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Essais littéraire

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CHODERLOS DE LACLOS (1741-1803)






On peut conquérir la gloire du fond d'une morne garnison. De l'ennui naquit un jour, l'uniforme ôté, un livre parfait. Là réside sans doute l'énigme des Liaisons dangereuses (1782). Non pas tant dans la difficulté irritante de leur attribuer pour père un officier d'artillerie méritant, époux vertueux, rousseauiste... défenseur des femmes, arriviste expert en intrigue (orléaniste, jacobine, bonapartistE) : tous les grands livres sont enfants de la nuit, et bâtards. Moins encore peut-être dans la tentation trop séduisante de les rattacher à une crise terminale des Lumières, voire à une crise de la représentation classique - miroir de l'idéologie et de l'écriture tendu vers quelque catastrophe à venir, ou quelque aurore blêmissante, que nous croyons discerner à l'horizon. C'est la suprême maîtrise, l'impeccable clôture qui surprennent et fascinent : nul pli, nulle défaillance, nul abandon rêveur dans cette épure géométrique, point d'orgue de la tradition « classique » française, quand le roman, de Marivaux et Prévost à Diderot, Rétif et Sade, se vouait à la démesure, à l'inachèvement, à la dissymétrie sinueuse, mère des digressions...





Passion de l'intrigue et nostalgie sentimentale, tour de force technique, virtuosité langagière et formelle, surenchère inouïe sur les genres de la part d'écrivains amateurs en quête de consécration, désir de provocation, espoir comblé du scandale, mise en scène ambiguë (critique et complicE) d'une société aristocratique où la fête côtoie la défaite et la mort. On résiste mal, dans l'après-coup, à la tentation (facilE) d'un parallèle entre les deux chefs-d'ouvre d'avant 1789, les Liaisons et le Mariage de Figaro ! Il faut alors souligner la logique paradoxale (imposéE) de ce double et magistral travail sur les genres et la tradition : Laclos s'applique à dégraisser le roman (récit d'une crise et d'une catastrophE), Beaumarchais à saturer la comédie en « roman de la famille Almaviva » gros d'un drame latent, d'une temporalité étalée et d'une stratigraphie sociale. Laclos porte à son comble et met en porte-à-faux une double tradition, celle du libertinage et celle du roman épistolaire.



La lettre et la langue



À la virtuosité libertine répond la virtuosité tout aussi diabolique du travail sur la forme épistolaire, léguée par le siècle, consacrée par Rousseau et Richardson. Comme la Nouvelle Héloïse, les Liaisons construisent une savante structure polyphonique, la plus raffinée jamais connue : 175 lettres, sept correspondants principaux, cinq épistoliers épisodiques. Valmont en rédige 51, Mme de Merteuil 28, Mme de Tourvel et Cécile de Volanges 24 chacune. Le couple des roués compose donc près de la moitié des lettres, de loin les plus célèbres, signe de sa prééminence ; tandis que Valmont, entre ses trois femmes, apparaît le plus bavard : faiblesse et contradiction du libertin, et peut-être du libertinage, déchiré entre la dépense et l'économie, le secret et la publicité, l'alcôve et le monde. La logique du libertinage, entendu comme pratique de l'ombre, maîtrise et manipulation des cours, devrait raréfier l'écrit, privilégier l'écoute et le recel. Deux personnages monopolisent cette fonction stratégique ; Mme de Rosemonde, qui écrit neuf lettres (elle entre plus tard dans le romaN) et en reçoit 22, et, on ne s'en étonnera pas, Mme de Merteuil, qui envoie 28 lettres et en ouvre 41. Partage inégal, mais symbolique, entre deux femmes que tout oppose, l'âge et la morale. Gardiennes d'orthodoxies rivales, qu'on soupçonne complémentaires et emboîtées : la morale du plaisir et l'exaspération de la volonté, chez Mme de Merteuil, ne vont pas sans une sorte de fanatisme hétérodoxe, d'intransigeance terroriste appelant, dans l'après-coup historique, d'étranges échos, bien entendu non prémédités et sans doute arbitraires.

La lettre n'a pas pour seule fonction de séduire ou d'informer. Elle est l'objet de toutes sortes de manipulations dont Laclos distille avec jubilation l'inventaire à peu près complet : lettres dérobées, falsifiées (Valmont déguise son écriture pour accéder à Mme de TourveL), dictées (Valmont dicte à Danceny .une lettre à Cécile, a Cécile une lettre pour Danceny qui vise indirectement la marquise de Merteuil, qui dicte à Valmont la fameuse lettre de rupture avec Mme de Tourvel : « ce n'est pas ma faute », etc.), refusées (Mme de Tourvel renvoie des lettres de ValmonT), dédoublées (versions différentes d'un même événement selon le destinatairE), recopiées, divulguées. Une lettre de protestation amoureuse peut s'écrire sur le corps nu d'une autre femme ; toute lettre peut devenir instrument de chantage et, en circulant, de ruine. L'autodestruction finale des libertins rivaux passe logiquement par la divulgation des lettres - par où s'efface la frontière, constitutive du libertinage, entre espace clos de l'infraction libertine et espace public régi par le conformisme.

Maître des mots qui trompent, le libertin soumet le langage à un soupçon méthodique, incessant. Entre Valmont et la marquise de Merteuil, c'est une surenchère exacerbée dans la lecture critique, une guerre de mots qui se font écho (d'où l'emploi caractéristique de l'italique : 4 lettres sur 10 en font usage dans le roman, deux tiers ou trois cinquièmes pour le couple Valmont-Merteuil, selon M. DeloN). À la limite, cette omniprésence du masque, ce mimétisme trompeur et ironique rendent tout langage codé, soumis au soupçon de l'artifice, d'une origine externe à l'individu qui le signe et semble l'assumer. Tout s'imite, tout se reproduit à s'y méprendre dans l'univers libertin, c'est-à-dire l'univers des Liaisons : langue de la conscience religieuse, jargon mondain des roués (reproduit et distancié par Valmont et MerteuiL) et peut-être même la langue brûlante de la passion qui expire sur les lèvres de Mme de Tourvel. Car le libertin a le dégoût de la spontanéité, du mouvement naturel, de l'élan instinctif (corporel, sentimental, langagieR), où s'oblitère le recul de la conscience, où s'embue le plaisir de l'artifice. Beaumarchais, dans ses Notes et réflexions, lâche cet aveu étonnant : « J'ai le style un tant soit peu spermatique ». C'est toucher la double horreur (et donc la tentation refouléE) du libertin : il ne lâche ni sa plume ni son sperme - sauf à déchoir, ou à se convertir.



La marquise triomphe incontestablement dans cette traque humiliante, terroriste, des non-dits, des masques inaperçus ou mal dissimulés, des mots incontrôlés, des tournures convenues, où se joue l'épreuve de la maîtrise et par où se relance, jusqu'à la catastrophe finale, la compétition des consciences rivales.

Car tel est le principe dynamique qui anime ce ballet de 175 lettres croisées, recopiées, exhibées, commentées - soigneusement distribuées en quatre parties (50, 37, 37, 51) pour mieux souligner la volonté d'organisation, de maîtrise formelle, la recherche des symétries et des contrastes, des échos et des surenchères, que le lecteur est convié à savourer et à reconstruire.

Mais cette rigueur affichée de l'agencement, riche en effets de miroir (ironiques et tragiqueS), n'assure aucune fixité du sens, n'autorise aucune stabilité à l'interprétation. La polyphonie disperse et isole les points de vue ; le masque dissimule les consciences, perpétuellement en représentation, ou manipulées. Peut-on pour autant parler d'une crise du langage, d'une crise de la représentation, où se lirait le désarroi des Lumières finissantes, d'une société en mue, de l'écriture classique vouée à la vérité et à la sincérité ? On se contentera de constater que Laclos exacerbe soigneusement les ambiguïtés orchestrées tout au long du siècle par le roman des Lumières, notamment chez Marivaux, Prévost et Crébillon, virtuoses de la suspension énigmatique et des compromis indécidables. Comment, autrement, expliquer le succès séculaire de la première personne, du roman par lettres au roman-mémoires ? Pour sortir de ces pièges où Laclos se complaît, Rousseau engage précisément l'effort inouï et désespéré de ses ouvres autobiographiques, qu'il veut croire uniques et inimitables.



Lit défait, délit surfait, livre parfait



Laclos porte à son point de perfection la tradition du libertinage romanesque (personnages, thèmes, vocabulaire, décomptés par L. VersinI), et en révèle (seul et pour toujourS) la logique interne, tournée en tragédie. On peut distinguer quelques types, qui structurent le roman en autant de sphères conflictuelles :



- les conformistes (Mme de Volanges, Mme de Rose-mondE) en accord avec l'ordre mondain et religieux ;

- les sentimentaux (Danceny, Mme de TourveL) ;

- les libertins mondains, amateurs (PrévaN) ;

- les roués (Valmont, Mme de MerteuiL), théoriciens du libertinage dénués de tout scrupule moral, qui cultivent dans la recherche du plaisir (désir, vengeance, vanité) la virtuosité technique, la beauté dans le mal, l'élégance du coup. Car leur qualité se mesure à la difficulté de l'obstacle, sujette à discussion et propre à la surenchère. L'inaccessible vertu de la dévote Présidente la prédestine au désir du séducteur. Mais le libertin ne dédaigne pas de dévêtir et de pervertir les jeunes gens, ni même de les convertir à la pratique et à la philosophie du libertinage (Cécile, DancenY) comme l'avait fait Versac pour Meilcour dans les Égarements du cour et de l'esprit de Crébillon. Tout philosophe, on le sait, est d'abord un éducateur, avide de chasser superstitions et préjugés - entendons ici la morale convenue. Mais Rousseau l'avait clairement montré dans Emile : un enfant, un maître (évanouis, les parents !). Les choses se gâtent dans les Liaisons, car chacun des deux maîtres libertins entend faire la leçon à l'autre, autrement dit le puériliser. La dialectique des défis, d'aigreur en humiliation, d'humiliation en échec, débouche sur la guerre et le risque assumé de la destruction réciproque. La séduction se révèle à double détente : tournée d'abord, dans une connivence complice, vers le monde, elle s'accompagne, sourdement, puis de plus en plus ouvertement, d'un désir exaspéré de réduction de la conscience rivale. Mme de Tourvel cristallise cet affrontement, mais ne l'explique pas, sauf à affaiblir la force du dispositif fatal monté par Laclos. La vérité est que Valmont, en cédant à l'attrait de la passion - faute majeure dans le libertinage ainsi reconstruit en système - risque de se soumettre à la volonté de la Marquise, de quitter le cercle des maîtres. Il se peut que la Marquise se mente sur les raisons de sa rage à rencontre de la Présidente (jalousie ?) ; l'essentiel demeure le dilemme auquel elle soumet Valmont : se défaire de Mme de Tourvel dans les formes qu'elle lui impose, ou avouer sa défaite. On aura compris qu'il n'a le choix qu'entre deux formes (inégalement humilianteS) d'échec. Le féminisme vertueux et généreux de Laclos se réalise ici dans une version satanique et tragique : la femme, victime désignée, ou résignée (CrebilloN), du libertinage masculin, l'emporte dans ce conflit des volontés de puissance, de lutte pour la reconnaissance, et réduit Valmont au statut de conscience servile, que ne rachète pas une parodie de mort chevaleresque (Danceny et Valmont mourant s'embrassent à l'issue de leur duel !). La solidarité mâle ne fait qu'accuser la solitaire grandeur de la libertine, féministe à sa façon.

C'est par là que le jeu libertin traditionnel acquiert une portée sans précédent. Conformisme social vide et désespérant chez Crebillon (telle est la loi du monde, contraire à la nature, à la raison et au désir, sanctionnée par le ridicule, expliquait Versac au jeune Meilcour dans la scène capitale des Égarements, peut-être la première scène d'initiation du roman françaiS) ; amoralisme complaisant et hédoniste chez des épigones moins aigus, il devient ici une quête tragique de la primauté qui engage tout l'être, un conflit des consciences avides de reconnaissance, qui enveloppe, obliquement, un conflit des sexes.



Sur quoi se fonde cette lutte à mort inéluctable, inventée par Laclos, à jamais inséparable pour nous du libertinage ? On le voit : sur la surenchère des volontés fascinées par leur moi. Le mécanisme essentiel de leur servitude réciproque leur échappe jusqu'au bout, tant il est bête et simple - enfantin, diraient-ils. Non pas, comme on le répète complaisamment, l'amour ancien qui les lierait sans qu'ils le sachent (pourquoi pas !). Si ces deux virtuoses de l'ironie, du soupçon et du démasquage n'échappent pas à la machine infernale du libertinage, c'est surtout qu'ils ont oublié de ne pas s'aimer eux-mêmes. L'amour de soi piège ces maîtres du faux amour et du plaisir de tête. Qu'on relise leurs lettres : leur ironie est toujours tournée vers l'autre. Comme Mme de Tourvel, ils meurent d'un excès de sérieux : de la passion du libertinage, qui les consume autant qu'ils le consomment ! Là est peut-être l'ironie indispensable au fonctionnement de toute bonne tragédie. Ces philosophes scélérats, moins bavards mais infiniment plus brillants que ceux de Sade, partagent avec eux quelque chose de cet incurable sérieux post-rousseauiste dont Rétif nous dévoile sans le vouloir la forte densité comique. Quelle gravité, quel emportement dans le décompte et l'algèbre des draps froissés !

Valmont et la Marquise jouent donc leur vie sur un lit défait de trop. Belle ardeur ! Une même énergie traverse la Marquise, Valmont et Mme de Tourvel, les tourmenteurs et la « victime ». Un même échec les enveloppe. Faut-il alors passer de la passion à la vertu ? Laclos répondrait peut-être oui. Son roman s'en garde bien. Il laisse dans un face à face sans issue la passion du libertinage et la passion amoureuse, sublimes et vouées toutes deux à l'échec. Mais qui dégradent le triomphe apparent du conformisme.

Aigres délires, maigres délits, dira-t-on, si l'on songe à ce que Sade a rêvé, à ce que notre siècle a subi. C'est que le libertinage des Liaisons cultive avant tout la beauté impeccable des formes.

Quatre parties, trois instances principales (monde, libertinage, sentimenT), deux couples impossibles (Merteuil-Valmont, Valmont-TourveL), un personnage hors du commun (MerteuiL) - ce livre désespérant à force de perfection interdisait toute postérité. Il ne restait à Laclos qu'à gagner de l'argent, devenir général, aimer sa femme et ses enfants, à rêver d'impossibles Liaisons vertueuses. Son livre unique dérange moins les conformismes par ce qu'il montre que par ce qu'il empêche : les jugements moraux, rendus dérisoires. Ces choses-là se paient : il resta exclu, jusqu'en... 1985, de l'anthologie scolaire la plus connue. Mais dès 1788 un littérateur adroit, calculateur avisé et bien pensant, jetait sur le marché tout ce que Laclos avait soigneusement banni - la nature, le pittoresque, les bons sentiments, les clichés de la morale et de la philosophie, le goût tiède de l'âme et des larmes. On y apprenait par exemple qu'une jeune fille peut préférer la noyade aux bras nus d'un marin. Ces choses-là n'ont pas de prix-: Paul et Virginie ont bien mérité la palme et l'auréole du roman français le plus réédité.






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