores et d'antithèses tout en faisant preuve d'une espèce d'enthousiasme flamboyant qui semble à Ronsard lui-même quelque peu excessif.



Du Bellay est le premier à illustrer la profession de foi qu'il a signée. Cela en publiant, conjointement à celle-ci, ses Cinquante Sonnets à la louange de l'Olive, suivis d'une Antérotique de la Vieille et de la Jeune Amie et de treize Odes. On a vu dans Olive l'anagramme de Viole, nom d'une marquise dont il était amoureux. Plus important est de voir, dans les Sonnets eux-mêmes, à quel degré de perfection du Bellay porte cette forme fixe, encore neuve en France, et le vers alexandrin, devenu pour longtemps le grand véhicule de notre poésie, et surtout avec quelle considérable avance sur une conception totalitaire de la poésie, qui se fera jour en France à partir de Baudelaire et qu'officialisera Mallarmé, il arrache en quelque sorte le poème à ses prétextes pour en faire un « langage du langage ». Dans l'Olive, du Bellay a sûrement incarné la femme aimée, mais non moins sûrement la poésie.

Michel Deguy l'a justement marqué, « l'espace vide » qu'il s'efforce de remplir le sépare à la fois de l'objet de son désir et de la pure essence de la parole. Protégé par Madame Marguerite, sour d'Henri II, et par son oncle, le cardinal Jean du Bellay, qu'il accompagne à Rome en 1553, via Lyon où il rencontre Maurice Scève et Pontus de Tyard, l'auteur de l'Olive est à demi sourd dès sa trentième année. Si cela accentue sa parenté avec Ronsard - qui, lui, n'entend goutte depuis ses dix-huit ans -, cela explique au moins en partie l'évolution irréversible de du Bellay vers une thématique de l'exil sans espoir, qui, bien mieux que dans sa Complainte du désespéré, s'exprimera dans Les Regrets.

Que, dans ce dernier recueil, il décrive à merveille les majestueuses ruines antiques et s'apitoie sur la grandeur déchue dont elles témoignent est peut-être moins important, pour l'histoire de la poésie française, que le naturel avec lequel, dans plusieurs de ces sonnets, et non seulement dans le plus célèbre :



Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Ou, comme celui-là qui conquit la toison... il mette sur le même pied, si l'on peut dire, la gloire d'Hector et la beauté de Cassandre, inspiratrice de son ami Ronsard, une patoisante rivière d'Anjou et un fleuve de l'illustre Rome et, rompant d'un coup l'assujettissement de notre culture à la culture gréco-latine, la patrie gauloise, devenue « mère des arts, des armes et des lois », et l'univers antique.

De l'Angevin du Bellay au Vendômois Ronsard (1524-1585), l'apport provincial ne cesse d'être ostensible, et de même peut-on dire que, si Pontus de Tyard n'avait été Maçonnais, et Rémy Belleau d'Eure-et-Loir, la poésie de la Pléiade n'eût point eu tant de force authentiquement française à opposer au double poids du pétrarquisme et de l'Antiquité.



Le plus ardent pourfendeur des « latineurs » et « grécanisateurs », ce fut Ronsard, religieux à la mode du temps, où cures et aumôneries étaient surtout des « bénéfices », soldat d'occasion (il se bat en 1562 contre les huguenots, pour défendre sa curE), amant malheureux de Cassandre de Salviati (dont la nièce, Diane, rendra pareillement malheureux Agrippa d'Aubigné) et amant plus heureux, semble-t-il, de Marie Dupin et Hélène de Surgères. Dans un langage qui ne craint pas d'emprunter à la faconde populaire mais qu'il cisèle admirablement eî emporte au plus haut des hauteurs verbales, il introduit les formes, les couleurs, les sons et les frissons de la vie avec une verve sensuelle qui n'exclut ni l'érudition ni l'application. Le matériel mythologique n'étouffe jamais chez lui le brin d'herbe ou la rose. Les spéculations cosmogo-niques auxquelles il se livre dans ses Hymnes (1) ne Féloignent point du monde sublunaire où l'homme est en prise directe sur son destin. Les vertus poétiques de l'allégorie ne le séduisent jamais au point de lui faire oublier que la poésie est avant tout un cri de joie, de désir ou de douleur (un cri « habillé », dira Cocteau qui ne doit pas peu à Ronsard...). Il publie pour la première fois en 1547, mais cette Ode à Peletier du Mans n'est point encore dans la ligne esthétique que va définir du Rellay au nom de la Pléiade. La véritable entrée en lice de Ronsard, c'est la publication des Quatre Premiers Livres des Odes, en 1550, suivie deux ans plus tard par celle des Amours. Tout de suite célèbre, ce qui enrage fort Mellin de Saint-Gelais et les derniers adeptes des Rhétoriqueurs, il va multiplier les vers, à la fois emportés et coulés, simples et orfèvres, qui s'inscrivent d'autant mieux et d'autant plus durablement dans la mémoire qu'ils ont, souvent, une résonance, sinon une intention morale. Exemple, le fameux :



Mignonne allons voir si la rose

Qui ce matin avait déclose...

Cueillez, cueillez votre jeunesse :

Comme à cette fleur la vieillesse

Fera ternir votre beauté.



Si Ronsard s'enorgueillit de la suprématie qu'il exerce sur les poètes de son école et de son temps :



Vous êtes tous issus de la grandeur de moi.

Vous êtes mes sujets, je suis seul votre loi. et ne craint pas de s'attribuer tout le mérite du renouvellement linguistique prôné par la Brigade :



... Pour hausser ma langue maternelle...

Je fis des mots nouveaux, je rappelai les vieux,

Si bien que son renom je portai jusqu'au cieux... il ignore en revanche que ceux qui viendront - de Malherbe aux Classiques - ne sauront pas reconnaître en lui, théoricien qui prêche d'exemple, le premier législateur de leur « juste cadence » et que, agacés par les doctes obscurités de certains de ses vers, ils ne lui sauront aucun gré d'avoir mis la langue française « hors d'enfance ». Il ignore de même qu'en se lançant dans l'épopée avec une Franciade il gâtera ses dons, qui sont le primesaut, l'élégance spontanée, l'instinctive autorité du vates qui peut se permettre de parler famihèrement aux astres :



Je vous salue enfants de la première nuit...



Au vrai, si le Français eut jamais la tête épique, il ne l'a plus guère au moment où Ronsard voudrait qu'il l'eût. Entre-temps, Dieu sait pourtant qu'en France l'épopée s'est confondue avec l'histoire. Tout comme le Discours des misères de ce temps, hormis quelques passages assez violents pour emporter le lecteur, La Franciade s'essouffle et retombe â côté d'un génie français qui, ne l'ayant dictée, ne saurait la recevoir.

Jean Lemaire de Belges (1473-1524) avait tenté, au début du xvie siècle, d'introduire la prose rythmée dans notre prosodie. Antoine de Baïf (1532-1589), l'un des premiers compagnons de Ronsard, compose, lui, certains de ses poèmes, notamment ses Chansonnettes, en vers mesurés « à la grecque et latine n, c'est-à-dire en tenant compte de l'alternance des syllabes longues et brèves. Charles IX l'y a encouragé et Henri III de même. Mais, si bien organisée et tout officialisée qu'elle soit au seiu d'une Académie de la Poésie et de Musique qui, sous le second de ces monarques, devient l'Académie du Palais, la tentative ne connaît pas grand succès, la prononciation du français ne se prêtant point à l'agréer ; Agrippa d'Aubigné sera le seul poète important à la reprendre occasionnellement. Finalement, Baïf, trahissant la métrique qu'il prétend imposer - le « baïfin » - est au mieux de sa forme dans les alexandrins de Y Hymne à la Paix :



Je veux louer la Paix ; c'est la Paix que je chante

La fille d'amitié dessus tout excellente et du Premier des météores qui, selon Albert-Marie Schmidt, est la première tentative de monographie scientifique versifiée.



Rémy Belleau (1528-1577), considéré par Ronsard comme le septième astre de la Pléiade, a lui aussi quelque titre à figurer parmi les poètes scientifiques avec ses Petites Inventions, ses Bergeries, ses Amours et nouveaux échanges de pierres précieuses. Il faut louer surtout chez lui le génie rythmique qui lui permet de faire du vers heptasyllabique, réservé aux poésies légères, un module sonore d'une admirable autorité :



Va, pleureuse, et te souvienne

Du sang de la plaie mienne

Qui coule et coule sans fin,

Et des plaintes épandues

Que je pousse dans les nues

Pour adoucir mon destin.



Etienne de La Boétie (1530-1563) dont son ami Montaigne dira très justement les vers a autant charnus, pleins et moelleux qu'il s'en soit encore vu dans notre langue > ; Jean Passerat (1534-1602), qui sera l'un des principaux rédacteurs de la Satire Ménippée mais aussi un puits de science, un champion d'éloquence et, dans ses rares loisirs, un plaisant tourneur de villanelles et d'odes champêtres ; Amadis Jarayn (1540-1593) dont les Stances de l'impossible ont un élan et un pouvoir de suggestion encore impressionnants :



Le loup et la brebis seront en mime étable

Enfermés sans soupçon d'aucune inimitié.

L'aigle avec la colombe aura de l'amitié

Et le caméléon ne sera point muable...



Jacques Grévin (1538-1570), grand adversaire de Ronsard mais aussi, en huguenot d'adoption, des chefs de l'Eglise catholique qu'il pourfend en sonnets plein d'allure ; Philippe Desportes (1546-1606) dont les Amours d'Hippolyte Donnant air à la flamme en ma poitrine enclose ont une musicalité charmante ; Jean de Sponde (1557-1595), plus profond, tourmenté, alchimiste en ses vers comme il le fut dans sa vie :



L'Esprit qui n'est que feu de ses désirs m'enflamme

Et la chair qui n'est qu'Eau pleut des Eaux sur ma flamme. peuvent être, comme Jacques Tahureau (1527-1555), Olivier de Magny (1529-1651), Vauquelin de La Fresnaye (1535-1606), rangés parmi les étoiles notables qui gravitent autour de la Pléiade ou dans son sillage en train de s'évanouir. Ni les uns ni les autres, cependant, n'égalent en grandeur un Guillaume de Salluste du Bartas (1544-1590) ou un Agrippa d'Aubigné (1552-1630).



Gothe s'étonnait du dédain où du Bartas, célèbre de son vivant, au point de gêner Ronsard et de lui faire envie, avait été ensuite tenu par les Français. Ce dédain, dont l'auteur de La Semaine ou la Création du monde n'a point cessé d'être accablé, s'explique surtout par la prolifération baroque, convul-sive et parfois vertigineuse des images et des idées qu'il enchaîne et promeut dans l'espèce de cosmos verbal qu'il tire, comme l'a judicieusement souligné Albert-Marie Schmidt, du cosmos matériel : le lecteur français veut qu'on soit raisonnable, même en poésie où la raison a si peu à faire. Pourtant, la poésie scientifique n'a pas eu plus grand expérimentateur que ce haut lyrique tout enivré de son propre chant. L'on regrettera, bien sûr, qu'il soit ampoulé, confus, précieux, et que, s'il excelle à créer des allitérations tout à fait convaincantes :



La gentille alouette avec son tire-tire

Tire l'ire à Tiré et tire liran lire... il en commette d'autres, assimilables à de méchants calembours et, renchérissant sur Ronsard, fabrique à la chaîne des mots composés ou des redoublements de phonèmes - « flo-flottant », « sou-soufflant » - d'un mauvais goût évident. Son inventaire scientifique de la nature est en revanche, si précis qu'il se veuille, assez dépaysant et fantastique pour nous charmer encore.

Agrippa d'Aubigné a laissé au moins un vers dans la mémoire de tous :



Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise.



Si l'on connaît le vers qui suit :

Vous avez esjouy l'automne de l'Eglise qui s'adresse aux martyrs huguenots, dont il a vu, tout enfant, en passant à Amboise, les « chefs pleins d'honneur » brandis au bout d'une pique, on comprend mieux le génie de l'auteur des Tragiques, cet immense poème inspiré par les guerres de religion, paru seulement en 1616, alors que Malherbe régnait depuis dix-huit ans, ce qui suffirait à expliquer son occultation (1). Chez lui, la métaphore n'est pas une fin en soi, ni le « vers-proverbe » que Hugo opposera si bien au « vers-cocarde », ni les grâces musicales ou plastiques qu'il est capable de porter à leur comble avec au moins autant de facilité que Ronsard, ni l'extraordinaire talent qu'il a de faire donner aux mots tout ce qu'ils peuvent, en les répétant par exemple sur deux modes en un même vers, comme le fait Shakespeare dans ses Sonnets. De tout ce matériau, qu'il a d'ailleurs utilisé dans d'admirables poèmes d'amour - l'Hécatombe à Diane -, il n'entend se servir, dès le lendemain de la Saint-Barthélémy, que pour servir à son grand oeuvre, lequel consiste à condamner les adversaires de sa foi, à décrire d'après nature



Car mes yeux sont témoins du sujet de mes vers, leurs méfaits, leurs traîtrises et leurs crimes et à appeler sur eux la vengeance céleste. Poète « engagé », certes - et le premier de tous, et qui rend des points sur ce terrain au Hugo des Châtiments ! - mais qui a trop de génie pour n'être que cela :



Ce temp6 autre en ses mours exige un autre style s est-il exclamé d'entrée de jeu. Bien sûr, mais le style qu'il entend se donner semble lui venir, en fait, de plus haut que lui-même et, débordant la satire, Les Tragiques envahissent un espace à la fois intemporel et réaliste, mythique et subjectif qui est celui de la très grande poésie. Cet homme de la Renaissance est, par bien des côtés, un homme du Moyen Age - et la comparaison avec Shakespeare s'impose encore ici - mais aussi, surtout peut-être, un homme de la Bible. Dans ses meilleurs moments satiriques et politiques, Ronsard semble bien pâle à côté de cet inspiré qui parle comme Amos :



Toi, Seigneur, qui abats, qui blesses, qui guéris,

Lève ton bras de fer, hâte tes pieds de laine.

Venge ta patience en l'aigreur de ta peine :

Frappe du ciel Babel : les cornes de son front

Défigurent la terre et lui ôtent son rond.



Agrippa d'Aubigné, qui n'a point écrit pour le théâtre, pourrait en remontrer, avec ses Tragiques, à ceux qui s'adonnent, en son temps, à la tragédie. A commencer par Etienne Jodelle (1532-1573) dont la Cléopâtre captive, première tragédie représentée en France (1553), n'est point sans mérites ; Jacques Grévin qui, six ans plus tard, accouche assez laborieusement d'un César ; Robert Garnier dont la Porcie, l'Antigone et les Juives valent surtout par leurs chours d'une belle envolée, d'une frappe élégante et vigoureuse :



Pauvres filles de Sion,

Vos liesses sont passées ;

La commune affliction

Les a toutes effacées.








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