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La Foule romantique






Un Bouquet d'élégies.



La plaintive élégie, au xixe siècle, joue sur l'exclamatif et l'in-terrogatif, pour que les signes de ponctuation qui les expriment enlèvent le vers en de hautes régions. Chez les poètes secondaires, elle est à l'image d'André Chénier et surtout de Lamartine, de Chênedollé et de Millevoye, de Mmes Desbordes-Valmore et Tastu, avec des rappels de Gilbert ou de Parny, tandis que sont toujours présents Thomas Gray et Young, Schiller et Goethe. Le genre élégiaque répand partout des rivières de larmes et des ruisseaux de regrets qui se déversent dans les tètes pensives propices à la floraison des fleurs de l'Idéal ou des arbres du Génie qui ne sont souvent que des arbustes.





Marie-François-Antonin Bernardy de Sigoyer ( 1798-1860), d'Apt, dans ses Consolations poétiques, adresse une Supplique au sommeil :



Viens donc! et sur ce front où des peines mortelles

Ont imprimé leur pli.

Verse avec la fraîcheur qui tombe de tes ailes

Le baume de l'oubli.



Le célèbre Eugène Scribe (1791-1861) quand il n'écrit pas des comédies sentimentales ou des livrets d'opéra, s'arrête devant la tombe d'un fils :



Dans cette riante prairie,

Auprès de ce tertre en fleurs,

Quelle est cette femme jolie

Dont les yeux sont mouillés de pleurs?

De tes douleurs quelle est la cause?

- Mes pleurs... rien ne les tarira :

Tu vois ce tertre que j'arrose... Mon fils est là!



Même pensée triste quand l'archéologue Jean-Baptiste Burgade (né en 1802), de Libourne, dans le Chant des cloches, s'épanche :



De mes cris d'amertume auront cessé les jours.

De vos chants de bonheur aura cessé l'ivresse.

Vous entendrez monter d'autres chants d'allégresse.



La cloche oscillera toujours,

Sur les vivants, les morts, et dans l'abîme immense,

Toujours... en murmurant : Espoir! regret! silence!



De « bizarres déités », avant qu'il n'en apparaisse une chez Baudelaire, sont présentes chez Emile Roulland (1802-1835) dans un poème lamartinien, Les Songes, extrait de ses Poésies posthumes, 1838 :



Bizarres déités! quelle chaîne secrète

Vous unit aux mortels, et sur quelle palette

Prenez-vous ces douces couleurs

Dont vous ornez les traits de la vierge ingénue,

L'onde calme du lac et le front de la nue,

Le voile des bois et les fleurs?



Et voici un saule dans un poème de Printemps dû à Albert Mau-rin, auteur des Élégies et chants lyriques, 1837, publiés à Marseille :



Vainement aujourd'hui j'écoute sous le saule

Ta voix, ta douce voix qui charme et qui console,

Ta voix s'est-elle donc éteinte pour toujours?



Edouard Gout-Desmartres (1812-1862) dit : « Ma jeune poésie est une vierge pure. » Il la voit sous l'oil de Dieu ou dans la nature, avec un lac, comme chez tant de suiveurs de Lamartine :



Elle est près du lac solitaire

Lorsque la lune, avec mystère,

Brille comme un rayon d'espoir.



Il est curieux de voir combien les fidèles d'une poésie plus traditionnelle, ceux qui ont recours aux sources antiques, sont influencés à leur insu sans doute par une mode. Jean-Philippe-Joseph-André d'Arbaud-Jonques (1804-1863) lorsqu'il imite les idylles antiques : Ethnéennes, 1845, Idylles antiques et sonnets, 1846, la Corinthienne, idylle sociale, 1850, ajoute à Théocrite et Virgile un petit rien de lyrisme nouvelle époque.



Odes saphiques, 1852 : c'est ainsi que Joseph Boumier (né en 1821), de Tournus, intitule un recueil empreint d'un noble stoïcisme de poète érudit et laborieux. Plus romantique est Félix d'Amoreux, dit Jules de Saint-Félix (né en 1806) dans ses Poésies romaines, 1830, que traversent dames et gladiateurs, maîtres, esclaves et affranchis, et où la Mort et l'Archange peuvent dialoguer en alexandrins. Cet échappé de la Rome des Césars la fait revivre dans sa Provence qui n'en est pas éloignée, mais il peut aussi chanter la Solitude :



Solitude, Souffrance, oh! que vous êtes belles!

Anges errants, la nuit,

Heureux qui peut toucher les plumes de vos ailes,

Et plus heureuse encore est l'âme qui vous suit!



Autrefois sur les bords du lac de Galilée,

Un jeune homme rêveur

Allait s'asseoir auprès d'une cloche isolée.

Sa robe était de lin, son nom était Sauveur.

Il n'avait pas vingt ans; sa blonde chevelure

Retombait mollement,

Et son regard humide errait à l'aventure

De la rive sur l'eau, de l'onde au firmament.

Ô pâle Solitude, ô Souffrance isolée,

Qui ne vous aime pas Ignore le Sauveur, sus de Galilée, Qui jusques à la fin, vous cherchait ici-bas.



Les sujets d'Edouard Grenier (né en 1819) peuvent aussi être puisés dans l'Antiquité, mais aussi plus près de lui; la Mort du Président Lincoln lui dicte des poèmes comme on en écrivait au siècle précédent pour les princes :

Dots en paix, maintenant, Lincoln! Ton souvenir, Comme un mâle conseil qui relève et console, Restera ceint pour nous d une double auréole. Tu vivras dans le cour des bons et des meilleurs; Tu seras le héros des humbles travailleurs, Des soldats du devoir, des simples, des modestes.



On préfère que dans le poème Fata libelli, il devienne figuratif :



Quand le pâtre a fini son chant joyeux ou triste.

Dans l'air ému souvent le son persiste,

Et plane une dernière fois.

Puis, bientôt le silence,

Cet hymne sans voix.

Recommence

Au bois.

Le feu mystérieux que le caillou recèle

Au choc du fer jaillit en étincelle;

Mais ce n'est qu'un rapide éclair

Qu'un moment voit éclore :

Le jet vil et clair

S'évapore

Dans l'air.

Le navire qui fend la mer avec sa proue

Creuse un sillon où la vague se joue

Et parfois un instant reluit.

Puis, tout s'éteint; sa trace

Se perd dans la nuit,

Et s'efface

Sans bruit.



Le botaniste Apollinaire Fée (né en 1789), traduit le Cimetière de campagne de Gray en 1813. Plus tard, il écrira une ode sur la Maçonnerie et des poèmes sur les Ombres. Tout aussi lugubre est Joseph-Léon Marie dans les Matines de la vallée de Montmorency, stances éplorées et réalistes où il décrit sa sour morte.

A Dijon, Eugène Cressot (1815-1861) a écrit des recueils de Poésies et de Nouvelles poésies, 1856, des Larmes d'Antonia en écho à Musset. Sa Fileuse a des allures de Parque :



Mais, sous l'herbe du cimetière,

J'ai vu coucher ceux que j'aimais;

Avec toi seule sur la terre,

Quenouille, j'ai fait le suaire

Des morts qu'on ne revoit jamais!



L'historien et archéologue Orléanais Jules Loiseleur (né en 1816) s'exclame dans la Mort d'une mère : « Quoi! ce n'est qu'un cadavre et c'était une mère! » tandis que son fils, Jean-Camille Loiseleur (1846-1865), mort à vingt et un ans, laisse le poème fleuri de son adolescence :



Le héros de cette romance

Va bientôt avoir dix-sept ans;

Plus d'un rêve d'amour commence

A dorer les nuits de printemps

Du héros de cette romance.



Tout le long des buissons en fleur

Il mène sa mélancolie :

Devant notre héros rêveur

Une fille grande et jolie

Va le long des buissons en fleur.



Tous deux se prirent par la main

Et se dirent de douces choses,

A tous les buissons du chemin

Cueillirent les nouvelles roses.

Tout en se tenant par la main.



Autre historien, le Toulousain Jules de Lamarque (né en 1820) dans ses Figurines, 1850, pleure gentiment :



Ah! laissez-moi pleurer!

Dans ma douleur profonde,

Je ne regrette point la vague illusion,

La gloire, les honneurs, les prestiges du monde.

Je pleure un papillon.



Comme lui, je voudrais habiter dans le vague,

M'enivrer d'harmonie et de pure clarté,

Balancé sur la fleur, suspendu sur la vague,

Chanter mon chant de liberté.



C'est un fils qu'un ami d'Arsène Houssaye et d'Henri Murger, Auguste de Vaucelles (né en 1821), pleure avec quelque espoir : « Mon fils n'est plus, Seigneur, mais laissez-moi ma fille! » On préfère que, dans Cimes et vallons, il salue la beauté grecque ou parcourt la sphère de la création. Ici, l'image romantique de la barque :



Vainement le pilote interroge la sonde,

L'esquif du naufragé flotte, jouet du vent,

Sans boussole, égaré par les déserts de l'onde,

Il vogue et dans la nuit s'enfonce plus avant.



Imitant les poètes allemands (Heine, UhlanD) ou hongrois (Petôfi, CzuczoR), Francis Pittié (né en 1820), dans les Ballades et Légendes, publie des lieds. Ses beaux sonnets sont traversés d'apparitions, comme dans le début de cette Vision crépusculaire :



Elle s'avance, ailée, et dans le noir taillis

Les chênes chevelus s'inclinent sur sa trace;

Tels les plus orgueilleux, lorsque la reine passe,

Se penchent tout à coup, graves et recueillis.



Un voile au bleu reflet l'entoure de ses plis;

Sur son limpide front, où réside la grâce,

L'odorante hyacinthe aux glycines s enlace,

Et sa main, comme un sceptre, agite un chaste lis.



Ami de Béranger, Emile Fage (né en 1822) jette dans Mon rêve ses interrogations :



Pourquoi vas-tu, courbant ton front mélancolique,

Loin du monde t'asseoir, pensif, au pied des monts?

Pourquoi recherches-tu, comme le cygne antique,

La fraîcheur des ruisseaux et l'onde des vallons?



Ces appels ne sont-ils pas présents chez tout poète qui a bu à la source lamartinienne? De petites musiques interprètent des airs connus, mais pour de douces harmonies et de rares surprises, que de vaines élévations!



Un Bouquet de fleurs des champs.



Le deuil de la nature qui « convient à ma douleur et plaît à mes regards », la nature « qui t'invite et qui t'aime » : il est intéressant de constater qu'en une période donnée, aucun poète, et même le plus classique, le plus académique, n'échappe au ton donné par le romantisme. Le phénomène est irréversible : les plus calmes, les plus sereins, ceux qui ne rêvent, comme jadis Christophe Plan-tin que d'« avoir une maison commode, propre et belle », ceux qui cherchent la paix des campagnes, avec des désirs de simples retraités, ont toujours des pointes de lyrisme exclamatif et finissent par imiter les grands romantiques de la génération de 1820. Si l'on compare avec la même race de petits poètes, de suiveurs, du temps de Voltaire, la différence de langage et de rythmes apparaît aussitôt.

Le poète de Mélodies amie'noises, 1853, Saint-Alban Berville (1788-1868), sans doute parce que né avant la Révolution, a gardé de la manière des élégiaques de la fin du siècle et mêle au joli suranné le beau romantique dans ses Adieux à la campagne :



Il faut partir; du sort déjà la loi cruelle

Au séjour des cités malgré moi me rappelle.

Et, troublant sans pitié mes champêtres loisirs,

Ainsi qu'à mes vergers m'arrache à mes plaisirs!

Il làut donc vous quitter, ô paisibles ombrages,

Beaux vallons, frais ruisseaux, gracieux paysages!



Même observation pour le marquis Auguste de Belloy (1816-1871) qui, dans ses Légendes fleuries, 1855, unit les grâces d'autrefois aux charmes de la nouvelle école :



Verts glacis des remparts de ma ville natale,

Rivière des amants, dont le nom m'attirait,

D'où je revins un soir sérieux et distrait,

Gorge des Câpriers, où, mieux que dans Virgile,

Mon cour s'initiait aux grâces de l'idylle.

Chemins des écoliers, sinueux, infinis,

Vous qui m'avez perdu, soyez, soyez bénis!



Un autre marquis, Louis-Elzéar de Laincel (né en 1818), lorsqu'il étudie la poésie, Lamartine et Hugo mis à part, ne trouve que dispersion et désarroi. Il ne distingue pas qu'une aurore nouvelle se prépare, à laquelle pourrait être dédiée sa poésie :



A l'oiseau ne coupez point l'aile,

Si de son nid il veut sortir.

Et si l'azur des cieux l'appelle.

Laissez son vol, libre, s'enfuir!



Le goût du moyen âge cher à l'époque romantique se retrouve chez Antoine-Fernand Campaux (né en 1818), auteur d'un François Villon, sa vie et ses ouvres, 1859, et d'analyses sur les Testaments du poète. Il n'est point étonnant qu'il intitule un recueil le Legs de Marc-Antoine, 1864, où il chante le Quartier Latin :



Vieille cité, dédale de ruelles

Où de Villon vagabondaient les belles...



François Chevalier, dit Pitre-Chevalier (1812-1863) dédie des poèmes à sa Bretagne. Hippolyte de Lorgeril (né en 1814), poète d'Une étincelle, 1836, et de Récits et ballades, 1849, nous confie :

Je suis un de ces fils de l'aride Bretagne, Qui naissent sur la lande aux dolmens de granit. Respirant l'air des flots et l'air de la montagne, Et baisent les degrés du calvaire bénit.

Il chante le tombeau de Chateaubriand sur son rocher :



Voyez-vous vers le nord ce roc à tète grise,

Où sous l'aile du vent la vague ivre se brise,

Ce roc qui lait trembler nos rudes matelots

Quand ils y sont traînés par la houle des flots?

En bien! c'est lui...



Un autre Breton, de Saint-Malo, selon Sainte-Beuve « peintre des landes », Hippolyte de La Morvonnais (1802-1859), dans la Thébaïde des grèves, 1858, donne des sonnets vigoureux où il ne s'embarrasse pas de gémissements, préférant décrire des chaumières, des foyers domestiques, avec simplicité :



Je dirai les enfants jouant devant la porte,

La fermière abreuvant les vaches au lavoir.

Les passereaux de l'aire et le char qui rapporte

L'ajonc pour les chevaux à la brune du soir



Joie et douleur du toit, vous serez mon domaine.

Durant d'assez longs temps on a chanté les rois,

Et les vagues ennuis que le riche promène;

Poète du foyer, j'y planterai la croix.



Le temps n'est pas venu de me jeter au drame,

Mon tableau sera simple et sans déchirements;

Je dirai les amis, et l'enfant, et la femme.

Et les deuils résignés et les recueillements.



André Chaten (né en 1815), disciple de Chénier, dans les Haltes, 1868, lui adresse un salut dont les derniers mots forment le titre d'un recueil de Jules Supervielle :



Toi, poète chrétien, penseur à l'âme austère.

Toi qui vécus sans bruit et mourus solitaire,



Après avoir légué tes beaux chants méconnus,

Ta chère Thébaïde aux Amis inconnus!



On trouve encore des scènes bretonnes chez Paul Deltuf (1825-1871), mais lorsqu'il rencontre le Voyageur qui sent sa fin prochaine, comment ne pas penser à Lamartine ou à Hugo?



Et, pareil à la fleur qui boit, presque flétrie,

Un dernier rayon de soleil,

Il regarda les bois, la campagne fleurie,

Le hameau, l'horizon vermeil;

Il contempla longtemps et d'un regard avide

Ce beau spectacle du matin,

Et dit : « Dieu, qui commande à ce monde splendide,

Sans doute commande au destin!

Espérons! » Une larme humecta sa paupière.

Il prit son bâton d'une main,

Il regarda ses pieds blanchis par la poussière,



Et, triste, il se mit en chemin.



Le Bourguignon François Fertiault (né en 1814) réédite les Noëls de La Monnoye et met dans ses vers français ou patoisants une rondeur populaire pleine de charme. La douceur du foyer ne l'empêche pas de nommer pour « ceux dont l'oreille entend tes voix mystérieuses » les richesses naturelles :



Forêts au doux murmure, aux tièdes somnolences,

Vapeurs nous enlaçant comme de blonds réseaux,

Hymnes des verts gazons, des fleurs et des oiseaux,

Vieux pins trouant la nue avec vos sombres lances;



Monts chenus, creux ravins, mélodieux silences

Planant par les déserts; blanche écume des eaux,

Grande âme de la mer chantant dans les roseaux,

Vagues nous apportant vos sourdes turbulences...



D'un autre enfant de la Bourgogne, Louis Goujon (né en 1819), Sainte-Beuve dit : « des vers inégaux, rudes parfois, vrais et toujours sincères, et dont quelques-uns attestent une force poétique incontestable ». Il s'agit de Gerbes déliées où un sonnet A Jean Goujon s'adresse au grand homonyme :



Ô martyr! apprends-moi l'idéal et la ligne;

Fais qu'un jour, par mes vers, je ne sois pas indigne

De tes noms immortels et de 1 art créateur!



Dans Sonnets et poèmes, Edmond Arnould (1811-1861) met quelque préciosité lorsqu'il décrit :



L'aurore a déployé son manteau de satin;

La prairie étincelle, humide de rosée,

Mais voici le soleil, son haleine embrasée

Sèche ces pleurs tombés de l'urne du matin.



Comme c'est le cas chez beaucoup de ces poètes, il veut prouver et termine sur une note moralisatrice :



Heureux pourtant, heureux l'homme, comme la fleur,

Quand au tond du calice une larme oubliée,

Sous la corolle aride humecte encor le cour.



De Salins, Maximin Buchon (1818-1869) publie les Noëls et chants populaires de la Franche-Comté, 1863, des Poésies allemandes, 1846, (Hebbel, Uhland, Koerner, etc.) et des Poésies franc-comtoises, 1862. Son réalisme terrien l'empêche de se perdre dans les nuées, mais chanter comme Monselet le Cochon ne l'empêche pas ailleurs de se montrer romantique :



Et les Alpes, toujours, comme des nonnes blanches,

Drapant au loin, là-bas, leur manteau d'avalanches!

Et les chalets au bord des glaciers suspendus,

Et les sentiers étroits dans Tes neiges perdus.



Autre Comtois, Armand Barthet (1820-1874) dont Rachel joua avec grand succès le Moineau de Lesbie, 1840, fit des poèmes : la Fleur du panier, 1853. Son Rêve de poète est des plus sages :



Je voudrais, loin du monde, une simple maison

Où conduise un sentier frayé dans le gazon.



Même sagesse où apparaît l'esprit bourgeois du temps chez André Lemoyne (né en 1822) de Saint-Jean-d'Angély, dont Sainte-Beuve dit : « Tous les six mois, il distille une goutte d'ambre qui se cristallise en poésie. » Ses Roses d'antan sont limpides et pleines de sentiment. Il aime errer Sous les hêtres et se plaint, déjà, du bruit :



Las du rail continu, du sifflet des machines,

Conduit par mes deux pieds, comme un simple marcheur,

J'aime à vivre en plein bois dans l'herbe des ravines,

Enveloppé d'oubli, de calme et de fraîcheur.



Là jamais aucun bruit des wagons ni des cloches;

Pas même l'Angélus d'un village lointain.

J'écoute un filet d'eau qui, filtrant sous les roches,

Fait frémir au départ trois feuilles de plantain.



Un autre poète, à propos du bruit, lui apporte la contradic



Ah! le bruit de Paris ne trappe que l'oreille,

Mais l'âme reste sourde à ses cris, à ses chants;

C'est ici seulement que l'homme se réveille.

Les livres ont menti, le tumulte est aux champs!

Ici, j'entends les flots de l'océan des choses,

Et, voyant les effets j'en saisis mieux les causes.





Il s'agit d'Amédée Rolland (1829-1868) connu en son temps par des drames et des mélodrames. Il a quelques qualités dans ses recueils Matutina, le Poème de la Mort ou le Fond du verre. Ce Parisien excelle à dire la nature, à trouver même des correspondances : « Le parfum de la fleur n'est-il pas sa parole? »

Tout le siècle sera riche en poètes de nature sous le vieux signe de Virgile régénéré par la floraison lamartinienne. Dans une première période, citons encore noms et titres : Jean-François-Honoré Bonhomme (1811-1890) pour A travers les buissons fleuris; Jules Canonge (1812-1870), Nîmois, pour le Tasse à Sorrente, le Monge des îles d'or, 1839; Pierre-Gabriel-Arthur Ponroy (né en 1816) pour Formes et couleurs, 1842; Alfred Busquet (né en 1820) pour le Poème des heures, 1861 ; Louis Bordes (mort en 1868) pour Olympiades, Torrents de la vallée, 1848; Désiré-Pierre-Louis Baucher, pour Adieux à mon village.

Tous ceux-là, familiers plus que romantiques, mais vivant en période de romantisme, en reçoivent l'empreinte dans leur lyrisme champêtre atténué.



Des Fleurs pour l'autel.



Même profane, la poésie des années romantiques témoigne de religiosité que l'on soit devant l'autel de l'Église ou l'autel de la nature. On peut parler d'un Dieu bien particulier, celui du poète, celui de Victor Hugo par exemple. Les poètes ont le sens du sacré et la religion de la poésie. Lamartine, Hugo, Vigny vont aux sources de la Bible. Des poètes religieux de moindre dimension, hautains ou familiers, paraphrasent comme de tous temps ou disent leur foi, élevant des hymnes ou posant sur l'autel de plus humbles fleurettes.

Edouard Turquety (1801-1867) est 'e p'us connu de tous, le romantique religieux par excellence. Les Poésies, 1845, groupent les recueils divers de ce Rennais : Esquisses poétiques, Amour et Foi, Poésie catholique, Hymnes sacrés, Fleurs à Marie. Chateaubriand, Nodier, Hugo, Sainte-Beuve, Vigny l'ont apprécié et tenu pour un des leurs. Musset et Lamartine semblent réunis dans ce début du Saule pleureur :



Ô saule! un secret charme auprès de toi m'arrête :

J'aime tes longs rameaux, aux funèbres couleurs,

Qui, brillants de rosée, inclinent sur ma tête

Une ombre légère et des pleurs.



Ici, le bord des eaux se couvre de ton ombre,

Là, t'avançant plus loin comme un voile agité,

Tu laisses par moments ta chevelure sombre

Caresser le lac attristé.



Bon connaisseur de la Renaissance, si le paganisme reste à la porte de ses poèmes, il n'oublie pas les vigueurs de la Pléiade et attaque volontiers les athées en des vers qui se veulent persuasifs. On aime qu'il chante la Primavera : il a alors des accents délicieux supérieurs à ceux du militant catholique assez lourd. Voici la dernière strophe de sa Destruction des croix :



Va donc jusqu'au saint lieu, va donc, ô plèbe vile!

Frappe les croix du temple, arrache-les par mille,

Nos lèvres baiseront ces emblèmes meurtris :

On peut rompre l'airain, anéantir la pierre;

Mais on ne peut briser l'aile de la prière

Qui s'élève sur des débris.



Quel ami de la poésie renaissante ne connaît au moins le nom d'un érudit, éditeur de Ronsard, Vauquelin des Yveteaux ou Maynard, Prosper Blanchemain (1816-1879)? Il devait être aussi poète, mêlant l'élégie au chant religieux :



Le jour n'éclora plus : l'espérance est trompée!

Adieu, Marie, un long adieu!

Votre corps s'est flétri comme l'herbe coupée;



Votre âme est retournée à Dieu.



Il chante aussi l'Idéal :

Oh! j'aurais une poésie

A tenir le monde enchanté,

Belle comme la fantaisie,

Grande comme l'Éternité.



De la rencontre de la Nonne et la Fleur, il dresse une délicieuse petite fable :



La fleur lui dit :

« Tout est mystère;

Ne te plains pas; ton sort vaut mieux :

Je suis une fleur de la terre,

Tu seras une fleur des cieux. »



Il est plus romantique lorsqu'il décrit des paysages qui l'exaltent, comme par exemple un Soleil couchant :



La voici de retour, l'heure mystérieuse

Où s'éteint lentement la lumière du jour.

Où la mer est limpide, où l'onde harmonieuse,

Baisant ie sable d'or, soupire un chant d'amour.



Moins suav ; est le frère cadet de l'auteur des Diaboliques, le poète Léon-Louis-Frédéric Barbey d'Aurevilly (1809-1876) dans ses recueils Amour et haine ou Poésies politiques. Royaliste, maniant la satire, il s'est moqué du gouvernement de Louis-Philippe dans sa revue le Momus normand. D'autres recueils : Rosa mystica, 1856, le Livre des hirondelles, 1857, montrent un catholique fervent dont on sait l'influence qu'il eut sur la conversion de son frère.

Le Bordelais Pierre-Hippolyte Minier (né en 1813) est à la fois didactique et déclamatoire pour unir l'Art et la Foi :



L'art, qui vit d'amour pur, de chauds enthousiasmes.

Du bourbier social respire les miasmes;

Il pâlit, il chancelle, il tombe... on le croit mort;

Erreur! Que la foi brille, et, dans un saint transport.

Soudain l'art se redresse, ardent et plein de sève;

Plus bas il est tombé, plus haut il se relève...



Les principales fêtes de l'Église sont célébrées en vers par Jean-Baptiste Leclère (1812-1855) dans ses Néoménies. Ailleurs, sa foi s'accompagne du désir de la mort :



Oui, mourons, mourons, c'est mon vou.

Jeune, le ciel m'appelle et mon exil s'achève;



Comme la flamme qui s'élève,

Mon âme, prends ton vol, remonte au sein de Dieu.



Pensée voisine dans ce poème de Justin Maurice (mort en 1842), la Forte fatale, extrait de Au pied de la croix :



Prends courage, et poursuis ta route d'un pas sûr,

Si le jour est pesant, si le sentier est dur,

Du moins il te conduit à la vie éternelle!



Le poète des Perce-neige, 1835, Louis-Charles Maurice-Saint-Aguet (né en 1809) est léger, aérien, fluide, avec quelque chose de populaire dans sa manière. On put mettre en musique le Fil de la Vierge qui tut beaucoup chanté :



Pauvre fil qu'autrefois ma jeune rêverie.

Naïve enfant. Croyait abandonné par la Vierge Marie

Au gré du vent; Dérobé par la brise à son voile de soie,

Fil précieux, Quel est le chérubin dont le souffle t'envoie

Si loin des deux?

Viens-tu de Bethléem, la bourgade bénie,

Frêle vapeur De l'encens qu'apportaient les mages d'Arménie

Pour le Seigneur?

L'abbé Antoine Fayet (né en 1815) a fait connaître en vers fiançais les Beautés de la poésie hébraïque, 1861, et les Beautés de la poésie allemande, 1862. Dans ses recueils : la Foi, 1864, l'Espérance, 1865, la Charité, 1866, se montre un dessein chrétien bien déterminé. Voici la fin du Désir et l'Idéal, d'après Schiller :



Oh! qu'il doit être doux de vivre à la lumière

D'un soleil éternel,

Que l'air doit être pur sur ces hauteurs qu'éclaire

Un jour voisin du ciel!

Mais d'un torrent fougueux la vague menaçante

M'en sépare à jamais;

Mon âme à cet aspect recule d'épouvante...

Où donc trouver la paix?



Traducteur des Méditations de saint Bonaventure, François Le Bannier a composé des chants religieux et des hymnes liturgiques. De nombreux prêtres, comme lui, ont prêté leur voix pieusement, parfois familièrement, comme Henri Bellot (né en 1825) dans A travers le siècle :



L'Angélus va sonner au beffroi de l'église.

Servante, chat, souris, dorment tous leur sommeil,

Et, plus d'une heure encor, le maître à tête grise

Sur l'oreiller moelleux oubliera le réveil



Mais la plupart tirent leurs poèmes de la Bible et des livres de piété. Félix Ragon (1795-1872), d'Avallon, a fait dans son Essai de poésie biblique, 1849, l'historique de la poésie tirée de la Bible par les auteurs français. Il y donne des fragments personnels qui soutiennent la comparaison avec les meilleurs :



Éternel, quelle est ta puissance?

De ce vaste univers de ton souffle émané

J'admire la magnificence,

Et l'adore à genoux, devant toi prosterné.

Seigneur, chaque jour ma prière

A toi s'élèvera sur des ailes de feu

Et jusqu'à mon heure dernière

Je chanterai la gloire et le nom de mon Dieu.



Dans d'autres poèmes, Ragon montre que si la Bible l'inspire, Horace et Aristote, Byron et Camoëns peuvent être présents dans ses vers.

Le comte Leodoïs Damartin Du Tyrac de Marcellus (1800-1860), diplomate, fut connu pour avoir apporté la Vénus de Milo en France. En plus de Chants populaires de la Grèce et d'une traduction des Dyonisiaques de Nonnus, il a paraphrasé le Stabat Mater :



Mère du chaste amour, vierge sainte, ô Marie!

Obtenez-moi le don de sentir vos douleurs.

Qu'en pleurant avec vous, de mes terrestres pleurs

La source soit tarie.



On est souvent plus proche de l'art de Malherbe que de celui de Lamartine. Ce dernier a écrit à un traducteur de Pétrarque, Camille Esménard du Mazet (né en 1802), de Pélissane : «J'ai lu et j'ai retrouvé Pétrarque dans vos vers. Ils reflètent avec la clarté du cour cette poésie de pureté et de lumière. La sympathie est le génie de la traduction, et elle a inspiré la vôtre. » Esménard était colonel. On comprend qu'il ait écrit les Courses d'Alger, 1857. Il a aussi écrit des versions françaises du Cantique des Cantiques et des Hymnes du bréviaire, 1870. Il est doux, il est suave dans Jésus, dulcis memoria :



Ô doux plaisir lorsqu'on pense

A Jésus divin sauveur!

Mais plus douce est sa présence,

Le miel a moins de douceur.



Il n'est pas de mot si tendre,

Pas de chant en aucun lieu,

Qui plus doux se fasse entendre

Que le nom du fils de Dieu.



Les Hymnes du bréviaire ont été également traduites par Accurse Allix (1802-1858). Si, ailleurs, il chante l'Irlande, il n'oublie pas Dieu :



Ô Seigneur! comme l'hirondelle

Qui traverse les flots amers

Et ne sait où poser son aile

Sur l'abîme immense des mers;

Comme le passereau timide

Qui, le soir, trouve son nid vide

Et se lamente sur son toit;

Comme la gazelle lassée

Que le plomb mortel a blessée,

Tout un peuple a crié vers toi !



Francis Levavasseur (1785-1830) a écrit une Ode à l'Étemel, 1820, a mis le Livre de Job en vers, 1826. Edmond Delière (né en 1833) prend le ton noble, élevé et banal :



Salut, Religion, mère des nobles choses,

Qui, domptant sous ta loi les orages du cour,

Maîtrises d'un seul mot les colères écloses

Au-dedans de nous-mêmes, au souffle du malheur.



Jean-Baptiste-Modeste Gence (1755-1840) a publié des poèmes philosophiques : Dieu, l'Être infini, 1801, Nouvelles poésies morales et philosophiques, 182g. Et encore des Étrennes patriotiques et morales, 1831, des Stances lyriques et morales, 1839. Il s'occupa de magnétisme : le Philosophe inconnu, Saint-Martin, 1824.

Trois étudiants du collège de Carcassonne montèrent à Paris pour faire des tragédies : le bien oublié Pichald, Soumet et Alexandre Guiraud (1788-1847), aventure dans laquelle ils entraînèrent leur principal, le vieux Gary qui fit cinq actes tragiques, Eudore et Cymodocée, 1824. En plus de ses pièces, c'est à l'ode, au poème, à l'élégie que Guiraud se voua avec des poèmes empreints de lyrisme évangélique. La délivrance des Hellènes, le sacre de Charles X, les Anges, les Sours de charité, et surtout les petits ramoneurs savoyards qui lui valent un succès populaire, sont les sujets de ses poèmes. On trouve téméraire qu'il écrive « Un petit sou me rend la vie » et comme il publie aussi le Chemin de la Croix ses contemporains se moquent de son lyrisme royaliste et chrétien associé à ses élégies ramoneuses :



Guiraud prend tour à tour et la vielle et la lyre,

Sanglotte en ramoneur, pleure en archange, au choix;

Mais si d'un bout à l'autre, hélas! on veut le lire,

Il faudra parcourir le Chemin de la Croix.



Des romans pieux comme Flavien qui inspire à Soumet sa tragédie le Gladiateur, un poème, le Cloître de Villemartin, une étrange Philosophie catholique de l'histoire où il remonte aux aventures des anges complètent une ouvre chrétienne où tout est académique et attendu.

Il n'est point que les catholiques. Protestant comme Napoléon Peyrat qui lui écrit :



Orateur, tu deviens poète, et bientôt ange,

Ton cour déjà prélude aux cantiques du ciel-Adolphe Monod (1800-1857), président du Consistoire de l'Église Réformée, moraliste et prédicateur, dit le Bonheur du Chrétien dans des quatrains commençant tous par « Heureux... » :



Heureux, lorsque, attaqué par l'ange de la chute.

Prenant la croix pour arme et l'agneau pour sauveur,

Je triomphe à genoux, et sors de cette lutte

Vainqueur, mais tout meurtri, tout meurtri, mais vainqueur.



A Bordeaux, Adolphe Astruc ( 1820-1860) a décrit en vers les cérémonies de la Pàque juive : la Haggada, 1852. Ses Poésies Israélites, 1853, sont imprégnées d'une foi profonde. Il a aussi écrit un Essai politique, 1856, en vers.



Poète et philosophe néo-chrétien, Pierre-Edouard Allet7 (1798-1850), dans sa prose s'attache à l'idée de progrès inséparable pour lui de l'idée chrétienne. Dans ses Études poétiques, 1832, ses Caractères poétiques, 1834, il discourt longuement sur la condition humaine. S'il fait parler le Poète, il le situe dans le contexte de la soumission divine :



Le sceptre du talent, au jour prédestiné,

Fera devant le Dieu qui me l'avait donné



Mon honneur ou ma honte.

Sur la lace du monde où mes fruits ont germé,

De chaque sentiment dans les âmes semé,

A ta justice, ô Dieu, ma gloire rendra compte!



L'auteur d'une Vie de Corneille, Gustave Levavasseur (1819-1896) qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme plus haut cité, dans ses Poésies fugitives fait alterner à la fin de ses quatrains les « Oubliez-moi » et les « Souvenez-vous » :



Si l'on vous dit : Ici repose un homme impie

Qui là-bas, en enfer, dans les tourments expie

Les hommages cafards qu'il rendait à son roi,

Oubliez-moi



Mais si quelqu'un de vous se lève et dit : Mensonges! Il croyait au grand Dieu qu'il voyait dans ses songes, Et quand il était seul, il priait à genoux. Souvenez-vous.



Souvenez-vous... La plupart de ces poètes religieux sont bien oubliés. Mais comme dit Louis de Veyrières (né en 1819), à la fin d'un Sonnet sur la gloire qui termine sa Monographie du sonnet :



Qu'importe un renom qui s'efface!

La vie est la courte prélace

Du grand livre : l'Éternité!



Les Fleurs enfantines.



Les petits poètes des générations romantiques pratiquent plus ou moins l'art d'être grand-père. Peu retrouvent réellement le sentiment d'enfance. Il semble que le sujet soit prétexte à variations morales, philosophiques, religieuses plutôt qu'investigation vers des domaines imaginaires. Beaucoup de mièvrerie nous introduit à une idée de l'enfant de laquelle nous sommes bien éloignés. Pourtant, on trouve de la gentillesse, de la pitié, parfois une tentative témoignant d'un réel amour - à défaut de véritable compréhension.

Un savant archéologue, Jacques Boucher de Crèvecour de Perthes (1788-1868), auteur, en plus de ses travaux scientifiques, de tragédies, romans, souvenirs, relations de voyages, dont l'essai Sur la Création exerça une influence profonde sur les romantiques, et surtout le Victor Hugo de la Légende des siècles, lorsqu'il est le poète du Petit Pierre apparaît simple comme dans les chansons des veillées d'autrefois :



Comme le disait Biaise,

Feu Biaise, mon parrain,

On est toujours à l'aise

Lorsque l'on n'a pas faim.

Dans les jours de misère

Je m'adresse au voisin;

Il a pitié de Pierre,

Et je trouve mon pain.



Il était naturel qu'un Toulonnais, Elzéar Ortolan (1802-1873) historien et jurisconsulte, prit la défense du chant des cigales aimé par Anacréon et Byron. A grand renfort d'érudition, il l'a fait en prose dans un recueil, Enfantines, 1829, dont les poèmes répondent bien au titre :



Que fais-tu, bel enfant, l'oeil au ciel suspendu.

Les deux bras en avant, le tablier tendu,

Courant à l'air, sans craindre aquilon ni froidure,

Que fais-tu, bel enfant, à blonde chevelure?



Es-tu fille ou garçon? Ces longues boucles d'or.

Ce front pur, ce sourire, et ces habits encor,

Tout nous laisse indécis; en comptant sa famille,

L'Amour s'y tromperait... Es-tu garçon ou fille?



Le fils de Gabriel Legouvé (1764-1812) l'auteur du poème le Mérite des femmes s'appela Ernest Legouvé (1807-1903), Comme son père, il fut dramaturge et connut le succès avec des pièces comme Adrienne Lecouvreur, 1849, où triompha Rachel. Son premier poème s'intitulait les Morts bizarres, 1832. Il fut surtout l'historien des femmes : Histoire morale de la femme et la Femme en France au XIXe siècle. En vers, il a écrit trois tragédies : Guerrero ou la trahison, Médée, les Deux reines, et une comédie : Un jeune homme qui ne fait rien. Dans ses poèmes, en homme de théâtre, il aime faire dialoguer tantôt l'Ame et le corps, tantôt Deux mères. Ces dernières, Ellys et Gary, l'une mère, l'autre enceinte, se confient les joies et les espoirs de la maternité, et quand le bébé s'éveille :



Puis, sans se dire un mot et comme par hasard,

Autour de leurs deux cous leurs deux bras s'enlacèrent,

Leurs bouches tendrement devant Dieu se pressèrent...

Car en un seul instant, réunissant leurs cours,

Leur amour maternel en avait fait deux sours!



Il ne faut pas avoir mauvais esprit : ce ne sont pas les « femmes damnées » de Baudelaire, mais comme ce poème, lu dans son entier, est touchant, frais, plein de sentiment, et même gentiment ridicule.



Les mères, Alcide-Hyacinthe Dubois de Beauchesne (1804-1873), auteur d'une Vie de Louis XVII, les a chantées lui aussi dans le Livre des jeunes mères, 1858, longtemps après avoir publié des Souvenirs poétiques, 1830. Alexandre Dumas disait de lui que « Tout ce qui était grand l'appelait Frère, tout ce qui était bon l'appelait ami. » On peut l'imaginer dans sa villa gothique de l'avenue de Madrid, près du Bois de Boulogne, traduisant en vers légers les imaginations et les rêveries qui traversent l'esprit d'un enfant qu'on a puni :



« A genoux! à genoux! au milieu de la classe,

L'enfant mutin!

Dont l'esprit est de lèu pour l'algèbre, et de glace

Pour le latin! »



De quatrain en quatrain ainsi conçus, il fait, en dehors des conventions, un réel effort pour se mettre dans la peau d'un enfant rebelle, « enthousiaste et fier », celui qu'il a été sans doute :



L'hiver! c'est la saison qu'il aime! que de charmes

N'a-t-elle pas,

Quand le ciel aux enfants semble jeter des armes

Pour leurs combats?

Alors ce sont des forts, des redoutes de neige.

Un grand château;

Puis un mouchoir flottant qui couronne le siège

Comme un drapeau!

Et puis des boulets blancs, dont la grêle Ibudroie

Les rangs pressés!

Puis les cris triomphants des soldats, et leur joie

S'ils sont blessés!

Géographe apprenti, quelquefois il s'amuse

A situer Les vieux empires peints sur des cartons, qu'il use

A remuer.



Un jour que, s'essayant sur la route inconnue

Qu'il mesura, Montgolfier triomphant s'envolait dans la nue,

L'enfant pleura.



Plus attendu est l'enfant comparé à l'ange :



Oui, l'enfant au front pur d'un ange a quelque chose;

C'est que du ciel il porte en lui le souvenir,

Mais, plus tard, sur la terre, il salit son pied rose,

Et s'avance au hasard vers l'obscur avenir.



Le poète de ces derniers vers est Léon Magnier (né en 1813), de Saint-Quentin, qui choisit les meilleurs poèmes de trois recueils pour composer (ô Baudelaire!) les Fleurs du bien.

Le vicomte Jean-Luc-Jules de Gères (né en 1817), de Bordeaux, dans ses Premières fleurs, 1840, dans sa Rose des Alpes, 1856, fait penser au sévère Victor de Laprade. Il pose ses interrogations sur le ton élevé et noble, dit sa soif de beauté :



Rien ne peut étancher, sous ton orbe azuré,

La grande soif du beau dont je suis dévoré;

Mon cour inassouvi, chaos où tout s'abîme,

A tes gouffres bornés répond par un abîme;

Car, vers cet inconnu qui me vient accabler,

J'ai d'immenses désirs que tu ne peux combler.



Il jette une vingtaine de Questions d'enfant à la suite :



- Père! qui passe le plus vite?...

Est-ce le fleuve? Est-ce le vent?

Est-ce l'étoile qui gravite

Et s'enflamme en sillon mouvant?



Est-ce la nue, ou la fumée?

L'hirondelle sifflant dans l'air?

La fusée en gerbe allumée?

Est-ce la foudre?

Est-ce l'éclair?



Dès que les interrogations cessent, la réponse est banale :



- Mon fils, que l'avenir t'évite

Ce savoir doux et douloureux!

Non, ce qui passe le plus vite,

Enfant, ce sont les jours heureux!



Un autre vicomte, Charles de Nugent (né en 1820) lui ressemble par sa morale quotidienne. Il cherche l'étincelle divine chez les

Enfants :



Sourire fin et pur, bégaiement gracieux.

Vifs et premiers regards dirigés vers les cieux,

Vous offrez un mystère où tout père devine

D'un souffle du Très-Haut l'étincelle divine.



Il sera plus coloré dans ses Souvenirs d'un voyageur, 1857, vers nés de ses voyages européens et africains :



Palerme! sur tes monts déserts

Que la fraîcheur du soir descende,

Et que son ombre se suspende

Comme une gaze dans les airs.



Prodigues de leur riche offrande,

Tes aloès, tes myrtes verts,

Exhalent, au souffle des mers,

Tous les parfums de leur guirlande.



Aux bruits des flots mêlant ses bruits,

La brise alors redit aux nuits

Un chant que le jour fera taire.



C'est l'heure où brillent à tes yeux

Les fleurs, étoiles de la terre,

Et les étoiles, fleurs des cieux.



Le Cantalien Casimir Pertus (né en 1822) à propos de ses Échos poétiques, 1865, reçoit cette appréciation de Victor Hugo : « Ce sont des échos si le chant de la fauvette est un écho, si la lumière de l'aube est un reflet. » Dans les Lyres brisées, 1865, il a conté les tristes destins d'André Chénier, de Gilbert, de Malfilâtre. Il a traduit en vers Electre et Antigone. Un ton prophétique et dur apparaît dans ses poèmes :



Oui, siècle ténébreux, la Révolution

Se débat dans tes flancs, pour faire irruption;

Elle doit en sortir, plus sombre, plus livide

Que celle qui, jadis, dans sa fureur avide,

Dressa sur l'échafaud son règne de terreur!

Quelque chose de grand guidait cette fureur;

Si le peuple égorgeait la noblesse insolente,

C'était pour lui montrer sous la lame sanglante

L'ouvre du Créateur, la grande égalité,

Sous laquelle la mort courbe l'humanité!



Dès qu'il parle d'enfance, le ton s'apaise et change. Le poète de combat, prophétisant les révolutions à venir, dit Enfance et rêverie :

Folâtre/, folâtrez, enfants insoucieux, Petits êtres charmants, aux grâces ingénues. Laissez vos blonds anneaux d'un vol capricieux S'effranger en tombant sur vos épaules nues.



Courez enfants, courez, la brise, en palpitant,

Vous poursuit et se joue à vos rubans de soie;

Courez, chantez, dansez, que la ronde, en sautant,

Rie et fasse éclater sa joie!



Voyez ici, partout, un beau ciel calme et pur

Fait épanouir l'âme et reverdir l'ombrage;

Peu vous importe, à vous, qu'il soit sombre ou d'azur,

Le vôtre est toujours d'or et n'a jamais d'orage.



Le mot révolution, pris comme défense du progrès et épanouissement de l'homme, apparaît dans Nos Fantômes de Francisque Ducros (né en 1823). Ses Fleurs des Alpes sont plus intimistes. Il chante une petite fille disparue, Francesca :



Sa bouche était une cerise

Entr'ouverte par le zéphyr,

Et sa prunelle une merise

Flottant sur un fond de saphir.



Ses paupières d'un pur ovale,

Pour abriter deux grands yeux noirs.

Étalaient de longs cils d'opale :

De la gaze sur des miroirs.



La tendre enfance, Léandre Brocherie (né en 1834) la décrit lui aussi en employant des images florales :



Sous un berceau de fleurs, un bel enfant repose

Dans les bras maternels, - deux ivoires polis.

Vermeil, demi-penché, l'on dirait d'une rose

Qu'un souffle de printemps incline entre deux lis.



Déroulée en anneaux, sa chevelure est blonde

Comme un bouquet d'épis aux mains du moissonneur.

Bleus comme les lotus qui se mirent dans l'onde,

Ses yeux en ont l'éclat, leurs regards, la douceur.



Son sourire ressemble à celui de l'aurore

Transparente à travers le voile de la nuit;

Sa voix, au cri joyeux, mais inhabile encore,

De l'oisillon jasant à l'étroit dans son nid.



De la voix, du sourire, il enchante et caresse

L'oreille et les regards; et la mère, à son tour,

Abeille butinant une rose, - ne cesse

De cueillir des baisers sur cette fleur d'amour.



Pour joindre l'amitié à l'enfance, citons ici Jules Tardieu de Saint-Germain (1800-1868) avec un titre déjà rencontré ici, célèbre un siècle plus tard chez Supervielle, Aux Amis inconnus :



Qu'il est doux d'écouter la voix, la douce voix des arnis inconnus; comme dans les grands bois le voyageur entend la source murmurante; comme le matelot errant sur les grands flots sèche ses pleurs amers et calme ses sanglots, quand paraît dans le ciel l'étoile rassurante.

Qu'on ne s'étonne pas de ne point voir de majuscule en tète de ces vers! Pour ses Roses de Noël, Saint-Germain offrit la singularité que ses poèmes soient ainsi typographies, ce qui s'est fait beaucoup bien plus tard.

Citons encore parmi les poètes de ce bouquet d'enfance : l'abbé Louis Alhoy (1755-1826), pédagogue auprès des sourds et muets pour son poème des Hospices; Louis Audiffret (1790-1869) pour ses élégies familiales; Léon-Louis Buron (né en 1813) pour ses Simples essais, poésies morales pour la jeunesse; Louis-Michel Desfossez (né en 1823); Edmond Audouit (mort en 1858) pour ses Souvenirs d'enfance...

Longtemps après la période romantique, dans la deuxième partie du siècle, et surtout vers sa fin, la poésie d'enfance fleurira, attendrie, trop peut-être, mais sincère et délicieuse quand trop de moralités faciles ne l'alourdissent pas.



Les Fleurs de La Fontaine.



Depuis l'immense fable du Renart, les ysopets, Marie de France au moyen âge, les Clément Marot, Guillaume Haudent, Gilles Corrozet, François Habert du xvie siècle, La Fontaine au xvne, Florian au xvme, les fabulistes en France et ailleurs ont bien piétiné. L'aigle romantique s'accommode-t-il de ce genre soumis à trop de sagesse dans les propos? On en peut douter. Le seul changement au xixe siècle est qu'il ne s'agit plus de peindre la vie telle qu'elle est, comme au temps de La Fontaine, et de donner une moralité conforme aux mours du temps, c'est-à-dire une moralité fort peu morale et souvent cruelle. Après le xvme siècle où Florian, moins talentueux, fut plus généreux, le siècle romantique, peu à peu, déverse ses sentiments humanitaires.

Le plus connu de tous est un autodidacte, fils d'un cultivateur pauvre de Sarlat, Pierre Lachambeaudie (1806-1872), petit employé idéaliste dont les Fables populaires, 1839, ont quelques mérites., même s'ils ne lui viennent pas de la poésie. Il a lutté, participé, touché au saint-simonisme, avant d'être plus tard l'ami de Blanqui et d'Esquiros et d'être arrêté à plusieurs reprises, d'éviter, grâce à Béranger et à ses amis, de peu la déportation. Il dut cependant rejoindre Bruxelles en compagnie de Blanqui. En 1861, il y publia les Fleurs de Villemomble; il vivait alors de ses poèmes, de ses fables, de ses romances. Ce personnage, utopiste, fier, généreux, est des plus sympathiques. Comme on voudrait en dire du bien! Mais ce qui est possible pour l'homme l'est plus difficilement pour le poète. Ses Fables populaires, entre 1839 et 1849, ne connurent pas moins de dix-sept éditions : les démocrates s'y reconnaissaient, le peuple s'y retrouvait, la bourgeoisie en était curieuse. Avec ses moralités vraiment morales, une droiture de pensée, elles paraissaient vraiment modernes, ce qui aujourd'hui ne laisse pas de nous étonner. En y regardant de près, et en comparant avec les fabulistes qui vont suivre, on trouve cependant une différence : Lachambeaudie est le seul à glisser dans ses apologues quelque chose qui ressemble au romantisme. On le voit dans la moralité qui suit la Goutte d'eau :



Ô toi, vierge sans nom, fille du prolétaire,

Qui retrempes ton âme au creuset du malheur.

Un travail incessant fut ton lot sur la terre;



Prends courage, ici-bas chacun aura son tour :

Dans les flots de ce monde, où tu vis solitaire,

Comme la goutte d'eau, tu seras perle un jour.



Il sait aussi prendre le ton de l'élégiaque. Ainsi dans le Rossignol, l'étoile et la fleur :



Au firmament sans voile,

Vers le soir, une étoile,

Radieuse, montait; Brûlant d'ardeur pour elle.

Un rossignol chantait; Une fleur douce et belle

Pour l'oiseau soupirait. Or, déployant son aile,

L'amant ambitieux S'éleva vers les cieux;

L'étoile indifférente Au couchant disparut,

Et, d'amour languissante,

La pauvre fleur mourut.



Suit, bien sûr, une moralité attendue qui ne paraît pas indispensable, car le lecteur pouvait bien comprendre :



Le rossignol, c'est l'âme;

L'astre, lointaine flamme.

C'est un espoir trompeur;

La fleur, c'est le bonheur...

Mais souvent, l'âme éprise

De biens que nous n'attendons pas.

Trop follement méprise

Le bonheur écios sous nos pas.



Terminons cette rencontre en citant les vers que Béranger lui adressa à sa sortie de prison :



Du génie et du cour puissance souveraine!

Poète, d'un captif quand vous brisez la chaîne,

Coupable, il est purifié;

Innocent, il se lève et sort glorifié.



Auprès de ce fabuliste romantique et révolutionnaire, bien que ses qualités poétiques soient médiocres, les autres pâlissent singulièrement. Il reste du xvme siècle chez la plupart d'entre eux, que ce soient Antoine-Vincent Arnault ou Jean-Pons Viennet. Chez le premier, selon Sainte-Beuve, la fable « n'est souvent qu'une épi-gramme mise en action ou traduite en emblème ». Le Colimaçon symbolise l'égoïsme, le Chien et le chat trouve pour conclusion morale : «J'aime mieux un franc ennemi/ Qu'un bon ami qui m'égratigne », l'Abeille est un bon exemple pour la glorification du travail. La célèbre Feuille : « De ta tige détachée... » reprend un début déjà trouvé ailleurs. Quant à Viennet, la tête de Turc des romantiques, il étire des vers qui aspirent vainement à la légèreté vers une moralité bourgeoise.

Jean-Charles-François de Ladoucette (1772-1848), sous-préfet lorrain, va aux champs pour en rapporter ses Fables, 1827. Aldéric Deville (1773-1832) met les fleurs en action dans ses Fables antholo-giques : au moins, là, comme dans son Bouquet de Flore, 1823, trouvons-nous quelques présents parfumés. On a appelé Désiré-François Le Filleul des Guerrots (1778-1857) « le Florian de Normandie ». Frédéric-Gaëtan de La Rochefoucauld-Liancourt (1779-1863) auteur des six chants d'Achille à Troie a fait mieux en publiant son illustre parent, ainsi que les Mémoires de Condorcet qu'en se frottant au genre.



Aux Jeux Floraux de Toulouse, Florentin Ducos (1789-1873) lit ses poèmes, ses Fables et moralités, 1840, plus lisibles que son Épopée toulousaine de bonne volonté, vingt-quatre chants sur la guerre albigeoise. Raymond Rousset (1799-1885) se contentera de vingt chants pour ses Anges et démons, 1867, mais publiera quatre volumes de fables. Amédée-Louis-Joseph Rousseau de Beauplan (1790-1853), auteur de théâtre comme le sera son fils Victor-Ardiur (né en 1823) est plus célèbre pour ses romances que pour son recueil de Fables.

D'aucuns, il est vrai, font des fables comme on fait de la broderie, prenant le genre comme facile, alors qu'il est au contraire semé d'embûches : il n'est que de rappeler combien La Fontaine surpasse tous les autres grâce à l'exercice d'une langue à la pureté inégalée. Le général d'Empire Aimé Naudet (1785-1847) a écrit un acte en vers, La Fontaine chez Madame de La Sablière, 1821. De là à publier lui-même des Fables, 1829, il n'y avait pas loin; il les tire de l'italien, de l'anglais, de l'espagnol, du russe, chez des poètes eux-mêmes imprégnés de nos grands fabulistes. La moralité, par exemple, du Bleuet : « A choisir ses amis, on gagne toujours quelque chose », dit le niveau. Laurent-Pierre de Jussieu (1792-1866), neveu du célèbre botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, fit des Fables et Contes en vers, 1844.

On voudrait citer des vers, tout au moins pour alléger ces lignes, mais ces poèmes sont tellement étirés et prosaïques qu'on n'en voit guère la nécessité. Le nommé Savatier-Laroche (né en 1804), d'Auxerre, fournit un exemple de ce qu'on trouve communément dans ses Fables et contes, 1859 :



Qu'il soit blanc ou cuivré, soldat ou capitaine,

Mahométan ou juif, l'homme n'a rien sans peine,

C'est la loi du travail que Dieu nous imposa.

Qui mange un grain de blé de sueur l'arrosa.



On préfère que Victor Roussyfné en 1808), méridional de l'Aude, mette de l'humour dans ses Fables que préfaça Méry. Ici, le Saule et le buisson, imité de l'allemand :



- « Pourquoi, dit le Saule au Buisson,

Des habits du passant es-tu toujours avide ?... Quel profit en as-tu?... Q_uel caprice te guide?

- Aucun : de vêtements je ne fais point moisson. Répond l'épine; et, s'il Faut te le dire,

Je ne prends rien, mais je déchire. »



Le ton de terroir apporte parfois un peu de vie. Gaston Romieux (1802-1872), de La Rochelle, dans des fables comme le Moulin et le révérend donne une conclusion en forme de dicton : « Froment moulu vaudra bien un sermon ». Greffes morales sur La Fontaine, c'est un recueil de l'abbé Emmanuel-Justin-Barthélemy de Beauregard (né en 1803) qui transpose volontiers les fables de son maître de l'animal au végétal. Le magistrat A. de Mongis tente de traduire la Divine comédie et en revient à la comédie animale en récrivant à sa manière le Lièvre et la tortue. Louis-Georges-Alfred Martonne (né en 1820), du Havre, intitule son livre Ysopet, 1858; on préfère les Étoiles, 1844, les Offrandes, 1851, car là il a le mérite de se fier à la nature qu'il décrit. Citons encore les Fables, 1848, d'Anatole de Ségur (né en 1831), de Jean-Pierre Brès (1782-1832), de Louis-Simon Desrivières, et celles des poètes suisses Antoine Carteret et Jean-Jacques Porchat.



La Floraison épique romantique.



Retrouve-t-il la tête épique, le poète français du xixe siècle? Au début de ce volume, et aussi à la fin du précédent, nous avons vu ce qu'il en était avec les enflures des chantres de l'Empire recherchant leur inspiration dans l'épopée napoléonienne ou puisant dans l'histoire toutes les possibilités d'aventures héroïques. Clairvoyant, Lamartine, dans Des Destinées de la poésie, a prophétisé la fin du genre en ces termes : « Elle ne sera plus (la poésiE) épique; l'homme a trop vécu, trop réfléchi, pour se laisser amuser, intéresser par les longs récits de l'épopée, et l'expérience a détruit sa foi aux merveilles dont le poème épique enchantait sa crédulité. » En fait, on ira chercher surtout dans la Bible plutôt que dans les manuels d'histoire, chez Byron, Klopstock, Mil ton, Chateaubriand, et la simple épopée historique laissera place à l'épopée symboliste avec Dieu et Satan, Caïn ou Moïse, le Cédar de Lamartine ou le Juif Errant de Quinet pour protagonistes. Par un tel recul, loin des henriades et des louisiades limitées dans l'espace et le temps, on rejoindra la poésie cosmique et l'imagination pourra voguer vers les terres inconnues. On s'aperçoit dans la Légende des siècles, dans la Fin de Satan, dans Dieu que de nouvelles lectures du monde sont possibles.

Comme au moyen âge, roman, histoire, poème se rejoignent sous le signe épique. Chateaubriand, à partir d'un roman ébauché, les Martyrs de Dioctétien fait l'épopée en prose les Martyrs, le merveilleux n'étant pas un simple but à atteindre, mais la mécanique intellectuelle et spirituelle qui sous-tend la création. Comme au temps de la Pléiade, l'épopée est un but, mais tandis que Ronsard et ses contemporains échouent, et rejoignent le mystérieux cosmique par d'autres voies, comme celles de la poésie scientifique, Hugo, Lamartine, Vigny créent quelque chose de neuf et de grand. La simple poésie religieuse, celle des bouquets pour l'autel comme nous avons dit, est dépassée, et cela peut-être parce que les grands poètes du romantisme doutent, et s'ils cherchent c'est parce qu'ils doutent. Déjà, ce sentiment d'une épopée renouvelée par les sources profondes apparaissait dans le Dernier homme de Grainville, dans certains romans noirs. On la retrouvera sous forme scientifique dans les romans de Camille Flammarion, et même de Jules Verne, et le sentiment de l'épopée ne sera pas absent, d'une autre manière chez Flaubert ou Balzac. Même en écrivant Jocelyn qui semble se réduire à la petite église de campagne. Lamartine aura des ambitions cosmiques.



Les grandes provinces poétiques ne seront pas insensibles à ces nouvelles voies, que ce soit avec Brizeux, celui des Bretons plus que celui de Marie, ou Souvestre avec les Derniers Bretons, que ce soient Mistral et les félibres. Et, plus tard, Leconte de Lisle et les parnassiens feront passer dans des tableaux barbares, antiques ou tragiques de petits tableaux gravissant progressivement les échelons de la destinée humaine.

Est-ce à dire que les défauts de la vieille épopée, telle qu'on l'entendit au cours des derniers siècles, ont disparu? Il n'en est rien et nous allons voir que le ton oratoire et la fausse amplification subsistent, non sans quelque pompiérisme dans la démarche, avec un cortège de clichés et d'épithètes convenus. Cette galerie va nous montrer de grandes ambitions et de minces réussites.



Soumet et Quinet.



En dehors des grands romantiques, les plus connus sont Alexandre Soumet (1788-1845) et Edgar Quinet (1803-1875), ce dernier à d'autres titres que sa poésie bien oubliée. Ils eurent l'un et l'autre des ambitions immenses et durent rêver d'être les Milton et les Klopstock français, ces ambitieux soucieux d'embrasser l'histoire universelle et n'ayant pas assez de génie pour cela.

Alexandre Soumet commença par faire dans l'Incrédule, 1808, le panégyrique de Napoléon ou de donner comme tout un chacun la Naissance du roi de Rome, comme il donnera quelques années plus tard le Baptême du comte de Paris. Il disparaîtrait dans la foule des néo-classiques si, à la charnière du romantisme, il ne montrait des qualités qui le font reconnaître et le situent assez loin de Vien-net et des autres ennemis du jeune romantisme.

En effet, Hugo écrit à Vigny : « Soumet fait des vers superbes » et Vigny répond : « Il est le dieu auquel j'offre mon sacrifice. » Comme cela nous paraît étrange vu de loin ! De nombreuses tragédies apportent à Soumet la renommée : Clytemnestre, 1822, Saùl, 1822, Cléopâtre, 1824. Écoutant à Orange Nornia de Bellini, il nous est arrivé de penser que tout le monde avait oublié son premier auteur. Soumet, en 1831. Oublions de citer d'autres tragédies fort turbulentes, des opéras comme le Siège de Corinthe, 1828, dont Ros-sini écrit la musique pour en venir à ce qui fut considéré comme une grande ouvre épique, au titre somptueux, la Divine épopée, 1841. Il a voulu se situer au niveau des plus grands, pensant à Dante, à Milton, à Klopstock.

C'est encore, comme chez Grainville, le dernier homme qu'accompagne la dernière femme, Idaméel et Sémida. La terre, l'enfer, le ciel sont les lieux de l'action. Idaméel est l'héritier du secret du feu, il peut redonner vie au soleil, il est doué d'une puissance cosmique, mais sur une terre morte, comme dans les romans de science-fiction, les premiers anges vont succéder aux derniers hommes. L'ambition était démesurée : bien que Soumet marchât avec la nouvelle école, il restait en lui trop de vieux procédés, ceux par exemple d'un Parny dans la Guerre des dieux. Soumet put donner le change pendant un temps : à défaut de puissance, il donnait de la fougue, à défaut d'énergie profonde une fausse violence. Et là, pas plus que dans Jeanne d'Arc, 1846, posthume, il ne réussit à enlever son sujet, un sujet trop grand pour un poète mal armé. Au fond, c'est le Victor Hugo de la Fin de Satan qui réussira là où il a échoué. Voici un exemple de sa manière dans l'épisode des enfants au paradis :



Sous les arbres de nard, d'aloès et de baume,

Chaque souffle de l'air, dans ce flottant royaume,

Est un enfant qui vole, un enfant qui sourit

Au doux lait virginal dont le flot le nourrit;

Un enfant, chaque fleur de la sainte corbeille;

Chaque étoile, un enfant: un enfant, chaque abeille.

Le fleuve y vient baigner leurs groupes triomphants;

L'horizon s'y déroule en nuages d'enfants,

Plus beaux que tout l'éclat des vapeurs fantastiques

Dont le couchant superbe enflamme ses portiques.



On préfère moins de souffle et plus de vérité dans une élégie fort connue dont on oublie souvent que Soumet en fut l'auteur. Elle a un ton lamartinien. C'est la Pauvre fille :



J'ai fui ce pénible sommeil

Qu'aucun songe heureux n'accompagne;

J'ai devancé sur la montagne

Les premiers rayons du soleil.



S'éveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs :

Sa mère lui portait sa douce nourriture,

Mes yeux se sont mouillés de pleurs.



Edgar Quinet, peut-être par tant de boulevards et de rues qui portent son nom, est plus connu. Écrivain, homme politique, il est un de ces maîtres du xixe siècle, comme Michelet, d'une vaste érudition littéraire. Connaissant bien la littérature, de l'Allemagne à l'Italie, des siècles du moyen âge à ses contemporains, on le trouve professeur de littérature étrangère à Lyon en 1839, professeur de langues et de littérature de l'Europe méridionale au Collège de France en 1842. Il fut, avecjules Michelet qui, comme lui, combattit l'ultramontisme renaissant, un des maîtres à penser de la jeunesse. Après les révolutions de 1848 et de 1870, il fut élu député. Ennemi farouche de la réaction politique et religieuse, comme Hugo il passa le temps de l'Empire en exil. Homme de trois révolutions puisqu'il avait déjà salué celle de 1830 comme l'aube des temps nouveaux, il fut l'ami du peuple et de la liberté. Ce grand universitaire a fait de multiples travaux et il faudrait des pages et des pages pour en faire l'analyse. On pourrait aussi longuement parler de ses Cinquante ans d'amitié avec Michelet (c'est le titre d'un ouvrage de sa veuve paru en 1899), de son ami Mickie-wicz, des vives polémiques d'érudits au Collège de France, de son mariage





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