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Auguste Barbier



Un diner d'anges - Satire


Satire / Poémes d'Auguste Barbier





Nouvelle interprétation d' Horace:

Paris présente aux yeux des contrastes étranges;

On y voit les démons parler comme des anges

Et les anges souvent vivre de la façon

La plus habituelle aux enfants du démon,

Dans toutes les douceurs que donne la richesse,

Le monde, le confort et la charmante ivresse

Des fins repas... un jour de cet hiver dernier,

Je reçois d' un des miens une invite à dîner.

C' est un homme savant et de ferme droiture,

Riche, des mieux placé dans la magistrature,

Mais un peu simple et, bien que fort pieux, trop chaud

Pour les coureurs d' église et le monde bigot.



N' importe, au jour marqué par son billet aimable,

Chez notre amphitryon, en habit convenable,

Je me rends, et voilà qu' un superbe salon

M' ouvre sa porte au cri d' un laquais à galon.

Là, dans un bon fauteuil, près de la flamme active

D' un foyer monstrueux dont la chaleur ravive,

Tout en causant avec mon hôte un peu distrait,

J' attends que des dîneurs le cercle soit complet.

L' attente n' est pas longue... à fort peu d' intervalle

Des invités paraît la bande triomphale.



Le premier qu' on annonce est un gros réjoui

À l' oeil vif, au teint frais, au rire épanoui,

Masque de bon vivant chauffé de rouge antique,

Qui jubile et s' incline au nom de: cher critique!

Le second, salué par mon parent trois fois,

Est traité de plus haut: une broche de croix

Étincelle au-dessous de sa blanche cravate:

C' est quelque grand seigneur et même un diplomate.

Derrière lui surgit, du fond d' un paletot

Doublé de molleton bien douillet et bien chaud,

Un long profil blafard, sec, à la lèvre mince,

Qui s' avance de l' air d' un pontife ou d' un prince,

Et dont le salut roide et le regard hautain

Décèlent un grand clerc, un saint Thomas D' Aquin.



Pour faire le contraste un monsieur en moustache

Entre sur ses talons; ses cheveux en panache

Se dressent, un habit d' un goût neuf et coquet

Emprisonne ses reins comme dans un corset.

Un pantalon collant lui dessine la cuisse;

On dirait à le voir un lion de coulisse.

Le cercle à son abord est tout empoisonné

D' une senteur de musc qui vous brûle le né.

Enfin, le front suant, couvert d' un rouge tendre,

Honteux et tout confus de s' être fait attendre,

Se glisse un petit homme à l' imberbe menton,

Un abbé d' autrefois, un reste du vieux ton,

Qu' à ses saluts nombreux et sa mine discrète,

Comme l' a dit Boileau, je reconnus poëte.

Les convives présents, dans le lieu du festin

Nous passons; en marchant, tout heureux, mon cousin

Me dit: " tu vois la fleur des esprits catholiques,

Mon cher, écoute bien ces bouches angéliques:



Leur pensée est solide et leur parler divin. "



Le service était beau, plats d' argent, damas fin.

On s' assied, et d' abord circule le madère;

Mon convive de gauche en dégustant son verre

Adresse la parole au blond poétereau:



"Eh bien, cher Sannazar, à quand le saint Bruno!



Le chef-d' oeuvre attendu ne se dévoile guères.

-Et vous, cher Théophraste, à quand vos caractères?



Ce que l' on en connaît est d' un si haut ragoût

Que nous avons au coeur grand appétit du tout. "

Et voilà de nouveau ces héros de Molière

Se jetant par le nez tout le vocabulaire

Des fades compliments en mots pharamineux:

"On n' est pas plus piquant! -on ne chante pas mieux! "

Mais un vaste turbot fait à point son entrée

Pour finir l' embrassade et la phrase sucrée

Des deux lettrés; alors, les yeux sur le morceau,

Chacun de s' écrier en choeur: " ah! Que c' est beau!



-Je ne crois pas, dit l' un, que la superbe bête

Pour laquelle un César fit si grave requête

Aux sénateurs de Rome ait valu ce poisson.

-Eh, eh! Domitien... ce prince avait du bon,

Repart le diplomate à la langue affilée;

Il savait se moquer des bavards d' assemblée,

Seulement, il usait trop souvent du bourreau.

-Messieurs, dit à l' instant l' homme aux parfums, le beau,

En donnant un grand coup de couteau sur la table,

Ne faisons pas trop fi de l' homme respectable

Qui se nomme Bourreau; nous ne pourrions sans lui

Manger en sûreté le dîner d' aujourd' hui.



-C' est vrai, répond la troupe. -hier, j' étais en visite

Chez la marquise D, coeur tendre, esprit d' élite,

Pour la désennuyer je lui lus tout d' un trait

Le portrait merveilleux qu' un grand homme en a fait.

Elle fut renversée, étourdie et ravie,

Elle n' avait rien lu de si beau de sa vie.

-Pardieu, je le crois bien, dit le fils d' Apollon,

C' était du pur De Maistre. " au bruit de ce grand nom,

Ainsi qu' au fond des bois le cri d' un chien qui jappe

Est soudain répété par les échos qu' il frappe

Quatre ou cinq fois, ainsi de nos gosiers béats

De Maistre fait jaillir un torrent de hourras.



"Quel homme, quel lutteur! Quelle ironie amère!

-Comme il vous flanque à bas ce drôle de Voltaire!

-Jean-Jacques, Montesquieu, ces donneurs de leçons,

Auprès du savoyard sont de vrais polissons!"



Et mille autres propos; mon cousin pâmait d' aise,

À chaque trait ses yeux scintillaient comme braise,

Il ne dégorgeait mot, mais je voyais son oeil

De temps en temps vers moi tourner avec orgueil

Semblant me dire: eh bien! était-ce raillerie

Quand je te promettais si fine compagnie!



Je ne décrirai pas les différents morceaux

Qui nous furent servis tant refroidis que chauds;

Hure de sanglier cuite à la bohémienne,

Côtelettes d' agneau, dinde à la parisienne,

Truffes du Périgord; je ne parlerai pas

Non plus des entremets couronnant le repas,

Pois verts au naturel et gelée à la fraise,

Croque-en-bouche, babas, crème à la polonaise;

Pour dignement louer ce service excellent

Il faudrait un Berchoux... je n' ai pas son talent;

Je viens donc au dessert; il apparaît splendide,

Du champagne escorté; l' homme à face livide,

Notre penseur profond qui n' avait pas encor

Pris langue, dit d' un ton de saint Jean bouche d'or:



"Permettez moi, messieurs, en dévoué confrère,

De vous faire présent à tous d' un exemplaire

Du livre que je vais donner sur la douleur.

-La douleur! Ah! Vraiment, répond la table en choeur,

Quel superbe sujet! -oui, messieurs, c' est le thème

Que je viens de traiter avec un soin extrême.

J' en ai sondé le fond d' un regard plein d' amour,

Saisi tous les côtés, et le contre et le pour,

Et du tout j' ai conclu que rien sur cette terre

À notre avancement n' était plus nécessaire.



Vous jugerez, messieurs, mais je crois avoir fait

De mon mieux et toujours être demeuré vrai.

-Admirable, bravo! Dit chacun à la ronde.

La douleur, la douleur! C' est la bêche féconde

Qui, délivrant nos coeurs des penchants vicieux,

Les prépare à mûrir la semence des cieux;

C' est le divin creuset où sur l' ardente flamme

Le fer devient acier... c' est la trempe de l' âme...

Sans elle nous serions moins que des animaux,

Des mollusques grossiers, de fades végétaux... "



C' était à qui mieux mieux: d' un moment de silence

Je profite à mon tour pour doter l' assistance

De mon mot, et je dis: " messieurs, pour moi, de Dieu

En créant la douleur j' ignore encor le voeu,

Mais je le bénis fort de sa pitié des hommes

Et d' avoir fait couler sur le globe où nous sommes

Tant de flots de bon vin afin de l' y noyer... "

Mon mot lâché, j' attends l' effet du plaidoyer.

Hélas! On aurait dit qu' une flamme effroyable

Du feu d' enfer venait de tomber sur la table.

Tous les yeux aussitôt se dirigent vers moi

Étonnés, inquiets, comme saisis d' effroi;

Il semblait que je fusse une horrible vipère,

Un scorpion mortel... j' étais plus, un faux frère

Faufilé dans la bande on ne sait trop comment,

Pour y porter le trouble et l' empoisonnement.



Je voyais dans les yeux s' amasser la tempête,

Des cris, peut-être bien quelque verre à la tête;

Redoutant pour lui-même une part des éclats,

Mon cousin tout penaud regardait dans les plats.

Pourtant, grâce à l' entrain de notre gros critique,

La chose prit un air moins lugubre et tragique.



"Monsieur en est encore au Dieu des bonnes gens,

C' est un peu vieux, dit-il, mais soyons indulgents:

Un jour, comme plus d' un il brisera l' idole

De son printemps; pour nous, reprenant notre rôle,

À notre ami portons une santé d' honneur.

Au noble historien de la sainte douleur,

Au poëte inspiré de la grâce suprême

Qui, tous, nous doit sauver par un second baptême,

Gloire, hommage, succès! " -et levant dans les cieux

Son verre étincelant du jus délicieux,

Il le vide d' un trait; ce magnifique exemple

Est soudain imité par les anges du temple,

Et la table bientôt n' est plus qu' un cliquetis

De verres ballottés, de vivats et de cris,

Parmi lesquels pourtant j' entends à mes oreilles

Tinter d' étranges mots et des phrases pareilles

À celles-ci: -" la ligue avait bien sa raison...

Vivent les fils d' Ignace et l' inquisition! "

Connaissant trop l' effet de ma courte harangue,

Je n' étais plus d' humeur à jouer de la langue

Dans ce tohu-bohu, puis je ne voulais pas

Affliger le cousin d' un nouvel embarras;

Je pris donc le parti de demeurer en place

Bouche close, écoutant d' un sang-froid tout de glace

Tomber le flot vineux des grotesques rumeurs

Qu' épanchait le gosier de ces gais festineurs.



Cependant je cherchais sourdement en moi-même

Un honnête moyen, un décent stratagème

Pour fausser compagnie à notre Amphitryon.

Il se montra bientôt. Dès l' instant qu' au salon

Tout le monde passa pour achever la fête,

Entre le moka noir et la blanche anisette,

Je saisis mon chapeau; puis, d' un pied clandestin

M' esquivant, de mon toit je repris le chemin,

Non sans rire parfois au feu des réverbères

De ce grave troupeau de Sénèques austères

Que j' avais vus, suivant le poëte Victor,

Boire si joliment le falerne dans l' or.

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Auguste Barbier
(1805 - 1882)
 
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