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Emile Verhaeren



Un réveil - Poéme


Poéme / Poémes d'Emile Verhaeren





Il ouvrit les yeux, mais aussitôt les referma, craintif du matin brutal qui s'installait dans la chambre. Il le savait : invariablement, comme hier, comme avant-hier, comme toujours, ses rideaux blancs auraient la même teinte d'acajou fané, les panneaux de porte la même mince gouttelette de lumière sur la clavicule de leur poignée métallique ; le même ornement le blesserait de sa futilité prétentieuse, là, sur un fronton de cadre ; ce serait, par la fenêtre, l'invariable paysage de toits bastionnés de cheminées grises. Il referma les yeux.



Il rechercha le sommeil. Il se souvint de son cauchemar. Avec des torches rouges éteintes et d'une odeur épouvantable de mort et de pourriture, on transportait des cercueils au fond d'un cimetière, la nuit. Des pelles fichées en terre et des croix saoules, à droite, à gauche. Dites, le maigre décor d'un terrain fleuri tel : jaune - et des trous violets, ci et là, comme des plaies ouvertes. Un chat, tout à coup, sauta hors d'une fosse fraîche et sur un tertre s'établit. Et ce chat se mit à grandir, à grandir, à monter, à monter: les pattes sortaient de la fourrure, immenses ; la tête s'énormisait, la queue battait l'immensité. Lui regardait ce chat devenir colosse... Puis une lacune dans la mémoire. Pourtant, à certain instant, un des yeux du chat avait dardé si haut dans le ciel, oui, c'était bien cela, l'oil du chat avait été l'oil unique de la lune. Il l'avait senti sur lui, regard vert, qui tombait là, entre les omoplates - il aurait touché le point avec son doigt - là, comme une goutte d'acide, entre ses omoplates. Il se tâta ; puis réfléchit. Avait-il mal encore ? Et le doute de son mal lui fit bouder : « Bah ! est-on certain de quelque chose?» Et machinalement, à haute voix, il se répondit : « On n'est sûr de rien, absolument de rien. »

Puis, en un éclair, la promesse qu'il s'était faite, le soir d'hier, de provoquer lui-même la quotidienne torture le dressa de son lit, droit. Il ne se demanda plus même pourquoi des êtres absurdes comme lui vivaient et continuaient à vivre et à manquer de raison pratique pour s'en aller mourir, sans rien dire à personne, quelque part, là-bas, au fond d'une crevasse de montagne. Il relut certaines lettres dont chaque mot avait le serpentin pouvoir de lui cravacher le cour jusqu'au sang, les lut et les relut, et, comme hier et avant-hier et toujours, ses nerfs se mirent à brûler tout son corps. Il en sentait les pointes de feu en épingles au long du dos lentement gagner les côtes et la nuque et toute la tête. Il n'eut garde de chasser, d'essayer même de chasser une seule pensée douloureuse ; il y appuyait et ne cessa qu'au moment où l'excès du mal le jeta en une crise de larmes. Alors il eut pour lui le mépris de quelqu'un de fort pour les êtres lâches et mous. Il voulut d'un seul coup se relever: maître - mais ne put s'obéir. Les hoquets continuèrent à saccager sa gorge.

Le soleil, peu à peu. à coups de poings de lumière, avait renversé les gros nuages d'octobre et s'était mis à marcher dans le ciel. La chère ironie de cette allégresse sur sa peine le ressuscita lentement, à moins que ce ne fût la décharge même des pleurs et des pleurs. Il réfléchit à quelque sage parole bien vraie ou plutôt bien poétique : « Et que c'est tenter Dieu que d'aimer la douleur. » Tenter Dieu ? Cela le fit rire et lui mit un sarcasme aux lèvres. Mais ce sarcasme, cette bravade facile, oh ! comme il se mit à la soudain regretter! Si fort, qu'elle lui devint une occasion d'injures vers soi et de se plaindre et de bêtement se frapper, et enfantinement. le front, comme s'il avait voulu atteindre et châtier son cerveau tout à coup mis à nu. Et plus aigu et plus profond, ce regret d'avoir été ridicule conflagra un véritable désespoir. Il aurait voulu se supplicier physiquement pour faire souffrir cette langue, cette langue banale, jamais assez silencieuse. A quoi bon n'importe quelle parole, puisque la pensée est plus essentielle et plus intime ? La parole, cette chose presque des autres ; en tout cas, pour eux. Non ! il n'était pas le totalement fier et profond qu'il voulait être, il n'avait pas encore assez la haine de l'extérieur ; il se dépensait et, à chaque épreuve, il sortait de soi-même. Son rêve ? recevoir du dehors la souffrance et l'occasion de s'en cingler et ne lui en échange rien donner. S'aimer dans la débâcle muette de son cour et de son esprit, mais s'aimer seul, uniquement seul, sans un signe jamais pour appeler au secours.

Il s'aperçut qu'il était loin de tout sarcasme et que l'idée pure de la torture égoïste existait toujours en lui. Et des rêves de bonheur possible lui venaient, un bonheur à rebours et à contre-lumière, provoqué par lui seul, à force de braver et de défier sa raison. Il riait de ceux qui croient au repos dans l'inconscience. Comme si les hommes, les modernes, héritiers de tant de générations de deuil humain, pouvaient revenir vers les origines et recommencer le monde. Et des exemples de mystiques et de saints, qui s'étaient affranchis des affres de la vie par des années de macérations atroces, surgirent.

Il prit une toute mince petite épée et se l'enfonça assez avant, sans un cri, sous les ongles. Un miroir, placé devant lui. le renseigna sur la presque immobilité de son visage.



Il se mit à songer aux heures les plus noires de sa vie, surtout à ces morts qu'il avait tant aimés dans l'enfance. Seul aujourd'hui, dans ce retrait banal de garni, il restaurait l'existence douce des baisers et des caresses, et l'autre-fois candide et frais de la famille. A tous, il leur avait fermé lui-même les yeux, à son père, à sa mère, et à cette admirable femme de tante adorée dont jadis il avait placé l'image au-dessus de son lit. L'image, il l'avait depuis deux ans, pendant une heure d'atroce hostilité, détruite. Et se sentir si vide de toute tendresse, alors pourtant qu'il se découvrait et qu'il se sentait un cour exaspéré d'amour et si contradictoirement bon à certaines minutes, fit affluer en lui des marées de tristesse immense et grise ; mais aucune larme cette fois ne jaillit, - et triomphalement sa force resta debout.

Mais alors, lentement, et comme il auscultait la volonté restée ferme, un doute surgit. Cette si constante lutte contre la joie, au fond, n'était-ce pas une comédie qu'il se jouait? Etait-il vraiment l'être douloureux qu'il se croyait, et l'absurdité de sa nature cultivée et comme édu-quée n'était-elle pas elle-même toute en surface ? Et toutes ses années, depuis des années, repassèrent devant lui, trop rapides pour les noter, et de toutes il tordait la souffrance : camaraderies d'enfance méchantes, séjour de pension bâillant, cruautés de tous contre lui, amours avec des croix à leur sommet, amitiés douteuses et mendiantes : toute la forêt d'épines traversée. Et, tout immédiatement après, la géhenne des idées, le champ de bataille des livres, la déroute du travail, l'ironie de l'effort, le sinistre revers à tête de Méduse de la science.

A cet instant - que de fois les mêmes pressentiments lui étaient surgis savait-il d'où ? - il comprit que le jour qui venait d'éclater en aurore allait lui laisser tomber sur la tête ses douze heures de vie monotone, avec, certes, un souci de plus avant le soir. Lequel ?- II en avait la curiosité en même temps que la peur. Lequel ? - Il conjecturait qui, parmi ceux que fatalement il rencontrerait, allait, après la main amicalement tendue, dire le mot de supplice. Lequel ?- Avait-il à se reprocher un acte qui motivât des représailles ? Lequel ? - Lequel ?



Et son esprit cherchait, creusait, se mordait lui-même par demandes et réponses, et se saignait à coups de pressentiment.

A réfléchir plus pénétramment, dites ! s'il était lui-même le tentateur ? Etudier les autres avec autant le désir de les torturer que de se torturer soi-même? Il les connaissait, les doubles fonds de la prétendue sympathie, et l'accueil démonstratif et bienveillant. Bonheur à crever toute cette sonorité de tambourin des paroles doucement fraternelles et les louanges et les prétextes masqués de sourire : bonne ouvre et fière et juste. Même courageuse.

Et par un geste agressif, pointé vers le vide illusoirement peuplé de visages, il apostrophait l'un, caricaturait tel. exclamait : canailles ! fourbes ! Mais lui vint la honte d'être, par le fait même de sa colère, inférieur à ceux qu'il détestait, et il se demanda presque pardon à lui-même. Et sa fureur renaquit d'avoir à se demander pardon de quelque chose.

Ainsi serait-il toujours l'agité, le remueur de l'inutile, qui se sent nul et qui ne s'aime que dans cette inanité douloureuse.

Puis soudainement des voix de bonté naïve et de tendresse vers personne, qui résonnèrent en lui. Un ineffable attrait vers des générosités vagues, des douceurs universelles, des dévouements fous, mais silencieusement et comme avec crainte. Oui, n'être que patience, confiance, sacrifice, et, contre soi seul, hargne, trépignement, insulte. S'il était une sagesse, c'était celle-là. Et le malheureux et le triste ouvrit toute grande la fenêtre, et longuement, lentement, pareil à quelque humble voyant qui implore la grâce efficiente de son Dieu, il se pencha vers des fleurs et des branches, il écouta, attentif, le vent à travers les feuilles, et c'était bien à cette heure une porte de son âme qui s'ouvrait à l'ineffable joie de l'air et des brises apaisantes.



Huit heures sonnèrent, nettes.

Se retournant - et dans le vieux cadran de cuivre vert de l'horloge - ne voilà-t-il pas qu'il reconnut, indubitablement, à ne pas s'y méprendre une minute, l'oil du chat, l'oil unique entrevu dans son rêve! La goutte d'acide à la même place, juste à la même place, lui rebrûla le dos.

Huit heures ! Il sortit précipitamment.

Jadis, pendant l'enfance, la première heure de chaque jour - celle-ci - il la vouait à sa prière du matin : « Notre père, qui êtes aux cieux... »

- Non... mais peut-être... non, non, cela moins encore que le reste !

(La Wallonie, mai 1890.)






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Emile Verhaeren
(1855 - 1916)
 
  Emile Verhaeren - Portrait  
 
Portrait de Emile Verhaeren


Biographie / Ouvres

Emile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local.

A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn

Bibliographie


Chronologie


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