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FÉNELON






Dans le chapitre consacré par nous à la pensée indéterminée de Bossuet, nous citions cette phrase de celui-ci : « Il y a des âmes qui se voient en chaque moment en état que leur pensée leur échappe. » Cette phrase s'applique aussi bien à la pensée de Fénelon qu'à celle de Bossuet. Fénelon, lui aussi, et avec une acuité de perception peut-être plus intense encore, sent son être qui, dans le moment même, lui échappe. Mais il sent aussi, presque simultanément, ce que Bossuet n'expérimente peut-être pas, le mouvement inverse, celui par lequel, avant de disparaître et d'échapper, le moment qu'on pressent est sur le point d'apparaître, de sorte qu'avant qu'il ne devienne actuel, on peut craindre - ou espérer - qu'il n'arrive pas. « Je ne puis jamais un seul moment, écrivait Fénelon, me trouver fixe et présent à moi-même pour dire simplement : Je suis. » Et il concluait : « Ma durée n'est qu'une défaillance perpétuelle. »





L'anxiété de Fénelon se rapporte donc aussi bien à l'existence de celui qu'il sera qu'à l'existence de celui qu'il a pu être. Ou, plus exactement encore, elle se rapporte à celui qui, pour ainsi dire en même temps, n'est déjà plus et n'est pas encore, c'est-à-dire à ce moi qui se perçoit parfois dans l'espèce de trou ou de vide se situant pour un instant infinitésimal entre les moments. Intervalles imperceptibles, souvent aussi indéfinissables, que certaines personnes expérimentent avec une intensité particulière, et qui ont pour caractéristique singulière d'être parfois très distincts, bien qu'on se trouve incapable de réellement les déterminer : « Je suis, dit encore Fénelon, celui qui n'est pas encore ce qu'il sera; et dans cet entre-deux que je suis, un je ne sais quoi qui ne peut s'arrêter en soi, qui n'a aucune consistance, qui s'écoule rapidement comme l'eau. » Ailleurs Fénelon dira encore : « Je me vois comme un milieu incompréhensible entre le néant et l'être. »



Ce qui est important dans cette dernière phrase, c'est que la remarque formulée par Fénelon est valable aussi bien pour l'être se situant entre son passé et son présent que pour celui qui se place entre son présent et son futur. Ceci implique une conception particulièrement rigoureuse de ce que les théologiens et les philosophes désignent sous le nom de création continuée. Pour Fénelon, comme pour beaucoup d'autres d'ailleurs, notre être qui, en fait, est toujours sur le point de mourir, est aussi, du même coup, un être qui est toujours en train de surgir dans l'existence. Il se découvre exactement entre deux vides. Son existence positive est extrêmement réduite. Elle n'a lieu actuellement que dans un instant infinitésimal, plus bref même qu'un battement de cour. Il ne se possède donc pas, il n'a pas le temps de prendre conscience de sa vraie vie. Celui qu'il avait été une seconde auparavant est déjà un étranger. Celui qu'il sera - s'il lui est donné d'avoir le moindre futur -, il ne le possède pas, il faut qu'il comble ce manque. L'être humain, pour Fénelon, n'est jamais, il n'est qu'une entité absente et qui se cherche.

Comme l'instant bergsonien, l'instant fénelonien se présente comme dépourvu de presque toute réalité. Cet instant, on peut le comparer, comme le faisait Bergson lui-même, au nunc fluens des anciens scolastiques. C'était pour eux la plus humble sorte de durée. Au-dessus d'elle s'établissaient, de la durée animale à celle des anges et de Dieu lui-même, toutes sortes de durées étagées. Ici, au contraire, dans l'horizon extraordinairement rétréci de l'âme humaine, il n'y a qu'une existence instantanée. Un simple moment actuel, où la conscience se découvre, sans qu'elle puisse relier ce moment à ce qui précède et à ce qui suit. Cette situation n'est pas sans rappeler quelque peu celle du cartésien se saisissant dans l'éclair du moment où il pense, avec abolition de tout le reste. La différence notable, cependant, c'est que le moment de conscience cartésien : « Je pense, je suis », est absolument positif et s'ouvre sur toutes les entreprises possibles du penseur. Mais l'instant fénelonien, il faut le constater, ne ressemble en rien à cette instantanéité conquérante. Il ne constitue même pas une halte, un lieu de repos suffisamment stable pour qu'on puisse y asseoir, si c'est nécessaire, sa pensée. Rien, non plus, chez Fénelon, de cette espèce de contentement profond qu'au siècle précédent un Montaigne, ou, au siècle suivant, les sensualistes, avaient éprouvé et éprouveront dans la découverte de leur existence personnelle. D'autre part, dans cette prise de conscience fénelo-nienne, le caractère essentiellement éphémère et menacé de la vie spirituelle ne ressemble pas du tout à l'élan qui, plus tard, chez Bergson, le soulèvera et le transportera. Aucune sorte de continuité n'existe pour Fénelon dans le cortège des instants qui se suivent. D'un côté, il est vrai, il y a bien quelque chose de vaguement prébergsonien dans la conception d'un instant qui n'est jamais fixe, qu'on ne peut jamais isoler totalement de ceux qui précèdent, comme de ceux qui suivent. Mais cette durée est l'inverse même de la durée bergsonienne. Elle ne consiste pas en un mouvement créateur et mélodique. Bien au contraire ! C'est une apparition fragile et précaire, sans cesse interrompue, sans cesse recommencée, et qui se fait - c'est le point le plus important - sur un fond de néant. Cette expression do!t être entendue dans toute la force expressive qu'elle comporte. Le fond dont il s'agit ici, le néant qui se trouve ici évoqué expriment ce qui est aussi peu bergsonien que possible, quelque chose comme une permanence négative. C'est sur un fond de non-être éternel que se découpe en chaque instant un fragment d'existence, en lui-même désespérément incomplet, qui apparaît, qui disparaît imprévisiblement. Et si l'on peut dire qu'il est dés-espérément incomplet en lui-même, en donnant au mot désespoir son sens originel de manque d'espoir, c'est qu'en effet le temps fénelonien a pour base un manque. Il est, dans ce sens, un des temps les plus désespérés qui soient; différent, en cela, du temps décrit par un Bossuet, où l'espoir joue au contraire un si grand rôle.



A cette absence « désespérante » de durée, chez Fénelon, se joint une absence correspondante de forme : « Donnez-moi une forme », disait Fénelon, implorant Dieu, « car je n'en ai aucune ». - « Défaites pour refaire », lui disait-il ailleurs. Fénelon se résigne à accepter indifféremment toutes les formes qu'il plaira à Dieu de lui donner. Il est tout prêt aussi à n'avoir qu'une pensée sans forme, du moins sans forme déterminée, et ce grand écrivain qui manie une des langues les plus pures qu'on puisse trouver dans l'histoire littéraire ne songe jamais, ne fût-ce qu'une seconde, à imprimer sa personnalité dans ce qu'il écrit, qui est d'une justesse de style merveilleusement impersonnelle.



Absence de forme, qui se révèle encore différemment, comme absence - consentie - de caractère, d'intention, d'affirmation de soi-même et de ses objets propres. Fénelon est l'être qui accepte le plus facilement du monde de renoncer à toute consistance. Comme Amiel plus tard, il consent sans résistance à passer d'une forme à l'autre, ou plutôt à accepter que les formes se succèdent en lui les unes aux autres sans fixer définitivement son esprit. Il n'a pas de système permanent de pensée. Protéisme, certes, mais protéisme dépourvu de toute passion, sauf quand la vérité lui semble menacée, et, dans l'ordinaire, se contentant d'un choix négligent, comme le ferait n'importe quel grand seigneur de lettres.



Enfin - trait essentiel - ce qui se remarque sans cesse chez lui, ou plutôt ce que lui-même sans cesse remarque en lui-même, c'est une défaillance, non, il va de soi, de la pensée, qui reste toujours incomparablement lucide, mais du sentiment de soi, si l'on entend par là non la claire et nette conscience de soi, un peu sèche, de Descartes, mais une certaine façon de se sentir être, façon chez lui souvent anxieuse, prête à s'interrompre, vite fatiguée de raisonner, et marquant les fléchissements par lesquels toute pensée est, quoi qu'elle en ait, plus ou moins obligée de passer. C'est dire que le glissement ici n'est plus un glissement protéen de forme en forme, mais un glissement de l'être au non-être, et cela, non par une chute brusque, mais, semble-t-il, par une baisse du tempo vital, par une fuite lucidement perçue, si imperceptible qu'elle fût, de la substance, par la conscience sans cesse présente, que garde le patient, de sa faiblesse ontologique. De la sorte, un singulier phénomène se manifeste. Cet écrivain merveilleux de souplesse, cette pensée si flexible et si apte par conséquent aux nuances les plus délicates, cette âme enfin si complexe et si naïve à la fois qu'elle ne se lasse pas d'être surprise par ce qui se cache et se révèle en elle, parvient, sans le faire exprès, à une espèce d'unification de sa vie mentale qui va jusqu'à la monotonie.

Unification ou uniformisation de l'informe. Uniformisation qui en arrive à estomper et même à annihiler sans résistance les distinctions parfois les plus fines - et qui, par conséquent, n'est pas loin d'établir dans la pensée, dans le sentiment, dans l'écriture, et sans doute aussi dans la routine de l'existence, une permanence négative. Le fond tend à se confondre avec le non-être, ou, du moins, à se faire si docile, si indifférent, si abstraitement résigné à n'être rien, qu'il devient impossible de lui trouver encore quelque vertu positive. C'est sur ce fond incolore, infiniment monotone, que se profilent, mais à peine, les moments vécus. Celui qui avait d'abord conçu sa vie - et toute vie - comme composée d'une infinité de brefs moments séparés égalise maintenant tout cela, sans trop le vouloir, ni ne pas le vouloir. Reste une paix sèche, obscure et languissante, une paix faite de privation, de résignation, de renonciation à tout espoir personnel. Là est la grande différence avec Bossuet, chez qui toute privation personnelle avive et rehausse la vertu d'espérance. Et là aussi, mais en sens contraire, réside la grande différence avec Mme Guyon, satisfaite, au fond, d'accéder à la nullité. Fénelon, lui, ne peut se déguiser à lui-même tout à fait, ne disons pas son désespoir, disons son manque douloureux d'espoir.



FÉNELON: TEXTES



Je ne suis pas, ô mon Dieu, ce qui est... Je suis celui qui n'est plus ce qu'il a été; je suis celui qui n'est pas encore celui qu'il sera; et, dans cet entre-deux que je suis, un je ne sais quoi qui ne peut s'arrêter en soi, qui n'a aucune consistance... (Traité de l'existence de Dieu, 2e partie, chap. 5.)



La non-permanence... (c'esT) la défaillance de l'être. (Ibid.)

Abandonnez-vous à cette vicissitude qui donne tant de secousses à l'âme, et qui, en l'accoutumant à n'avoir ni état fixe ni consistance, la rend souple et comme liquide pour prendre toutes les formes qu'il plaît à Dieu... C'est à force de changer de forme qu'on n'en a plus aucune à soi. (Lettres spirituelles, Ed. Gaume, t. 8, p. 663.)



Tout s'imprime. Tout s'efface. Cette âme n'a aucune forme propre, et elle a également toutes celles que la grâce lui donne. Il ne lui reste rien, et tout s'efface comme dans l'eau... (Explications des Maximes des Saints, art. XXX.)



Je ne puis expliquer mon fond. E m'échappe. (Lettres spirituelles, Ed. Gaume, t. 8, p. 589.)



Lorsque Dieu et tous ses dons se retirent de l'âme, l'âme éprouve un état d'angoisse et une espèce de désespoir. On ne peut plus se supporter, tout tourne à dégoût; on ne sait plus où l'on en est... (Instructions et avis sur divers points, XXIII.)



Alors tout devient peu à peu recueillement, silence, dépendance de la grâce pour chaque moment, et vie intérieure en mort perpétuelle. (Lettres spirituelles, Ed. Gaume, t. 8, p. 593.)

Pour moi, je suis dans une paix sèche, obscure et languissante. (A la Comtesse de Grammont, 8 novembre 1700.)





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