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LA GÉNÉRATION DES POÈTES ROMANTIQUES 1820-1850






La génération romantique des années 1820-1850 est avant tout celle des poètes romantiques. Il n'est pas de poésie sans un peu de romantisme et il n'y eut pas de romantique qui ne fut aussi poètef D'une certaine manière la poésie fut bien l'âme du romantisme tant toute prise de conscience littéraire cbez les écrivains de la Restauration et de Juillet fut d'abord une prise de conscience poétique qui s'enracinait dans la conviction que là, dans la poésie mieux que dans tout autre genre, se trouvait la terre d'élection pour une renaissance de l'expression littéraire.



Comme toute expérience romantique la poésie de cette génération naîtra, en partie du moins, d'une réaction contre les insuffisances du classicisme qu'on accusera d'avoir sacrifié les libertés de l'art aux contraintes de la technique ; comme toute entreprise romantique française elle ne manquera pas non plus de modèles, anglo-saxons surtout, avec Schiller, Novalis, Hcelderlin ou Young, Ossian, Burns et même Byron et Keats. Pourtant, malgré ces références aux modèles du passé qu'elle refuse ou aux initiateurs nouveaux qu'elle adule, c'est elle qui donnera l'image la plus authentique de cette profondeur originale et originelle de l'Etre que le Verbe doit faire parler et c'est elle qui sera la plus fidèle traductrice de cette « intimité » que nous avons évoquée.





Paradoxalement d'ailleurs l'originalité de son propos ne s'accompagne pas d'une révolution dans les formes. Bien souvent les audaces formelles de ses adeptes seront seulement à la mesure de ce que Hugo nommait la « dislocation de ce grand niais d'alexandrin ». Les mètres, les strophes, les schémas de rimes de la poésie romantique seront, à de rares exceptions près, ceux de la tradition. Aussi bien est-ce surtout dans le maniement des images, véritables fibres du tissu poétique, que les plus grandes nouveautés apparaîtront. L'image, par sa puissance concrète, son pouvoir de suggestion et ses effets dynamiques dans la structure du discours, apparaîtra très vite aux Lamartine, Hugo ou Nerval comme l'instrument idéal d'une poétique qui veut créer entre l'écrivain et son lecteur l'itinéraire d'une émotion partagée.

Même absence de bouleversement dans la conception romantique des genres poétiques. Sonnets élé-giaques, épîtres intimes ou satiriques, épopées historiques ou philosophiques, autant de genres traditionnels que nous retrouvons chez les poètes de cette génération. Mais le genre lyrique tint chez eux bien sûr un rôle prépondérant que Mme de Staël avait déjà pressenti dans une page de son De la littérature, où elle montrait sa parfaite coïncidence avec les nécessités de l'épanchement subjectif et les convictions du moment :



« La poésie lyrique s'exprime au nom de l'auteur même ; ce n'est plus dans un personnage qu'il se transporte, c'est en lui-même qu'il trouve les divers mouvements dont il est animé. (...) Il faut, pour concevoir la vraie grandeur de la poésie lyrique, errer par la rêverie dans les régions éthérées, oublier le bruit de la terre en écoutant l'harmonie céleste, et considérer l'univers entier comme un symbole des émotions de l'âme. »



C'est dans cette pratique intime et « rêveuse » du langage, qui n'exclut ni l'esprit « missionnaire », ni la prophétie et la voyance, qu'il nous faut rencontrer maintenant les principales figures poétiques de l'époque.



I. - Lamartine (1790-1869)



A défaut d'ouvrir l'ère du romantisme tout entier, la date du 13 mars 1820, qui voit la publication des Meditationn poétique, de Lamartine, ouvre à coup sûr l'ère de la grande poésie romantique. Lamartine lui-même ne se trompait pas sur son rôle d'initiateur inspiré : « Je suis le premier, écrivait-il, qui ai fait descendre la poésie du Parnasse et qui ai donné à ce qu'on nommait la Muse (...) les fibres mêmes du cour de l'homme. » Pareilles déclarations lui vaudront de passer aux yeux de la postérité pour le poète du simple lyrisme et de la pure élégie. Quelle injustice pour celui qui fut aussi historien et politicien et dont la séduisante poésie intime ne saurait masquer l'ample réflexion mystique et sociale !

Bien sûr les recueils des Méditations ou des Nouvelles Méditations (1823), tissés de la douleur d'une passion brisée par la maladie et la mort, portent tous les signes de ce lyrisme personnel auquel la postérité allait trop souvent assimiler le romantisme tout entier. Accablé par la fuite inexorable du temps qui lui arrache Elvire, son amante, le poète confie à la Nature éternelle les restes de son Moi meurtri par les incertitudes du Destin :



J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;

Je viens chercher vivant le calme du Léthé.

Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie.

L'oubli seul désormais est ma félicité »

(Le Vallon.)



Grande consolatrice, la nature réinvestit ainsi pleinement chez Lamartine l'espace poétique construit par celui qui ne cesse d'y guetter les traces d'une puissance supérieure déjà sensible au « cour » :



« Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence :

Sous la nature enfin découvre son auteur !

Une voix à l'esprit parle dans son silence :

Qui n'a pas entendu cette voix dans son cour ? ».

(Le Vallon.)



Les 48 poèmes des Harmonies poétiques et religieuses (1830), autant de « degrés pour monter vers Dieu », approfondissent cette quête mystique de l'âme qui s'impose comme soulagement à toutes les inquiétudes et à tous les désespoirs de la conscience. La question de la foi et de la métaphysique lamar-tiniennes n'est pourtant pas simple. Il y a chez cet homme, dont la philosophie et les mours respirent encore le XVIIIe siècle, un sentiment religieux qui tient moins du christianisme rigoureux que des aspirations déistes des Lumières. Signifiée et magnifiée partout dans la création, la présence de l'Etre se révèle mais ne se laisse pas connaître ; infinie, elle s'impose mais échappe toujours à la finitude de la méditation humaine (Le ChênE). Religion ne signifie pourtant pas pour le poète utopie. S'il s'épuise à concevoir le Divin (« Je meurs de ne pouvoir nommer ce que j'adore », écrit-il dans Novissima VerbA), Lamartine garde cette conviction que la divinité, qui est avant tout Providence, est guide premier de l'humanité et que la religion par conséquent est nécessaire au peuple. La vaste entreprise épique de Jocelyn (1836), où l'on a pu voir, dans un esprit lamennaisien, l'esquisse d'un « christianisme social », est témoin de cette conviction. L'itinéraire à la fois sentimental et spirituel des deux héros, Jocelyn et Laurence, y est donné à lire comme symbolique de l'épopée de l'humanité tout entière, qui ne peut accéder à la plénitude du divin qu'au travers des sacrifices de la vertu, des expiations de la souffrance et plus sûrement et plus « naturellement » encore des efforts du Travail, « sainte loi du monde » (cf. l'épisode des LaboureurS).

La lecture de Jocelyn révèle en fait combien chez Lamartine l'écriture du poète est indissociable de la réflexion du penseur et de l'engagement de l'homme politique. Son article sur les Destinées de la poésie (1834) le clamait déjà : « La poésie ne sera plus lyrique dans le sens où nous prenons ce mot. (...) Elle sera philosophique, religieuse, politique, sociale. (...) Elle va se faire peuple, et devenir populaire comme la religion, la raison et le philosophie. » L'Epître à Guillemardet (1837) engagera plus avant encore le poète, l'invitant à cesser d'être le chantre des troubles de son cour pour se faire interprète de tous les « silencieux ». Ne nous étonnons donc pas de voir cet authentique légitimiste devenu libéral, ce défenseur acharné de l'ordre, convaincu pourtant de démocratie et de justice sociale, s'essayer à des genres et à des 6ujets « engagés » où s'affirment toute sa confiance dans le progrès irréversible des peuples et sa détermination pour la conduite de cette marche en avant. Il faut lire en ce sens l'Ode sur les révolutions (1831) ou La Marseillaise de la Paix (1841) pour bien comprendre son Histoire des Girondins (1847).



L'Histoire et le peuple, hélas, ne répondirent guère à son attente. Désabusé, condamné à une fin d'existence médiocre, Lamartine retrouva pourtant dans un de ses tout derniers poèmes, La Vigne et la Maison (1857), le souffle lyrique et l'émotion authentique de ses premières années de poésie. Il est vrai que l'inspiration religieuse, politique ou sociale ne les avait jamais étouffés. C'est sans doute dans ce grand chant commémoratif, dans cette intense et dramatique mise en scène des méditations et des contemplations du vieil homme, que s'épanouissent le mieux toutes les délicatesses de son émotion et toutes les élégances de sa technique. Léger et mélodieux, discret et limpide, subtilement scandé, étonnamment précis et pittoresque, le dialogue essentiel de l'Ame et du Moi s'écoule avec une permanente et déconcertante facilité :



Moi qui par des concerts saluai ta naissance.

Moi qui te réveillai neuve à cette existence

Avec des chants de fête et des chants d'espérance.

Moi qui fis de ton cour chanter chaque soupir.

Veux-tu que, remontant ma harpe qui sommeille.

Comme un David assis près d'un Saiil qui veille.

Je chante encor pour t'assoupir ? »



La postérité se souviendra surtout, pour l'aimer ou la décrier, de cette poésie des soupirs qui n'était pourtant pas sans souffle. Mais il est bien vrai que Lamartine lui-même, dès 1849, en préfaçant la nouvelle édition de ses Méditations, avait contribué à forger ce mythe d'une poésie qui ne serait rien d'autre que le bavardage solitaire d'un cour :



« Je n'imitais plus personne, je m'exprimais moi-même pour moi-même. Ce n'était plus un art, c'était un soulagement de mon propre cour qui se berçait de ses propres sanglots. (...) Ces vers étaient un gémissement ou un cri de l'âme. Je cadençais ce cri ou ce gémissement. »



II. - Musset (1810-1857)



Enfant terrible du romantisme, dandy frivole et déconcertant, Alfred de Musset est loin d'avoir eu le sérieux et la persévérance poétiques de Lamartine. Son ouvre en vers, avec ses facilités et ses outrances, se trouve ainsi souvent reléguée derrière ses productions de romancier subtil (La Confession d'un enfant du sièclE) et de dramaturge délicat ou puissant (Les Caprices de Marianne, LorenzacciO). C'est pourtant dans cette poésie débridée et « impudique » que s'est sans doute le mieux signifié le drame de l'individu romantique.



Génie précoce, Musset n'a pas dix-huit ans quand il est présenté à Hugo au Cénacle de la rue Notre-Daine-des-Champs qu'il égayé de tout le brio de sa personne et do tout le pittoresque de ses premiers vers qui respirent, comme ceux du Maître, l'exotisme oriental ou italien (Contes d'Espagne et d'Italie, 1830). Mais l'excentricité du jeune homme s'accommode vite assez mal de l'atmosphère du Cénacle : c'est qu'il y a sous les pirouettes et les facéties de la plume et de l'esprit du poète une inquiétude fondamentale qui ne saurait s'épancher que dans la solitude. En 1831, Musset prend prétexte de plusieurs différends théoriques et idéologiques (il refuse la poésie sociale ou politique et prétend renouer avec un certain classicisme littérairE) pour rompre avec ses anciens amis. En réalité il a depuis toujours la conviction que l'acte poétique ne saurait se fonder en rien d'autre que dans les fibres et les pulsions du cour :



Ce qu'il faut à l'artiste ou au poète, écrit-il à son frère cette année-là, c'est l'émotion. Quand j'éprouve, en faisant un vers, un certain battement du cour que je connais, je suis sûr que mon vers est de la meilleure qualité que je puisse pondre. »



Or les fibres du cour de Musset ne manquent ni de pulsions ni de déchirements : élans fiévreux vers la Vertu qu'il semble impossible de concilier avec les exigences de la vie, désir ardent du Bien sans cesse contrarié par les réalités du Mal, tel est le drame du récit désespéré et impitoyablement lucide de Rolla (1833) auquel fera écho le chant plus calme et plus pur de Lucie (1835) où la sérénité de l'âme se laisse pressentir dans un certain apaisement du langage poétique lui-même. Mais la malheureuse liaison avec Georges Sand (1833-1835) allait réveiller le drame intime en installant pour longtemps au cour du poète sa « grande douleur ». C'est de cette souffrance encore ravivée par d'autres échecs sentimentaux que se nourrit l'une des plus belles ouvres romantiques dans l'ordre du pur lyrisme : Les Nuits, véritable chronique passionnelle du printemps 1835 à l'automne 1837. A l'imitation de Young, Musset livre en quatre poèmes (Nuits de Mai, de Décembre. d'Août et d'OctobrE) le long récit des intermittences vibrantes de son cour, et lègue à la postérité un témoignage remarquable sur les rapports privilégiés qui unissent la poésie romantique et les effusions douloureuses de la passion. Sans souci apparent de pudeur et de maîtrise, l'écriture lyrique devient proprement sanglot et, plus encore que chez Lamartine (à qui Musset dédiait en 1836 une très admirative Lettre à LamartinE), la vie se fait ici réellement et sincèrement mots et vers dans toute son intensité dramatique :



« Pourquoi mon cour bat-il si vite ?

Qu'ai-je donc en moi qui s'agite

Dont je me sens épouvante ? (...)

Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.

Qui vient ? Qui m'appelle ? - Personne.

Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ;

O solitude ! O pauvreté ! »

(Nuit de Mai.)



Reste évidemment que cette libération entière de l'émotion dans le langage conduit trop souvent Musset à la déclamation verbeuse et fastidieuse. Ce qui n'était que facilité heureuse chez Lamartine devient parfois chez lui insouciance de l'art et complaisance dans une verve intarissable. Il n'y aura, malgré l'espoir d'une « renaissance » dans la Nuit d'Octobre», ni résurrection moraleni restauration poétique chez Musset. Poète précoce il quittera précocement un monde qui n'était plus fait pour lui. Ceux qui aiment en lui cette inconsistance essentielle dont sa vie comme sa poésie portent l'empreinte, préféreront sans doute garder le souvenir du charmant poème sur Une soirée perdue au Théâtre-Français ou de la discrète évocation de sa Tristesse (1840) qui n'est pas sans annoncer par le ton le Nerval d'Epi-taphe ou le Verlaine de certains poèmes de Sagesse :



J'ai perdu ma force et ma vie

Et mes amis et ma gaieté ;

J'ai perdu jusqu'à la fierté

Qui faisait croire à mon génie. (...)

- Le seul bien qui me reste au monde

Est d'avoir quelquefois pleuré. »



III. - Vigny (1797-1863)



Face à l'originalité capricieuse de Musset, la vie et la carrière littéraireld'Alfred de Vigny apparaissent commel'une des démarches les plus riches et les plus cohérentes du romantisme. Plus qu'aucun de ses contemporains il fut l'homme des doutes et des déceptions : écolier jalousé et méprisé, soldat désespéré, penseur et homme politique bafoué dans ses rêves et ses idées, homme de lettres contesté ou mal aimé, amant trompé puis délaissé, Vigny allait tout naturellement traduire dans son ouvre poétique les aléas d'une existence aussi décourageante. Celui qui fut romancier (Stello, 1832 ; Servitude et grandeur militaires, 1835) et dramaturge (Chatterton, 1835) fut avant tout un poète de la force et de la rigueur dont l'ouvre apparaît comme un effort constant pour surmonter, grâce à l'esprit et à la conscience du « philosophe », les déceptions du cour de l'homme.



Certes, même le Vigny poète - tel que le révèlent les textes de son premier recueil paru en 1826, Les Poèmes antiques et modernes - apparaît comme un sceptique, voire un pessimiste. Son Eloa crie les désespoirs d'un être livré aux supplices de la tentation, son Moïse révèle tout le drame d'un homme face au Dieu qu'il ne comprend plus. Mais aussi désespérés que soient ces textes, ils ont déjà par nature le pouvoir d'intégrer l'individu désemparé dans les dimensions réconfortantes et salvatrices de la légende ou de l'Histoire. « Ce grand nom, déclare Vigny à propos de son Moïse, ne sert que de masque à un homme de tous les siècles et plus moderne qu'antique : l'homme de génie : « Intégrant tous les désenchantements et toutes les rancours intimes en des compositions qu'il qualifie lui-même d' « épiques », l'écrivain les surmonte par la densité et la rigueur du discours poétique.

C'est ainsi qu'après la terrible année 1837 (où il perd sa mère, rompt avec ses anciens amis du Cénacle et voit s'éloigner sa maîtresse, la volage Marie DorvaL), il entreprend la rédaction d'une série de grands textes que son ami Louis Ratis-bonne rassemblera et publiera un an après sa mort en un unique recueil intitulé Les Destinées. Dans leur continuité, ces textes - dont certains comptent au nombre des plus pessimistes qu'ait jamais écrits Vigny : La Sauvage, La Colère de Samson, La Mort du loup, Le Mont des Oliviers - offrent des méditations recueillies de La Maison du berger aux cris d'espérance de La Bouteille à la mer ou de L'Esprit pur, l'itinéraire difficile mais confiant d'un salut.



Plus» encore que dans leur succession c'est dans leur architecture propre que chacun de ces grands poèmes laisse entrevoir ce qu'il convient de nommer une certaine « maturité » romantique. Prenant ses distances vis-à-vis de son expérience intérieure, refusant que toutes les douleurs du cour s'épanchent impudiquement dans la fluidité du langage, Vigny s'arrache à son drame en s'efforçant de maîtriser toutes les fibres de son discours. L'instrument premier de cette maîtrise qu'il s'impose e6t celui de la transposition symbolique qui, sans nuire en rien à la richesse et à la qualité de l'émotion, la structure et l'exorcise tout à la fois. En ce sens, et en dépit d'une lourdeur et d'un prosaïsme intermittents, l'entreprise de Vigny est des plus intéressantes. Elle inaugure avant Baudelaire et les symbolistes la conception nouvelle d'une poétique dont le maître mot est celui de « travail » : travail du poète-orfèvre et styliste mais travail aussi du langage-forme et joyau, véritable creuset magique où peut s'accomplir la cristallisation heureuse de l'Idée et du Sentiment, aussi complexes ou tourmentés soient-ils :



Poésie, ô trésor, perle de la pensée ! (...)

Comment se garderaient les profondes pensées

Sans rassembler leurs feux dans ton diamant pur.

Qui conserve si bien leurs splendeurs condensées. (...)

Diamant sans rival, qne tes feux illuminent

Les pas lents et tardifs de l'humaine Raison ! »

(La Maison du Berger.)



IV. - Hugo (1802-1885)



Avec l'énorme personnalité de Victor Hugo, prince des poètes et chef de file incontesté du mouvement, ce n'est plus tel ou tel aspect du romantisme que nous découvrons mais le romantisme lui-même, incarné dans la trame d'un destin et la fougue d'une écriture./Hugo c'est d'abord quatre vingt-trois ans d'une vie étonnante qui embrasse tout le siècle : roturier mais fils de général d'empire, timiste puis libéral, académicien et pair de France, député de Paris et exilé politique, il a tout vu, tout vécu dans ce siècle. Mais Hugo c'est aussi des milliers de vers et soixante ans d'une création poétique qui épuise tous les tons et tous les registres de la poésie : lyrique dans Les Rayons et les Omhres. satirique dans Les Châtiments, élégiaque dans Les Contemplations, épique dans La Légende des siècles. philosophique dans Dieu ou dans La fin de Satan.



Dès les années 1820-1830 qui sont celles de son apprentissage au sein de l'équipe du Conservateur littéraire puis du Cénacle, le jeune Hugo en publiant successivement les Odes en 1822, les Ballades en 1826 et les Orientales en 1829 avait donné la mesure de sa verve poétique. Intarissable et haute en couleurs elle s'était déjà bien imprégnée de tout ce pittoresque médiéval et oriental dont le romantisme allait s'éprendre.



Les recueils de la décennie suivante font découvrir chez lui un lyrisme plus sage, plus profond peut-être. Les Feuilles d'automne (1831), poèmes tendres et sobres, révèlent un poète sensible aux charmes de la nature comme à ceux de la mémoire. Les Chants du crépuscule (1835) et Les Voix intérieures (1837), marqués par les premières déceptions sentimentales (c'est en 1833 qu'il a rencontré sa « muse », Juliette DroueT) et les premières désillusions politiques sont de la même veine intimiste et discrètement inquiète. Si cette inspiration se prolonge incontestablement dans le dernier et le plus intéressant recueil de cette période, Les Rayons et les Ombres (1845), elle s'y transfigure également. Cessant de voir en la nature une simple compagne de son coeur, le poète commence (dans Océano Nox notammenT) à y pressentir les « voix » de puissances et de forces troublantes et inconnues. Cessant aussi d'être le simple traducteur du langage de son cour ou de cette nature, le poète devine l'exigence qui va désormais s'imposer à lui comme elle s'était imposée à Lamartine : parler, comme un prophète, pour ses frère6 muets ; marcher, comme un guide, à la tête du peuple des hommes. La poésie cesse alors pour lui d'être un état et devient une mission :



Il est l'homme des utopies.

Les pieds ici, les yeux ailleurs. »



La crise de 1843 (la mort affreuse de sa fille Léo-poldine et l'échec de sa pièce Les BurgraveS) allait pourtant conduire Hugo à un silence poétique de plus de dix ans. Silence qui ne veut pas dire résignation puisqu'il est au contraire le signe d'un engagement durable dans les voies de la politique, d'abord aux côtés de la duchesse d'Orléans, dans les rangs ensuite du prince Louis-Napoléon, dans l'opposition enfin à celui qui, dès le 2 décembre 1851, ne sera plus à ses yeux que « Napoléon le Petit ». C'est dans cette cruelle désillusion politique causée par le coup d'Etat impérial et dans l'exil en Belgique et à Jersey qui s'ensuit que le poète va se trouver porté de nouveau aux rivages de la poésie par le souffle d'une colère et d'une indignation qui fait toute l'unité d'un grand recueil satirique de 6 000 vers : Les Châtiments (1853). Fougueux, brillant, Hugo, en dépassant souvent le simple objet historique de sa satire politique, évoque pour la première fois dans son ouvre l'itinéraire salvateur de l'humanité sous la bannière lumineuse de la poésie (StellA) : de la Nuit à la Lumière, du Crime à la Liberté.



Installé par la suite à Guernesey, Hugo devait montrer, en publiant en 1856 le recueil des Contemplations (fait de textes épars écrits pour certains depuis plus de vingt anS), que la violence du souffle satirique n'avait pas éteint en lui l'inspiration lyrique. Articulé autour de l'horrible drame de 1843, le recueil oppose les souvenirs mélancoliques et heureux d'Autrefois aux réalités cruelles mais pourtant jamais désespérantes d'Aujourd'hui. Sur ces rivages désolés de Guernesey, face à l'immensité marine, Hugo (initié par ailleurs à certains mystères de l'occultismE) s'est en effet forgé une métaphysique qui le comble : celle de La Bouche d'ombre, de la plénitude vibrante et rassurante de l'Etre :



« ... Vents, ondes, flammes.

Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! Tout est plein d'âmes. »



Prophète et guide exilé, le poète retrouve alors une mission : recréer l'Etre dans la magie du Verbe, le suggérer dans la plénitude miraculeuse des mots, car « le mot, déclare-t-il, c'est le Verbe et le Verbe c'est Dieu ».



Satiriques, Les Châtiments étaient aussi une épopée politique ; lyriques, Les Contemplations ont également parfois l'ardeur de « l'épopée d'une âme ». Mais c'est au projet d'une épopée véritable, en réalité d'un triptyque épique, que Hugo va consacrer ses dernières grandes années de création en publiant La Légende des siècles (écrite de 1859 à 1883) et en rédigeant de larges fragments de Dieu et de La Fin de Satan- Cest bien sûr dans l'ambitieux projet de La Légende, où il a « voulu, dit-il, (...) faire apparaître cette grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée, l'Homme », que se découvre le mieux le génie foisonnant et « baroque » de Hugo. Dans ce dédale multicolore de petites épopées, dans ce syncrétisme brillant d'inspirations multiples, dans cette synthèse fascinante des mythes et de l'Histoire, dans ces chemins et ces itinéraires qui conduisent toujours du Désordre et du Mal à la Réconciliation et à la Béatitude, Hugo a mieux que partout ailleurs fait la preuve de 1' « efficacité » de sa poésie. Libre, totale, visionnaire, imprégnée d'une immense confiance dans l'Amour et le Progrès, partout « commencée en nuit », comme l'écrivait son auteur, toujours elle « finissait en lueur ».

On ne peut comparer à ce monument épique les toutes dernières productions du vieillard, Les Chansons des rues et des bois (1865), L'Année terrible (1872), L'Art d'être grand-père (1877) ou encore Le Pape (1878). Mais toutes témoignent, par leur qualité et leur variété thématique et formelle, de l'inépuisable énergie poétique de celui que seule la mort, en 1885, devait condamner au silence.



La qualité de cette massive et imposante poésie hugolienne est due à la fois à l'extrême richesse d'imagination et à la virtuosité technique étonnante de son créateur. La puissance de l'imagination hugolienne se lit dans la profondeur et la subtilité des « regards » que le poète sait porter sur les choses et les êtres : regard minutieux du peintre ou du portraitiste qui saisit toutes les nuances d'une gamme, toutes les finesses d'un jeu de lignes ; regard majestueux du prophète et du visionnaire qui sait, dans l'épopée, pénétrer les abîmes du temps et de l'espace ; regard émerveillé ou effaré du contemplatif et du mystique qui sait voir et dire l'invisible et l'innommable tapi derrière la Bouche d'Ombre.



Chaque spectacle, chaque vision semble trouver spontanément chez lui sa forme idéale d'expression. A travers les images tout d'abord. Nul avant lui n'avait autant utilisé toutes les ressources de l'imaginaire et de l'imagerie poétiques : comparaisons somptueuses, oxymores déconcertants, métaphores surtout, dont il tira tant d'effets saisissants. Grâce aux mots ensuite qu'il aimait manipuler au point d'en créer lui-même quand la langue courante faisait défaut ; ces mots qui n'étaient précisément chez lui que la chair vivante de ses sentiments et de ses sensations :



« Sombres peuples, les mots vont et viennent en nous ;

Les mots sont les passants mystérieux de l'âme. »



Dans tous les mètres enfin et toutes les formes poétiques aussi traditionnels que l'alexandrin ou le sonnet, aussi baroques et pittoresques que ses odes ou ses pantoums. Son génie inventif osa tout remodeler à défaut de tout créer, brisant les rythmes, déplaçant les césures, « dépaysant » les vers, multipliant rejets en enjambements. S'il a manié ainsi toutes les images, usé de tous les mètres et aimé tous les vers, c'est bien, comme l'écrivit si justement Mallarmé, qu' « il fut le Vers personnellement ».



V. - Nerval (1808-1855)



Si la figure de Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie, émerge si nettement de la constellation foisonnante des petits maîtres du romantisme, aussi intéressants soient-ils comme Marceline Des-bordes-Valmore, Maurice de Guérin ou le Sainte-Beuve poète, c'est qu'il y a chez cet admirateur fervent du Maître du Cénacle, chez ce personnage venu tout droit de la bohème littéraire (dont nous parlent ses Petits Châteaux de Bohême de 1853) autre chose qu'un romantique comme les autres. Le jeune homme Nerval, qui comme ses amis s'est intéressé à la littérature étrangère (il reste l'un des très bons traducteurs de Goethe et de HoffmanN), qui comme ses amis encore a rêvé de mener l'idylle impérissable du poète et d'une muse (incarnée en l'occurrence sous les traits d'une actrice rencontrée en 1826, Jenny ColoN), fut pourtant le poète précurseur d'un autre âge. Les drames de l'infidélité et de la mort, les rêveries nées du voyage (il parcourt l'Orient en 1843) et les rêves enracinés dans une folie qui le guette depuis 1840 et le mènera au suicide en 1855 vont s'exprimer chez lui dans une poésie et une prose poétique originales et novatrices dont les réalisations diverses sont autant de témoignages éblouissants et lucides sur son terrible drame intérieur : les récits de Sylvie (1853) et d'Aurélia (1855), les nouvelles des Filles du feu (1854) et les douze sonnets des Chimères (1854).

Déchiré en son cour, troublé en son esprit, perpétuellement hésitant sur le sens de sa vie, continuellement à la recherche d'une identité qui le fuit, c'est au langage que Nerval confie le soin de réunir tout ce que la passion et la folie ont brisé en lui. La cadence de ses phrases et de ses vers, l'euphonie et l'harmonie de ses mots lui sont les premiers moyens pour rassembler dans le tissu ordonné de la langue les voix confuses et mêlées de la réalité et de l'imaginaire. C'est bien par le pouvoir des mots, dont il use comme d'un exorcisme, que lui est donnée la clé de ces espaces où le Moi se perd et se retrouve tout à la fois, mais qu'il lui faut explorer pour se réconcilier avec lui-même et avec le monde : la mémoire et le rêve. Ainsi sont-ce les mots qui tracent le chemin de la mémoire et des souvenirs dans Sylvie, les mots encore qui tracent celui du rêve et des fantasmes dans Aurélia.



Jamais pourtant Nerval ne s'abondonne totalement au langage de la réminiscence ou de l'imaginaire. Le vrai salut, il le sait, est dans la direction du rêve et dans Pélucidation des souvenirs, dans la maîtrise de leur discours plus que dans leur simple récit. Aussi, plus encore que Vigny, travaille-t-il à l'instauration d'une distance entre la spontanéité de l'inspiration et les clans de l'écriture. Elle ne sera pas seulement chez lui transposition symbolique mais bien véritable cristallisation mythique, condensation du drame intime dans les figures mystérieuses de la légende et de l'Histoire. C'est en se situant et en se disant dans le discours intemporel et l'espace idéal des mythes (que par goût et par études il connaît bieN) que le poète prétend élucider l'énigme de son propre destin. Rien d'étonnant à le voir ainsi réinventer sans cesse sous sa plume, dans Les Chimères notamment, les grandes figures de la rédemption salvatrice : Isis, Horus, Orphée, le Christ.



On voit comment, par cette poétique de « recréation » authentique, de reconstruction essentielle, et pas seulement de simple expression, Nerval est déjà plus proche des univers mystérieux ou magiques de Baudelaire et de Rimbaud que de ceux, plus « tranquilles » malgré leurs drames, de Lamartine ou de Musset. On comprend aussi pourquoi Breton et les surréalistes admireront et aimeront celui qui bien avant eux avait pressenti tout ce que la poésie pouvait devoir à « une rêverie supernaturaliste », tout ce qu'elle pouvait emprunter aux « vases communicants » du songe et de la réalité.



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