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Essais littéraire

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Julien GRACQ Louis Poirier, dit. (Né en 1910)






Très éloigné des cercles littéraires et des salons à la mode, avare de déclarations sur sa vie et ses occupations, Julien Gracq fuit délibérément les lumières douteuses du vedettariat. Refusant la diffusion de ses ouvrages en édition de poche, il est resté fidèle à l'éditeur José Corti qui lui fit confiance dès 1938 en publiant Au château d'Argol que Gallimard avait refusé. Animé par le sentiment très fort du « ne me touchez pas ! », Gracq nel prétend ni communiquer des impressions ni délivrer un I message, mais « tout bonnement » écrire. Cet auteur I protège sa sensibilité et son originalité en gardant ses distances vis-à-vis des institutions, des médias, des critiques professionnels. La fierté qu'il affiche n'est pasl vanité, mais respect du lecteur et conscience de son art. L'artiste, en effet, doit constamment brouiller les pistes et donner le change. Ne doutons pas qu'ici Gracq fasse sienne la phrase de Breton dans les Pas perdus : « Jusqu'à nouvel ordre, tout ce qui peut retarder le classement des êtres, des idées, en un mot entretenir l'équivoque, a mon approbation. »





Gracq réussit ainsi à échapper à tout catalogue et à tout étiquetage. Ce « poète narrateur », selon le mot d'André Pieyre de Mandiargues, « vint en 1938 s'abattre dans la littérature comme un très grand oiseau, marin sans doute, mais d'une espèce inconnue ». Révélé d'abord comme romancier, il donne en 1946 un petit recueil de poèmes, Liberté grande, sous-titré alors « Poèmes en prose » et, la même année, une pièce de théâtre qui sera jouée en 1949, le Roi pêcheur, inspirée par la légende du Graal. Trois romans, largement espacés, poursuivent l'exploration d'un univers mystérieux : Un beau ténébreux (1945), le Rivage des Syrtes (1951), Un balcon en forêt (1958). Parallèlement, Gracq rédige des études sur la littérature, des notes critiques, des souvenirs de voyages et de promenades : André Breton, quelques aspects de l'écrivain (1948), Lettrines (1967), Lettrines 2 (1974), En lisant en écrivant (1981), la Forme d'une ville (1985), de courts récits enfin : la Presqu'île (1970), les Eaux étroites (1976).



« Liberté Grande »



Diversité foisonnante de l'ouvre donc, qui manifeste une liberté d'allure à laquelle Gracq reste fermement attaché. Venu relativement tard à la littérature, il se plaît à souligner qu'une heure avant de tracer les premières lignes de Au château d'Argol, il ne se préoccupait nullement d'écrire un livre. Significative également la démarche créatrice de Gracq qui avance dans son récit sans plan préétabli, « à l'aventure ». C'est pourquoi chacun de ses romans, de ses poèmes ou de ses textes critiques, invente sa propre forme. N'ayant souci de] respecter ni règles traditionnelles, ni programme donné! (l'attachement au surréalisme est un acte d'amour, non j l'inscription à une écolE), le récit progresse au gré des l tableaux et des émotions, semble parfois perdre une unité I que l'auteur, en toute confiance, laisse au lecteur le soin de retrouver : « On se préoccupe trop dans le roman de la cohérence, des transitions. La fonction de l'esprit est entre autres d'enfanter à l'infini des passages plausibles d'une forme à l'autre. C'est un liant inépuisable. » Au château d'Argol, par exemple, le plus construit pourtant des romans, présente une suite de scènes centrées chacune sur un lieu précis, closes sur elles-mêmes mais irriguées par une sève unique qui donne à l'ouvre sa tension propre et son homogénéité. La liberté fonde l'écriture del Gracq qui se réclame, à cet égard, de deux figures! tutélaires : Rimbaud et Breton. Sous le signe du premier, dont une citation en exergue du recueil poétique donne le ton, est cherchée la « liberté grande ». Dans tous les textes de Gracq naissent des images qui s'enchaînent avec « la désinvolture des décharges électriques » (André BretoN). Pour le roman précisément, l'auteur revendique^ une « liberté illimitée » : le roman est songe, et, comme! tel, « parfaitement établi dans sa vérité » (LettrineS).



Contrairement à l'image cinématographique qui exclut de son champ tout ce qui lui est extérieur, l'écriture éveille des émotions qui s'enchaînent naturellement les unes aux autres. « Le mot, pour un écrivain, est avant tout tangence avec d'autres mots [...] : l'écriture, dès qu'elle est utilisée poétiquement, est une forme d'expression à halo » (Lettrines 2).

Le roman de Gracq est avant tout un monde de résonances et de vibrations. D'où le désir de privilégier l'émotion personnelle, propre à chaque lecteur. Dans un texte important, la Littérature à l'estomac (1950) où le prestissimo du style accuse vigoureusement la profondeur de la réflexion, Gracq reproche aux Français de déléguer leur liberté de lecteurs aux critiques officiels et aux jurés des prix littéraires, restant ainsi seuls habilités à authentifier l'ouvre d'art qui sombre par là même, au terme d'un processus minutieusement analysé, dans les eaux troubles du commerce le plus mercantile. Dès lors, l'opinion s'empare de l'ouvre qui se voit classée une fois pour toutes au rang assigné, au détriment des réactions individuelles. Curieusement, le jury Goncourt donna son prix à Gracq l'année suivante pour le Rivage des Syrtes ; un refus poli répondit, bien sûr, à cette distinction, Gracq n'ayant cessé de répéter que seule l'émotion éprouvée à la lecture d'un livre peut être gage de valeur, fondant du même coup en véritable « société secrète » le public de l'écrivain et donnant à ce dernier son statut : « C'est par elle seule qu'il est, s'il est quelque chose. »



Splendeur et mystère

Gracq lecteur met en ouvre ses principes. Après avoir salué Jules Verne pour qui il garde une vénération filiale, il présente ses « seuls véritables intercesseurs et éveilleurs » : « Il y a eu pour moi Poe quand j'avais douze ans - Stendhal quand j'en avais quinze - Wagner, quand j'en avais dix-huit - Breton, quand j'en avait vingt-deux » (LettrineS). Selon lui, on ne peut parler d'un auteur que dans la perspective d'une « critique de sympathie » (André BretoN), à l'opposé d'une critique asséchante et mutilante qui, « croyant posséder une clef », s'emploie à disposer l'ouvre « en forme de serrure » (LettrineS). Un livre ne tient pas du squelette mais de l'organisme producteur, il est d'autant plus complexe qu'il ne vit que de la mort des autres livres possibles, abandonnés par l'écrivain à chaque ligne. Et Gracq d'exhorter les dépeceurs : « Cherchez, messieurs les critiques, cherchez mieux. » Cette critique de sympathie irradie l'ouvrage consacré à André Breton où Gracq procède par longues citations qui n'appellent le plus souvent qu'un bref commentaire, quand ce n'est aucun, comme si la voix de Gracq reprenait en le poursuivant, le modulant, le prolongeant (sans s'interdire, d'ailleurs, le désaccord sourianT) le propos entamé par Breton.

Réflexion et création, poésie et commentaire se lient/ étroitement chez Julien Gracq. Attentif au mariage/ « indissoluble qui se scelle chaque jour et à chaque minute entre l'homme et le monde qui le porte » (Pourquoi la littérature respire maL), l'auteur, comme ses personnages, ne cesse de chercher ces moments d'élection, ces découvertes bouleversantes, au sein desquels le monde se donne autrement pour qui sait le voir. Une syntaxe « naturellement observée », selon le mot de Breton, l'emploi de mots rares ou archaïsants, les noms étranges des personnages, le procédé du soulignement qui lave le mot des scories de la banalité, l'absence parfois de complément qui évite de fermer trop rapidement ce qui doit rester ouvert, permettent à la phrase de Gracq de dérouler! longuement ses vagues, de rebondir, de s'amplifier jus-J qu'à devenir une chambre d'échos qui libère le mystère plus qu'elle ne décrit un objet. Ainsi la vie se trouve-t-elle « remagnétisée ».



Gracq narrateur s'attache plus au détail significatif qu'aux vastes fresques afin de retrouver « la splendeur particulière et frappante de l'objet » (Au château d'ArgoT). Dès lors, l'explication symbolique ne pourrait qu'appauvrir l'ouvre, banaliser le « contingent-» qui! peut seul magnifier la vigueur de « ce qui est donné ».' Chez Gracq, deux types de personnages s'opposent - ou mieux se côtoient - : ceux qui abandonnent et désertent (l'ermite Trévizent qui choisit « la mort tranquille - la certitude » ou Marino, le vieux gardien du rivage des SyrteS), et ceux qui enrichissent la vie et donc leur vie (Perceval, ou Aldo qui réveille une guerre éteinte depuis trois siècleS). Gracq lui-même se pose en éveilleur quand il espère faire jaillir « quelque lumière même pour les yeux qui ne veulent pas encore voir » (Au château d'ArgoL).



Personnages, paysages



Un motif central autour duquel s'organisent la plupart des récits de Gracq orchestre cette volonté de vivre, c'est-à-dire de voir, de veiller, de guetter : l'attente ou le 1 suspens. Dans le Rivage des Syrtes, Aldo se sent de lai race des veilleurs, il vit « l'attente d'un guetteur » eti savoure le « charme de l'attente pure ». Tout récit de Gracq se dirige vers une fin qu'on appelle, qu'on se plaît à deviner, mais qui, de fait, ne vient pratiquement jamais, comme si la narration laissait le lecteur au bord de l'événement, se retirait avant la réalisation d'une action/ dont l'attente est le sujet même de l'ouvre.

L'attente aiguise les sens, porte à un point extrême les possibilités humaines de percevoir le secret du monde. Albert, seul à Argol, avant l'arrivée de Heide et d'Hermi-nien, électrise le château d'une tension spirituelle supérieure. Le narrateur de Un beau ténébreux a le sentiment de « la toute-puissance réserve des choses ». Attention est alors portée à tous les signes du monde qui laissent deviner l'existence d'une force omniprésente et envoû tante. Tout un univers étrange ou étranger se révèlel pendant le moment miraculeux de l'attente. Si rien] n'arrive le plus souvent, le désir reste, qui maintient l'homme vivant.

A cette vrille active répond la rêverie créatrice que Gracq définit, dans « les yeux bien ouverts », comme « un état de tension accrue, le sentiment d'une circulation brusquement stimulée des formes et des idées qui jouent mieux, qui s'accrochent plus heureusement les unes aux autres, facilitent le jeu des correspondances ». Moment précieux que celui où l'homme voit le monde : « Tant de mains pour transformer le monde, et si peu de regards pour le contempler ! » (LettrineS).

L'attente a lieu sur une frontièrei Les promenades, dans Un beau ténébreux se déroulent au bord de la mer, sur une « plage blême » ou dans un port désolé « avant-poste de la terre ». Grange, le héros de Un Balcon en forêt, sur les « lisières somnolentes » de la guerre, patrouille de nuit à la frontière belge : « Il lui semblait qu'il larguait ses attaches ; il entrait dans un monde racheté, lavé de l'homme, collé à son ciel d'étoiles de ce même soulèvement pâmé qu'ont les océans vides. » Description à laquelle fait écho l'évocation saisissante d'une excursion que fit Gracq dans sa jeunesse à la pointe du Raz, sentant soudain derrière lui l'Europe et l'Asie tout entières qui poussaient : « Je n'ai jamais retrouvé, ni là, ni ailleurs, cette sensation cosmique et brutale d'envol. » Lors d'un entretien radiophonique, Gracq confiera : « Ce qui me fascine, ce n'est pas tellement l'en-face, c'est la lisière, la bordure d'une terre habitée, si vous voulez. Évidemment, les confins, c'est une région qui m'attire beaucoup. » C'est sur le seuil, en effet, que s'opère l'expérience alchimique, déjà louée par les surréalistes, visant à la résolution des contraires : « Cette réalisation, écrit Gracq dans la préface au Château d'Argol, capable de faire disparaître l'opposition entre le sentiment du moi et l'existence du monde sensible, me paraît toujours la seule chose qui vaille la peine d'être recherchée. » La quête d'un centre d'équilibre portant les pôles opposés à un degré d'intensité inouïe concerne les personnages, les décors et envahit le langage lui-même. Gracq, dans la « fiche signalétique » de ses personnages (LettrineS) leur donne une nationalité « frontalière » et une situation militaire « marginale ».



Persévérer sur la limite, explorer son paysage et son secret, tel est finalement le rite. Tous les personnages de Gracq voyagent, en bateau comme Aldo, en train comme le narrateur du « Roi Cophetua », en voiture aussi comme Simon, le héros de la Presqu'île. Dans les Eaux étroites, le voyage en barque sur l'Èvre appelle de la part de Gracq un commentaire : cette excursion sans aventure et sans imprévu, permet, au gré des rencontres, d'évoquer Poe, Wagner, Balzac, Proust, Vermeer, Rimbaud, car l'émotion née d'un spectacle naturel se branche « sur le réseau - plastique, poétique ou musical - où elle trouvera à voyager le plus loin ». Promenades à pied enfin, pendant la marche, au contact de la sonorité et de la respiration d'une contrée (la Basse-NormandiE) ou d'une ville comme Nantes (la Forme d'une villE). Il prête attention à la couleur de l'air et à toute la texture du paysage, jusque dans ses accidents géographiques ou géologiques. Gracq, historien, se veut avant tout géogra-* phe (« mon maître Emmanuel de Martonne », > Lettrines 2). Si tous les personnages partent sur la route, l'ouvre elle-même devient avec le temps le véhicule du voyage : la typographie particulière qui clôt les Eaux étroites comme le premier volume de Lettrines évoque l'image d'une barque sur l'eau qui s'éloigne. Dans les dernières ouvres, le voyage est tout aussi réel que rêvé : « Le sentiment magique du voyage, qui est toujours uN) peu celui de la transgression [...], j'ai cessé aujourd'hui de le ressentir » (Lettrines 2).



Le rêve et la mémoire deviennent ainsi les seuls lieux du voyage enchanté, le paysage, en son fond, étant décor,| au sens théâtral du mot. Le théâtre, en effet, s'affirme comme l'horizon de tous les paysages et de tous les voyages. Lieu magique, c'est par lui qu'on entre dans « la vraie vie » (Un beau ténébreuX).



Impossible à localiser précisément, Julien Gracq se situe, dans la littérature du vingtième siècle, au sein d'une constellation dont les pôles majeurs ont pour noms Breton, Proust et Claudel. Son originalité, cependant, se jmesure à l'aune de la distance qu'il ne cesse de garder. Énigmatique lui-même, l'écrivain interroge et, sans jamais» rélucider, révèle l'énigme du monde. Tout son effort,! apparemment, vise à dégager simultanément la vérité de l'art et la vérité de l'homme. Mais cet effort trouve sa fin et son accomplissement dans l'affirmation, très moderne de sens, selon laquelle, comme le dit Gracq à propos de Jùnger, « le monde de l'art n'est pas notre monde », témoignant par là-même - et ici c'est à Breton qu'il renvoie - que « nous avons moins soif de vérité que de révélation ».



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