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La Secte


Poésie / Poémes d'André Malraux





C'est à partir de la rupture entre l'artiste et l'esthète que se posent nos problèmes, parce que l'esthète, quelque éclectisme aidant, proclame ses valeurs et organise sans peine le passé qu'il élit. Walter Pater, Burne-Jones s'interrogent moins, nous interrogent moins, que Picasso, même que Cézanne ; et il est plus facile d'imaginer le musée, la bibliothèque d'Oscar Wilde, que d'élucider notre relation avec le Musée Imaginaire et la Bibliothèque de la Pléiade. Car l'Occident, depuis des siècles, reçoit l'art comme une succession de styles, et s'efforce de définir le dernier ; alors que notre mutation ressemble moins à la substitution d'un style à un autre, qu'à celle de la bibliothèque imprimée, aux manuscrits des couvents médiévaux. Bien qu'elle ignore la brutalité de la sommation par laquelle le Musée Imaginaire nous fait héritiers de la planète, la littérature pose une interrogation parente. Au XVIe siècle, l'amateur des Anciens n'incarne pas un moment de l'évolution d'un bénédictin du XIIe, rompt avec une continuité, et le sait. Croirions-nous donc tout continuer ?



Chacune des grandes nations occidentales semble tacitement voir dans sa bibliothèque présente, Pléiade ou Classiques de poche, un héritage, accru de ses ouvres contemporaines. Mais qui, affirmerait que notre Pléiade est la bibliothèque de Sainte-Beuve, augmentée de Lautréamont ? La Pléiade espagnole, la bibliothèque espagnole du XIXe, augmentée de Lorca ? Ne pas tenir compte de la métamorphose (pourtant flagrante à long terme avec la Renaissance ou le romantisme, à court terme avec notre balayage du début du sièclE) fait nécessairement de la bibliothèque une accumulation, dont notre expérience nie chaque jour la permanence et l'invulnérabilité. Ne confondons pas cette mouvante lignée avec une suite d'adjonctions, comme si les hautes époques n'avaient pas fait déserter les salles hellénistiques et romaines des musées ; comme si l'on publiait les Classiques de poche par appendices, en ajoutant Rimbaud à François Coppée.

Adjonctions à quoi ? Distraitement, nous répondons : à la bibliothèque de nos prédécesseurs directs. Car si nous savons que la bibliothèque ne se confond pas avec le succès, nous sommes stupéfaits de découvrir à quel point le cortège des triomphes littéraires, depuis quatre cents ans, est formé d'auteurs dont nous avons oublié jusqu'aux noms. Au XVIIe siècle, on publiait un roman de langue française par semaine : trois cent cinquante-deux pendant le règne de Louis XIV - qui n'étaient point une profusion de Princesse de Clèves. Gourmont note que le plus grand succès théâtral du siècle est Timocrate, tiré de La Calprenède par Thomas Corneille. Loin derrière, dans la foule, Le Cid, puis l'Alexandre et l'Andromaque de Racine, Psyché (la vraiE). Parmi les échecs marqués : Phèdre, Britannicus, Bajazet. Entre Corneille et Campistron, le cortège de nos gloires - puisque nous avons oublié celles de leur temps - est celui des recalés. Il n'allait nullement de soi, que se constituât ce que nous appelons la littérature française...



Nous avons vu la fin de l'illusion qui maintint jusqu'en 1914, le règne de l'Université. La littérature, l'art ne sont pas objets d'enseignement : on n'enseigne que leur histoire. Et les Sorbonnes n'ont pas plus enseigné la création chez les grands écrivains, qu'un siècle de cours de dessin industriel n'enseignerait celle de Rembrandt. Désormais, nul ne l'ignore. Et voici l'échéance : les écoles françaises doivent changer cette année leurs manuels de littérature. Non par un complément, une adaptation, mais une révolution. Sur quoi fonder les nouveaux ?

Si l'événement qu'est l'abandon des anciens manuels passe inaperçu, c'est que la nouvelle bibliothèque, Pléiade ou Livre de poche, n'est point née d'une nouvelle doctrine, mais d'un consensus. Non moins empirique, que celui du Musée Imaginaire ; et comme lui telatif, en ce que les lecteurs, jamais d'accord sur la totalité des titres, le sont sur les trois quarts d'entre eux : il existe une bibliothèque de 1975 autant qu'il en exista une de 1875. Ce consensus est évidemment celui des lecteurs. D'une catégorie de lecteurs ; Louise Labé, Maurice Scève, Agrippa d'Aubigné, ne doivent pas leur résurrection aux amateurs de romans policiers. Catégorie dont les traits sont ceux d'une secte, non d'une classe. Secte internationale, dont les livres forment la bibliothèque déconcertante, sans fonction définie pour les laïques, aux yeux de qui les autres livres se définissent précisément par leur fonction. Les lecteurs des chefs-d'ouvre les lisent comme les amateurs de peinture vont au musée ; leur bibliothèque nécessaire c'est la bibliothèque inutile des autres... Elle substitue aux connaissances, un sentiment où le rôle principal est joué par l'admiration : le possesseur de la Bibliothèque de la Pléiade l'appellerait volontiers sa bibliothèque de l'admiration, au sens où il appellerait ses Séries Noire, Blême ou Rose, sa bibliothèque de la distraction ; le reste, celle de son instruction. Le flou des frontières qui, au sujet des livres, nous a si souvent égarés, disparaît : nul ne confond les rayons de sa Pléiade avec ceux de sa Série Noire, lorsqu'il les possède toutes deux. Mais nul n'en est quitte avec l'admiration, car c'est par illusion que nous croyons admirer, dans la littérature, la transcription d'une réalité admirable : par la même illusion qu'en peinture. Le sentiment de l'art demeure mal défini, l'artiste, plus encore.



Que la chrétienté remplace Titien par Shakespeare n'explique point que l'esprit humain porte en lui le besoin d'imaginaire. L'Europe a postulé, de façon fermement vague, qu'une identité entre Shakespeare ou Titien et le spectateur rendrait celui-ci client virtuel du génie. Des Noirs de la brousse africaine viennent voir jouer Molière, c'est vrai. Les paysans photographiés par Dasté lorsque son cirque jouait le même Molière au fond de l'Auvergne, suivaient la pièce avec passion, c'est vrai. Toutefois, le public couché en France par la littérature, le théâtre, la peinture, le vrai cinéma, ne dépasse vraisemblablement pas deux millions. Les autres Français n'ont-ils pas avec l'écrit et l'image une relation différente ? N'existerait-il pas des sectes d'imaginaire comme des sectes de sport, le Livre de poche et lu Série Noire comme le cyclisme et le football ?

Il semble que pour les écrivains, la bibliothèque se confonde depuis des siècles avec le monde de l'écrit. Or, on écrit de plus en plus - hors d'elle. Elle est entourée souvent d'une production qui se réfère à elle, aspire à y pénétrer ; et toujours, d'une immense production qui l'ignore, et n'est pas pour autant d'ordre technique : histoire, voyages, vulgarisation, tout le domaine du documentaire. En 1974, la France a mis en vente 336 millions de volumes de toutes sortes. Le catalogue de la Pléiade, des Classiques de poche, n'atteint pas trois cents titres. Parc de l'imaginaire ? Sans doute ; pas seulement. Ce n'est pas seulement le besoin qu'assouvit Eugène Sue ou le roman policier, qui mène Balzac à répondre à ses amis qui lui parlent des événements du jour : « Laissons l'Angleterre et passons aux choses sérieuses : savez-vous que Rubempré va épouser Clotilde de Grandlieu ? » Il existe quelques millions d'amoureux qui, sans devenir des fous, ont avec la vie une relation spécifique ; n'existe-t-il pas quelques millions d'hommes qui, sans devenir des fous, subissent ce que les autres appellent imaginaire, avec la force que ces autres accordent au réel ? La distraction des hommes de secte - artistes, savants - est un lieu commun ; qui tombe dans les puits, sinon les astrologues et les poètes ?

La compétition n'épuise pas la passion du sport, puisque le sport le plus suivi rencontre plus d'indifférents que d'adeptes ; n'assimilons d'ailleurs pas le sport, qui assouvit ses spectateurs aussi pleinement que boire assouvit la soif, aux livres - car le sport obéit au temps du réel, et non à celui de l'imaginaire. Donc, à la mort. Il existe une passion laïque du football comme du roman policier, non comme la passion de la secte lettrée, parce qu'elles n'ont pas la même relation avec le temps. Pour le plus passionné des sportifs, le plus grand match du passé n'appartient qu'à l'histoire ; pour n'importe quel fidèle de la secte, Antigone appartient à l'histoire, mais pas seulement à elle.



Hier, en face de la bibliothèque formée pour accompagner une vie, s'élevait l'amoncellement des feuilletons que l'on jette. Ils succédaient aux livrets de colportage ? Ils annonçaient aussi les romans policiers. Leur façon physiologique d'aspirer le lecteur reste étrangère à la bibliothèque. On l'y mêlera pourtant, sous la réserve que Stendhal a plus de talent que les feuilletonistes. Car Stendhal aussi, sacrifie à l'intérêt - pas au même. Mais bientôt on comprendra que la bibliothèque et les romans dits populaires (d'aventures, policiers, historiques, sentimentauX) ne sont pas séparés par une différence de talent, de degré, mais de fonction. Le trésor de la Série Noire et les Classiques de poche n'ont en commun que l'imprimerie. L'intérêt n'est pas seulement une qualité narrative : c'est aussi une rubrique, comme la mode, l'alpinisme ou la santé.

Ou la vraie littérature.

Toutes les sectes présentent en commun de n'être pas formées d'hommes libres de les quitter à l'occasion - mais d'intoxiqués. Les grands peintres occasionnels sont rares ; les amateurs, guère moins. Ils ne gouvernent pas leur passion. Nul ne se montre de temps en temps amateur de littérature : on vit, ou non, d'une vie littéraire. Même si, comme tant d'écrivains pauvres, l'on abandonne au Minotaure la moitié de sa vie. La secte vit dans son art élu. Le promeneur qui achète un jour au passage Macbeth, La Chartreuse de Parme ou Les Possédés n'existe guère : c'est parce qu'on a lu La Chartreuse, qu'on lit Les Possédés.

Le feuilleton intoxique autant que le génie ; mais pas de la même façon. Pour son lecteur, un tome de Rocambole en appelle un autre, et pour le lecteur de Dostoïevski, les Karamazov appelle Macbeth. Macbeth ou la Sanseverina, ou Rubempré, et non un vivant proche d'Aliocha Karamazov, non la prochaine enquête de Sherlock Holmes. Comme le Tristan de Wagner n'appelle pas celui de Bédier, ni même les textes originaux, mais La Flûte enchantée, à défaut de la Tétralogie. Baigné par l'imaginaire, le monde-parallèle de la secte reste une île. L'extraordinaire est qu'elle assure une provisoire survie, alors que l'immensité laïque est promise à la mort.



Vain problème jusqu'à la civilisation dans laquelle nous sommes entrés, car le XIXe siècle crut à la pérennité de sa bibliothèque. L'étude des grandes littératures par ses Universités entendait établir le palmarès de l'Occident. Les humanités avaient postulé un enseignement ; notre littérature n'exige plus qu'une vaste complicité. Pendant le cours consacré à Corneille, les fidèles adolescents échangent des sonnets inspirés de Baudelaire, des chansons inspirées de Prévert. Tout commence par l'amitié, par le bouquin prêté. Le lecteur va d'ouvre en ouvre, comme le créateur, non comme l'historien. Le courant qui fait découvrir la poésie « en remontant » entraîne toute la bibliothèque, parce que notre civilisation éprouve, même si elle le nie, que la littérature, c'est d'abord la sienne. On devait étudier Virgile (et, d'abord, le latiN) ; un adolescent passionné de Stendhal n'étudie pas Le Rouge et le Noir, ne trouve dans son professeur qu'un interlocuteur, approuve ou conteste l'étude de Valéry. Combien de jeunes gens admirent Eschyle parce qu'ils ont fait du grec, et combien, parce qu'ils ont lu Claudel ? L'action de la peinture moderne est manifeste, et très peu de nos artistes pourraient regarder Titien ou Vélasquez avec les yeux d'un peintre antérieur à Manet - parce que l'art moderne est une révolution manifeste. Mais la poésie moderne et le roman pèsent aussi lourd que le Jeu de Paume et le Musée d'Art moderne, ne sont pas moins liés à notre temps, jouent presque le même rôle. Or, en littérature comme en peinture, les grandes créations ne nous ont pas atteints à travers des doctrines. Nous savons que notre cubisme est né des tableaux de Picasso, de Braque, tout autrement que ces tableaux ne sont nés des théories dont ils se réclamaient ; que, depuis le symbolisme, la poésie ignore les siennes ; et le roman, au moins depuis le début du siècle. Que l'action des grands créateurs s'exerce à une profondeur bien étrangère à la délectation ; que Baudelaire agit presque infailliblement sur les symbolistes, Apollinaire sur nos contemporains... L'Angleterre écartait Dostoïevski, au temps même où il submergeait l'Allemagne. Combien d'ouvrcs avons-nous choisies, mais par combien d'oeuvres avons-nous été choisis ? [...]



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André Malraux
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