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Guizot et le « canapé doctrinaire »






Rentré à Paris après Waterloo, François Guizot fait figure, pendant plusieurs années, d'éminence grise du régime constitutionnel. Les ultras, impuissants à persuader Louis XVIII que les Cent-Jours ont eu pour cause les principes libéraux de la Charte, sont écartés du gouvernement. Guizot, nommé maître des requêtes au Conseil d'État en service extraordinaire, redevient secrétaire général d'un ministre - celui de la Justice, Etienne Denis, duc de Pasquier. Celui-ci, tête forte de l'équipe gouvernementale, très affairé, laisse souvent la bride sur le cou à Guizot, tout comme l'avait fait Montesquiou à l'Intérieur.





La justice doit s'occuper des excès royalistes du Midi. Guizot donne des instructions très fermes aux magistrats : il faut sanctionner avec la même rigueur les délits commis et pendant les Cent-Jours et pendant cette Terreur blanche : « La ligne de conduite que vous avez à suivre est fort simple : faire respecter les lois et les ordres du roi et punir tous ceux qui s'en écartent, quel que soit le prétexte de la désobéissance, tel doit être le but de vos efforts . » Les incidents graves dont le Gard notamment est le théâtre inquiètent particulièrement Guizot ; sa mère habite toujours Nîmes, où de nombreux protestants ont vu leurs maisons anéanties. Le roi, poussé par Pasquier, qu'inspire Guizot, signe une proclamation, le 1er septembre 1815, qui flétrit « cette odieuse entreprise [...], cet attentat contre nous et contre la France ».



Cependant, la chute de Talleyrand et l'arrivée au pouvoir de Richelieu risquent de redonner l'avantage aux ultras. Guizot n'en garde pas moins son poste de secrétaire général auprès du nouveau ministre de la Justice, Barbé-Marbois. On commence à remarquer cet adversaire des ultras, à l'intelligence dédaigneuse. Le 12 novembre 1815, des incidents éclatent encore à Nîmes, à la suite de la réouverture du temple protestant, bientôt saccagé par les catholiques. Le général Lagarde, envoyé pour rétablir l'ordre, est assassiné. A Paris, aussitôt les événements connus, le ministre de la Justice fait signer par le roi, le 21 novembre, aux fins d'arrêter les auteurs et complices de l'émeute, une ordonnance inspirée par Guizot : « Au mépris de la Charte constitutionnelle, qui reconnaît la religion catholique pour la religion de l'État mais qui garantit aux autres cultes protection et liberté, des séditieux attroupés ont osé s'opposer à l'ouverture du temple protestant [et tuer le commandant militaire] ; si un tel attentat restait impuni, il n'y aurait plus d'ordre public ni de gouvernement, et nos ministres seraient coupables de l'inexécution des lois. » La Chambre ultra s'émeut, dénonce Guizot derrière Marbois : le voilà repéré, objet de la haine des « royalistes ».

Le pays subit alors, outre les émeutes du Midi, une vague réactionnaire qui agite tous les départements. Des sociétés secrètes intriguent, dont la plus connue, les Francs-régénérés, suscite les violences. Guizot fait entériner par son ministre, le 5 février 1816, une instruction très ferme aux procureurs généraux, les engageant à ne tolérer aucune faction, aucun parti qui porte atteinte à la Charte constitutionnelle, sur laquelle repose la tranquillité de l'État.

Lors d'un remaniement ministériel, en mai 1816, Barbé-Marbois et Guizot sont sacrifiés par Richelieu. C'est à ce moment-là que commence à prendre forme le groupe doctrinaire, fi n'est pas très fourni. Charles de Rémusat, le benjamin de l'équipe, reconnaîtra qu'il tenait peu de place :



C'est un parti peu visible,

Et presque un être de raison.

Avant-hier quelqu 'un m'y présente

Le parti s'était attroupé,

Toute la faction pensante

Se tenait sur un canapé.



Guizot continue à tenir un rôle de conseiller officieux du gouvernement, non sans théoriser ses idées, comme le prouve la brochure qu'il publie alors, Du gouvernement représentatif et de l'état actuel de la France. Car en ces années 1817-1818, détaché des cabinets ministériels, mais toujours influent par ses avis, Guizot, qui n'a pas encore émergé sur la scène publique, est convaincu d'avoir à y jouer un grand rôle. Il a conscience d'être, dans le domaine des idées, un esprit supérieur - une certitude qui ne le rend pas très sympathique : il est volontiers dogmatique, distant, il tranche, ironise, juge. Mais il ne méprise pas ses cadets, traite le jeune Rémusat d'égal à égal, réunit chez lui les élèves de l'École normale, parle d'abondance, brille plus souvent qu'à son tour, devient un jeune maître.

Qu'est-ce que le parti, le canapé doctrinaire ? Une réunion d'intellectuels, comme nous dirions aujourd'hui, dont la base commune est l'esprit constitutionnel. Ils admettent les acquis de la Révolution, notamment l'égalité civile désormais entrée dans les mours, rejettent les nostalgies de l'Ancien Régime et la politique des ultra-royalistes. Leur aîné est Royer-Collard, très orgueilleux, très dogmatique lui aussi, qui lit ses discours d'une voix solennelle. Vient ensuite Camille Jordan, qui n'a pas l'esprit philosophique, mais dont le cour est simple et enthousiaste. Le comte de Serre, ancien émigré, est un ardent, tout dévoué à Guizot. Et puis Barante, homme d'esprit, homme d'affaires, formé par l'administration impériale. Le jeune duc de Broglie adhérera un peu plus tard après avoir été mis en relation avec Barante et Jordan par Mme de Staël. Rémusat suivra. Guizot domine. Deux traits les distinguent nettement des autres libéraux : ils sont quelque peu raides, ont des mours austères ; surtout, ils ne sont pas des individualistes, ils récusent le « laissez faire, laissez passer », et assignent au gouvernement un rôle important hors de ses attributions habituelles - le maintien de l'ordre à l'intérieur et aux frontières.

En 1817, Guizot et les doctrinaires ont leur organe mensuel, Les Archives philosophiques, politiques et littéraires. Pour eux, le principal danger est alors à droite. Ils s'accrochent à la Charte, fondement du régime constitutionnel, toujours prêts à protester contre ceux qui la violent. Ils forment une certaine gauche, respectueuse de la monarchie, fidèle aux Bourbons, libérale. Au long des articles que Guizot donne aux Archives, la doctrine s'affine.

La publication rapprochée de plusieurs ouvrages sur la Révolution" lui donne l'occasion de préciser sa philosophie politique. Au risque de scandaliser les royalistes, Guizot traite la Révolution de manière positive. On ne saurait la réduire aux excès et aux turpitudes qu'elle a provoqués. Il importe, écrit-il en substance, de distinguer l'ouvre libérale de la Révolution, fille des Lumières, du jacobinisme, cette résurrection de la raison d'Etat qu'il exècre tout comme Germaine de Staël. « Qu'on se l'avoue sans détours ; en tant que destructrice, la révolution est faite, il n'y a pas à y revenir ; en tant que fondatrice, elle commence. » Le fils du guillotiné de l'An II, nullement aveuglé par le malheur familial, sait reconnaître la vertu morale de la Révolution. Elle lui semble aussi importante pour les Temps modernes que le christianisme pour l'Antiquité. « L'ancienne France, écrit-il, a contre elle un fait qu'il faut bien compter pour quelque chose, c'est sa chute ; il me semble que la mort est un assez bon symptôme de maladie. »

Contrairement à Montlosier, qui dénonce dans la Révolution la haine du passé, l'égalitarisme, et le triomphe de l'individu, Guizot insiste sur l'esprit de justice que porte la Révolution et qui fonde la société moderne : égalité des charges, fin de la société d'ordres, admissibilité de tous à tous les emplois, liberté de conscience, liberté de la presse... Guizot, plus hardi que les autres doctrinaires, repousse toute nostalgie et considère la Révolution comme une source même de la monarchie constitutionnelle.

Rémusat, frais adhérent au parti doctrinaire, insiste dans ses Mémoires sur l'héritage révolutionnaire que revendique le groupe : « Ce qui caractérisait alors ce parti, c'était, chose qui étonnerait peut-être aujourd'hui, le vif sentiment qu'il montrait de l'égalité. En matière de liberté, il était loin d'être impatient de voir tomber toutes les barrières importunes au radicalisme. Mais il était pénétré de l'idée que le principal but et le résultat principal de la Révolution avaient été la création d'un nouvel état social et il en soutenait le principe et les intérêts contre toutes les prétentions de réagir contre le grand fait accompli. C'est peut-être sur ce point qu'il entrait le plus directement en lutte avec le parti royaliste. »



Contre les ultras qui ne désarment pas, Guizot, dans les Archives, mène campagne en faveur d'un gouvernement de gauche, rassemblant tous les libéraux. C'est chose faite lorsque Decazes devient le chef d'un gouvernement nettement hostile aux ultras, dans lequel les doctrinaires peuvent tabler sur le comte de Serre, garde des Sceaux.

La « sourde influence de M. Guizot », Pasquier dixit, devient prépondérante. En janvier 1819, Decazes crée un poste pour lui, une Direction générale de l'administration départementale et communale. Aiguillon d'un ministère qu'il harcèle de ses conseils et de ses injonctions (« ne dormez pas ! »), il livre sa prose, les Archives ayant cessé de paraître, aux journaux officiels - Le Moniteur ou le Journal des maires. 11 inspire le limogeage du personnel ultra au ministre de la Justice, procède à l'épuration ou à la mutation du personnel administratif : 14 préfets ultraroyalistes sont destitués, remplacés par des fonctionnaires impériaux. Son ami Barante a du mal à suivre, mais Guizot sait qu'une politique se fait avec certains hommes, et non avec d'autres. Pugnace, désireux d'en découdre avec les ultras, il préconise de nommer 80 pairs nouveaux pour changer la majorité de la Chambre haute, de doubler le nombre des députés, d'abaisser l'âge de l'éligibilité. Il faut le retenir par ses basques : « Mais, au nom de Dieu, pas de violation de la Charte ! », lui dit son ami Barante. Tout de même, on apprend, le 5 mars 1819, qu'une fournée de 60 pairs est décidée. L'homme devient dangereux. La famille de Rémusat s'émeut que son rejeton commence sa carrière dans son ombre. Inlassable, Guizot suggère maints projets de loi, sur le mode électoral, sur la liberté de la presse, sur l'administration départementale et communale, sur le jury et la législation criminelle... Le sens de la liberté le stimule, Benjamin Constant lui signifie son accord. Toutes les réformes préconisées par les doctrinaires ne passent pas, mais jamais ils n'ont fait autant sentir leur poids au Parlement et au gouvernement.



Guizot a alors l'idée de soutenir la politique gouvernementale par un journal. Ainsi voit le jour, le 21 juin 1819, sous la forme d'une société par actions, Le Courier, avec un seul r, en souvenir du journal anglais The Courier ; Royer-Collard, Barante et Guizot sont parmi les fondateurs, ainsi que le jeune Charles de Rémusat. « Guizot, écrit celui-ci dans ses Mémoires, sans avoir la peine de se la réserver, eut la direction suprême du journal. Lui seul avait de l'entrain et du temps de reste. Ce n'est pas qu'il y écrivît beaucoup ; mais il fit écrire par sa femme qui ne craignait pas le travail et qui ne haïssait pas la polémique. Il comptait aussi un peu sur moi, et, en effet, jeune, ardent, bouillonnant d'idées politiques que je croyais neuves, je fus certainement un des rédacteurs les plus féconds du Courier. »



Le Courier, défenseur du libéralisme gouvernemental, doit se battre sur deux fronts, contre les partis de droite, défendus par le Journal des débats, et contre les libéraux de gauche de La Renommée et du Constitutionnel. Le but est de fonder un grand parti national, attaché à la liberté, à la raison et à la justice, rassemblant tous les constitutionnels, face aux réactionnaires et aux révolutionnaires. Le ton du journal est docte, un peu méprisant, « il eut très peu d'abonnés, écrit Rémusat, encore moins d'approbateurs, et beaucoup d'ennemis. Somme toute, ce fut une tentative malheureuse ». Au bout de huit mois, il faut s'arrêter.

L'outrecuidance de Guizot déplaît. Decazes, un opportuniste, ne peut le suivre dans le registre des idées. Ce qui à son tour déplaît à son conseiller : « Le tort de M. Decazes, c'est de vouloir toujours de petits remèdes aux grands maux ; il croit que tout peut se guérir avec de la tisane5. » L'autre ministre, le comte de Serre, prend ses distances avec les abstractions de Guizot. A l'automne 1819, celui-ci perd de son influence.

L'élection de l'abbé Grégoire - ancien conventionnel, accusé faussement de régicide - le 11 septembre 1819, dans l'Isère, sonne comme un avertissement aux oreilles de Decazes, résolu à donner à son ministère une assise plus à droite. Le duc de Broglie, chargé de modifier la loi électorale, propose le double vote des électeurs les plus riches. Guizot s'insurge. Non seulement pour lui le danger est à droite, avec sa menace contre-révolutionnaire, mais, sur le plan des principes, il ne peut admettre l'inégalité entre les électeurs.

L'assassinat du duc de Berry dans la nuit du 13 au 14 février précipite, on l'a vu, le retour du balancier à droite. Decazes, dans l'immédiat, dépose des projets de loi d'exception, suspend la liberté individuelle, rétablit la censure. Guizot tente de l'en dissuader. Doctrinaires et libéraux ménagent néanmoins Decazes, dernier rempart face aux ultras. Mais la droite a finalement raison de lui. Guizot démissionne ; la Direction de l'administration est du reste supprimée ; il retourne au Conseil d'État, en attendant de reprendre son cours à la Sorbonne au début de décembre 1820 . L'expérience libérale est terminée.



Dès octobre 1820, il publie son premier livre important, Du gouvernement de la France depuis la Restauration et du ministère actuel. Il s'agit d'un pamphlet, mais, comme ce sera toujours le cas de ses livres polémiques successifs, d'un pamphlet enrichi de réflexion théorique. Même dans l'opposition, Guizot adopte le point de vue d'un homme de gouvernement. Dans ce bilan des premières années de la Restauration, il montre qu'une ligne politique sage - la conciliation de la monarchie restaurée avec l'héritage révolutionnaire - est brusquement remise en cause, et accuse le nouveau gouvernement d'agir, de parler, de voter « avec les amis publics ou secrets de l'Ancien Régime ».

Aux yeux de Guizot, ce qui se passe alors est un nouvel épisode d'une lutte des classes séculaire : « La Révolution a été une guerre, une vraie guerre, telle que le monde la connaît entre deux peuples étrangers. Depuis plus de treize siècles la France en contenait deux, un peuple vainqueur et un peuple vaincu. Depuis plus de treize siècles le peuple vaincu luttait pour secouer le joug du peuple vainqueur. Notre histoire est celle de cette lutte. De nos jours, une bataille décisive a été livrée. Elle s'appelle la

Révolution. »

Faire de l'histoire une histoire de la lutte des classes est une idée force que Marx, lecteur de Guizot, reprendra plus tard. Ces deux classes ou ces deux peuples - Guizot parle de « la superposition de deux classes sociales restées l'une en face de l'autre en position de combat » - se sont appelés « Francs et Gaulois, seigneurs et paysans, nobles et roturiers ». La Révolution a introduit la justice, l'empire de la loi morale, dans les relations entre citoyens. La victoire du tiers état est celle des classes moyennes, porteuses du principe universel du nouvel ordre constitutionnel : la liberté et l'égalité civile8.

Cette vision de l'histoire est aussi pour lui un programme politique : ce que Louis XVI n'a pas compris en 1792, Louis XVIII doit le comprendre en 1820 comme il semblait l'avoir fait en octroyant la Charte de 1814 ; l'avenir de la monarchie sera compromis s'il s'appuie sur l'ancienne aristocratie, sur les vaincus de la Révolution. La stabilité du régime repose au contraire sur l'appui des classes moyennes. Il appartient ainsi à la monarchie constitutionnelle de sceller l'héritage de la Révolution.

L'ouvrage de Guizot fait sensation ; la gauche applaudit ; la droite s'indigne, accusant le professeur Guizot d'encourager la guerre civile. Dans Le Défenseur, journal ultra, Bonald suggère que les théories de Guizot ont inspiré le meurtrier du duc de Bcrry, Louvel.

Le livre connaît plusieurs éditions en quelques semaines. Son succès éclate au milieu des bruits de révolte et de contestation en Europe et en France : depuis janvier 1820, l'Espagne de Ferdinand VII est au bord de la guerre civile ; Naplcs est en proie à l'insurrection ; le Portugal est en passe d'établir par une révolution la souveraineté populaire. Dans les trois cas, les Bourbons sont en cause. En France, les ultras sentent le danger d'une contagion révolutionnaire. Des sociétés secrètes se multiplient. Le 19 août 1820, une conspiration, tramée par des libéraux et d'anciens soldats de l'Empire, échoue ; les accusés ne sont que le fretin. Guizot, mobilisé de nouveau, fait paraître Des conspirations et de la justice politique, un réquisitoire contre le ministre de la Justice.

Une nouvelle société secrète se structure, la Charbonnerie, dont La Fayette est l'un des chefs. Sur le modèle des carbonari d'Italie, les charbonniers français, au nombre de 3 000 à 4 000, répartis dans les départements, hiérarchisés en petites assemblées - les « ventes » -, s'organisent sous la conduite d'un état-major et conspirent contre le régime. Cloisonnement, serment, messages oraux exclusivement... Plusieurs conjurations s'ensuivent : à Belfort, à Marseille, à Saumur, à La Rochelle, où quatre sous-officiers sont arrêtés (« Les quatre sergents de La Rochelle »), sans compter les faux complots fomentés par les provocateurs. Une dizaine de condamnations à mort sont prononcées. De nouveau, Guizot brandit sa plume, à la fin de juin 1822 : De la peine de mort en matière politique démontre au gouvernement comment il pourrait « se dispenser de tuer ».



La réaction gouvernante accroît sa rigueur par une nouvelle loi sur la presse, en août 1822 : obligation de l'autorisation préalable, remplacement du jury par le tribunal correctionnel pour les délits de presse, censure possible par simple ordonnance. Guizot lui-même est puni de ses attaques par la suspension de son cours à la Sorbonne, effet particulier d'un mouvement plus général de reprise en main de l'Université par le gouvernement.

Le régime impérial avait remplacé l'ancienne faculté de théologie de Paris par une nouvelle Sorbonne laïque, qui avait commencé à fonctionner en 1809. On a alors recruté des professeurs fort jeunes, comme Victor Cousin, autre victime de la purge ultra de 1822. Cousin était à vingt ans maître de conférences à l'École normale supérieure ; il remplace Royer-Collard dans sa chaire de philosophie en 1815, en attendant de devenir une sorte de directeur des études philosophiques sous la monarchie de Juillet, qui le fera ministre de l'Instruction publique. Cousin n'est pas un grand philosophe : confondant volontairement la philosophie et l'histoire de la philosophie, il prêchait l'éclectisme. Comme Guizot, il est libéral, et même membre de la Charbonnerie. Cousin et Guizot enseignent à la Sorbonne, l'un en philosophie, l'autre en histoire, une sorte de déterminisme qui fait du gouvernement représentatif et libéral l'aboutissement d'une évolution qui a rendu l'Ancien Régime obsolète. C'est donc l'enseignement libéral en Sorbonne qui est frappé par la réaction ultra à travers la suspension des cours de Cousin et Guizot. En même temps, l'École normale, pépinière d'opposants, est fermée.

La question scolaire et universitaire est donc devenue un enjeu politique central. Un gouvernement ne peut se contenter de diriger un pays par la force ; il lui faut gagner les esprits. Dès 1821, la Congrégation a fait main basse sur l'enseignement primaire, au moyen des Frères de la Doctrine chrétienne. Le Conseil de l'instruction publique est réorganise et mis sous tutelle gouvernementale ; les évêques ont à charge la surveillance des collèges. Le premier aumônier du roi, l'abbé Freyssinous, est nommé grand maître de l'Université.



Le combat politique est inséparable d'un combat des idées. Guizot, plus que tout autre, est convaincu du rôle nécessaire de l'instruction, de l'information, nous dirions aujourd'hui de la communication, dans la stabilité d'un régime constitutionnel. L'enseignement qu'il donne en Sorbonne, interrompu en 1822, repris en 1828, est indissociable de ses convictions politiques. L'histoire qu'il enseigne est philosophique, conceptuelle, et vise à démontrer le bien-fondé du système politique qu'il défend.

Résolument hostile à l'absolutisme, Guizot se défie tout autant de la révolution populaire. Or celle-ci s'appuie sur une idée, sur un dogme, difficile à éluder quand on s'est débarrassé de la légitimité monarchique, dynastique ou autre : le dogme de la souveraineté populaire. Idée, pour lui, on ne peut plus complice de la tyrannie ; on remplace un despotisme - celui du droit divin - par un autre, le peuple souverain. Il faut donc trouver une autre source de légitimité. C'est en lisant les Idéologues, et notamment Destutt de Tracy, qu'il trouve la solution : ce sera la souveraineté de la Raison. Celle-ci n'est le monopole de personne ; elle est diffuse dans la société : « La raison, la vérité, la justice ne résident nulle part complètes et infaillibles. Nul homme, nulle réunion d'hommes ne les possède et ne peut les posséder sans lacune et sans limites. » Il faut donc en capter les divers éléments. C'est la tâche du gouvernement représentatif. « Il existe dans toute société, écrit-il, un certain nombre d'idées justes et de volontés légitimes sur les droits réciproques des hommes, sur les relations sociales et leurs résultats. Cette somme d'idées justes et de volontés légitimes est dispersée dans les individus qui composent la société, et inégalement répartie entre eux en raison des causes infinies qui influent sur le développement intellectuel et moral des hommes... » La représentation, c'est donc pour lui la découverte, l'organisation, la concentration de tous ces éléments de raison privée dont on doit faire la raison publique. « C'est un procédé naturel pour extraire du sein de la société la raison publique, qui seule a le droit de gouverner. » Le système représentatif a pour objet « de recueillir, de concentrer toute la raison qui existe éparse dans la société ». Intervient alors la notion de capacité, qui est « la faculté d'agir selon la raison » ; le gouvernement représentatif est le gouvernement de la majorité des capables,0. Où trouver les capacités ? Il s'agit d'une classe, mais non d'un ordre ou d'un corps privilégié ; c'est un groupe ouvert, mobile.



Pendant cinq années, Guizot approfondit sa réflexion, continue son ouvre. Notamment, il s'attelle à une Histoire de la révolution d'Angleterre, depuis l'avènement de Charles Ier jusqu'à la restauration de Charles II, dont les deux tomes paraîtront en 1826 et 1827. Il donne son concours à plusieurs journaux, Les Tablettes universelles, fondées en 1822, Le Globe, lancé en 1824, où il fait par exemple l'éloge du général Foy, le 25 novembre 1826. Passé le sacre de Charles X, il considère que l'empiétement toujours plus évident des cléricaux et les abus de la réaction (la loi du sacrilège, le milliard des émigréS) vont réveiller la société. Il s'est rapproché de la gauche, des libéraux, des indépendants, Voyer d'Argenson, Benjamin Constant, Casimir Perier, tandis que les autres doctrinaires, les Broglie, les Barante, se rapprochent de la droite. Guizot figure sur la liste dressée par la police des individus dangereux pour le régime. La mort de sa femme et collaboratrice, le 1er août 1827, le tire de sa retraite studieuse".

A la tête d'un petit groupe renouvelé, Guizot entend relancer une opposition libérale dans le cadre de la légalité. Associés à des rédacteurs du Globe, à d'anciens carbonari, les doctrinaires fondent une société, « Aide-toi, le Ciel t'aidera », dont Guizot préside le bureau, aux côtés d'Odilon Barrot, de Prosper Duvergier de Hauranne, de Joseph Joubert, de Charles de Rémusat... Un manifeste ranime le courage des amis de la liberté, qui créent des comités locaux et préparent les élections. Des brochures sont diffusées, appelant les nouveaux électeurs à voter pour un candidat d'opposition unique. Cette propagande provoque l'émoi des préfets qui bombardent Paris de rapports inquiets. Les résultats électoraux de novembre 1827 sont une victoire pour Guizot et les siens. L'opposition libérale emporte entre 170 et 180 sièges, soit autant que les ministériels, tandis que la contre-opposition de droite, les « pointus » de Chateaubriand, en enlève 75. Villèle doit se résigner à la démission. Le 5 janvier 1828, Martignac devient président du Conseil.



Guizot n'obtient pas ce qu'il veut, à savoir un ministère de gauche, représentant la France nouvelle. Du moins, le parti national avait remporté une bataille. La société Aide-toi, le Ciel t'aidera continue ses travaux, suscitant des pétitions contre les fraudes électorales et autres irrégularités du scrutin : trois préfets sont mis à la retraite, une quinzaine d'autres sont déplacés. Guizot et ses amis poussent Martignac, qui louvoie, aux réformes nécessaires. Guizot redevient un conseiller occulte, quoique séparé du pouvoir. Au début de 1828, il fonde la Revue française, avec de Broglie, Barante. Y collaborent Rémusat, Villemain, Augustin Thierry, Duvergier de Hauranne... La même année, il reprend son cours à la Sorbonne, et se remarie avec la nièce de sa femme, Elisa, qui, comme sa première épouse, le seconde efficacement dans ses travaux, tout en lui apportant une petite fortune, base de l'aisance modeste dans laquelle vivra Guizot.

Charles X, de son côté, est décidé à se battre : les réformes votées sous Martignac, le recul du pouvoir clérical (les jésuites sont écartés de l'enseignement au même titre que les membres des autres congrégations autorisées, une nouvelle réglementation des petits séminaires est imposéE), la loi sur la presse qui supprime censure et autorisation préalable, appellent de sa part une contre-offensive. Sur un échec de projet de réforme administrative, le roi renvoie Martignac en août 1829 et fait appel au prince de Polignac.

L'extrême droite de nouveau au pouvoir, la société Aide-toi, le Ciel t'aidera reprend de plus belle ses activités. Guizot, à la fin de l'année, se lance personnellement dans la bataille électorale. Il a alors quarante-deux ans, est éligible depuis 1827. Une élection partielle lui permet d'être candidat à Lisicux, dans le Calvados. La partie n'est pas jouée d'avance. En Normandie, il est un « horsain », un étranger. Pis : dans ce pays d'élevage, catholique, plutôt paisible, on lui reproche d'être un protestant du Midi, du pays du vin, peu voué à défendre les eaux-de-vie et le cidre, à s'opposer aux importations de boufs étrangers. Mais Guizot reçoit l'appui sans nuance des chefs de l'extrême gauche, La Fayette, Dupont de l'Eure. Les libéraux jouent sur la crainte des propriétaires fonciers du rétablissement du droit d'aînesse. Guizot reçoit aussi l'appui de Chateaubriand, le duc de Broglie ayant demandé à l'écrivain une lettre de soutien l2. Le programme du candidat est vague (« maintien de l'ordre et du progrès dans la liberté »), refusant à se lier les mains d'avance auprès de personne. La campagne est ouverte le 20 décembre 1829 ; l'élection du 24 janvier lui donne la victoire au premier tour, par 281 voix sur 446 votants. Le parti doctrinaire exulte, l'extrême gauche applaudit. Guizot, député, entend bien contribuer au renversement de Polignac.



Étonnant parcours que celui de François Guizot, appelé dès son plus jeune âge aux affaires, travaillant de toute son intelligence et de toute son énergie à l'avènement sans restriction d'une monarchie constitutionnelle, fondée sur la France nouvelle qu'incarne la bourgeoisie. Renvoyé à ses travaux lors de la réaction de 1820, interdit de Sorbonne en 1822, il se retire dans l'étude, forge ses armes d'opposant dans le silence, reprend à quarante ans la lutte politique, anime une société légale comme un parti d'opposition, travaille à l'union des gauches, entre dans la carrière parlementaire, devient une des têtes de ces 221 opposés à Polignac et au roi, regagne enfin victorieux la Chambre après sa dissolution. Une activité intense, qui ne l'a pas empêché de produire quelques écrits majeurs d'histoire et de politique, sur le gouvernement représentatif, sur l'histoire de la France et de l'Angleterre, et de s'affirmer comme le philosophe politique de la France nouvelle, celle de l'avènement de la bourgeoisie.

Les libéraux vainqueurs de 1830 pensent que Charles X va s'incliner devant le verdict du pays légal. Ils se trompent : le cadet des Bourbons est convaincu que l'aîné, Louis XVI, a dû sa chute aux concessions auxquelles il s'est abandonné : « J'aime mieux monter à cheval qu'en charrette. » Son siège est fait : par les quatre ordonnances de juillet 1830, le roi déclare la guerre à la Chambre. Le régime représentatif que Guizot appelle de ses voux est décidément remis aux calendes grecques. La révolution fait les révolutionnaires ; ce sera le cas de Guizot, bien malgré lui.






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