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André Malraux

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L'Homme précaire et la littérature


Poésie / Poémes d'André Malraux





Si l'on n'échappe guère à l'expression de l'art par le vocabulaire religieux, c'est que tout homme de foi tient pour manifeste l'existence de deux mondes distincts comme des pôles, bien qu'ils communiquent : celui du « siècle », celui de Dieu. Un peintre est un homme pour qui le musée existe, avant d'être un homme qui fait le portrait de son chat. Le roman, la bibliothèque investissent Balzac avant qu'il rencontre les modèles supposés de Rastignac. Ce musée, cette bibliothèque, réels et imaginaires, sont, comme le monde de Dieu, valorisés en face du siècle. L'écrivain n'écrit pas ses livres, dans l'englobant où l'on écrit des lettres ; il est l'homme des deux mondes conjugués. Il ne peut se libérer de l'un, parce qu'il subit la condition humaine, mourra même si son ouvre survit ; pas davantage de l'autre, parce que sa vocation y est née. Si nous trouvons dans les faits divers l'origine de beaucoup d'intrigues, mais non la clef d'un grand livre, c'est que le dessein initial du romancier naît en liaison avec le monde de l'écrit. Que La Joconde ressemble ou non à Monna Lisa, elle ressemble aux tableaux. La création prospecte, filtre, aspire. Elle éclaire Coupeau ou le rejette selon les exigences de L'Assommoir en cours. Le monde latéral de l'artiste n'est nullement celui de l'art (hier, de la beauté), comme le voulaient les esthètes, mais de sa vocation ; nul n'atteint au génie en plusieurs arts. Le portrait d'une femme que l'on aime pousse au dessin - et le modèle, au baiser ; la vocation artistique ne naît pas de l'émotion éprouvée devant un spectacle, mais devant un pouvoir. Ici, celui de créer la vie par l'écrit : comme le peintre, l'écrivain n'est pas le transcripteur du monde, il en est le rival.





Aucun Balzac pur ne passe de Mme de Berny aux Illusions perdues. Aucun Rimbaud pur ne passe de rien au Bateau ivre ; il imite Banville parce que toute création est l'aboutissement d'opérations sur des formes. Quoi que Baudelaire doive à Victor Hugo, il ne le lui doit pas comme Richepin ; quoi qu'il doive aux Rayons jaunes, pas comme François Coppée ; mais il passe par là. Dans le roman comme en peinture, le créateur finit par son génie, et commence par celui des autres. Qu'il ne conquiert pas sur « la nature » mais sur des créations. « Il y a des enfants sans état civil, disait Degas, il n'y a pas d'enfant sans mère. »



L'illusionnisme le plus puissant, le plus récent surtout, paraît toujours réalité : nous avons pris conscience du mutisme du cinéma, devant les films parlants. Nous découvrons la façon complexe dont les romans se réfèrent les uns aux autres plus qu'à une histoire de la narration : autant qu'à des reflets de nos actes ou de nos sentiments, autant qu'à « la réalité ». Comme les ouvres du musée. Toute narration est plus proche des narrations antérieures que du monde qui nous entoure ; et les ouvres les plus divergentes, lorsqu'elles se rassemblent dans le musée ou la bibliothèque, ne s'y trouvent pas rassemblées par leur rapport avec la réalité, mais par leurs rapports entre elles. La réalité n'a pas plus de style que de talent.

Nous appelons réalité le système des rapports que nous prêtons au monde - au plus vaste englobant possible. La création, dans les arts plastiques et ceux du langage, semble la transcription fidèle ou idéalisée de ces rapports, alors qu'elle se fonde sur d'autres. Tantôt d'autres rapports de leurs éléments entre eux, tantôt avec leur englobant - qui n'est ni le monde ni le réel mais le monde-d'un-art, un temps qui n'est pas le temps, un espace qui n'est pas l'espace ; la bibliothèque ou le musée, le roman ou la peinture. Il faut une illusion-logique chevillée au corps pour voir, dans le Musée Imaginaire, un monde illustré, et dans la Bibliothèque, un récit de l'aventure humaine. Car la création, semblable aux liquides, qui ne prennent forme que par leur contenant, nous apparaît par les formes qu'elle a prises ; elle nous apparaît encore dès que nous nous attachons à leur dissemblance, non à leur ressemblance : à ce qui sépare Madame Bovary de tout modèle, un tableau, de toute photographie, Le Cuirassé Potemkine de toute révolte de matelots.



Valéry classe avec raison la littérature parmi les professions délirantes. Écrire semble clair. Chacun sait qu'il n'a pas subi l'intoxication de la rampe, des costumes, des acteurs, des répétitions, du manuscrit qui peu à peu devient pièce ; pas davantage, dirigé un film, sorcellerie mécanique. Mais chacun écrit des lettres, chacun rêve, chacun ignore que l'imaginaire écrit ressemble plus aux sorcelleries de fiction, qu'aux lettres ou aux rêveries. Il y a du phantasme en lui : il connaît un répertoire, une parenté de ses créatures. Les personnages majeurs de Balzac, de Dostoïevski, appartiennent à l'imaginaire de Balzac, de Dostoïevski, dans lequel ils prennent forme - et qui ne sont pas interchangeables. Dostoïevski ne se raconte pas les frères Karamazov comme une jeune fille se raconte des fiancés futurs. Il travaille à l'élaboration d'un roman ; mais la nécessité qu'elle implique, de retrouver chaque jour des êtres fictifs, est d'un autre ordre que celui d'un travail. Ce dont le romancier semble le plus maître : corriger, rejoint ce qu'il fait de plus délirant : établir avec ses fictions une relation continue (définition éventuelle de la foliE). Presque toutes les analyses des romans sont d'ordre esthétique : écriture, composition, récit, supériorité ou infériorité des arabesques de La Princesse de Clives sur le bloc des Illusions perdues, etc. Avant de juger un roman de Balzac bien ou mal écrit, prenons conscience de ce qu'il est écrit, j'entends : ni récité, ni joué, ni filmé. Les épreuves de Balzac sont plus instructives qu'aucun exposé ; et elles dévoilent ce qui les a précédées, le jeu de la création depuis la première ligne du manuscrit. L'écriture, la typographie disent à Balzac (son imagination ne le lui avait pas diT) qu'entre tels paragraphes, un événement s'est produit, une analyse est nécessaire : béquets.



Qu'il peut supprimer tel passage - et il connaît la vigueur de l'ellipse : suppression. Les adjonctions vont jusqu'à introduire de nouveaux personnages. Quand le lecteur dit que l'auteur corrige, il entend qu'il perfectionne, purifie. L'opération initiale, toute différente, repose sur ce que sa rêverie écrite n'est plus celle à laquelle il s'abandonnait. Il a quitté la rivière. Celle qu'il regarde couler appartient encore au courant ; les corrections de style viendront plus tard. Mais une navette va de son imagination fixée, à son imagination disponible, et c'est elle qui nous permet de comprendre l'imaginaire écrit, matière première du romancier - de même que la scène, depuis la première répétition jusqu'à la première représentation, fut celle du dramaturge. L'imagination est un domaine de rêves, l'imaginaire, un domaine de formes.





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André Malraux
(1901 - 1976)
 
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