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FERDINAND OYONO - Le vieux nègre et la médaille - Commentaire






« - Le grand Chef dit qu'il est très content de se trouver parmi vous, qu'il dit merci pour le bon accueil que vous lui avez fait. Puis il a parlé de la guerre que vous avez faite ensemble contre les autres Blancs de chez lui... et il a terminé en disant que nous sommes plus que ses amis, nous sommes comme des frères, quelque chose comme cela...

Tout le monde se mit à applaudir, l'interprète rejoignit sa place.

Meka, mu comme par un ressort, se leva de son banc et fit un pas en titubant. 11 repoussa la main de son voisin qui voulait le retenir. Une rumeur monta du groupe des Noirs.

M. Fouconi réprima un mouvement d'impatience et parla à son adjoint qui regarda, atterré, Meka s'avancer au pied de l'estrade. Le Haut-Commissairce, amusé, l'encouragea d'un signe de tête puis se pencha vers M. Fouconi. Le Père

Vandermayer leur parla bas puis vint auprès de Meka. Les revers des mains de ce dernier l'éloignèrent avec un ensemble parfait. Le missionnaire devint écarlate au milieu de la salle.

Meka se mit à rire tout haut. Tous les Noirs l'imitèrent.

M. Fouconi se pencha par-dessus la table de l'estrade et parla au prêtre qui retourna à sa place.

M. Fouconi s'épongea le visage, s'inclina vers le Haut-Commissaire et appela l'interprète.

- Je voudrais dire quelques... quelques paroles au grand Chef des Blancs, dit Meka en mvema.

L'interprète traduisit. Le Haut-Commissaire sourit et parla à l'interprète.

Meka remonta son pantalon et se passa la langue sur les lèvres. Il parla longtemps, tout en regardant tour à tour le Haut-Commi ssairc et l'interprète.



Quand il eut terminé, l'interprète traduisit.

- Meka regrette de prononcer les paroles suivantes après quelques verres de vin, mais il y a un proverbe qui dit: «Si tu veux savoir ce qu'un ami pense de toi, bois quelques gobelets avec lui.»...

Tous les Blancs remuèrent. M. Fouconi s'épongea le visage. Le dessous du menton du Haut-Commissaire se gonfla et se dégonfla. L'interprète reprit:

- Meka demande si vous pouvez venir manger avec lui le bouc que son beau-frère lui a apporté pour célébrer la médaille que vous lui avez donnée. Il le dit parce que depuis que les Blancs sont ici, il n'a jamais vu un Blanc inviter un indigène ni un indigène inviter un Blanc. Etant donné qu'ils sont maintenant des amis ou plus que cela comme le grand

Chef l'a dit, il faut bien que quelqu'un commence. Le Haut-Commissaire et son adjoint applaudirent les premiers. Les autres Blancs les imitèrent. Le Haut-Commissaire pinça le bout de son nez entre le pouce et l'index. Il se leva. M. Fouconi recula sa chaise. Le silence fut complet dans la salle. L'interprète, immobile au milieu de la salle, buvait les paroles du Haut-Commissaire. »

(Paris, UGE, 10/18, 1956, p. 118-120)



Né le 14 septembre 1929 à Ebolowa, Province du Sud (CamerouN), Ferdinand Léopold Oyono poursuit ses études commencées au lycée de Yaoundé au lycée de Provins (FrancE), à la Sorbonne (droiT) avant d'entrer à L'école nationale d'administration (ENA) de Paris, section diplomatique. C'est entre 1956 et 1960 qu'il écrit les trois romans qui l'ont consacré, pour se dédier exclusivement à ses devoirs de diplomate: ambassadeur du Cameroun à l'ONU de New York, en Algérie, Lybie, Grande-Bretagne, Scandinavie...

À partir de 1987 il participe à de nombreux gouvernements de son pays et se retrouve à la tête de différents ministères comme les Affaires étrangères ou la Culture.

Ses romans feront scandale dans cette période de décolonisation par l'image qu'il offre du Cameroun à l'époque coloniale: administration, police, Église, missionnaires, avec ironie et surtout un humour corrosif.



Ouvre:



- Une vie de boy (1956)

- Le vieux nègre et la médaille (1956)

- Chemin d'Europe (1960)



Le vieux nègre et la médaille relate les aventures du vieux paysan sud-camerounais, Meka, que l'administration coloniale décide de récompenser pour son «dévouement»: naïf, il sacrifie sa famille: il donne ses terres aux missionnaires, pour l'Église, et ses fils, qui sont tues à la guerre, à l'armée. La cérémonie tourne au spectacle de cirque, le symbolisme du cercle de chaux dans lequel Meka doit se tenir signe sa non-appartenance aux deux mondes: au sien et surtout à celui des Blancs. Une série d'événements le conduisent en prison, où il est brutalisé, humilie (il a perdu sa médaille dans la tornadE) et lui font voir l'écart entre les propos humanistes du haut commissaire et les tristes réalités de la colonisation. La solidarité africaine qui l'entoure à la fin du roman, contrepoint politique avec la fierté retrouvée du peuple colonisé, est une réponse et un signe d'espoir.



Commentaire suivi



Le fragment présente la fête du 14 juillet et de la remise de la médaille organisée par le commandant Fouconi, l'administrateur en chef, en présence du Haut-Commissaire; l'absence du nom de celui-ci renforce sa fonction. Il sera présenté à l'audience, Blancs et Noirs, comme le grand Chef, par l'interprète. Il traduit les paroles du Haut-Commisaire qui, politiquement correct, diplomatiquement poli, exprime son contentement de se trouver là et remercie de l'accueil qui lui a été réservé. Il rappelle la guerre et la participation d'égal à égal des Noirs à cette confrontation en terre étrangère (contre les autres Blancs de chez luI) et, hypocritement, les appelle plus que des amis, des frères. L'interprète semble en douter, car il ajoute: quelque chose comme cela... Le discours fini, tout le monde applaudit (les boissons ayant certainement quelque chose à voir dans cette foi en l'entente universellE).



Meka, sous l'impulsion d'une confiance naïve, se lève (mu comme par un ressorT) et veut s'approcher, en titubant, de l'estrade des personnages officiels. Une légère commotion se produit, son voisin voulant le retenir (dont il repousse la maiN), dans la rumeur du groupe des Noirs, surpris par cette audace. Le commandant Fouconi, anxieux, réprime un mouvement d'impatience et, plein d'inquiétude, atterré, se consulte avec son adjoint. Le Haut-Commisaire, amusé, l'encourage. Le père Vandermayer, après consultation avec les trois (leur parla baS) veut l'arrêter, mais il est repoussé sans façon par Meka (ses revers des mainS). La déconfiture du prêtre (il devint écarla/E) et son indécision sur ce qu'il devait faire sont résolues par Fouconi qui le fit retourner à sa place.



L'anxiété de Fouconi et l'excès de boisson (s'épongea le visagE) le font suer mais, obéissant au désir du Haut-Commissaire, il fait venir l'interprète, car Meka s'adresse à son public, Noirs et Blancs confondus, en mvema (le dialecte le plus parlé de Doum, le village de Meka au Sud du CamerouN).



Meka se donne une assurance avant de commencer son petit discours: il remonta son pantalon et se passa la langue sur les lèvres. Il parle longuement, en regardant le Haut-Commissaire, et l'interprète, pour voir s'il est bien suivi. L'interprète traduit le regret de Meka de parler après quelques verres de vin et le proverbe illustrant le vieux adage "in vino veritas". La réaction des Blancs est immédiate: ils remuèrent, Fouconi s'éponge encore le visage, le dessous du menton du Haut-Commissaire se gonfla et se dégonfla. Ce que Meka veut transmettre à ce dernier, c'est une invitation à venir manger le bouc (don de son beau-frère pour la célébration en famille de la remise de la médaillE). Meka exprime tout haut son étonnement, car jamais jusqu'à ce jour, un Blanc [n 'a invité] un indigène ni un indigène [...] un Blanc. Comme on vient de leur affirmer l'amitié, plus que cela, la fraternité, il faut que quelqu'un fasse le premier pas.



Le discours est suivi d'applaudissements (les Blancs les premiers, sur le signal donné par le Flaut-Commissairc et son adjoinT). Le Haut-Commissaire est visiblement dans l'embarras (pinça le bout de son nez entre le pouce et l'indeX), Fouconi recule sa chaise, préparé à tout et le silence complet dans la salle traduit parfaitement l'attente curieuse, anxieuse de l'assemblée. L'interprète, que sa position place entre Blancs et Noirs (symboliquement, ici, seul, debout, immobile au milieu de la sallE), position aussi avantageuse que pénible, buvait les paroles du Haut-Commissaire. Poliment, celui-ci refuse, naturellement. «Mais qui de vous a rencontré la main d'un Blanc dans un même plat de nourriture ?» (p. 123).



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