Alain Bosquet |
Je suis le fils d'une consonne et d'un proverbe. Un peu de chair qui chante avant de se faner. Assis parmi les mots, comme un cromlech imberbe. Je trouve en eux ma foi ; je pourrais me damner Pour les plus pervertis. Cher mot de « coloquinte », Tu es l'ouf et la cloche et la cinquième toux Du jardin trop mouillé. Ma paupière est empreinte De ta brune fureur, mot d' « ecchymose » : tout. Dans mon esprit, veut te céder ; tu es méduse, Tu es forêt féline où glousse le ruisseau. « Gypaète », mot fou, tu cries, tes plumes s'usent Contre mon foie ; tu m'as mordu, tu prends d'assaut Le nuage sacré ; quel fakir, quel ermite Remplaces-tu dans les mosquées de la terreur ? Mot d' « amadou », furtif comme un prêtre, j'imite Tes carnavals qui récompensent les menteurs Pour leur plus beau mensonge. Aucun mot ne me [sauve. Si je dis « équateur », c'est la corde où je pends. Si je dis « aloès », soudain les pierres fauves Dévorent la montagne, avec des cris de paons. Mais combien je les aime ! « Oillet » veut dire [« plage ». « Grain » signifie « miroir ». « Moleskine » et [« citron », Mots si câlins qui m'ont réduit en esclavage ! Je n'ai pas d'autres dieux ; quand ils me jugeront, Coupable prosateur, je serai la matière Dont naissent les refrains. Je m'appelle « cristal », « Amarante », « coursive », et la voyelle est fière De boire la rosée dans mon nom végétal. Mon pseudonyme, « tamanoir » ! L'on dit « cimaise » En me voyant rêver. L'on pense « bigarreau » Dès que mon oil s'égare; et l'ouragan s'apaise De conjuguer le verbe « étourdir ». Cérébraux, Mes vocables ! Gâchée, ma syllabe à rétines ! Je prononce « cravache » : elle est un léopard. Je répète -« banquise » : elle devient comptine. Les mots, ces comploteurs, me tiennent à l'écart De tous leurs guets-apens. J'annonce « mandra- [gore » : C'est un kilo de clous. Je chante « autodafé » : Serait-ce une barrique où le vin s'évapore ? « Pivert », tu n'es qu'un mot; tu devrais m'étouffer. « Guillotine », pourquoi n'as-tu pas de pétales Puisque tu pousses dans la plaine ? Tapageur, Mon beau « volcan » : voici trois siècles qu'il avale Sa propre tête en feu. Je vis de mes terreurs. Les moindres mots voudraient signifier autre chose. « Ivoire » égale « ébène » ; et « colombe », [« chardon ». Ils m'ont désincarné. Mes verbes s'interposent Entre moi-même et moi. Je demande pardon À ceux qui m'ont connu. Me voici le suffixe D'un nom dénaturé. Qu'on me dise : « Chacal ! » Pour insulter ma race. Ô bipède prolixe, Je meurs de m'exprimer. La parole est un mal. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Alain Bosquet (1919 - 1998) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Alain Bosquet | |||||||||
La chronologie1919 March 28th: the birth in Odessa, Russia of Anatole BISK (occasionally BISQUE), son of Alexandre and Berthe Turiansky. His paternal ancestors, originally from Alsace and Belgium, established themselves in the Ukraine in the middle of the nineteenth century to work in railroad construction there. His father was a manufacturer, but also a poet. It was he who first translated Rainer Maria Rilke i Ouvres d'alain bosquetPoésie AperÇu biographique |
|||||||||