Achille Chavêe |
Les symboles étaient exsangues on ne savait que dire il valait mieux se taire il avait plu neigé des lambeaux de mémoire pourrie Il nous faut perdre la raison pour la redécouvrir intacte le jour où l'on sait bien qu'il ne sera valable d'en user qu'à des fins secondaires La nuit aux lèvres épaisses et brunes la nuit à la pointe de seins de Ténériffe la nuit de violette qui mérite un coup de poignard dans sa merveilleuse poitrine de toujours la nuit qui pour moi ne sait jamais mourir ni s'éveiller absolument nue la nuit cette fille par instants éperdue que chevauche mon amour Ô fille ô nuit tu te trouves toujours au rendez-vous avec ton droit congénital de me faire trébucher dans ton abîme de me prouver la loi des crépuscules de me renouveler selon tes longitudes ô nuit avec ton grand spasme d'impossible qui me prouve l'Obscur Il eût fallu ne pas venir ne pas paraître ne pas penser ne pas savoir ne rien connaître demeurer pierre parmi les eaux Il eût fallu surtout ne pas être poète c'eût été plus rassurant plus pur bien mieux acquis définitivement Le temps est un petit morceau de la mémoire de l'insecte dont je sauve en secret la vie le temps est ce fameux havane que fume le papillon mourant dans l'aurore incommunicable le temps est une goutte d'eau dans ce vaste océan de larmes qui finance l'éternité le temps nous y réfléchissons est notre cour inhabitable la cage des secondes mortes La table avait cent mètres de long et nous étions assis mon interlocuteur et moi à chacun de ses bouts Le service était fait par un ange un bel ange aux longues ailes de libellule au tablier brodé de pureté Nous correspondions par télépathie Il convient que je le précise mon convive était un poète nos aliments étaient à base de bonté Il y a toujours une très vieille armoire perdue et ne contenant rien sauf cette indélébile odeur de passé de ce passé qui pour toujours est effacé Je m'introduis et je séjourne un an ou dix mille ans dans son obscurité secrète et mûre J'y efface mon nom j'y suis de minuscule taille Tout s'abolit je me nourris de sa poussière et je me borne à prononcer les quelques mots magiques que j'ai pu retenir du temps de mon enfance |
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Achille Chavêe (1906 - 1969) |
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Portrait de Achille Chavêe | |||||||||