wikipoemes
paul-verlaine

Paul Verlaine

alain-bosquet

Alain Bosquet

jules-laforgue

Jules Laforgue

jacques-prevert

Jacques Prévert

pierre-reverdy

Pierre Reverdy

max-jacob

Max Jacob

clement-marot

Clément Marot

aime-cesaire

Aimé Césaire

henri-michaux

Henri Michaux

victor-hugo

Victor Hugo

robert-desnos

Robert Desnos

blaise-cendrars

Blaise Cendrars

rene-char

René Char

charles-baudelaire

Charles Baudelaire

georges-mogin

Georges Mogin

andree-chedid

Andrée Chedid

guillaume-apollinaire

Guillaume Apollinaire

Louis Aragon

arthur-rimbaud

Arthur Rimbaud

francis-jammes

Francis Jammes


Devenir membre
 
 
auteurs essais
 

Edouard Glissant



Les héros - Poéme


Poéme / Poémes d'Edouard Glissant





Elle paraît au matin ; le jour aveugle cependant s'éblouit,

futile ; une splendeur a gagné l'orient,
O naissance !
Sur un chemin d'avril ; sur la chevelure de mai

quand la solitude est fragile ; mais aussi dans la mer

chaste que brûlent ses lèvres.
Elle élève la coupe de sable, ses seins brillent, pendant

qu'ivre elle boit l'azur et de l'azur l'écume misérable.

Qu'elle vienne.
Disant : «
Tu me connaîtras au bas du jour.
Le soleil est

mon compagnon », qu'elle vienne.
Le monde acclame.
La mort entre et joue.
L'azur pâlit.
Je

vous dis que la beauté confuse se rassure et s'éblouit. (Ses seins fusent du jour aveugle, lors qu'elle boit cette

douleur et tout ce bruit.)



Il a fallu telle splendeur, ce langage, langage qui n'erre ; et

la splendeur a ses appâts.
L'Inde est imaginaire, mais sa

révélation ne l'est pas.
Elle vient, je la suis, je m'enivre, jusqu'au soir où elle entre

dans la forêt, me quittant aux lisières.
Je sais alors que je n'ai souffrance qui ne soit une orée ; qui

ne soit coupe de sable avant la gorgée de mers.
Et la suivrai-je ? le cour plein de rames obscures (quand le

jour est désert et qu'éperdu dans mon midi je sanglote),
Elle, que je connaîtrai au bas de ce chant, mais si

éblouissante dans sa larme déjà,
Que le jour quand elle paraît en vérité devient aveugle.
Et qu'il est plus d'un peuple à boire en elle cet azur!



L'homme la presse contre lui, ne voyant d'elle que ce

mystère de ses lèvres, jaspes d'écumes.
Le sommeil de la nuit tarde à tarir dans sa poitrine ; il en

fait le bouquet dont il parfume ce vieux reste de son

rêve : avant que d'un seul rire elle ait donné lumière au

jour.

Il la caresse, là sur son ventre, près de la vague, il ne sait.
O tumultes !
O lames !
O reflux !

Peut-être descend-elle dans la nuit où les songes cheminent.
Peut-être la voici soudain sur la crête, pleurant.
Son rêve est de sueur et de sagesse du réel ; de sagesse.
Et de crimes obscurs aux lisières de la vie.



Sur la rive de glaise, où le vent rouge s'insinue, d'abord il y

eut mille roides étincelantes givrures, sous leur cendre

de mort accouvies, et muettes.
L'eau des prophètes a tari dans l'utne ; il n'est de lyre

qu'imparfaite, et toutes cloches se sont tues.
Sous la cendre de mort, au long des âges qui ttessaient la

nuit feuillue, et dans l'ardeur de cette nuit, un peuple

encore qui s'empresse.
Et au midi, où l'homme épouse son aimée,
On put entendre, plus haut que gestes d'épousailles, les

voix de ceux qui vinrent sur la mer ; ils ne cherchent leur

Inde.
La voici. «
Ah, criait cette femme, l'homme est avare devant la foule

de son rêve... »
Elle ne sait que l'homme est, aux croisées, lieu de torches

du passé qui fument dans le sens du vent.



Elle nourrit pourtant cette rumeur de la bataille sur la rive où elle brille.
Et on surprit à ses côtés

L'Indien rêveur qui meurt et la contemple, ô silence,

Les gens du soir, venus de la forêt, lueurs,

Et les fils d'Orient qui font de la sagesse leur obole.

II y aura de la sueur, beaucoup de sang et quelques cris.

Ainsi la mort tombera dans la nuit.

On connaîtra que celle qui éveille est
Liberté, douce ou

torride, au bas du jour. (Mais il est temps de l'avouer déjà.)



Femme ! désormais viennent au devant du jour, avant que l'ombre ne les quitte,

Tes fils, et tes gardiens aussi, pour qui une
Inde misérable aura grandi

Dans la géhenne et la forêt torride, sans orée, où chaque peuple s'agenouille

Lorsque commencent les cérémonies sombres de son combat, et que la nue se lève !

Du fond de leur rassemblement, ceux qui ont cru s'armer la
Voix des flamboyants

Et qui te connaissaient dans la bouture de leurs nuits, ne te

connaissant pas !
Ils se lèvent, voici, et leur nom éblouit le
Chant.



Toussaint, déjà nommé, qui fut centaure, et vint mourir au

sable glacé de l'empire.
En vérité, ton fils le plus ardu ; pour lui tu as voilé ta face

et consumé ta larme.
Il te connut puis s'éloigna, tranquille ; tu pleuras sur la

forêt de vétivers le sang de ton aîné.
Car il fut sur la mer, à rebours du commencement
Allant connaître ce pays des conquérants, d'où se leva la

noire empoigne de leurs crimes (Nous pouvons dire maintenant qu'il fut le sage et la

victime),
Et l'histoire ferma, sur ce guerrier trahi, la trappe oublieuse

d'un hiver.
Qu'il meure ô qu'il meure, et que la forêt grandisse.



Ombre de sang, jailli d'un lac de sang, et sans pitié, c'est
Dessalines.

Celui-là fut terrible, il te coûta combien de larmes, ô

prêtresse. (Dites pourtant ! dogues nourris de nègres, si le temps était

aux larmes, quand on vous bénissait comme une meute

de
Sologne !
Avant que vous partiez à la curée, ne vous gardait-on pas

trois jours sans boire ? - et pour la viande vous n'aviez

que celle que vous gagniez.)
Celui-là, dogue contre dogues, fut gardé toute une vie loin

de la viande.
Il ne but à jamais que l'eau fétide des combats, lorsque la

sueur même se gangrène.
Femme,
Tu pleuras sur sa haine, tu grandis de son amour.



O dans les siècles de ces siècles, plus éternels que la parole des pythies,

Ainsi les ai-je vus, nombreux parmi les pousses et les ronces.

L'histoire les oublie, car ils sont morts de ce côté du monde

où le soleil décline.
Je les appelle sur la plage, auprès de ceux partis, mais qui

demeurent cependant.
Us sont les
Conquérants de la nuit nue.
Ouvrez les portes et

sonnez pour les héros sombres.
La mer

Les accueille parmi ses fils, le soleil se lève sur le souffle de

leur âme.
Ils s'appellent, fameux, et oubliés, qui résistèrent au

nocher des caravelles.
Leur cortège pénètre, ils ont brandi les torches de bambous,

et voici le premier,
Delgrès qui tint trois ans la
Guadeloupe.



Le vent dévole des volcans, ô vent, ô cavale des terres ! et

l'esprit n'a plus de souffle qui ne soit
Souffle de laves, de tourmentes, souffle de bouches

impunies et de récoltes d'incendies !
Mais l'homme sait alors où est le
Nord et où la
Mort de son

histoire...
Il est une
Inde qui finit quand le réel brosse son poil ardu ;

terre du rêve.
Elle cède à ce qui vient, souffrance ou joie, qui est multiple

sur l'argile, (A mi-chemin des races, les brassant).
Du rêve là décrit a procédé un haut terrain, qu'il faut

décrire,
Sa richesse est de nommer chaque ferment et chaque épi.
Terre née d'elle-même, pluie des
Indes assumées.



Femme, pourtant ceux qui ont mis sur ton visage la trace de leurs bouches.

Ils s'assemblent dans la clairière, jurant fidélité au jour et à la nue,

Qu'ont-ils besoin de cette voix où je m'efforce, de la neige de ce chant,

Sinon que toute sève a consenti à leur office, et qu'aux

forêts où je pénètre maintenant
Le feuillage prochain tremble à la pointe de ce souvenir ?
Ils ont, de cette orée de bois, fait une plage, entre l'épine et

les taureaux.
Leur marée est d'aubier futur, où quelle
Inde frémit?



Et voyez, par delà les bois, d'autres qui tremblent doucement,

Craignant d'oser ou d'approcher les dieux du feu et de la nuit.

O dans les siècles de ces siècles, ces autres qui portèrent le fourrage à la litière de leurs maîtres, acceptant

Avec des mots fertiles en crachats, des mots de boue, le vieux serment de ne pas être,

Sinon comme un sarcasme, ou une ride sur la mare à l'heure

où d'autres se lavaient !
Ceux-là, pour eux enfin la clairière s'ouvrit, et on connut

qu'elle est le temple
De tes fils, ô
Liberté, de tes gardiens durant ce temps,

pendant que femme tu reposes sous la branche,
Et que l'oiseau paradisier replie ses lames de brasier.








Contact - Membres - Conditions d'utilisation

© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.



Edouard Glissant
(1928 - 2011)
 
  Edouard Glissant - Portrait  
 
Portrait de Edouard Glissant


Biographie / Ouvres

Mort le 3 février 2011 à l'âge de 82 ans, Edouard Glissant était bien plus qu'un grand écrivain, auteur notamment de La Lézarde (Prix Renaudot 1958), Le Sel noir, L'Intention politique, La Case du commandeur, Pays rêvé, pays réel, Tout-monde. Il était surtout l'inventeur et théoricien, à la pensée parfois assez complexe, d'au autre monde qu'il appelait le Tout-monde, nourri des écrits et des lutte

mobile-img