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CHATEAUBRIAND






Quel que soit l'objet rêvé que notre désir nous propose, qu'il soit réel ou immatériel, proche ou lointain, distinct ou indistinct, à notre portée ou hors d'atteinte, cet objet, en tant que favorisé par nous, ne peut échapper à une certaine détermination. Il est déterminé en ce sens qu'il rend visible à notre esprit la fin spéciale que le désir a choisi pour lui. Par le pouvoir de l'imagination, notre pensée fait surgir du vide intérieur l'objet auquel le désir s'attache. L'objet désiré devient notre unique fin. Nous le voyons prendre une place de plus en plus large dans nos hantises. En tant qu'objet formé, visé, par le désir, cette image, si insubstantielle qu'elle soit en elle-même, reçoit une détermination indubitable. Que cette image soit vague ou nette, le phénomène est le même. L'objet visé par nous, justement parce*-qu'il est visé par nous, ne saurait nous apparaître dans une indétermination totale.



Si l'on veut étudier concrètement ce phénomène, il n'est pas de meilleur exemple qu'on en puisse donner, que le comportement fameux du jeune Chateaubriand, décrit par lui dans les Mémoires d'outre-tombe. L'on sait que la créature passionnément aimée par lui est purement imaginaire. Elle joue pourtant un rôle immense dans sa vie intérieure. En particulier, elle est représentée comme lui inspirant ce qu'il appelle d'une expression fameuse le « vague des passions ». Or, si vague que puisse être cette passion, il n'est pas douteux qu'elle présente au moins un minimum de détermination. Penser passionnément à un être, rêver intensément cet être, c'est lui conférer nécessairement une forme déterminée. C'est attacher presque indissolublement son désir à un ensemble de traits imaginaires ou réels, constamment modifiés, il est vrai, dans le cas en question, par la pensée délirante, mais relevant tous d'une certaine idée que le rêveur se forme de la personne désirée. L'être qu'il imagine n'est donc pas purement abstrait, sans rien de concret, sans forme, sans apparence distincte. Plus Chateaubriand rêve de cet être, et plus il est incité à lui donner une personnalité déterminée.



Il n'en demeure pas moins pourtant que la créature ainsi imaginée reste immatérielle. Elle existe et n'existe pas. Elle n'existe pas en tant que créature en chair et en os, elle existe en tant que fantasme. D'un côté, si la sylphide est une simple conception de l'esprit, la moindre défaillance du désir risque de faire pâlir son image, et la détermination imaginaire peut ainsi se métamorphoser en totale indétermination. D'autre part, l'intensité croissante de l'activité imaginaire pourrait avoir une conséquence contraire, celle d'accorder à la figure rêvée une consistance de plus en plus grande. Aussi oscille-t-elle, au fond, entre l'imaginaire et le réel, entre l'informe et le formel, et si, selon le terme employé par Chateaubriand, elle est une vague émanation de la pensée, c'est que la puissance imaginatrice exercée par l'esprit du rêveur n'a pas assez de fermeté ou de constance pour donner à l'image qui le hante la netteté nécessaire s'il veut en faire un être définitivement déterminé.



Bref, ce que Chateaubriand a conçu dans les rêveries de sa jeunesse, c'est une forme qui n'est jamais entièrement indéterminée - puisqu'elle reste à ses yeux une forme - ni entièrement déterminée non plus, puisqu'elle s'altère considérablement en cours de route. C'est un être hybride, essentiellement ambigu dans son apparence, et peut-être même aussi dans sa substance. Nous découvrons en lui un mélange, charmant mais impur, de réalité et d'irréalité. Tantôt ces deux tendances se fondent, tantôt, au contraire, elles s'affrontent et font violemment ressortir leurs contradictions. Cet état confus n'est évidemment pas dû à une maladresse du créateur. Les traits opposés qui se révèlent dans sa création ont une mission particulière : celle de nous présenter l'expérience vécue dans son aspect double, celui d'une indétermination et celui d'une détermination. Il s'agit de faire apparaître ce qui est éprouvé à la fois comme un plein et comme un vide : surabondance de richesse mais issue d'une pénurie spirituelle - vide intérieur que l'on ne saurait remplir, mais aussi puissance de créer des mondes - flamme future, prête à jaillir d'une soif vague - en somme, presque simultanément, l'expérience d'un manque et d'un bien positif.



La pensée de Chateaubriand, on le perçoit, se plaît intensément dans la conjonction du vide et du plein, de la joie délirante et de l'inquiétude, d'un maximum et d'un minimum d'être. Il joint audacieusement la présence et l'absence. Il réalise, non, certes, au point de vue métaphysique, mais d'un point de vue onirique, la simultanéité des contraires.



La simultanéité, mais aussi la contrariété. Les éléments, ici, se joignent. Ils se mêlent. Ils ne s'harmonisent pas. On peut même dire qu'ils s'entrechoquent. Sans y songer, Chateaubriand réalise ici exactement 1 inverse de la sorte de conjonction qa'on trouve chez les grands penseurs de la Renaissance, un Nicolas de Cues, un Giordano Bruno. Nous sommes ici aussiloin que possible de l'idéal cusain, celui de la fameuse coïncidence des contraires. S'il y a chez Chateaubriand, comme chez le Cusain, un grand désir de fondre ensemble, par la puissance de la pensée les éléments antagonistes, ceci n'est nullement accompli par lui sous la forme d'un accord entre les contraires. La confusion de ceux-ci n'a pas chez lui pour effet d'accorder, d'harmoniser, d'apaiser la dissension originelle, mais, exactement à l'opposé, de créer ou d'intensifier à l'extrême la discordance. L'état de vague et de confusion ne saurait être pour Chateaubriand un état de pur repos. Il a pour résultat direct, le plus souvent, l'inverse d'une détente, c'est-à-dire un tumulte intérieur. Tout se passe comme si la pensée, ou, pour lui rendre son véritable nom, la passion selon Chateaubriand, avait pour fin la prise de possession d'un de ces deux éléments par l'autre, c'est-à-dire l'absorption de l'objet par le sujet. Prise de possession directe, absorption ayant pour conséquence avouée le triomphe du sujet avec élimination de l'objet. La fougue délirante dont fait montre Chateaubriand dans son amour pour la sylphide ne peut aboutir qu'à une sorte d'anéantissement de celle-ci en tant que réalité indépendante, et par conséquent à la victoire totale du sujet sur l'objet. L'objet ne saurait sauvegarder son identité. Il faut que le sujet l'absorbe si complètement qu'il n'en subsiste rien, ou presque rien, juste assez pour qu'il apparaisse encore, mais confusément, comme une simple partie du moi-sujet. L'objet est littéralement englouti dans la masse subjective, ou, à tout le moins, forcé de mener une existence obscure, somme toute secondaire et purement annexe, dans le déploiement flamboyant de la subjectivité. Cette sorte particulière de relation sera toujours maintenue par la suite. Jamais, dans l'ouvre de l'Enchanteur, il ne sera possible de trouver ce qui, presque un demi-siècle plus tard, sera réalisé d'abord par Flaubert, ensuite par les romanciers naturalistes, c'est-à-dire la présentation objective du réel. Devenues entièrement subjectivées par l'épanchement illimité de la passion de l'auteur dans tout son champ existentiel, ces images, créées d'ailleurs avec une force suggestive souvent irrésistible, par le grand magicien, ne se révéleront être dans leur substance profonde que des états de la sensibilité, liés, il est vrai, à des détails descriptifs, mais jamais présentés de telle sorte qu'on puisse les mettre à part, détachés de l'effet intensément émotionnel en lesquels ils se trouvent comme noyés.



C'est dire en un mot qu'aucune objectivité indépendante, donc aucune détermination nette, ne peut se trouver dans l'ouvre de Chateaubriand. Une même tonalité y règne, univoque, caractérisée par les manifestations, variées en apparence, mais toujours monocordes, d'une personnalité isolée. Il faut remarquer cependant que cette personnalité elle-même est dépourvue de traits individuels bien tranchés. Sans doute, la moindre pratique de l'ouvre nous permet d'y remarquer des aspects personnels très évidents. Mais une analyse minutieuse de ces traits serait aussi inutile que nuisible. Elle nous empêcherait de voir l'essentiel, qui est le fait que l'ouvre en question nous révèle primordiale-ment, et de façon presque exclusive, une vie intérieure, certes, exceptionnelle, mais exprimée toutefois dans sa généralité profonde, presque impersonnelle, comme si ce que Chateaubriand, avant tout, avait cherché à exprimer, ce n'était pas lui-même en tant que personne déterminée, mais, au contraire, ce sentiment de soi anonyme, que chacun possède, et qui fait de chacun un centre solitaire autour duquel il n'y a plus qu'un décor.

Toute l'ouvre de Chateaubriand révèle en effet, de ce point de vue, une extrême simplicité : la simplicité de celui qui, en évitant toute complication superflue, accepte de n'avoir d'autre perspective que celle de se voir, de se sentir soi-même, rien que soi-même, au milieu de l'immense variété des paysages déroulés autour de soi.

Il est vrai, comme nous venons de le remarquer, que la variété de ceux-ci donne au contemplateur, même dans son isolement, la faculté de se voir et de se produire dans une infinité de versions différentes. Mais il faut aussi reconnaître, d'autre part, que la marge n'est jamais grande entre ces diverses versions. L'ouvre de Chateaubriand, nous l'avons vu, est essentiellement confuse. Elle est confuse en ce sens que toutes les différences qu'on y relève, le plein et le vide, la présence et l'absence, l'inquiétude et la surabondance, finissent par si bien s'y mélanger, qu'elles en arrivent à s'annuler. Vue selon ce coup d'oil général, l'ouvre entière tend à perdre les traits contradictoires qu'on a commencé par y noter. Cela se remarque surtout dans le développement des péripéties qui s'y trouvent narrées. Pris d'abord dans leur succession ininterrompue, cédant la place les uns aux autres, les événements se pressent, se heurtent, se bousculent, se chevauchent presque. Ils font ainsi apparaître, non sans une certaine ostentation, les différenciations qui les séparent. Mais bientôt, l'on s'aperçoit que ces effets de contraste se ressemblent. Les moments, puis les époques en viennent à se confondre : « Je ne sais plus à quelle époque je suis », s'écrie Chateaubriand. Cette uniformisation de l'existence qu'on déploie n'est pas sans grandeur. Personne n'a su exprimer avec autant de solennité que Chateaubriand le caractère du temps humain qui s'écoule, non tant dans la continuité de sa marche que dans l'uniformité de son cours, ce qui n'est pas la même chose. Ce qui s'y montre, en effet, ce n'est pas un flux, un courant d'énergie qui se reformerait à mesure : c'est la persistance statique d'une réalité interne, toujours identique à elle-même, en dépit des troubles qu'elle accueille, d'ailleurs favorablement, car ils profitent à sa grandeur. La poésie qui se dégage de cette prose où se retrouvent les mêmes sentiments, les mêmes périodes verbales, les mêmes sons, est une poésie de l'uniformité, c'est-à-dire une poésie dégageant de l'infinité du secondaire le principal, qui est que, dans le changement, il y a toujours quelque chose d'inaltérable, et que, même sans savoir très bien ce que c'est, l'on reconnaît que cette inaltérabilité du fond est la seule chose importante.



Qu'il l'ait consciemment voulu ou non, Chateaubriand n'a jamais cessé de montrer l'unité obscure mais fondamentale d'une existence ne s'embarrassant jamais de toutes les superfluités qui l'agitent. Le fond reste le même. Il ne s'agit que de le retrouver. De là, les effacements, les dégagements, mais aussi les apaisements, les longues haltes de l'esprit se reposant en lui-même. Tous ces retraits et ces silences ont pour mission de montrer que l'être revient de lui-même, spontanément, non à une paix sereine, elle ne le contenterait pas, mais à un état plus profond dans sa négativité, un état proche du néant. Un nivellement général de tous les désirs veille à ce que l'esprit se maintienne ou se rétablisse dans sa monotonie. C'est là encore une manifestation du penchant pour l'indistinct, pour l'uniforme, pour ce qui, aux yeux de Chateaubriand, fait le fond de l'existence. Lorsque quelqu'un comme lui prend l'habitude de considérer toutes déterminations du point de vue d'outre-tombe, celles-ci ne semblent plus qu'une insignifiante agitation à la surface de l'indéterminé. S'il y a, issu de l'ouvre de Chateaubriand, un sentiment final qui survit, c'est sans doute un étrange dédain. Mais dédain de quoi ? Peut-être de la vie elle-même, si on la prend dans cette agitation futile qui la trouble. Que reste-t-il alors en fin de compte ? N'est-ce pas simplement la faculté de s'enfoncer lentement, en toute indifférence, dans la profondeur indéterminée ?



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