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Auguste Barbier



Il pianto, le campo vaccino - Poéme


Poéme / Poémes d'Auguste Barbier





À M Antoni Deschamps:



C' était l' heure où la terre appartient au soleil,

Où les chemins poudreux luisent d' un ton vermeil,

Où rien n' est confondu dans l' aride campagne,

Où l' on voit les troupeaux dormir sur la montagne,

Et le pâtre robuste avec ses beaux chiens blancs

Étaler auprès d' eux ses membres nonchalants,

L' heure aux grands horizons, l' heure où l' ombre est mortelle

Au voyageur suant qui s' arrête sous elle,

Où le pélerin las, son bâton à la main,

Laisse tomber la tête en suivant son chemin,

Où l' on n' entend au loin sous les herbes brûlantes

Que les cris répétés des cigales bruyantes,

L' heure où le ciel est rouge, où le cyprès est noir,

Et Rome en son désert encor superbe à voir...

À cette heure, j' étais sur un monceau de briques,

Et, le dos appuyé contre des murs antiques,

Je regardais, de là, s' étendre devant moi

La vieille majesté des champs du peuple roi;

Et rien ne parlait haut comme le grand silence

Qui dominait alors cette ruine immense,

Rien ne m' allait au coeur comme ces murs pendants,

Ces terrains sillonnés de mâles accidents,

Et la mélancolie empreinte en cette terre

Qui ne saurait trouver son égale en misère.

Sublime paysage à ravir le pinceau!

Le colysée avait tout le fond du tableau!



Le monstre, de son orbe envahissant l' espace,

Foulait de tout son poids la terre jaune et grasse;



Là, ce grand corps sevré de sang pur et de chair,

Étalait tristement ses vieux membres à l' air,

Et le ciel bleu luisant à travers ses arcades,

Ses pans de murs croulés, ses vastes colonnades,

Semait ses larges reins de feux d' azur et d' or,

Comme au soleil d' Afrique un reptile qui dort.

À droite, en long cordon, au-dessous de sa tête,

Du haut d' une terrasse à crouler toute prête,

Tombaient de larges flots de feuillages confus,

Des pins au vert chapeau, des platanes touffus,

Et des chênes voûtés, dont la racine entière

Jaillissait comme l' onde à travers chaque pierre,

L' ombre épaisse, je crois, des jardins de Néron,

Le seul dont le bas peuple ait conservé le nom...

À gauche, près d' un mur chargé d' herbes nouvelles,

Le temple de la paix aux trois voûtes jumelles,

Immense, laissait voir par un trou dans le fond

Les hauts remparts de Rome et son désert profond;

Puis Castor et Pollux, dépouillés de leurs marbres,

Avec d' humbles maisons se perdaient sous les arbres,

Et les arbres voilaient de leurs feuillages roux

Le grand arc de sévère enfoui jusqu' aux genoux;

Enfin dans le milieu de cette large enceinte,

Auprès du capitole et de sa base sainte,

La terre de Remus, le vieux pavé romain...

Mais las! Dans quel état! Tout meurtri par la main

Et par le pied brutal de cent hordes guerrières,

Un terrain sillonné de briques et de pierres,

Et semé de trous noirs et si larges, que l' eau

Faisait plus d' une mare en cherchant son niveau.

Comme des souvenirs, là, de frêles colonnes

Dressent de loin en loin leurs jaunâtres couronnes,

Et leurs feuilles d' acanthe et leurs fûts cannelés

Rappellent la splendeur des siècles écoulés.

Mais en vain, bien en vain, sur leurs bases rompues,

Quelques-unes encor, comme des vierges nues

Semblent mener un choeur, et se donnant la main,

Chanter d' un noble accord un hymne pur et saint

À la blanche concorde; en vain une lointaine

Élève dans les airs sa taille souveraine,

Et montre encor Phocas luisant de pourpre et d' or

Devant l' autel brisé de Jupiter Stator:

Oh! Toutes, le front chauve et le pied dans les terres,

Pauvres enfants perdus, romaines solitaires,

Elles sont toutes là, dans ces champs désolés,

Comme après le carnage et sur des murs croulés

Des filles de vaincus qui pleurent sur leurs pères.

Toutes, dans le silence et sans plaintes amères,

Elles vont protestant de leurs fragments pieux

Contre la barbarie et tous les nouveaux dieux.

Pleure, pleure et gémis, beau temple de Faustine;

Tes colonnes de marbre et ta frise latine,

Et ton fronton meurtri, fléchissent sous le poids

Du plus lourd des enfants qu' ait engendrés la croix:

Pleure! Pleure et gémis, car l' indigne coupole

Toujours blesse tes flancs et ta divine épaule;

Sur toi pèse toujours le dôme monacal,

Comme un barbare assis sur un noble cheval.

Et toi, divin Titus, roi des belles journées,

Qu' est devenu ton arc aux pierres inclinées?



Et cette large voûte, où de nobles tableaux

Montraient l' arche captive avec les saints flambeaux,

Et le peuple des juifs, vaincu, les deux mains jointes,

Pleurant devant ton char ses murailles éteintes?

Où sont tes écussons par la foudre sculptés?

Tes cavaliers romains par le temps démontés?

Grand Titus, tu n' as plus que la robe sublime

Dont les siècles toujours décorent leur victime,

La rouille, et demi-nus, penchés de toutes parts,

Tes membres sont ridés comme ceux des vieillards.

Ô superbes fiévreux, gras habitants du Tibre,

Enfants dégénérés d' un peuple qui fut libre,

Je ne viens pas chercher à vos tristes foyers

De mâles sénateurs et d' antiques guerriers,

Le dévouement sans borne à la mère chérie

Que vous nommiez jadis du beau nom de patrie,

La croyance éternelle aux murs de Romulus,

L' auguste pauvreté, les rustiques vertus,

Et la robuste foi qui, sur un crâne immonde,

A bâti huit cents ans la conquête du monde;

Ces rudes éléments et du grand et du beau

Ne peuvent plus entrer dans votre étroit cerveau.

Ce que je veux de vous, ce sont de saints exemples,

C' est le respect aux morts, c' est la paix aux vieux temples.



Or donc, assez longtemps, sur ce terrain hâlé,

Vieille louve au flanc maigre, avarice a hurlé;

Assez, assez longtemps, sans pudeur et sans honte,

Vos pères ont sucé ses mamelles de fonte;

Dans Rome, assez longtemps, prélats et citoyens,

Se ruant par milliers sur les temples païens,

Ont violé le seuil des royales enceintes,

Volé les dieux d' airain, fondu les portes saintes,

Et comme des goujats avides de trésors,

Jusqu' au dernier lambeau déshabillé les morts.

Maintenant tout est fait: ruines séculaires,

Leurs murs ne peuvent plus tenter les mains vulgaires:

Pas une lame d' or à leurs flancs vermoulus;

De l' antique splendeur il ne leur reste plus

Que la forme première, et la belle harmonie,

Dont les a, tout enfants, revêtus le génie;

La forme et des contours, voilà tous leurs appas.

Ô romains d' aujourd' hui! Si l' art ne vous prend pas,

Du moins par piété respectez des victimes,

Souvenez-vous toujours des paroles sublimes

Que la lyre divine, en des temps de malheurs,

Envoyait courageuse aux saints dévastateurs.



Les temples, quels qu' ils soient, sont les âmes des villes;

Sans eux, toute cité n' a que des pierres viles;

Du foyer domestique et du corps des vieillards

Les monuments sacrés sont les derniers remparts;

Et, lorsque sur la terre ils penchent en ruines,

Leurs ruines encor sont des choses divines,

Ce sont des prêtres saints que l' âge use toujours,

Mais qu' il faut honorer jusqu' à leurs derniers jours.

Hélas! Tel est le train de ce monde où nous sommes,

Et l' art entre si peu dans la tête des hommes,

Que peut-être mes cris vainement écoutés

S' en iront sans échos par les vents emportés.



L' homme ici ne croit plus qu' aux choses que l' on touche,

Au pain qu' on mange, au vin qui parfume la bouche,

À la gorge en fureur qui bondit sous la main,

Et puis au coutelas qui vous perce le sein.

Pour le reste, néant; sous ses paupières brunes

Peuvent s' amonceler des torrents de fortunes,

La terre peut trembler sous les plus hauts destins,

Des fronts peuvent jaillir les chants les plus divins,

Aux cieux peuvent briller les plus illustres gloires:

Tout ici, jusqu' au nom, s' efface des mémoires,

Et quand vous demandez: qui jadis là vivait?

Le peuple indifférent vous répond: qui le sait!

Ah! Sommes-nous donc tous sous un souffle de glace,

Sous un vent fade et mou qui nous ride la face,

Nous ôte la vigueur, nous arrête le pouls,

Et sous nos corps penchés fait trembler nos genoux?

Avons-nous en dégoût pris toute gloire humaine,

Et vivant pour nous seuls, sans amour et sans haine,

N' aspirons-nous qu' au jour où le froid du tombeau

Comme un vieux parchemin nous jaunira la peau?



Faut-il se dire enfin sous le mal qui nous ronge:

L' art n' est plus qu' un vain mot, un stérile mensonge;

Le temps a tout usé ce tissu précieux,

Ce riche vêtement, cet habit gracieux,

Que Dieu fila lui-même, et que sa main féconde

Déploya pour couvrir la nudité du monde,

La forme! -elle si grande et belle au premier jour,

Si belle que le maître, avec un oeil d' amour

Contemplant de son haut l' univers plein de grâce,

Et comme en un miroir y reflétant sa face,



Pensa quelques instants que le monde était bien,

Et qu' en ses éléments le mal n' entrait pour rien:

La forme! Elle a perdu sa pureté première.

Partout l' homme aujourd' hui maltraite la matière,

Et son souffle ternit la native fraîcheur

Qu' elle avait comme un fruit que l' on cueille en sa fleur,

Plus l' homme avide étend son empire sur terre,

Plus la forme pâlit sous la main adultère,

Plus cette belle trame et ce réseau divin

Échangent leurs fils d' or contre des fils d' airain,

Plus cette eau sans limon va roulant de la fange,

Plus ce beau ciel limpide et ce bleu sans mélange

Voient s' étendre sur eux de nuages épais,

Et la foudre en éclats leur enlever la paix:

Si bien qu' un jour, ridé comme un homme en vieillesse,

Le globe dépouillé de grâce et de jeunesse,

Faute de forme, irait, sans secousse et sans maux,

Replonger de lui-même au ventre du chaos...

Oh! Pardonne, mon dieu, ces cris illégitimes!

C' est que le désespoir va bien aux coeurs sublimes,

C' est que la forme morte et sans recouvrement

Est une chose amère à qui sent fortement.

Aussi, choeurs des souffrants, ô troupes lamentables,

Amants, tristes époux, mères inconsolables,

Vous qu' une forme absente accable de douleurs,

Et le jour et la nuit fait sécher dans les pleurs,

Vous, poëtes divins, chanteurs au front austère.

Et vous, prêtres de l' art, ô peintres qui, sur terre,

Pliant les deux genoux, comme l' antiquité,

Vous faites de la forme une divinité;

Vous tous, êtres nerveux, qui ne vivez au monde

Que par le sentiment de sa beauté profonde,

Oh! Comme je vous plains, oh! Comme je conçois

Votre douleur sans borne et vos lèvres sans voix,

Lorsque de vos amours les lignes périssables

S' effacent devant vous comme un pied dans les sables;

Lorsqu' une voix éclate en un dernier effort,

Et qu' un beau front se fane au souffle de la mort;

Ou bien lorsqu' à vos yeux une blanche statue,

Sous le marteau brutal qui la frappe et la tue,

Se brise, et que la forme impossible à saisir

Comme une âme s' en va pour ne plus revenir!



Et toi, divin amant de cette chaste Hélène,

Sculpteur au bras immense, à la puissante haleine,

Artiste au front paisible avec les mains en feu,

Rayon tombé du ciel et remonté vers Dieu;

Ô Goethe, ô grand vieillard! Prince de Germanie!

Penché sur Rome antique et son mâle génie,

Je ne puis m' empêcher, dans mon chant éploré,

À ce grand nom croulé d' unir ton nom sacré,

Tant ils ont tous les deux haut sonné dans l' espace,

Tant ils ont au soleil tous deux tenu de place,

Et dans les coeurs amis de la forme et des dieux

Imprimé pour toujours un sillon glorieux.

Hélas! Long-temps du fond de ton sol froid et sombre,

Sur l' univers entier se pencha ta grande ombre.

Longtemps, sublime temple à tous les dieux ouvert,

On entendit tes murs chanter plus d' un concert,

Et l' on vit promener sur tes superbes dalles

Mille jeunes beautés aux formes idéales.

Longtemps tu fus le roi d' une noble cité

Que l' harmonie un jour bâtit à ton côté,

Et longtemps, quand le sort eut brisé ces portiques,

Qui rappelaient Athène et les grâces antiques,

Toi seul restant debout, ô splendide vieillard!

Comme atlas, tu portas le vaste ciel de l' art.

Enfin toujours brillant, toujours jonché d' hommage,

Il semblait ici-bas que tu n' avais pas d' âge,

Jusqu' au jour où la mort, te frappant à son tour,

Fit crouler ton grand front comme une simple tour.

Ô mère de douleur! ô mort pleine d' audace!

À maudire tes coups toute langue se lasse,

Mais la mienne jamais ne se fatiguera

À dire tout le mal que ton bras a fait là.



Depuis qu' elle est à bas, cette haute colonne,

Il me semble que l' art a perdu sa couronne;

Le champ de poésie est un morne désert,

Où l' on voit à grand' peine un noble oiseau passer.

Les plus lourds animaux y cherchent leur pâture,

Les vils serpents y vont traîner leur pourriture,

Et leur gueule noircit de poison et de fiel

Le pied des monuments qui regardent le ciel;

C' est un champ plein de deuil, où la froide débauche

Vient parmi les roseaux que jamais l' on ne fauche

Hurler des chants hideux et cacher ses ébats;

C' est un sol sans chemin, où l' on tombe à tout pas,

Où, parmi les grands trous, et sur les ronces vives,

Autour des monuments quelques âmes plaintives

Descendent par hasard; et là, dans les débris,

Versent des pleurs amers et poussent de longs cris.



Ô vieille Rome! ô Goethe! ô puissances du monde!

Ainsi donc votre empire a passé comme l' onde,

Comme un sable léger qui coule dans les doigts,

Comme un souffle dans l' air, comme un écho des bois.

Adieu, vastes débris! Dans votre belle tombe

Dormez, dormez en paix; voici le jour qui tombe.

Au faîte des toits plats, au front des chapiteaux,

L' ombre pend à grands plis comme de noirs manteaux;

Le sol devient plus rouge et les arbres plus sombres;

Derrière les grands arcs, à travers les décombres,

Le long des chemins creux, mes regards entraînés

Suivent des buffles noirs deux à deux enchaînés;

Les superbes troupeaux, à la gorge pendante,

Reviennent à pas lent de la campagne ardente,

Et les pâtres velus, bruns, et la lance au poing,

Ramènent à cheval des chariots de foin;

Puis passe un vieux prélat, ou quelque moine sale,

Qui va battant le sol de sa triste sandale;

Des frères en chantant portent un blanc linceul,

Un enfant demi-nu les suit et marche seul;

Des femmes en drap rouge et de brune figure

Descendent en filant les degrés de verdure;

Les gueux déguenillés qui dormaient tous en tas

Se lèvent lentement pour prendre leur repas;

L' ouvrier qui bêchait et roulait sa brouette

La quitte: le travail, les pelles, tout s' arrête;

On n' entend plus au loin qu' un murmure léger,

Que le cri d' un ânon, le sifflet d' un berger,

Ou, derrière un fronton renversé sur la terre,

Quatre forts mendiants couchés avec mystère,

Qui, les cinq doigts tendus et le feu dans les yeux,

Disputent sourdement des baïoques entre eux.






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Auguste Barbier
(1805 - 1882)
 
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Portrait de Auguste Barbier


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