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Défense et illustration de la prose française






1968-1983: de l'«ère du soupçon» au «plaisir du texte»

DE JEAN-PAUL SARTRE À CLAUDE SIMON



Prix Nobel de littérature 1985, Claude Simon est revenu, dans son Discours de Stockholm, sur les divergences qui l'opposaient à Jean-Paul Sartre, prix Nobel (refusé) en 1964: «Qu'avez-vous à dire?» demandait Sartre. Autrement dit, «quel savoir possédez-vous?». Et Claude Simon d'opposer la technique au message, et l'écriture et son opacité à la transparence sartrienne. À un regard rétrospectif, les choses apparaissent moins simples. Tout se passe comme si on ne cessait d'opposer à l'auteur de Qu'est-ce que la littérature? les propositions sur le roman du Sartre critique de Faulkner, Dos Passos, Mauriac, Camus, Ponge, Renard..., dans la NRF d'avant-guerre, en oubliant que c'est lui qui les a formulées. Situations! à Situations]!, et aussi La Nausée (avant-guerrE) aux Chemins de la liberté (après-guerrE). C'est bien plus sûrement Alain Robbe-Grillet qui dit vrai, quand dans Le miroir qui revient, premier tome de ses Romanesques, il écrit: «Du point de vue de son projet, l'ouvre de Sartre est un échec. Cependant c'est cet échec qui, aujourd'hui, nous intéresse et nous émeut. Voulant être le dernier philosophe, le dernier penseur de la totalité, il aura été en fin de compte l'avant-garde des nouvelles structures de pensée: l'incertitude, la mouvance, le dérapage» (il y revient dans un article du Voyageur en 2001 ).





On se rappelle la célèbre conclusion de l'article sur François Mauriac: « Un roman est écrit par un homme pour des hommes. Au regard de Dieu qui perce les apparences, sans s'y arrêter, il n'est point de roman, il n'est point d'art, puisque l'art vit d'apparences. Dieu n'est pas un artiste; M. Mauriac non plus»: c'est bien ce Sartre-là, celui de La Nausée, qui a su penser ce que Nathalie Sarraute a nommé l'«ère du soupçon», et dont tous les écrivains du nouveau roman sont les héritiers dans leurs ouvres comme dans leurs discours théoriques (Claude Simon lui-même est en phase avec la «temporalité chez Faulkner»)-Par une sorte de ruse de l'histoire, via les nouveaux romanciers (Pour un nouveau roman, de Robbe-Grillet, et sa charge contre les «notions périmées», en 1962), Sartre, qui, après-guerre, ne fut pas un grand novateur, domine le début de notre période, c'est lui qui a imposé les leçons de la modernité (outre les romanciers étudiés par le critique, Joyce, Proust, Kafka, CélinE) et balayé le roman psychologique à la française (modèle Adolphe, histoire bien ficelée et cour humaiN), ou le si mal nommé roman balzacien - il serait plutôt zolien... Il faudra un moment à Tel quel pour conquérir l'hégémonie, imposer d'autres références théoriques, une autre histoire littéraire, d'autres modalités du soupçon (entre les deux, un lien sous-estime: le premier Barthes, qui, dans Le Degré zéro de l'écriture, ne fait que reformuler sous le nom d'«écriture» alors pensée comme engagement de la forme, les questions de Situations II dans les termes de Situations I).

Gilles Deleuze le note dès 1964: «Tout passa par Sartre non seulement parce que philosophe, il avait un génie de la totalisation, mais parce qu'il savait inventer le nouveau.» Sans Sartre, une ouvre comme celle de Claude Simon aurait sûrement attendu des décennies pour être reconnue. A l'inverse, l'influence (à supposer que le mot veuille dire quelque chosE) directe du philosophe-écrivain est faible, hors de ses proches (Violette Leduc, André GorZ), sinon peut-être chez le jeune romancier de L'Extase matérielle, qui fait littéralement irruption en 1963 avec Le Procès-Verbal, une sorte de Nausée solaire, et qui multipliera les livres importants (du Déluge à La GuerrE) jusqu'à sa conversion au début des années 1970 (DéserT) à une inspiration très conventionnelle (à la Saint-ExupérY). J. M. G. Le Clézio dont on peut relire la préface de La Fièvre: «La poésie, les romans, les nouvelles sont de singulières antiquités qui ne trompent plus personne, ou presque. Des poèmes, des récits, pour quoi faire? H ne reste plus que l'écriture.» Fiction & Cie, dira Denis Roche en 1973. Comme est faible, dans ces années-là, hors théâtre, hors la revue Minuit, et hors du statut... de statue du commandeur, le x poids de Samuel Beckett, prix Nobel de littérature en 1969 (à mi-parcours entre Sartre et SimoN).



LE PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE

Si, laissant provisoirement de côté les écrivains qui sont proprement de cette époque (1968-2001) qui nous occupe (de Sollers et Perec à Houellebecq ou Cadiot, via Modiano, Quignard ou EchenoZ), nous examinons, de bien avant Sartre aux «nouveaux romanciers», la trajectoire des écrivains des décennies qui précèdent, une constante apparaît: le souci auto-biographique (à la LeiriS) ou autofictionnel (à la ProusT) - dont la chute dans le domaine public -, la masse de travaux qui l'accompagnent, le passage à la critique génétique de nombre d'anciens structuralistes, est un des événements de ces années. Sans même évoquer le Malraux des Antimémoires et de La Corde et les Souris. 1968 voit paraître de superbes Ecrits intimes posthumes de Roger Vailland, Michel Leiris donne en 1966 et 1976 les deux derniers tomes de La Règle du jeu (on en retrouve la trace inattendue récemment chez le Nourissier à'A défaut de génie, 2000) puis Le Ruban au cou d'Olympia et Langage tangage, Jean Genêt signe quasi à l'instant de sa mort un Captif amoureux digne de Chateaubriand, Henri Thomas nous livre avec Une saison volée les débuts du collège de Pataphysique puis Le Poison des images, Raymond Queneau avec Les Fleurs bleues une fable psychanalytique. Jean Cayrol se demande s'il était une fois Jean Cayrol (1982), Pierre Klossowski, après Les Lois de l'hospitalité, nous fait de plus en plus les hôtes de sa relation à Roberte, Louis Calafcrte publie ses carnets, Louis-René des Forêts s'engage dans une entreprise qu'il décrit comme sans fin sur les «épiphanies» d'une existence: Ostinato (1997).

Là encore, domination de Sartre. La question, issue selon mille médiations de la mort de Dieu (qui n'était pas un romancieR) à la fin du siècle précédent, qu'il s'est à lui-même adressée dans Les Moti (et dans le corpus massif des entretiens de la fin de sa viE), qu'il pose à l'orée de son gigantesque et ultime opus l'Idiot de la famille: «Que peut-on savoir d'un homme aujourd'hui?», est celle de ces trente ans, comme une basse continue qu'on retrouvera - sous le rapport des écritures à l'histoire de la bibliothèque comme à l'Histoire tout court - dans les «vies brèves» des uns, les «autobiographèmes» de l'autre, les «identités rapprochées multiples» de Sollers, le Journal roi de Renaud Camus ou dans Sujet Angot, etc. Même problématique chez les romanciers de «l'ère du soupçon», qui sont passés au tournant de 1968 par une période «formaliste» (tentative de fédération par Jean Ricardou, colloques de CerisY): après une phase ludique qui le voit jouer avec les stéréotypes, Alain Robbe-Grillet publie les Romanesques, autobiographiques {Le miroir qui revient, Angélique ou l'Enchantement, Les Derniers Jours de CorinthE), Nathalie Sarraute nous livre son Enfance, Robert Pinget s'invente en quatre volumes un double, Monsieur Songe, à qui il fait tenir ses carnets, enfin Marguerite Duras avec L'Amant remonte à la source de son imaginaire. Elle livre ensuite divers volumes dont le matériau vient de sa vie: La Douleur autour du retour de Buchenwald de Robert Antelme, La Vie matérielle, puis elle déborde la littérature, mettant au point un modèle social d'écrivain, dont Annie Ernaux ou Christine Angot se souviennent aujourd'hui. Claude Simon revient en spirale sur ses premiers livres avec Les Géorgiques, L'Acacia, Le Jardin des Plantes. Mémoire et avant-mémoire. Évidemment, on peut y adjoindre le Roland Barthes par Roland Barthes, les Fragments d'un discours gmoureux ou La chambre claire, d'un Barthes théoricien du «biographème » en préface de Sade, Fourier, Loyola.

On a souvent voulu voir dans ces livres un reniement de «l'ère du soupçon», de son refus de l'anecdote et des sécurités de l'identité du personnage, une version chic du vieux «roman à clefs», on l'a confondu avec la vague des confessions médiatiques. J'inclinerai plutôt à y voir, comme Robbe-Grillet ne cesse d'y insister, une façon de porter plus avant ce soupçon, sur ce qui reste quand on a tout déconstruit: la personne sociale de l'auteur, le titulaire de l'état civil, le moi. Après avoir interrogé le personnage, tous jouent avec le «pacte autobiographique» (Philippe Lejeune"), avec les paradoxes de «l'autofiction» (Serge Doubrovsky 7). Les plus radicaux sont le fils de Mauriac, Claude {Le Temps immobilE) et des enfants de Valéry, qui ont appris à lire dans Monsieur Teste et les Cahiers: Pierre Pachet, Jean-Louis Schcfer. Daniel Oster surtout, disparu prématurément en 1999, qui multiplie les faux écrits intimes d'écrivain : Dans l'intervalle, Stéphane, La Gloire, Rangements. Tirant jusqu'à leurs termes, comme seuls les écrivains d'Europe centrale - Musil, Wittgenstein -ou un Pierre Bourdieu théoricien de «l'illusion biographique» -, les conséquences existentielles de la mort de Dieu. vie et mort de Tel quel

A l'exception d'Aragon {Blanche ou l'Oubli, lui Mise à mort, Théâtre roman, Je n 'ai jamais appris à écrire ou les incipit, La Défense de l'infini, l'immense inédit posthume en 1986 qui inclut Le Con d'IrènE), qui l'a «accompagné» dans ses livres et dans les Lettres françaises qu'il dirige jusqu'en 1972 , on peut avancer que les parcours des grands prosateurs que je mentionnais n'ont pas été sensiblement infléchis par la jeune littérature du temps. Littérature du temps? Je veux dire Tel quel qui dure de 1960 à 1983 et qui détermine et surtout, mot d'époque, surdétermine toute l'évolution du roman français jusqu'à 1998 sûrement. Michel Foucault le remarque dès le début lors d'un colloque de Cerisy -, qui lui-même rejouait contre Mallarmé ou Apollinaire le romantisme allemand. Dans sa structure d'abord: groupe, chef de file, revue, éditeur unique. Dans son programme d'une «théorie d'ensemble» (1966: «Une théorie d'ensemble pensée à partir de la pratique de l'écriture demande à être élaborée»). En témoigne le sous-titre de la revue à compter de 1966: «Littérature, philosophie, science politique». Impossible de rentrer ici dans les étapes successives, mais il y a toujours eu des alliances avec philosophes Althusser et Lacan (Marx et FreuD), Derrida (HeideggeR), et théoriciens de la littérature (Roland Barthes qui avait accompagné le nouveau roman, surtout Alain Robbe-Grillet, Julia Kristeva, introductrice avec Tzvetan Tbdorov des formalistes russes en France. Dissimulées par d'autres alliances, politiques : le PCF puis les maoïstes autour de Mai 68 dans une première phase de radicalisation progressive où le texte et le monde semblent pouvoir se confondre, ensuite avec la droite giscardienne après 1974 quand il est clair qu'il n'en est rien. Projet: changer le monde et la vie. Surtout la littérature, pensée avec Jacques Derrida comme «écriture textuelle», plus souterrainement avec Heidegger, encore plus dans la seconde phase, celle du désengagement politique. Acmé: Le Plaisir du texte, théorisé par Barthes en 1973 comme une nouvelle possibilité d'«écriture»; loin du simple congédiement des «notions périmées» du vieux roman, c'est la langue elle-même qu'il s'agit de toucher, par le «texte de jouissance» opposé au «texte de plaisir» - ce au moment où la dissociation s'opère entre une expérience «mystique» de la littérature (H, Paradis publié en feuilleton dans la revuE) et des engagements séculiers successifs (qu'il ne faudrait, j'y reviendrai, pas confondre avec le «maoïsme» ou le «christianisme» de SollerS).



A défaut, 1968 est la cassure, de changer le monde et la vie, le groupe Tel quel non seulement a produit des ouvres de premier plan (tous les livres de Philippe Sollers, Compact, de Maurice Roche, Pierre Guyotat dans les marges (Tombeau pour cinq cent mille soldats, Eden, éden, édeN), mais aussi (surtout ?), a bouleversé la bibliothèque dans la continuité du surréalisme (Lautréamont, Sade: interdit encore dans les années 1960, il est entré dans la pléiadE) du nouveau roman (JoycE), mais aussi Artaud et Bataille (tout deux passés, via un mémorable colloque de Cerisy en 1973, de la clandestinité aux Ouvres complèteS ), ou même fait lire dès i960 des contemporains immédiats comme Pierre Klossowski ou Francis Ponge. À noter enfin que chaque étape, chaque virage du groupe Tel quel, qu'il soit littéraire, politique, ou littéraire et politique, a comme généré un autre groupe dissident, une autre revue, un autre chef de file : on peut énumérer, à des degrés divers de dépendance, les revues Digraphe de Jean Ristat - qui mixe Aragon et Derrida - ou Change de Jean-Pierre Faye - dominé par Jacques Roubaud ; on en peut retrouver des traces dans l'actuelle Revue de littérature générale, Minuit, dirigée par Mathieu Lindon (Savitzkaya, Guibert, on y trouve les toutes premières publications d'EchenoZ) - ou les Editions des femmes (CixouS). Egalement, les collections «Textes-Flammarion» qui deviendront POL après un passage chez Hachette, ou, déjà nommée, «Fiction & Cie» de Denis Roche (mêlant auteurs français et étrangerS), qui demeurent aujourd'hui encore des laboratoires du nouveau.



1983-1998:

Ménard, Don Quichotte, Borges.

Au-delà du soupçon

DU CHEMIN AUX BRÈVES LITTÉRATURES



1968, mai: «Printemps rouge» (SollerS). En avril, il a publié deux livres, Nombres et Logiques, un roman, un recueil d'essais où il noue tous les fils de «l'expérience des limites» qu'il entend poursuivre («elle se trouve nécessairement du côté de l'action révolutionnaire en cours», chaque section de Nombres se clôt sur un idéogramme chinoiS), et il trace le «programme» d'une histoire «textuelle», scandée par des ouvres de rupture (Dante, Sade, Mallarmé-Lautréamont, Artaud-BataillE). Jamais il n'a été aussi loin dans la fusion (imaginairE) de l'Histoire et de « littérature. J'ai l'intuition que la (premièrE) scène primitive de notre présent eut lieu là, quand donc Philippe Sollers assigna à la littérature de «sortir de la scène représentative» - bien au-delà des jeux du nouveau roman avec le récit - pour inclure dans .a langue le «réel historique constamment actif». On sait que après mai, le monde a continué son cours, sans se fondre dans les avancées de la bibliothèque... Ce qui se passe alors est, toutes proportions gardées, comparable à l'implosion de la philosophie de Hegel après sa mort, en 1831. La célèbre fiction de Jorge Luis Borges Pierre Ménard, auteur du Quichotte, avec les trois personnages théoriques qu'elle nous prête, nous permet d'y voir plus clair. Mai 68: plus discrètement, dans la collection «Le Chemin», est paru le premier roman de Michel Chaillou Jonathamour, une rêverie sur le roman d'aventures à la Stevenson. «Le Chemin»? une collection dirigée chez Gallimard par Georges Lambrichs qui compte alors dans ses rangs Klossowski Le Clézio, Butor, Guyotat, Starobinski, le Raymond Roussel de Michel Foucault ou un poète comme Michel Deguy, tous marginaux modernes des diverses avant-gardes. Une revue, Les Cahiers du chemin, qui dure de 1967 à 1977 et qui constitue une sorte d'extrême gauche esthétique de la vieille NRF (qui sombre après le décès de Paulhan dans le plus total académisme, dont on atteindra le fond avec l'affaire des «moins-que-rien» en 1998), tout en étant plus flâneuse que Tel quel. B ne me semble pas exagéré de dire que c'est là, dans cette nébuleuse sans chef de file, que s'élabore durant les années 1970 et 1980 l'une des trois sorties françaises de l'hégélianisme des avant-gardes.



Au Chemin, pas de «théorie», pas de «progressisme». Mais la conviction que là où il y a une langue il y a de «l'extrême contemporain» (ChailloU ), et aussi qu'il n'y a pas nécessairement contradiction entre le soupçon sur le récit exploré par le nouveau roman ou le travail sur la langue qu'expérimente Tel quel et le fait de proposer un monde et des «récits». B ne s'agit pas de faire «marche arrière», de régresser vers une «innocence» qu'aucune littérature ne connaît, mais de réouvrir l'histoire des formes. De retrouver d'autres lignes de légitimités, d'autres longueurs d'onde, de raviver d'anciennes généalogies pour inventer . Après Jonathamour, Chaillou traversera le vers classique (Collège VasermaN), l'Astrée d'Honoré d'Urfé (Le Sentiment géographiquE) ou Montaigne (Domestique chez MontaignE), de nouveau le roman d'aventures (La Vindicte du sourD), puis Pouchkine (La Rue du capitaine Okhanski, roman russE), etc. Son manifeste pourrait être La Petite Vertu, une «anthologie de la prose courante sous la Régence», dont pas un mot n'est de lui... Autant que Chaillou, Pascal Quignard (derrière le brouiBage dû à deux romans à succès et à des scénarios, malgré son actuelle «yource-narisation» précoce...) pourrait dans la durée personnifier cette façon collective de faire son lit dans la langue des autres. De ses premiers travaux sur Maurice Scève, Sacher-Masoch ou Lycophron en 1968, dès son Lecteur, jusqu'à ses récents romans qui mêlent Port-Royal, le Japon médiéval et la Rome d'Auguste (Les Tablettes de huis d'Apronenia Avitia, Alirucius, Tous les ?natins du fitoudE). «J'écris pour être lu en 1640»: sa devise, clin d'oil à Stendhal plus qu'au Flaubert de la modernité, dit bien cette histoire infinie dans laquelle se situent ces auteurs. Comme l'inconscient, selon Freud, la fittérature ignore le temps. Et dédaigne le siècle XIXe. Surtout: dans les huit volumes des Petits Traités, d'où cette sentence est tirée, Quignard a réinventé, sur le modèle des Vies brèves de John Aubrey, Anglais du XVIIe siècle puis de Marcel Schwob - mais tout autant après Voragine ou Vasari, et avec Michel Foucault -, le genre de la «vie brève», un genre qui pourrait bien être l'un des grands apports formels de ces gens à la littérature. Mlle de Scudéry, Spinoza, Littré, Longin..., dix autres: sur chacun, Quignard assemble ce que Barthes en 1971, dans Sade, Fourier, Loyola, nommait des «biographèmes», détails, goûts, inflexions, «dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin»: à des années-lumière du nouveau roman, dans une étonnante proximité poétique à la sociologie de Bourdieu et à son refus de l'«illusion biographique», il s'agit de faire sentir l'énigme de «tout destin», l'unité problématique de chaque existence, la multiplicité trouée de toute singularité. Lnportance capitale, à ce propos, de Pierre Michon, de P«autobiographie perpendiculaire» des Vies minuscules, comme des «biographies obliques» qui suivirent: Vie de Joseph Roulin, Maîtres et Serviteurs, surtout Rimbaud le fils. Et de Patrick Mauriès et des livres du Promeneur, petite maison d'édition, depuis intégrée chez Gallimard, qui de cette esthétique a fait un projet éditorial.



A cet Au-delà du soupçon, on peut évidemment rattacher des poètes: Jacques Roubaud, scribe contemporain de la matière de Bretagne, des troubadours et des surréalistes, théoricien-historien de la poésie française (La Vieillesse dAlexandre, La Fleur tnverse, Soleil du soleiL), Michel Deguy et son Tombeau de Du Bellay, Jude Stefan, poète latin, ou le «néoclassique» Jean Ristat, des romanciers, des essayistes tel Gérard Macé, ou un peu Pierre Pachet, etc. Florence Delay, parlant de Robert Desnos, formule ce qui pourrait être, autant que celle de Quignard, leur devise partagée: «J'appelle moderne ce qui me coupe le souffle et ancien ce qui me le donne». Son Aie aie de la corne de brume (1975) est un roman d'amour courtois qui se déroule dans le quartier du Sentier à Paris, lors de l'élection présidentielle de 1974. Le titre renvoie au flamenco, et la composition à Gertrude Stein. L'Insuccès de la fête (1980) dissimule anamorphiquement un manifeste moderne dans la relation fiévreuse de quatre jours du poète de la Pléiade Jodelle. À compter de 1990, Chaillou dirige chez Hatier «les Brèves de la littérature française», une histoire qui sera exclusivement l'ouvre d'écrivains. «Une sorte de roman dont les auteurs sont les personnages, les ouvres la conversation éternelle, Sainte-Beuve et Contre Sainte-Beuve réconciliés dans une sorte de sociologie poétique {Petit Guide pédestre de la littérature du XVIe sièclE). Une vingtaine de titre paraîtront avant que l'éditeur n'interrompe la collection. S'il fallait à ces écrivains, qui sont «de la lecture» comme ceux de Tel quel le furent «de l'écriture», un saint patron, ce serait sans hésitation Pierre Ménard, le héros de la célèbre «fiction» de Borges, qui, à côté de son ouvre visible, réécrit le Quichotte à l'identique au XXe siècle. Pierre Ménard, pour qui l'ancien est l'avenir du nouveau: réécrire le Quichotte dans un autre champ, selon une énonciation différente, revient à composer un livre neuf, qui dit autrement le monde.



DE MANCHETTE À ECHENOZ



1968: pourquoi ne pas hisser le drapeau rouge sur la Série noire ? Tandis que Tel quel répète l'expérience surréaliste de l'impossibilité historique de la liaison entre une littérature autonome à l'extrême et l'introuvable révolution sociale, une seconde manière pour les écrivains de se situer «au-delà du soupçon» commence, qui va parvenir à pleine maturité aux alentours de la charnière de 1983, lorsque c'est le champ littéraire tout entier qui explose: dans l'apesanteur théorique se mettent à flotter ensemble, comme des monnaies ou des épaves, littérature de recherche et culture de grande consommation. Les protagonistes de cette seconde voie sont les écrivains du «néopolar»-Héritiers de Léo Malet, le père de Nestor Burma, compagnon de route des surréalistes, peintre de Paris - un roman par arrondissement -, plus que de Georges Simenon, ils le sont surtout des Américains, Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Les stéréotypes du genre leur paraissent pouvoir être réinvestis pour raconter et dénoncer un capitalisme à l'agonie (nous sommes dans les années Pompidou - Cause du peuple; ils sont les contemporains exacts du journal LibératioN), puis l'histoire enfouie, dissimulée, honteuse de la France contemporaine, les « trois pla' cards» (selon SollerS): Vichy, Algérie, mai 1968.



Le plus important de ces auteurs est imbibé de situation-nisme (O dingos, ô châteauX), a réfléchi sur le terrorisme (NadA), et s'appelle Jean-Patrick Manchette; ses meilleurs livres: Fatale, Le Petit Bleu de la côte Ouest, la Position du tireur couché... En 1976, Manchette cesse de publier, se consacre à des travaux de traducteur (Robert Littell, Ross ThomaS) et de critique et théoricien du genre (ChroniqueS). Très vite, le rayon initié par Manchette dans la bibliothèque se divise en deux: ici des écrivains qui maintiennent l'intention politique de départ mais dont la littérature n'est jamais la question: au premier rang, Didier Daeninckx et son obsession des «trois placards», qu'incarne un personnage comme Papon (Meurtrespour mémoirE) ou Thierry Jonquet, hanté par la Shoah et l'histoire du communisme (Les orpailleurs, Rouge c'est la vie. Dupasse faisons table rasE); de l'autre côté, on peut sûrement classer les livres de René Belletto (Revenant de la recherche au roman populairE), mais nul doute qu'à lui tout seul et avec ses quatre premiers romans11, Jean Echenoz, qui a donné ses premiers textes à la revue Minuit, est le romancier de cette seconde voie (sacré par Le Monde «romancier des années 80»). Dans le sillage de l'auteur du Petit Bleu, qui l'adoube d'ailleurs à l'occasion de Cherokee, il s'impose à première vue comme le maître du polar parodique, de l'aventure ludique (L'Equipée malaisE), du roman d'espionnage détourné (ImC), du «malaise dans la fiction»: un air de soupçon, une allure de second degré et de n'en penser pas moins - l'impératif critique maintenu, intégré - tout en racontant à nouveau les histoires très compliquées, très inachevées, très enchevêtrées, de la vie contemporaine. Mais à la différence de Manchette, son propos n'est pas politique, et sa politique littéraire (sa stratégiE) fort dissemblable: en guerre contre les genres majeurs, la légitimité des avant-gardes (qu'il cite et connaît très bieN) et leur complicité avec l'ordre du monde, Manchette se tournait vers le populaire et le dominé. Chez Echenoz, point de hiérarchie. Dans ses romans d'une complexité formelle et d'une densité de composition - souvent microscopique, Poétique - inépuisables, les éclats de culture sont tous sur le même plan comme le sont les débris du monde. Un paragraphe de Lac Peut mêler souvenirs du Coup de dés et de L'Education sentimentale et c'ichés policiers. A la limite le polar est l'instrument d'un classicisme analogue à la règle des trois unités dans la tragédie classique.



On mesure le trajet parcouru : contemporain des jeux de Boris Vian avec les genres mineurs (J'irai cracher sur vos tombeS), dartre se divertissait avec la Série noire, Robbe-Grillet la relevait otâce à Odipe (Les GommeS), ou la manipulait de haut (La Maison de rendez-vous, 1965, Projet pourune révolution à New York, 1970) Manchette même était dans le second degré. Echenoz, lui, n'est jamais «plus malin» que son matériau, même s'il n'en est «pas dupe». Tous les héritages sont présents mais jamais dominés. Tout ce qui permet de vivre, voilà la bibliothèque. Résultat: un réalisme paradoxal qui naît d'une immersion totale, rousselienne dans le langage, les cultures et leurs contraintes. Depuis 1990 cette manière a connu son aboutissement, et sa mise en abyme. Après quatre livres qui faisaient le tour de la paralittérature et mettaient au point une écriture virtuose, une littérature «fractale» comme il le disait récemment de Flaubert, Jean Echenoz publie en 1992 Nous trois, «second premier roman», redémarrage à zéro -le zéro quasi pascalien de vies prises entre tremblement de terre et voyage interplanétaire. Nouveau tournant en 1999, avec Je m'en vais: à travers l'histoire d'un galeriste choisissant les valeurs sûres de l'art «primitif», surprenant retournement de la plus «contemporaine» des écritures contre l'art contemporain. En 2001, dans son bref hommage à Jérôme Lindon, qui est aussi un anti traité d'esthétique, Echenoz prend imaginairement la place du «père du père» (BecketT). C'est vrai que, depuis 1983, ils sont légion à pratiquer l'écriture Echenoz aux Editions de Minuit ou ailleurs: Patrick Deville, Alain Sevestre, Patrick Lapeyre, Christian Oster, Christian Gailly, Gérard Gavarry, Eric Laurrent, Tanguy Viel... Sa mise en abyme: en 1990, dans un livre de science-fiction qui dit adieu au «ghetto-SF», Antoine Volodinc, auteur de quatre livres en «Présence du futur», fait l'éloge polémique et ambigu de la «littérature des poubelles» contre la littérature dominante, blanche: Lisbonne, dernière marge est un puissant «tombeau» des avant-gardes, politiques et littéraires, à scénario terroriste allemand (BaadeR) et littéraire lusitanien (PessoA). D'autres livres suivent, qui complcxifient la donne jusqu'à Des anges mineurs. Anticipation chez Volodine de ce que, comme naguère le polar, la SF est devenue la littérature «naturaliste» de notre temps d'après la chute du mur, la guerre du Golfe, Internet. Pour qualifier l'écriture de Michel Houellebecq, qui ne dissimule pas sa dette envers Lovecraft ou Huxley, Dantec parle de «science- fiction du quotidien». Exemple: Maurice G. Dantec lui-même avec ses extraordinaires Racines du mal en Série noire, et ses moins convaincantes prophéties (Théâtre des opérations, Laboratoire de catastrophe généralE) désormais accueillies dans la collection «blanche». Ou Mehdi Belhaj Kacem et sa revue au titre cronenbergien: EvidenZ, ou les romanciers de Ligne de risque.



On peut trouver la chronique de cette évolution (d'une littérature de genre subversive à la littérature tout court, novatrice, quand à son tour la première a «fait son temps») dans le rassemblement posthume des Chroniques (1976-1995) de Jean-Patrick Manchette (1996), et son passage à l'acte dans Noces d'or, le livre publié lors du cinquantenaire de la Série noire: le «code Stéphane» (Mallarmé et sa PléiadE) sert de code clandestin aux personnages. Pourquoi ne pas baptiser cette attitude la tendance Don Quichotte? Les uns partent de la bibliothèque et s'en vont rejoindre le réel, les autres habitent le réel éclaté, aplati, télévi-|gé, de la fin du XXe siècle, éberlués d'être en même temps dans les débris de la bibliothèque. Comme l'hidalgo partait à l'aventure, la tête farcie des romans de chevalerie, ils enfourchent le roman populaire du temps... «Littérature des poubelles», autre «dépôt de savoir et de technique» (Denis RochE).



DE JEAN RICARDOU À RENAUD CAMUS



Pierre Ménard («du neuf avec du vieux») et Don Quichotte («du neuf avec de l'usagé») se croisent chez Jorge Luis Borges; d'autres encore, entreprennent de faire du neuf avec les paradoxes du livre et du monde à la manière de ce dernier. Dans la lignée de Jean Ricardou - à l'apogée de Tel quel, revenant au nouveau roman et tentant de le formaliser et de le fédérer dans de mémorables Colloques de Cerisy publiés en 10/18. Et «influençant» les meilleurs livres de Claude Simon, le Robbe-Grillet «non réconcilié» de la postface à La Maison de rendez-vous, ou Claude Ollier. Qui à leur tour vont peser sur François Bon, déjà cité, et la pratique qui est encore la sienne aujourd'hui des «ateliers d'écriture», Alain Nadaud, ses fables borgésiennes étirées et sa revue Quai Voltaire, Marie Redonnet (dès le début, mais aussi à l'époque de ses grands petits livres: Silsie, Nevermore, Candy storY). Surtout l'écrivain considérable qu'est Renaud Camus. «À la fin des années 60 si lourdement théoriciennes, le plaisir du texte est apparu comme un grand soulageaient. A la fin des années 70, si pesamment dilettantes, une tentative de théorisation est appréciable à condition qu'elle prenne en compte la réalité du dilettantisme.»

Ami de Roland Barthes, qui le promeut et le préface, disciple de Ricardou, il se constitue tout de suite en fils de la littérature: Barnabooth, Bouvard et Pécuchet, Pessoa... Dès ses deux premiers livres, qui se donnent pour remplis de citations «tirées d'écrits antérieurs de l'auteur» autant que des grandes ouvres du nouveau roman (Simon, DuraS). «La représentation continue», annonce la bande. Des quatre volumes des Eglogues au milieu des années 1970, une ouvre de plus de vingt volumes est sortie, qui ressuscite des genres oubliés (miscellanées, élégies éloges, répertoirE), mais aussi le roman historique, pour fantasmer à neuf - sur fond lusitano-centre-européen - l'Histoire et le roman (Roman Roi, Roman Furieux, Voyageur en automne: un pays, la Caronie, naît d'un récit, un écrivain, Odysseus Hanon, naît de ce lieU) et le journal (onze tomes à ce jour, du Journal romain aux Nuits de rame: une vie naît d'une écriturE). «Un peu d'écriture éloigne du monde, mais beaucoup y ramène.» En marge de l'entreprise: Tricks (1979), qui propose bien après Genêt, bien avant Catherine Millet, une nouvelle écriture de l'(homO)sexualité. À Barthes par Bartbes, qui l'a lui-même pris à Pascal, Camus emprunte pour désigner son rapport aux récits et au textes, à toutes les manières du langage déjà là, la «bathmo-logie», ou «science des échelonnements de langage». Il lui a consacré un traité: Buena vistapark (1980), qui, autant que lo Petite Vertu, de Chaillou, ou les Chroniques de Manchette, est un des plus sûrs manifestes littéraires de ce temps. À proprement parler, Camus est sûrement le seul auteur français à avoir à l'histoire de la bibliothèque et à l'Histoire tout court un lien «postmoderne» (très «américain», à la Barth ou BarthelmE), qui échappe à l'archive (QuignarD) comme à la mélancolie (EchenoZ).



On a pu, à propos de ces écrivains, parler de «postmodernité». Oui si on considère Queneau et Nabokov comme les archétypes de la chose. Non, si le mot désigne l'alibi «intellectuel» du roman de consommation, ou l'habit neuf d'une avant-garde retournée : l'histoire aurait fini par finir... en vestiaire; aucun ne la considère comme tel. A travers ces personnages de Borges, c'est tout simplement «l'héritage décrié de Cervantes» (Milan Kundera, L'Art du romaN) qui revient de trois manières. En 2001, elles se sont à demi évanouies, et à deiru dissoutes (dans la... troisième livraison de la Revue de littérature générale: la Bible «des écrivains»).



1998-1983: métamorphoses de Lazare : Au-dessous du texte

RÉHABILITATIONS



1983: après la publication en volume de «l'abstrait» paradis, qui le fut d'abord en feuilleton dans la revue, une longue coulée de langue, Philippe Sollers fait paraître chez Gallimard un gros roman «figuratif», Femmes (le premier d'une série de romans-chroniques; dernier paru: Passion simplE), saborde Tel quel et fonde L'Infini. Femmes fait événement par les «tombeaux» qu'on y trouve de grands théoriciens qui ont accompagné Tel quel: Barthes, Althusser, Lacan. Encore aujourd'hui controversé, ce roman du champ littéraire (fort peu bourdieusieN) fait date dans celui-ci, puisqu'il clôt non seulement vingt-trois ans d'aventure intellectuelle, mais un siècle de liaison des deux fins littéraire et politique, le rêve de Joyce et Lénine se tenant par la main, l'époque «avant-garde» de la modernité... Seconde scène primitive: c'est incontestablement de ce passage de Sollers de l'«avant-garde à l'avant-scène» des médias, et du Seuil à Gallimard, qu'on peut dater les traits du paysage auxquels je faisais allusion au départ. Je renvoie à ce que je disais pour commencer de cette grande année 1983, qui est également celle du prix Médicis attribué à Cherokee, de Jean Echenoz, et de Roman Roi, le livre «caro-nien» de Renaud Camus. En ce début des années 1980, «hussards et grognards» et... revanchards, s'appuyant sur le Wall Street Journal (siC), nous expliquent que la littérature française était définitivement morte de l'ère «glaciaire» (Jean-Paul AroN) traversée et qu'il ne restait plus qu'à se réchauffer au soleil du vrai roman à histoires venu d'ailleurs (c'est le moment où les littératures étrangères arrivent de plein droit dans le champ littéraire françaiS). Dans un champ «déboussolé», tout semble pouvoir arriver (souvenons-nous des allers-retours de Pascal Quignard, °u du passage de Danièle Sallenave de la descendance de Claude Simon à La Vie fantômE).



Ces années sans boussole sont également celles d'un fece-à-face aujourd'hui un peu oublié, celui du Tout sur le tout et du rien sur le rien. Le Tout sur le tout: en rééditant, en polémique contre l'état des lieux, ce titre d'Henri Calet, et d'autres écrivains méconnus ou oubliés des années 1950 (Raymond Guérin, Paul Gadenne...) ou 1930, (l'immense Emmanuel BovE), un petit éditeur (relayé alors dans Le Monde des livres par Raphaël Sorin, qui sera en 1998 chez Flammarion «l'extenseur du domaine de Houcllehecq»...) lance la mode des «réhabilitations» tous azimuts, d'auteurs «morts au champ d'honneur littéraire»: Gallimard crée la collection «L'imaginaire», Grasset «Les cahiers rouges», Albin Michel «La bibliothèque Albin Michel», etc. Contestable cause (ressentimenT), excellent effet (résurrectioN). Redeviennent contemporains des écrivains oubliés: Paul Léautaud, Alexandre Vialatte, André de Richaud, Jean Reverzy, Jean Forton, Georges Hyvernaud, rùigcne Dabit, Pierre Herbart, Irène Nemirovsky..., et les vivants Henri Thomas, Béatrice Beck, Louis Calaferte (dont on reprend l'erotique SeptentrioN). Porté paradoxalement par cette vague, on assiste au retour de Bernard Frank, réédité perpétuel, «escroc rentier de sa jeunesse», et, dans ses chroniques, analyste hors pair de la France dite profonde, celle que Sollers nommera «moisie» dans Eloge de l'infini. Puis c'est la réhabilitation des hussards, surtout d'Antoine Blondin, de Roger Nimier, de Jacques Laurent et de leur rapport à l'Histoire (Anne Simonin l'a bien montré: le «roman historique» est leur «écriture», qui permet de la rendre contingente, et de dédouaner certains d'entre eux de leurs compromissions vichysteS). Puis des écrivains de la collaboration: le duo Morand-Chardonne, Cocteau (lui l'était depuis longtempS), bientôt Pierre Drieu La Rochelle (son Journal, des biographieS), directeur de la NRF sous l'occupation, ami de Malraux, de Paulhan, d'Aragon, qui pourrait bien un jour figurer le noud du siècle littéraire français tout entier...

Le rien sur le rien; sous l'invocation emblématique de La Littérature et le Droit à la mort, de Maurice Blanchot, et en symétrie au Tout sur le tout, se développe toute une modernité négative (j'emprunte le mot à Emmanuel Ilocquart, qui l'a disséquée dans la poésiE) qui voit la littérature aller inexorablement vers sa fin, soit par épuisement interne (Roger Laporte: Une viE), soit par verdict de l'Histoire: la fiction, sinon l'écriture, serait impossible après Auschwitz. Auschwitz? derrière la littérature, c'est la société française qui fait son anamnèse: de 1975 (Emile Ajar: Im Vie devant soi; Georges Perec: Wou le souvenir d'enfance; Pierre Goldman: Souvenirs obscurs d'un juif polonais ne en FrancE) à 1985 (Claude Lanzmann: ShoaH). Souterrainement, dans ce rapport à l'Histoire, plus qu'«au-delà du soupçon» et bien «au-dessous du texte», se joue autrement le destin de la prose française. On se souvient que sa présence dans le texte obsédait le premier Barthes, tant par sa matière (Michelet par lui-mêmE) que par son inscription à l'insu de l'auteur dans les mots (ce qu'il nommait dans la première partie de son ouvre, je l'ai rappelé, l'écriture en opposition au stylE). Chez Sartre elle intervient en «situation», elle s'absente «apparemment» du nouveau roman pris en bloc; Sollers ne la connaît qu'«historiale» (préface à logiques, 1968, préface de Im Guerre du goûT), les «écrivains de fa lecture» à travers le filtre des langages et de l'archive. Reste mCz l'exception de Claude Simon (de La Route des Flandres, 1960, à L'Acacia, 1989), et de Pierre Guyotat (Tombeau pour cinq cent mille soldats, 1967, Eden, éden, éden, 1970) aucun auteur ne semble l'avoir pris à bras le corps, disons banalement comme «sujet». Même si elle leste le soupçon (confirmation 2001 : La Reprise, d'Alain Robbe-Grillet, dans les ruines de BerliN).



«Écrire après auschwitz»



Le rien sur le rien donc: cette ironie car, paradoxalement, il revient à un écrivain, certes résistant mais qui ne fut pas déporté - il fut même avant la guerre, puis au début, engagé à l'extrême-droite -, d'incarner la voix (la voiE) lazaréenne dans la littérature française. Et de la nier au même instant. Pour dire l'état de l'écriture à son «degré zéro», pour désigner la suspension de l'adhésion à l'Histoire, Barthes a recours au mot de blancheur: sans jeu de mots, Maurice Blanchot est l'écrivain blanc par excellence dans ses romans énigmatiques qui tournent autour de la mort (Thomas l'obscur, L'Arrêt de mort, Le Très Haut, Le Dernier HommE) comme dans ses essais sur la littérature, qui répètent l'opération de Heidegger sur Hôlderlin sous le patronage de Hegel, la fin de l'art, la mort tapie dans le mot. D'un Hegel lecteur de Mallarmé: «Quand je parle, la mort parle en moi.» «Où va la littérature ?»... «La littérature va vers elle-même, vers son essence qui est la disparition.» Figure totémique de ce courant qui transite à la gauche des Temps modernes par Critique, la revue de Georges Bataille (1948), et Les Lettres nouvelles «e Maurice Nadeau (1953), cet auteur sans visage est le Mr Hyde de la littérature française, le double de négativité, la doublure de néant de tous les règnes successifs de Sartre, du nouveau roman, de Sollers et Tel quel. À l'enseigne de la fin se retrouvent d ailleurs d'autres écrivains qui n'ont pas connu l'expérience concentrationnaire mais la rejoignent par l'extrême des situa-bons où ils se placent, tous assujettis à une expérience qui n'est pas que formelle: leur ouvre ne peut se lire que dans cette lumière noire. De Georges Bataille (l'érotisme, approbation de la vie jusque dans la morT) à Samuel Beckett, via Louis-René des Forêts {Le Bavard, Pas à pas jusqu'au dernieR) ou Pierre Klossowski... On peut parler d'un véritable collège invisible. Appendice: on peut y adjoindre quelques livres directement issus de l'après-Mai 68 : Robert Linhart {L'ÉtablI), Leslie Kaplan (qui dit L'Excès-L'usine dans une langue creusée qui vient de Blanchot et de Duras, avant de trouver son volume propre dans Le Pont de BrooklyN) ou François Bon {Sortie d'usinE), qui évoluera par la suite vers une sorte de naturalisme populiste. Paradoxe dans le paradoxe: plus l'après-guerre se prolonge, plus Blanchot se rapproche de la guerre et des camps, sans lesquels son extrémisme mallarméen d'origine ne peut pourtant être pleinement compris: c'est seulement après 1968 (1969, L'Entretien infini, 197; L'Ecriture du désastrE), en 1983 lors de la réédition du Ressassement éternel, qu'il déclare «qu'à quelque date qu'il puisse être écrit, tout récit désormais sera d'avant Auschwitz». Formule qui joue en France un rôle analogue à l'interdit en Allemagne attribué à Adorno, et qui connaît donc vers 1983 en France sa fortune nihiliste maximale.



«La fin est là d'où nous partons», écrivait, à l'inverse, le beaucoup plus méconnu Jean Cayrol: «J'étais un fidèle lecteur de Kafka et puis j'avais des renseignements sur ce qui m'attendait», écrit le romancier catholique qui fut déporté à Mauthausen, dans un livre autobiographique de 1982. Il reformule là autrement ce qui déjà faisait le cour de son manifeste de 1950: Lazare parmi nous. Dans les textes «lazaréens» se croisent et se démultiplient modernité et expérience historique, l'une donnant sa pleine résonance à l'autre, comme Kafka au camp, ou le camp à Kafka. De façon inattendue, Cayrol cite l'abbé Prévost {Manon LescauT) et moins bizarrement L'Etranger, d'Albert Camus. A l'appui de sa thèse, outre les livres de Cayrol lui-même (de Je vivrai l'amour des autres, prix Renaudot 1947, à ses romans des années 1980, via Les Corps étrangerS) ou le film Nuit et Brouillard, qu'il réalise avec Alain Resnais à l'intemporel présent, il faut mentionner les témoignages, qui sont beaucoup plus que des «témoignages», de David Rousset {Les Jours de notre morT), Charlotte Delbo {Le convoi du 21 janvieR), ou Robert Antelme {L'espèce humaine, sur le camp de BuchenwalD)12. L'Espèce humaine réajuste la littérature selon la prévision cayrolienne: au camp «les travestissements d'un style, les parodies, les fausses parures, en un mot le bric-à-brac romanesque tombaient d'eux-mêmes, une ouvre se jugeait gomme un homme». Pour sortir de «Balzac», «Auschwitz» a fait «utant que Faulkner ou Joyce. Loin d'interdire, «Auschwitz» «contraint» à l'invention: voir Perec.



GEORGES PEREC



Depuis sa «disparition » prématurée en 1982, la gloire posthume de Georges Perec est en effet sans équivalent, de l'édition savante (le moindre inédit publié et commenté, la croissance exponentielle de la bibliothèque perecquiennE) à la culture de masse (Je me souviens, devenu en 1989 une sorte de nouveau questionnaire de ProusT). Longtemps considéré comme un sociologue flaubertien et humoriste (Les Choses en 1965), disciple de Queneau, puis comme le technicien hors pair d'une sorte de littérature en kit, démontable et remontable à merci, sans ombre ni reste (le puzzle de La Vie mode d'emploi en 1978), virtuose du palindrome et du lipogramme, oulipien au carré, tendance Vermot et mots croisés, il a désormais totalement changé de statut dans la culture hexagonale, à cause des relectures de ses textes au miroir de W ou le Souvenir d'enfance, en 1975. C'est que les quatre zones entre lesquelles il avait coutume de partager son ouvre (autobiographique, sociologique, romanesque, ludiquE) sont désormais hiérarchisées: l'autobiographie surdétermine les trois autres. W et ses deux niveaux, la fiction et l'impossible exercice de mémoire {W, dans les sous-textes duquel on a pu découvrir des fragments des Corps étrangers de CayroL), fait figure de microcosme de l'ouvre.

A l'écrivain «démocratique» (Claude BurgeliN), qui livre à qui veut les prendre les secrets de sa fabrique, s'est ajouté l'auteur universel, «juif polonais né en France» orphelin pour cause de nazisme, qui a trouvé dans le fait de s'agripper au petit « de l'alphabet le moyen ni plus ni moins que de vivre après qu'est passée sur son enfance «la grande hache de l'Histoire». Les plus audacieuses des combinatoires ont été «déclenchées» par l'expérience intime du vide, du crime et de l'effacement du crime. Tant La Disparition (le roman sans «e») que La Vie mode «emploi sont à prendre - aussi - au sens fort, et leur force est egalement que, de ce qui les fait être, elles ne parlent pas. Perec est absolument, en un sens non fortuit, un écrivain de l'après-guerre, d'après le génocide (tout le programme de Perec est d''ailleurs énoncé en clair dans une série d'articles parus dans Partisans autour de 1960, bien avant Les Choses, et consacrés à une critique «de gauche» du nouveau roman adossée au livre de Robert AntelmE). Derrière Roussel, Rousseau. Sous l'Oulip0 l'anamorphose d'Auschwitz. Il revient à Bernard Magné d'avoir mis au jour les mécanismes exacts de l'articulation des deux vertiges, les «ancrages».

Conséquence: à l'heure du décès de l'avant-garde, non seulement Georges Perec rend caducs par son existence mêrne les lieux communs passés, via Maurice Blanchot, dans la doxa cultivée, sur l'impossibilité d'écrire après Auschwitz, mais en outre il rend vains par sa puissance narrative tous les «retours à» et les «retours de». Il est le prototype, je renvoie à Julien Gracq, de l'auteur qui cumule situation et audience, à la fois Jules Romains et Franz Kafka... Mieux: il apparaît, aujourd'hui, avec ses moyens propres, «contemporain» de tous ceux qui ont modelé le paysage de ces trente années: avec chacun, il est en intersection, avec Butor, Sollers en négatif, avec Le Chemin il partage outre l'amitié une grande partie de la bibliothèque, avec Jean Echenoz le réalisme antinaturalistc qui passe par une folie rousselienne des mots. Est-ce un pur hasard si Alain Robbc-Grillet, là encore bon témoin, clôt le dernier volume de ses Romanesques, Les Derniers Jours de Corinthe, par le récit d'une anodine rencontre avec Perec, puis apparemment sans raison, par une litanie de «je me souviens». Post-scriptum de La Disparition (1969): «L'ambition du Scriptor, son propos, disons son souci constant, fut d'abord d'aboutir à un produit aussi original qu'instructif, à un produit qui aurait, qui pourrait avoir un pouvoir stimulant sur la construction, la narration, l'affabulation, l'action, disons, d'un mot, sur la façon du roman d'aujourd'hui. [...] Le scriptor façonnait [...] un produit prototypal qui [...] abandonnant à tout jamais la psychologisation qui s'alliant à la moralisation constituait pour la plupart Parc-boutant du bon goût national, ouvrait sur un pouvoir mal connu, un pouvoir dont on avait fait n [...] l'innovant pouvoir d'un attirail narratif qu'on croyait aboli» À l'instar de Sartre, et plus que tout autre (SollerS), de par ce lien unique entre vertige du texte et vertige de l'Histoire, u apparaît rétrospectivement comme le «contemporain capital posthume» de cette période 1968-2001. Son «horizon indépassable». Ce n'est pas la moindre surprise en «flash-back», la moindre «ruse de l'Histoire (littérairE)» de ces trente années.






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