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DE BAUDELAIRE AUX SYMBOLISTES: ITINÉRAIRES DE LA MODERNITÉ POÉTIQUE






I. - Charles Baudelaire (1821-1867)



Que Baudelaire ait un moment collaboré à l'entreprise du Parnasse est un fait que l'on oublie trop souvent et qui est pourtant fort révélateur de sa « situation » poétique. Souvenons-nous que Les Fleurs du mal furent dédiées à Gautier, « le parfait magicien es lettres françaises », et que tels vers du célèbre sonnet La Beauté résument, à peu de chose près, l'essentiel de l'esthétique parnassienne :



« Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, (...)



Les poètes, devant mes grandes attitudes.

Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments.

Consumeront leurs jours en d'austères études. »



Par ses dates Baudelaire appartient en effet à cette génération de poètes qui vont éprouver un malaise devant le phénomène romantique. Leurs tempéraments, leurs lectures, leurs comportements font encore d'eux des romantiques, mais les excès mêmes du romantisme les lassent et les rebutent. Seulement, l'originalité de l'auteur ces Fleurs du mal sera de comprendre tout ce qu'il peut y avoir d'excessif dans la réaction antiromantique elle-même, de soupçonner qu'il est vain de s'en prendre aux abus de l'émotion si c'est pour se complaire dans ceux de la forme, qu'il est dérisoire de stigmatiser une générosité inefficace si c'est pour s'enfermer dans une gratuité stérile/Admettant que l'émotion incontrôlée est poétiquement « dangereuse », mais comprenant aussi que le culte du formalisme pur est insignifiant, Baudelaire va s'efforcer de penser de nouveaux rapports entre l'émotion et le langage, l'inspiration et l'expression. En cela il est le premier des Modernes, le poète initiateur d'une « modernité » qui est pour lui « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable.



Quelques épisodes de l'existence de Baudelaire n'ont pas manqué de laisser leur empreinte sur son ouvre poétique. Très tôt orphelin de père, il restera fortement traumatisé par le remariage de sa mère avec le fameux général Aupick. A une enfance solitaire et taciturne succède à Paris une vie de dandy au sein de la bohème débauchée de l'époque, au grand dam de sa bourgeoise famille qui espère, en 1841, qu'un voyage aux îles assagira et « soignera » le fils prodigue. Las ! En plus d'une provision d'images et de paysages fascinants, le jeune Baudelaire en rapporte le goût pour un certain dépaysement exotique qui s'incarne dans le choix qu'il fait de sa maîtresse, Jeanne Duval, capricieuse mulâtresse et volage compagne... Indignée par tant de débauche, sa famille le fait priver juridiquement de ses ressources financières. Condamné à travailler pour vivre, Baudelaire se lance dans la critique littéraire et artistique ; contraint de gagner sa nourriture il est aussi contraint à exercer chaque jour un peu plus la perspicacité do son jugement et à se forger au fil de ses publications (Les Salons notamment en 1845, 1846, 1859) une conscience esthétique tout à fait exceptionnelle dont son ouvre poétique gardera la trace. Cette ouvre c'est bien sûr Les Fleurs du mal, parues en 1857 pour être aussitôt condamnées pour immoralité.) Consolation ? La même année Madame Bovary, autre grande ouvre initiatrice de la modernité littéraire, est condamnée pour le même motif ! Baudelaire en tout cas se remettra mal de cette déception. Miné par la maladie, il traînera à Bruxelles puis à Paris une existence misérable et ne publiera plus rien. Ce n'est qu'après sa mort que paraîtront ses Journaux intimes et ses Petits Poèmes en prose.



De cette vie amère, besogneuse, débauchée mais pourtant jamais résignée à la misère et au vice, la structure même des Fleurs du mal est révélatrice. L'ordre des poèmes y est, dit-il, symbolique d'un essentiel itinéraire : « Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu'on reconnaisse qu'il n'est pas un pur album et qu'il a un commencement et une fin. »' Déterminée à coup sûr par l'expérience intime de son créateur,) l'architecture des Fleurs du mal est bien en effet « itinéraire » : après une longue partie où il évoque, en plus de 80 pièces, la double postulation de son être, « Spleen et Idéal », il peint dans les quatre suivantes les quatre tentations susceptibles de l'arracher à sa misère, celle de la ville dans les « Tableaux parisiens », celle du « Vin », celle du vice métaphoriquement nommé « Fleurs du mal » et celle de « La Révolte ». Mais seule la cinquième tentation n'est peut-être pas illusoire ; c'est celle de la sixième partie du livre, « La Mort ».

« Moderne », l'ouvre de Baudelaire l'est d'abord par l'approche nouvelle qu'elle propose d'une sensibilité et de ses tourments. Terriblement défiant à l'égard de la Nature et plus encore de sa nature, Baudelaire va se prémunir contre les dangers de son expression en la systématisant en un conflit et un déchirement apparemment insurmontables : celui du « spleen » et de 1' « idéal ».* Au-delà du malaise ou de la « maladie » romantiques le spleen signifie d'abord une douloureuse prise de conscience par le poète de la malédiction qui pèse sur sa personne trop souvent livrée en pâture, comme L'Albatros, aux railleries d'un monde moqueur et méprisant. C'est encore cet affligeant sentiment d'impuissance, de manque d'inspiration, d'impossible maîtrise du temps de la vie et de la création que Baudelaire nomme Le Guignon. C'est enfin et surtout « l'ennui », l'expérience terrible de la médiocrité du quotidien "qui distille l'angoisse et anéantit toutes les espérances du génie :



« Et de longs corbillards, sans tambours ni musique

Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir

Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. »

(Spleen.)



« L enthousiasme des sens et de l'esprit, écrit Baudelaire, ont dû, en tout temps, apparaître à l'homme comme le premier des biens ; c est pourquoi, ne considérant que la volupté immédiate, il a cherché (...) dans la pharmaceutique, dans les plus grossières | liqueurs, dans les parfums les plus subtils, sous tous les climats et dans tous les temps, les moyens de fuir, ne fût-ce.que pour quelques heures, 6on habitacle de fange. » Ainsi voit-on le poète multiplier dans son ouvre les artifices de toutes natures. Artifices que toutes les formes de l'ivresse : celle du parfum dans La Chevelure, celle du tabac dans La Pipe, celle de l'alcool dans Le Vin des amants, celle de l'opium dans Le Rêve parisien ; artifice que toutes les complaisances de la sensation, la mollesse magnétique des Chats, la tiédeur des soirs au Balcon, la moiteur réconfortante du sein de l'amante ; artifices encore que ces illusoires départs, que ces voyages imaginaires vers des pays perdus ou rêvés que l'on n'atteint jamais (L'Invitation au voyagE). Mais la tentation - ou tentative - suprême, l'artifice ultime est celui de la mort, voyage idéal où tous les espoirs et tous les désespoirs viendraient se fondre dans les délices de l'éternité :



O Mort, vieax capitaine, il est temps ! levons l'ancre !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !



Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau.

Plonger au fond du gouffre. Enfer ou Ciel, qu'importe ?

- Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

(Le Voyage.)



Gardons-nous bien de croire pourtant que l'itinéraire des Fleurs du mal soit un itinéraire salvateur. S'il y a progression sur le chemin des tentations, il n'y a guère de résolution des contradictions éprouvées qui ne cessent de ressurgir pour nourrir cette poésie par nature « cyclique ». Seul le langage montre peut-être la voie d'une délivrance. Baudelaire ne fut pourtant pas un grand novateur en matière de « poé tique » ; la sienne reste souvent démodée, voire usée. Il innove plutôt moins que Gautier dans le domaine , métrique et lexical ; il reste plus sage que Hugo dans le maniement des formes poétiques ; ses symboles ne sont guère plus « travaillée » que ceux de Vigny ; quant à sa pratique des poèmes en prose, elle montre assez comment elle n'est encore pour lui qu'un moyen parmi d'autres de l'expression poétique et non le moyen exceptionnel qui pourrait ouvrir à la poésie des espaces nouveaux, inexplorables par la seule versification. En ce sens il est beaucoup plus le continuateur des Aloysius Bertrand et Maurice de Guérin que le précurseur des Lautréamont ou Rimbaud.



Non, décidément son originalité « poétique » est ailleurs : dans une revalorisation totale des pouvoirs .de l'Imagination et de ses instruments, les images. Déchiré par un conflit interne, torturé par les spectacles répugnants de la Nature, Baudelaire éprouve pourtant le sentiment d'une unité profonde, originelle, mais cachée de l'Etre : « Tout, forme, mouvement, nombre, couleur, parfum, dans le spirituel comme dans le naturel, est significatif, réciproque, converse, correspondant. Tout est hiéroglyphique. »

Or le langage, et plus précisément ses images poétiques, est pour lui le mode essentiel de reconnaissance, de traduction et d'expression de cette complexe mais « universelle analogie » : « Chez les excellents poètes, écrit-il encore, il n'y a pas de métaphore, de comparaison ou d'épithète qui ne soit d'une adaptation mathématiquement exacte dans la circonstance actuelle, parce que ces comparaisons, ces métaphores et ces épithètes sont puisées dans l'inépuisable fond de l'universelle analogie et qu'elles ne peuvent être puisées ailleurs. » Echappant aux contingences de la réalité quotidienne, en communion profonde avec l'essence de la Réalité, c'est le Dire chez Baudelaire qui est salvateur. Les images poétiques, jamais gratuites, tissent ainsi les réseaux subtils où se recompose un monde (correspondances « horizontales ») et où s'organise une symbolique fondamentale (correspondances « verticales »). Chacune de ces images, aussi modeste soit-elle, est toujours chez lui « métaphore », réconciliation de réalités séparées et suggestion d'un « ailleurs » idéal implicitement contenue dans la « magie » des mots « contenant à la fois l'objet et le sujet, le monde extérieur à l'artiste et l'artiste lui-même ».

C'est là que se fonde la vraie modernité de Baudelaire : ne plus faire de la poésie un simple moyen d'expression des certitudes de la raison comme chez les classiques, ni seulement l'espace d'effusion de l'émotion comme chez les romantiques, mais la penser comme la clé d'une intelligence nouvelle de l'ordre, apparent ou caché, du monde et du Moi. Désormais, après Baudelaire, le poète sera cet homme libéré, dont il parle dans Elévation :



« Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes. »



II. - Isidore Duaasse « comte de Lautréamont » (1846-1870)



Des successeurs de Baudelaire Lautréamont est avec Rimbaud celui qui a le plus ardemment désiré l'accession à un monde « nouveau », libéré par la magie ou la violence du verbe poétique. Né à Montevideo, comme J. Laforgue, Lautréamont publie en 1869 chez l'éditeur Lacroix, dans une indifférence générale, un prodigieux recueil de 60 strophes en prose poétique regroupées en six chants, Les Chants de Maldoror. D'un romantisme exacerbé, paroxystique, mais d'une perpétuelle ironie à l'égard d'elle-même, cette poésie qui est aussi parodie de poésie reste difficile et énigmatique. Poésie de la Révolte et du Mal, elle est encore poésie florale, minérale, charnelle et ne se laisse jamais réduire à un seul sens et à un seul dessein. De cette dispersion déconcertante de l'ouvre témoignent les incroyables métamorphoses de son héros, Maldoror. Personnage étrange qui semble d'abord incarner la misère, la détresse et les passions de son créateur et de l'humanité tout entière, il devient au fil des strophes une sorte de monstre infernal, épousant les mille et une figures d'un bestiaire effrayant et maléfique ; aigle, poulpe, requin, araignée, il est toujours l'archange infernal qui ressuscite aussitôt que terrassé : « Moi, s'écrit-t-il, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! »



Aux métamorphoses du héros se superposent celles de l'écriture même de Lautréamont ; écriture, dit M. Blanchot, qui plonge ses racines dans « une imagination environnée de livres ». Dans le flux verbal des Chants alternent en effet, avec humour ou solennité, les rhétoriques les plus fleuries, les compilations les plus complaisantes, les pastiches les plus délirants. L'apôtre Jean, Homère, Dante, Milton, Hugo, Baudelaire sont conviés au plantureux festin d'une imagination et d'une écriture jamais assouvies ni assagies. Ce jeu d'un langage labyrinthique qui ne cesse de nourrir ses monstrueuses excroissances, qui réinvente à l'envi ses extraordinaires métamorphoses, est la part la plus fascinante de la poésie de Lautréamont. Chez lui, comme l'a fort bien montré Bachelard, le langage n'est plus signe, réfèrent, symbole, mais chair, énergie, « présence » :



« Lautréamont, écrit-il, place la poésie dans les centres nerveux. Il projette, sans intermédiaire, la poésie. Il se sert du présent des mots. A ce simple point de vue linguistique, il était déjà en avance sur les poètes de son temps, qui ont, pour la plupart, vécu une histoire de la langue, parlé une phonétique classique et qui nous ont redit, comme Leconte de Liste, un écho souvent impuissant, toujours invraisemblable des voix héroïques du passé. »



On comprend dès lors pourquoi plus tard Vaché, Breton, Gracq et bien d'autres honoreront en lui l'un des plus prestigieux précurseurs du surréalisme et verront dans Les Chants de Maldoror « le manifeste même de la poésie convulsive ». Pour la première fois peut-être le langage ne venait-il pas d'y servir résolument à la libération de toutes les pulsions de l'imaginaire et de toutes les forces de l'inconscient ?



Tout ce qui, durant des siècles, écrit Breton dans son Anthologie de l'humour noir se pensera et s'entreprendra de plus audacieux a trouvé ici à se formuler par avance dans sa loi magique. Le verbe, non plus le style, subit avec Lautréamont une crise fondamentale, il marque un recommencement. C'en est fait des limites dans lesquelles les mots pouvaient entrer en rapport avec les mots, les choses avec les choses. Un principe de mutation perpétuelle s'est emparé des objets comme des idées, tendant à leur délivrance totale qui implique celle de l'homme. A cet égard, le langage de Lautréamont est à la fois un dissolvant et un plasma germinatif sans équivalent »



III. - Arthur Rimbaud (1854-1891)



Si l'on excepte les curieux fragments intitulés Poésies, on constate que Les Chants de Maldoror furent l'unique ouvre poétique de Lautréamont. Peut-être sa tentative était-elle trop « monstrueuse » pour être répétée ? Poussé par le même désir d' « inconnu », par la même exigence baudelairienne de « nouveau », l'ouvre de Rimbaud s'incarne au contraire dans une série de tentatives qui sont autant d'échecs surmontés et de paris renouvelés sur les pouvoirs de la poésie. Des poèmes de l'enfant prodige au grand silence de l'adulte, en passant par les folles expériences du jeune homme, c'est une même volonté qui ne cesse de s'affirmer.



Volonté qui est d'abord réaction et révolte. L'enfant de Charleville désespère du monde qu'il découvre : famille, église, école, patrie. Nourri de lectures romantiques, désireux de se faire publier un jour par les Parnassiens, il jette pêle-mêle dans ses premiers poèmes, écrits à l'imitation de Hugo et de Banville, ses répulsions et ses rêves : son mépris pour la médiocrité bourgeoise (A la musiquE) et sa bureaucratie (Les AssiS), son refus d'une religion hypocrite et d'une église complice des injustices du pouvoir (Les Pauvres à Vêglise ; Les Premières CommunionS), son dégoût de la guerre (Le Dormeur du vaL) ; mais aussi sa soif d'aventure (SensatioN), sa « fantaisie » (Ma BohèmE) ou sa sensualité naissante (Les Réparties de NinA).

Mais très vite, devant le cours affreux d'une histoire (1870, la guerre, les atrocités de la CommunE) que la poésie se révèle incapable de modifier, la dénonciation des crimes et des mesquineries de la société ne va plus lui suffire.lPuisqu'Ici ne peut être « changé », c'est vers l'Ailleurs qu'il va délibérément se tourner nia rédaction en 1871 de Bateau ivre apparaît ainsi comme le premier « voyage » entrepris par le poète pour accéder au monde de la plénitude et de la liberté. Voyage euphorique, délirant, éblouissant, mais qui, comme toute expérience rimbaldienne, ne dure pas et s'achève dans la résignation et l'amertume :



« Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé

Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche

Un bateau frêle comme un papillon de Mai.



Et pourtant l'espoir, l'exigence même d'une création nouvelle, demeurent dans le souvenir des beautés fragiles de ce monde entrevu à défaut d'avoir été possédé :



J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles

Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur.

Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles.

Million d'oiseaux d'or, ô future vigueur ? »



Cette « future vigueur », dont Rimbaud savait déjà qu'elle ne pouvait se fonder dans la banalité du quotidien, il sait aussi désormais qu'elle ne peut se nourrir du seul mirage des mots, qu'il lui faut un véritable support existentiel. Puisque changer le monde et changer la vie est si difficile, peut-être est-il du moins possible de changer son monde, sa vie ?/Aussi décide-t-il en mai 1871 de tenter l'expérience de l'arrachement absolu, de la « révolution » totale du Moi



« Je dis qu'il faut être voyant, écrit-il à son ami Demeny ; le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que le» quintessences (...). H arrive à l'inconnu, »



Pendant deux ans effectivement Rimbaud, voyou tout autant que voyant, cultive tous les dérèglements et toutes les débauches, liaison homosexuelle avec Verlaine, absinthe, opium, haschisch, et tente d'orchestrer fantasmes et ivresses (Comédie de la soif, Fêtes de la patience, Fêtes de la faiM) sur le théâtre poétique. Un instant L'Eternité a bien été « retrouvée », mais une nouvelle fois le rêve va s'épuiser dans la réalité : la brouille avec Verlaine et la maladie. Désabusé, Rimbaud rédige alors, en 1873, Une saison en enferi récit débridé des chimères évanouies et témoignage lucide sur un art poétique devenu désormais impossible :



« A moi. L'histoire d'une de mes folies. (...) J'inventai la couleur des voyelles. (...) Je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. (...) J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable, je fixais des vertiges. »



Ironique sur lui-même et apparemment résigné, lui qui jadis avait dit « adieu au monde dans d'espèces de romances » semblait dire là un Adieu définitif à la poésie :



« J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! Je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée ! Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol. (...) Paysan ! »



Pourtant, il est désormais pratiquement certain que c'est lors du long voyage qu'il fait à travers toute l'Europe, de 1873 à 1878, que Rimbaud conçoit et réalise sa dernière expérience, celle des Illuminations. Dans cette ouvre fascinante, fulgurante, météorique, Rimbaud a visiblement usé à l'extrême de toutes les ressources de l'esprit et du langage. Le monde des Illuminations c'est d'abord en effet l'espace de déploiement d'une imagination « délivrée », le lieu où se construisent, en pleine lumière, des paysages inouïs, libérés de toute pesanteur et de toute géographie rationnelle, telles ces Villes fantastiques ou ce Métropolitain hallucinant dont les peintres surréalistes se souviendront:



« Du détroit d'indigo aux mers d'Ossian, sur le sable rose et orange qu'a lavé le ciel vineux, viennent de monter et de se croiser des boulevards de cristal habités incontinent par de jeunes familles pauvres qui s'alimentent chez les fruitiers. Rien de riche. - La ville ! »



Au milieu de ces perspectives déconcertantes, au centre de cette architecture follement baroque, ivre de liberté, le poète danse : « J'ai tendu des cordes de clocher â clocher, des guirlandes de fenêtre à fenêtre, des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse. » Démiurge d'un monde où la fiction dépasse la réalité, Rimbaud est aussi dans Les Illuminations alchimiste d'un verbe insolite, d'une prose aux « formes nouvelles » où les mots et les choses viennent prendre place par pure affinité harmonique



« Des pièces d'or jaune semées sur l'agate, des piliers d'acajou supportant un dôme d'émeraude, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d'eau »



Mais aussi brillantes et merveilleuses que soient ces Illuminations, elles ne sont encore qu' « éclairs » fugaces, que météorites incandescentes qu'annule leur propre chute. Rimbaud sait fort bien qu'il n'est que « l'éphémère citoyen » de ce monde miraculeux et fantasmatique dont la structure, à la fois éclatée et répétitive, est le signe même que rien n'y dure, que rien ne s'y construit sans aussitôt s'y dissoudre. Chaque spectacle, chaque « féerie » met ainsi en scène sa propre négation : « Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie » (PontS). Chaque rêve avoue ainsi son impuissance : « L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi » (AubE).



Seul restait donc le silence pour celui qui n'avait plus rien à dire puisqu'il avait tout dit, tout essayé de dire ; seule restait donc la mort pour celui qui n'avait plus rien à vivre puisqu'il avait tout vécu, tout essayé de vivrej Un soir de novembre 1891, après dix ans de trafic dans le désert africain, Rimbaud vient mourir à l'hôpital de Marseille, méconnaissable et méconnu.jS'il en a fini avec son histoire d'homme, il ne fait qu'inaugurer son mythe de poète prodige et de poète fou.



IV. - Paul Verlaine (1844-1896)



Compagnon de Rimbaud, Verlaine ne lui ressemble guère. Chez l'un dominent l'audace, le goût du risque et de l'aventure, celui de la violence parfois ; chez l'autre il y a plus de faiblesse, plus de nonchalance et de discrétion, plus de féminité peut-être : « Je suis un féminin, écrit Verlaine, ce qui expliquerait bien des choses... » Leurs ouvres aussi sont fort différentes : celle du premier, concise, fulgurante, brûle et se consume de son « ardeur » interne ; celle du second, plus épaisse, plus complaisante, a des beautés plus rares mais aussi plus subtiles comme celles d'un contre-jour. Il faut bien l'avouer, les 800 pages de l'ouvre poétique de Verlaine sont de la plus grande inégalité. Commencée dans l'imitation de F. Coppée et des Parnassiens (Poèmes saturniens, 1866), elle s'achèvera dans d'attristantes confessions teintées de religiosité et d'érotisme. Mais en son cour, dans les douze années où sont écrits successivement les recueils des Fêtes galantes (1869), des Romances sans paroles (1874) et de Sagesse (1881) se découvre nne émouvante recherche pour faire de la poésie la chanson de la vie.



Dans la poésie des Fêtes galantes Verlaine convie tout l'univers festif du XVIIIe siècle, celui de Chardin, de Fragonard, de Watteau et de Boucher. Mais loin de sombrer dans les défauts et les médiocrités d'une poésie descriptive élémentaire, Verlaine va en renouveler la forme et l'esprit. Sous sa plume le paysage cesse d'être simple décor factice ou simple objet esthétique pour devenir espace de cristallisation des sensations les plus exquises et les plus raffinées. Gestes, lignes, couleurs, sons, tout, dans le paysage verlainien, participe du « paysage intérieur » de l'âme :



« Leurs courtes vestes de soie,

Leurs longues robes à queues.

Leur élégance, leur joie

Et leurs molles ombres bleues

Tourbillonnent dans l'extase

D'une lune rose et grise

Et la mandoline jase

Parmi les frissons de brise. »

(Mandoline.)



Verlaine ne se départira pas de cette sensibilité et de cette grâce si personnelles pendant l'infernale saison vécue avec Rimbaud. Loin de partager le goût de son cadet pour les folles aliénations, les arrachements spectaculaires et les exils hallucinés, il continuera d'évoluer vers une poésie qui soit pure mélodie, pur accent intérieur. Les Romances sans paroles sont à cet égard son chef-d'ouvre. Refusant les brutalités d'un dépaysement absolu, Verlaine accepte en revanche pleinement l'éparpillement et la dissipation du Moi dans la discrète opacité des éléments de l'espace et du temps, pluies, brumes, crépuscules, souvenirs, regrets :



« II pleure dans mou cour

Comme il pleut sur la ville.

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cour ? »



Jamais poète n'aura su inscrire avec autant d'élégance et de pertinence les chuchotements de l'âme dans les murmures du langage :



« Seul, Verlaine, écrira Huysmans, a pu laisser deviner certains au-delà troublants de l'âme, des chuchotements si bas de pensées, des aveux si murmurés, si interrompus, que l'oreille qui les percevait demeurait hésitante. »



Emprisonné à Bruxelles puis à Mons après la fin dramatique de sa liaison avec Rimbaud, Verlaine écrit Sagesse pour tenter d'effacer le souvenir des temps passés de la langueur et de la débauche ; pour retrouver aussi, à travers la foi, la sérénité perdue :



Le ciel est par-dessus le toit.

Si bleu, si calme !

Un arbre par-dessus le toit.

Berce sa palme. (...)

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,

Simple et tranquille.

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville. »



De cette sagesse trop équivoque, trop illusoire pour être durable, les nouveaux déboires de l'existence auront vite raison. Tout aussi incapable du sacrifice de l'écriture que du renoncement à la vie, dont Rimbaud lui avait montré le double chemin, Verlaine prolongera la médiocrité de sa vie par l'indigence d'une poésie qui témoigne tour â tour de ses « sages » et intenables résolutions (Jadis et naguère ; Liturgies intimeS) et de ses rechutes dans le vice et le « péché » (Parallèlement, Chansons pour ellE).

Pour les poètes futurs, de Laforgue à Apollinaire, Verlaine restera pourtant un maître admiré. Il est vrai qu'ils lui devront, sur le plan technique, beaucoup plus qu'à Baudelaire ou Rimbaud. La poétique verlainienne, tout entière contenue dans son Art poétique de 1874, est en effet novatrice en bien des domaines. Au niveau métrique tout d'abord. Non content d'apporter après Hugo sa contribution à la dislocation de ce « grand niais d'alexandrin », Verlaine va se servir, avec un art consommé du boitillement et de l'hésitation, des mètres impairs les plus difficiles mais aussi les plus étonnamment mélodieux : pentasyllabes, heptasyllabes et surtout admirables hendécasyllabes de son Crimen Amoris. Avec la même subtilité il ose encore « truquer » les rythmes, jouer capricieusement des rimes et des assonances pour le plaisir de l'oreille, distiller les « nuances » et les ombres pour créer la plus séduisante collection de pastels poétiques où l'impressionisme pictural d'un Manet le dispute à l'impressionisme musical d'un Debussy. Car le mot clé de sa poétique est bien sûr celui de musique :



« De la musique avant toute chose (...)

De la musique encore et toujours. »



Odes, romances, chansons, la poésie verlainienne fut par essence musicale. Même dans ses textes les plus médiocres, dans ses vers les plus triviaux ou les plus négligés, s'entend une mélodie qui lui est consubstantielle comme l'est à Baudelaire le parfum et à Rimbaud la couleur. « Parfois peut-être, lui écrivait Banville, vous côtoyez de si près le rivage de la poésie que vous risquez de tomber dans la musique. Il est possible que vous ayez raison. »



V. - Stéphane Mallarmé (1842-1898)



Chez Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine l'expérience poétique ne se conçoit pas en dehors de l'aventure de l'existence. Elle en est toujours l'exaltation ou le repoussoir. Mallarmé au contraire fut le premier à penser la poésie comme un exercice de l'esprit et une pratique du langage totalement étrangers aux aléas de la vie. Aussi bien la vie de ce modeste professeur d'anglais n'eut-elle rien d'extravagant et se partagea-t-elle entre les leçons indéfiniment répétées à d'ennuyeux élèves de lycées provinciaux et les soirées accordées chaque semaine, dans l'appartement de la rue de Rome, à de jeunes poètes admiratifs.



La collaboration au Parnasse contemporain et la lecture de Baudelaire furent deux facteurs déterminants pour la création mallannéenne. Des Parnassiens il devait retenir le sens du travail poétique, de la perfection formelle ; dans Les Fleurs du mal il devait identifier un drame et un déchirement qui étaient aussi les siens. Aussi ses premiers poèmes peuvent-ils passer pour autant d'esthétiques variations sur les grands thèmes baudelairiens : médiocrité humaine, désir d'évasion, rêve d'un ailleurs idéalisé. Mais L'Azur de Mallarmé ne coïncide pourtant pas avec l'Idéal baudelairien, son « ennui » n'est pas seulement spleen. Qu'on relise les quatrains des Fenêtres et l'on sentira combien l'insatisfaction chez lui est plus métaphysique que morale, plus essentielle qu'existentielle.



Dès 1870, en entreprenant la double rédaction d'Hérodiade, drame lyrique, et de L'Après-Midi d'un faune, poème de la sensualité et du silence, Mallarmé s'oriente vers une création nettement plus personnelle. Les deux textes sont en effet conçus comme les premières approches de ce Grand Ouvre qui le hante, de ce Grand Livre qu'il voudrait pur, libéré de toute contingence et livré à sa propre dynamique verbale :



« L'ouvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l'initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés ; ils s'allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries. »



Désormais sa poétique se définit non comme la représentation ou la suggestion du réel mais comme sa « dématérialisation », à savoir « peindre non la chose mais l'effet qu'elle produit ». Poétique qui suppose d'abord la dépersonnalisation du sujet écrivant : « Je suis parfaitement mort. (...) Je suis maintenant impersonnel, non plus Stéphane que tu as connu, écrivait-il à Cazalis, mais une aptitude qu'a l'Univers spirituel â se voir et à se développer à travers ce qui fut moi. » C'est seulement à ce prix que peut se lever un réel nouveau, ou plutôt sa « presque disparition vibratoire », dans la transparence d'un Verbe cristallin sans cesse aminci et retaillé comme un joyau.

« L'explication orphique de la terre, qui est le seul devoir du poète », la rédaction du Livre « auquel le monde est fait pour aboutir », ne pouvaient également se réaliser, on le comprend, sans un hermétisme certain tant, chez Mallarmé, le Sens ne se révèle qu'au terme d'une périlleuse désarticulation de la syntaxe. Déconcertant, décourageant parfois, l'audacieux impressionisme lexical et grammatical de sa Prose pour des Esseintes, de ses Tombeaux ou Hommages était nécessaire à la production de cette « poésie de l'absence pure » dont parle G. Picon et dont Sartre voyait dans Le Vierge, le vivace et le bel aujourd'hui la meilleure illustration :



Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui

Magnifique mais qui sans espoir se délivre

Pour n'avoir pas chanté la région où vivre

Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui. »



Si le Grand Ouvre ne fut jamais pleinement réalisé par Mallarmé, c'est probablement dans un texte paru en 1897 à la veille de sa mort qu'il en aura donné la plus signifiante esquisse. Dans une laby-rinthique phrase organisée autour de la proposition centrale, Un coup de dès jamais n'abolira le hasard, et exprimant la mouvance même de la Pensée dans ses rapports avec le chaos de l'Univers et l'ordre du Langage, se reconnaît en effet le double projet orphique : expliquer le monde en le faisant parler par les mystères du Verbe. Lancée comme un coup de dés hasardeux, mais s'imposant comme un Tout absolu et nécessaire - par ses traces comme par ses silences - la phrase mallarméenne devient là poème idéal où nulle opacité ne nuit au surgissement et à la « constellation » des essences : Rien n'aura eu lieu que le lieu excepté peut-être une constellation.

Aucun poète, même pas Valéry, le meilleur disciple du Maître, n'osera s'aventurer au-delà de ce texte qui rend pour ainsi dire sensible la lisière de toute poésie, la frontière du Dicible et de l'Indicible.



VI. - Décadents et symbolistes (1875-1900)



Employé par Baudelaire puis par Verlaine, le mot de décadence allait faire un moment fortune, dans les années 1875-1885, chez les jeunes poètes de la dernière génération du siècle, saisis, comme leurs aînés romantiques, par ce « mal » étrange que sécrètent les temps difficiles ou incertains de l'Histoire. Prolonga-trice du dandysme baudelairien et de la bohème rimbaldienne, la décadence se manifesta à travers cent feuilles et périodiques éphémères et régna sur les cafés de la Butte ou les cabarets de la Rive gauche. Là devait s'exprimer, se confronter, toute une jeunesse poétique débraillée et dépareillée. Hydropathes y rivalisent avec Hirsutes, Zutistes avec Jmenfoutistes, néo-romantiques y côtoient Parnassiens repentis ou admirateurs de Verlaine et de Rimbaud. D'unité et de rigueur il ne saurait être question dans ces nouveaux cénacles où souffle le vent de la désinvolture, et ce ne sont pas le journal Le Décadent ou le Manifeste de l'Ecole décadente du bon Anatole Baju qui pourraient faire croire un 6eul instant à la cohérence d'un groupe ou d'une école. Quelques noms cependant émergent de cette faune bariolée et enthousiaste : G. Nouveau, L. Tailhade, G. Rodenbach, E. Mikhaël, le plaisant méridional Charles Cros, auteur du Coffret de santal (1873) et amant de la célèbre Nina de Villard, ou encore Tristan Corbière dont Les Amours jaunes (1873) méritent citation.



Le seul grand nom de la décadence, et à dire vrai en marge du phénomène décadent lui-même, reste celui de Jules Laforgue (1860-1887). Mieux qu'aucun autre, ce natif de Montevideo, rongé par une maladie qui devait l'emporter à vingt-sept ans, illustra dans son ouvre, avec intelligence, sensibilité et sincérité, le nouveau « mal du siècle. » Au seuil de ses Complaintes (1885) il écrivait : « J'écris de petits poèmes de fantaisie, n'ayant qu'un but : faire de l'original à tout prix. » Certes, son Imitation de Notre-Dame la Lune (1886) ou son Sanglot de la Terre (posthume, 1901) ne manquent ni d'humour ni d'originalité. Ce pessimiste déprimé sut trouver dans ses chansons plaintives les mots et les rythmes nouveaux qu'il fallait pour dire son mal et celui de son temps. Les libertés esthétiques qu'il prit, les « dévergondages » poétiques qu'il se permit, lui furent, comme plus tard pour Desnos, les meilleurs moyens d'évoquer, en les exorcisant, les horreurs d'un monde « encrassé » et les obsessions de son âme tourmentée.



A la mêlée décadente, dissoute dans ses propres extravagances et disparités, succède à partir de 1885 environ la « réaction » symboliste. Mais, comme ceux de décadence et de décadents, les mots de symbole et de symbolistes recouvrent de multiples interprétations et masquent seulement une grande diversité de conceptions et de pratiques poétiques. Que de confusions le seul mot de symbole n'entraî-nera-t-il pas chez ses adeptes qui ne percevront pas toujours les usages bien différents qu'en font un Vigny et un Mallarmé ! De combien d'incompréhensions, de malentendus et de « trahisons » allait être victime ce dernier !



Une nouvelle fois les termes d'école et de groupe sont inadéquats pour parler de cette autre floraison poétique dont les multiples feuilles signalent suffisamment encore la variété et les contradictions : Le Symboliste (1886), La Plume (1889), Le Mercure de France (1890), La Revue blanche (1891). Car il n'est pas sûr, loin s'en faut, que tous les poètes symbolistes se soient reconnus dans le « Manifeste du symbolisme », d'un platonisme pontifiant, que Moréas donna au Figaro le 18 septembre 1886. Seul son refus de « l'enseignement, de la déclamation, de la fausse sensibilité » fit sans doute l'unanimité ainsi que l'expression de son désir d'un renouvellement technique dont Verlaine et Laforgue avaient déjà montré la voie : « L'ancienne musique arrivée ; un désordre savamment ordonné ; la rime illucescente et martelée comme un boucher d'or et d'airain, auprès de la rime aux fluidités absconses ; l'alexandrin à arrêts multiples et mobiles ; l'emploi de certains nombres impairs. »



Autour de Jean Moréas (1856-1910), théoricien mais aussi poète (Les Syrtes, 1884 ; Cantilènes, 1886), gravitent de nombreuses figures parfois revenues d'ailleurs de la décadence : les « Américains » Stuart-Merrill (1863-1915) et Vielé-Griffin (1864-1937), tous deux fervents admirateurs de Mallarmé, le discret A. Samain (1858-1900), les Belges E. Verhaeren (1855-1916) et M. Maeterlinck (1862-1949) qui tenta l'expérience d'un théâtre symboliste (Pelléas et Mélisande, 1892), C. Guérin (1873-1907), H. de Régnier (1864-1936), R. Ghil (1862-1925) qui s'essaya à la poésie expressive et donna un intéressant Traité du verbe (1886) que préfaça Mallarmé, ou encore G. Kahn (1854-1936) qui se voulut l'inventeur de ce vers libre que manièrent plus tard mieux que lui Claudel ou Saint-John Perse.



Excessivement disparate le symbolisme, en tant que mouvement, ne s'imposera pas davantage que la décadence. A preuve la volte-face, dès 1890, de Moréas qui, renonçant à ce qui ne lui parait plus désormais que licences ou faiblesses poétiques, prônera le retour à la rigueur et à la sobriété des grands modèles antiques ou classiques. Dans cette démarche rétrograde le suivront les gens de « l'école romane », fondée en 1891 : R. de La Tailhède, E. Raynaud, M. du Plessys et le théoricien et critique Charles Maurras.



C'est sous le titre révélateur de Stances que Moréas publiera ses poèmes seconde manière (1899-1901). Il s'agit bien là en effet d'un coup d'arrêt donné au grand élan poétique qui s'était manifesté depuis Baudelaire. Coup d'arrêt tout théorique car derrière les voix déliquescentes ou momifiées du siècle qui meurt se lèvent celles du siècle naissant : Claudel, Valéry, Péguy, F. Jammes, L.-P. Fargue...






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