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DÉCENTREMENT DE LA PAROLE


Poésie / Poémes d'Victor Hugo





Tout homme a un monologue1.

... Sunt verba et voces posteaque nihil. Ce sont des mots, des paroles, et puis plus rien2.



L'analyse que nous venons de tenter peut être étendue à l'ensemble de la dramaturgie hugolienne qui serait alors comprise comme dramaturgie de la vaine parole.

Nous verrons à propos de l'objet comment le redoublement de la parole par la régie est l'indice non pas d'une confiance en la parole mais au contraire d'une défiance dans cette parole puisqu'elle a besoin du soutien de l'objet pour être signifiante. Maglia s'écrie un jour: * Mais les mots, cela joue un rôle dans les choses3-, et réciproquement Hugo écrit un autre jour: ■ j'écris avec les mots que les choses me jettent*. - Pas de parole efficace si elle n'est appuyée sur le relais de V objet. Mais le cas du discours hugolien est bien plus exemplaire encore. Ici ce n'est pas la seule parole qui joue, c'est la parole devenue arme, plaidoyer, acte d'accusation, auto-justification, - la parole dans ses fonctions les plus puissantes, la parole qui « agit -, émotive et conative, la parole utilisant moins en apparence tous les procédés de la rhétorique, la parole du code tragique.



Or la première des caractéristiques du discours hugolien, c'est d'être un discours sans destinataire ou parlé à qui ne peut ou ne veut entendre, autrement dit, la parole est dite à des oreilles inexistantes, mortes, ou bouchées. Quand Marion supplie le roi Louis XIII. elle supplie un ■ zombie ■ et parle un langage qui n'est pas celui du roi. Quand le marquis de Nangis plaide la grâce de son neveu, il le fait dans le langage et avec l'appareil de la vieille féodalité, langage auquel le roi est devenu sourd. Quand Triboulet parle aux courtisans, il parle à ceux qui ne veulent l'entendre, ou plutôt à qui veut l'entendre et ne veut que cela : l'entendre, mais non lui répondre. Quand Triboulet se parle devant sa fille et pour elle, il parle à qui n'est pas capable de l'entendre, non seulement parce qu'elle est trop jeune mais parce que lui manquent les données qui lui permettraient de saisir l'être de Tri boulet-bouffon. Quand Ruy Gomez parle devant Don Carlos la scène des portraits, il parle à celui qui ne peut ni ne veut saisir le langage de l'honneur féodal, puisqu'il représente la neuve puissance, celle du pouvoir absolu de l'empire ou de la royauté non féodale. Jane adresse à Marie Tudor la supplication de la passion à une autre passion qui se bouche les oreilles. Quand Ruy Blas adresse aux conseillers le grand discours de la monarchie à l'agonie, il parle par-dessus la tête d'hommes qui savent tout cela mieux que lui, mais dont les oreilles sont enduites de cire. Le grand discours de Charles Quint est adressé à un mon, Charlemagne, comme la fin du Bon Appétit est adressée à un mort, Charles Quint1. Aucun des discours des Burgraves n'est à l'intention de qui peut entendre ; passion, intérêt historique ou étroitement politique, incompréhension due au langage différent, mort du destinataire, toutes les situations déterminent le même schéma de non communication : le sujet parlant à un sourd, à un mort, à un néant, autrement dit à un non-destinataire.



Le discours est donc destiné au public : or, ce qui est frappant, c'est que le public non plus ne peut pas entendre le discours, soit qu'il ne puisse être d'accord avec la formulation (marquis de NangiS), soit que le discours de supplication par exemple (celui de Marion, ou celui de LucrècE) le laisse dans son fauteuil, impuissant, soit parce que, sachant ce que le sujet-locuteur ne sait pas, il connaît le caractère dérisoire du discours (TribouleT) ou parce que le décalage historique le laisse dans un état de malaise : le Bon Appétit est-il pour lui ou non?

Qui peut entendre le discours hugolien? le public un qu'il aurait créé, celui qui n'aurait pas besoin de l'allusion directe pour entendre le message. Or ce public un est un rêve, Hugo le sait mieux que personne et chacune de ses tentatives dramatiques l'ancre dans cette conviction Si le discours du sujet hugolien est discours à personne, c'est parce que le public-peuple est un mot vide de sens dans les années 30-40, et que le public bourgeois, le public de théâtre est un public sans oreilles. Tout ce que peut lancer la dramaturgie hugolienne c'est le discours sans destinataire, le discours-bouteille à la mer, ou le discours de l'échec. Autrement dit, le discours du sujet hugolien ne peut être entendu comme le discours du moi-Hugo au destinataire public ; il se produit un effet de décentrement tel que le discours allusif n'est pas pensable dans la perspective de la dramaturgie hugolienne; l'allusion, si allusion il y a, est métaphorique, et symbolique, très indirecte. Donc, le discours, très différent de la parole ou du song brechtien, n'est jamais pour nous. Ressemblant bien davantage au discours que Béranger adresse au Tueur sans gages, dans la pièce de Ionesco, il est discours à la mort, vaine supplication pour que le manque soit comblé. L'un des plus caractéristiques en ce sens est le grand discours de Don César, monologue de retour à la vie, de récupération des pouvoirs du moi, jusqu'à l'individualité du nom. Or ce discours est adressé à soi, c'est-à-dire que, non délibératif, il est discours de soi à soi devant l'absurde qui conduit à l'ignoré.



Mais si le sujet hugolien, à peu près sans exception, ne parle à rien ou à personne, ou parle comme chantaient les sirènes aux matelots d'Ulysse, c'est que son discours n'est pas parlé par un sujet vrai : c'est toujours le discours du camouflé, du masque, de celui qui n'est pas ce qu'il est. Seuls les vieillards (Ruy Gomez, Saint-Vallier, le Marquis de NangiS) sont ce qu'ils disent être : la mort ; dans chacun ces cas, ils s'adressent à un roi: ils sont la revendication du passé devant une puissance qui le supprime. Dans tous les autres cas, la supplication ou la protestation est discours de celui qui ment sur lui-même. Marion doit se dissimuler à Louis XIII, Triboulet ne peut se revendiquer Triboulet que dans le discours onirique de la solitude. Lucrèce, jusqu'au dernier instant, parle dans un mensonge fondamental la négation de sa maternité, et c'est le rapport à l'autre qui est ici compromis, rendant sa parole dérisoire. Le corollaire en est que dialogue intérieur, la parole de l'Autre à l'intérieur de la propre parole des personnages compromet ou corrompt le contenu de leur parole. Le dialogisme grotesque interdit au sujet de se faire le sujet de sa propre parole. Restriction capitale. Le Comte Jean fait son discours au lieutenant Trévoux en tant que . Guillot Gorju, bateleur et voleur ■. Le seul discours sincère de toute la dramaturgie de Hugo est peut-être le discours confidence de Ruy Blas à Don César, mais il ne sait pas à qui il parle. Dans le cas de Ruy Blas, comme dans le cas des monologues de la puissance, ce n'est pas le masque qui met le sujet en question, c'est la fracture intérieure: quand Don Carlos parle à Charlemagne dans le tombeau, il est à la fois Don Carlos et Charles Quint ; quand Mazarin parle son agonie de maître de l'Europe, l'ambiguïté de son être, le péril de la mort installée en lui, l'équivoque de son action politique, autant d'éléments qui mettent en jeu l'unité intérieure du locuteur. Quant à Ruy Blas, il parle devant Don César la distorsion entre son être de laquais et son être d'amoureux de la reine. Là encore tous les moyens sont bons à Hugo pour brouiller la communication. Il y a, non dans le domaine du discours, mais dans celui du dialogue, de jolis exemples d'incompréhension, non seulement quiproquos grotesques1, mais vrais dialogues de sourds, comme le dialogue entre Ruy Gomez et Don Carlos, où le premier parle la mort de l'empereur et l'autre l'accession à l'empire2. Mais si tout dialogue hugolien est déjà fonctionnellement un faux dialogue, tout discours n'est discours que parce que personne ne l'interrompt (ne l'écoutE).



L'analyse sémantique du discours, comme de sa ou de ses fonctions, en confirme la vacuité. Dans le cas des discours de supplication, tout le discours est l'expansion d'un noyau extrêmement simple : sauvez-le ou sauvez-moil, fonction conative limitée. Si l'on analyse la nature des expansions, on s'aperçoit qu'elles sont non-logiques, énoncés à fonction essentiellement émotive, ou récurrence de la même fonction conative : on pourrait analyser ainsi les discours de Marion à Louis XIII, comme celui de Triboulet aux seigneurs, ou celui de Lucrèce à Gennaro au dernier acte ; de là, la discontinuité des expansions, émotives, référentielles (à fonction émotivE), ou conatives. Le discours politique du puissant est à fonction essentiellement référentielle, renvoi au passé ou énumération des éléments du présent d'une situation politique, en bref, expositio classique d'une oratio. Mais Xexpositio tourne court, rien ne marche après elle, aucune postulation pratique ne surgit de rénumération historique, l'exemple le plus caractéristique en est le Bon Appétit: après la cuisson du pauvre oiseau plumé, que reste-t-il à dire? on ne peut pas le ressusciter, n'est-ce pas? Le discours historique retombe sur lui-même, glorification ou acte d'accusation. Il est même un cas où Hugo l'a laissé en plan, dans l'incapacité de le justifier ou d'aller plus loin : c'est le discours de Mazarin dans les Jumeaux: la plume tombe à Hugo après la phrase de Mazarin: ■ Plus d'écueil! plus d'obstacle! ■

Même le discours historique complet, dans sa totalité, révèle un élément de distorsion : ainsi, n'étant pas parlé par celui qui a droit de le parler, un détail saugrenu, une souris rouge, révèle tout à coup l'inadéquation du discours au réfèrent ou à la situation ; nous l'avons vu dans les discours de Triboulet parlant de bouleversement apporté par la mort de François. Dans le Bon Appétit, le vous adressé aux Grands, responsables historiques, marque le fait que le discours est parlé par un homme du dehors1. Quel que soit le discours parlé par un personnage hugolien, quelle que soit la place qu'il occupe dans la typologie des discours dramatiques, il est pratiquement sans exemple qu'à un moment ou l'autre ne se fasse entendre la voix de l'autre, reproche, avertissement, confirmation, dérision: quand Lucrèce, réclame le châtiment immédiat de l'inconnu qui l'a bafouée, il ne se peut qu'à un moment elle ne donne la parole à ce peuple qui la honnit: ■ Ce n'est pas une raison [.,.] pour que vos sujets ne puissent me voir passer au milieu d'eux sans dire : Ha ! cette femme !2. . Et la même Lucrèce, dans son discours de supplication à Gennaro3, fait entendre à propos de la voix de l'Autre : « Voyons, si l'on te disait : Cette malheureuse femme s'est fait raser la tête [...] pour que tu ne dises plus, comme tu viens de le faire avec cette voix plus sévère que celle du jugement dernier, Vous êtes Lucrèce Borgia. ■ Dans ce texte exemplaire, la voix de l'Autre se fait entendre deux fois, et c'est trois voix qui se partagent le discours du locuteur. Or les voix tiennent des propos contradictoires : dans le grand discours de Mazarin, déjà cité, les deux voix, le Nous royal du ministre, le Je du vieil homme agonisant tiennent des propos opposés, mettant en péril la solidité historique du discours. Même dans le Bon Appétit, les séquences condamnant les Grands, par la nature de leur formulation, supposent un sujet tel qu'il exclut le pessimisme total de la peinture historique: la fonction référentielle paraît contredire la fonction émotive.



Nous sommes contraints de faire une remarque : malgré nos efforts, nous ne pouvons distinguer dans le discours hugolien ce qui est la mise en question du moi et ce qui est la mise en question du discours historique, l'histoire n'apparaissant jamais comme réfèrent détaché du sujet qui le parle, mais comme liée à la pensée et à l'action du sujet: l'action historique de Lucrèce Borgia ne se distingue pas de sa fracture intérieure, et l'incapacité historique de Ruy Blas est liée à la duplicité de son - être » ; à la fois sujet de la fable et sujet de l'histoire (parfois, comme dans le Bon Appétit, sujet du discourS), il est dans tous les cas double, ambivalent, fracturé. Sur ce point, toutes les critiques adressées à la dramaturgie sont plus que justifiées: la faiblesse du sujet, le brouillage de la communication, l'inefficacité historique de la parole (ou de l'action du sujeT) sont des traits absolument caractéristiques et trop généraux pour ne pas déterminer, non une dramaturgie seulement, mais, comme on disait du temps de Hugo, une « dramatique -.

Enfin, tout ce que nous pouvons apercevoir au niveau purement linguistique ou au niveau sémantique, dans l'analyse du discours, s'éclaire en fonction de la place du discours dans la fable, de son rôle dans l'action : nous avons assez vu comment les discours de Triboulet et de Saint-Vallier étaient rendus dérisoires, par cette place même : Saint-Vallier joue les prophètes et les commandeurs, mais un fou le traite de fou et on l'emmène en prison. Le discours de Saint-Vallier est « carnavalisé ■ par le contexte dramaticjue dans lequel il s'insère. Triboulet parle la mort du Roi et se voit comme le nombril de l'histoire, mais le roi est bien vivant, et dans le sac que ce bouffon tortille, il y a le cadavre de son enfant. Le spectateur sait ou voit tout cela. Comme il est bien obligé de savoir que Ruy Blas est un laquais et que Salluste n'a pas disparu pour toujours; c'est une des raisons pour lesquelles Hugo ne pouvait se tenir à son projet primitif et montrer un misérable domestique se jouer de son maître et lui arracher son vêtement de ministre. De toute nécessité, il fallait que le public connaisse l'identité de Ruy Blas pour que la dérision s'installe non pas hors du discours pour le dévaluer de l'extérieur, mais à l'intérieur même. Sur ce point, le texte dramatique, différent du texte poétique ou romanesque, comporte une superposition textuelle à laquelle le spectateur ne peut échapper : sur la scène Ruy Blas parlant son apostrophe aux ministres apparaît comme un homme que le spectateur a vu vivre comme un laquais-, il est donc, dans la perception directe du public, à la fois ministre et laquais, puisqu'il est un homme vivant qui fait le lien concret, entre les deux aspects du sujet. Bien plus, Ruy Blas est aussi Frederick Lemaître que tout le monde connaît, il est donc aussi un comédien, perçu comme tel, et il est Robert Macaire. un grotesque. Impossible d'échapper à ce pluriel du personnage de théâtre, pluriel dont Hugo joue mieux que personne. De là une poétique dramatique particulière faite de la projection sur l'axe diachronique de la fable, de synchronies essentiellement métonymiques, comme nous le verrons mieux plus loin1. De là tout un jeu de superpositions qui restent invisibles au lecteur mais que le spectateur perçoit sans intermédiaire.



Raminagrobis et la souris.



Il est possible de lire le drame hugolien comme le fragment, la brisure d'un procès ; non pas comme un procès dans sa totalité, mais comme un procès interrompu, inversé ou caricaturé. Il y a une part d'éloquence judiciaire dans le discours dramatique chez Hugo : plaidoyers et réquisitoires se succèdent : plaidoyer de Triboulet devant les grands (et réquisitoire du même couP) ; nous avons vu comment au réquisitoire de Saint-Vallier se mêle un plaidoyer rétrospectif. Au réquisitoire à plusieurs voix contre Lucrèce Borgia1 (1« journéE) succède le plaidoyer final de la même Lucrèce devant Gennaro. Au réquisitoire de Ruy Blas contre les ministres succède le plaidoyer devant Don Salluste Grand d'Espagne. Autrement dit, la caractéristique du procès hugolien est d'être un procès contradictoire où l'accusation et la défense s'annulent, - ou, c'est le plus important, sont prononcés par le même personnage, sinon la même voix. Le sujet risque d'y être contraint d'adopter la position du juge ou de se soumettre à une sentence dont il reconnaît la validité : ■ Prise dans ma vengeance ! Oh ! c'est Dieu qui m'accable ! 2 » - « J'ai commis bien des actions mauvaises, je suis une grande criminelle3 . - Pour Ruy Blas, la formulation est plus nette encore : - Meurs comme on doit mourir quand on expie un crime... Pour moi j'ai prononcé mon arrêt, et j'apprête Mon supplice, et je vais moi-même sur ma tête Faire choir du tombeau le couvercle pesant1. » Tous les autres courbent le front sous la sentence avec une sorte de joie, ou d'assentiment profond, Didier, Hernani, Gennaro. Autrement dit, plaidoyer pour soi ou réquisitoire contre les autres sont, sauf exceptions5, prononcés avec angoisse, sans certitude, comme si le sujet se sentait trop coupable pour être un vrai procureur général : tous profitent de ce qu'ils dénoncent: Hernani accepte de redevenir Jean d'Aragon. Didier a aimé Marion courtisane, Ruy Blas est devenu grand d'Espagne ; la Tisbé a assez d'argent pour donner une fête aux courtisans, Triboulet a été ■ le noir démon qui conseille le maître »; Saint-Vallier a dû à la prostitution de sa fille de rester en vie; Gennaro peut profiter de la faveur de Lucrèce et ne pas mourir. Parfois le réquisitoire n'est prononcé que sous le masque de l'imposture (Ruy BlaS). Le procès est truqué; et il serait très intéressant de montrer comment dans le discours - réquisitoire ou plaidoyer - se glisse la phrase ou la séquence qui appartiennent à une autre voix: comme si l'avocat reprenait tout à coup, à la dérobée, les formules de l'accusateur public'. De là l'échec du discours : le procès n'a pas le temps de se déployer, la sentence est rendue par le hasard, ou se retourne contre qui la prononce ou épargne le coupable pour retomber sur le sujet demi-innocent. Tout se passe comme si, à deux niveaux, les discours apparaissaient comme des caricatures de discours judiciaires: au niveau de l'écriture, puisqu'ils sont le contraire de discours organisés selon le code de l'éloquence, au niveau de l'action, parce qu'ils sont inefficaces ou d'effet inverse. Le discours au lieu d'assurer le triomphe du sujet, le fixe dans son échec.



Quant au réquisitoire, il a une caractéristique qui est d'être un faux réquisitoire, débutant, selon le code rhétorique de Yaccusatio, s'ou-vrant sur un exorde et une narratio mais tournant court, parce qu'il n'y a pas de tribunal, parce que le destinataire n'est pas un juge (il n'y en a paS), ni un arbitre, il n'y en a pas davantage2, mais le coupable présumé, l'accusé lui-même et que par un malheureux concours de circonstance, c'est lui qui détient le pouvoir: ainsi Saint-Vallier se retrouve-t-il dans le trou, et Ruy Blas au cercueil. Le réquisitoire est vain par nature : l'accusateur n'a rien à demander, et d'ailleurs, il ne demande rien. La majesté de la parole a pour contre-partie cette faiblesse radicale. Or le nombre des situations où le sujet tient précisément son discours devant l'homme le moins capable de l'accepter et d'y faire droit nous permet de penser qu'il y a là une . dramatique ■ propre à Hugo. Elle aboutit à cette extraordinaire apologie du Voleur que le Comte Jean, dans la peau de Guillot-Gorju, adresse... au lieutenant de police. La rhétorique judiciaire du drame hugolien est la rhétorique de la souris devant le juge Raminagrobis. Spectateurs et critiques hurlent à l'invraisemblance : ils ont bien raison. Mais la chose n'est pas de l'ordre du ■ vraisemblable -.



Le sujet hugolien, c'est la souris, il eût été préférable de le nommer Caliban. Nous venons de citer le discours du Comte Jean dans les Jumeaux; exemple caractéristique. Le Voleur ne peut parler, s'il parle son vol, il se met la corde au cou : le sublime couplet du voleur ne peut-être parlé que par le Comte Jean, qui n'est pas un voleur1 (ou du moins pas un voleur d'argenT). Il faudra du temps pour que parlent enfin Aïrolo et Glapieu2. Mais la volonté, capitale dans la dramaturgie hugolienne, de faire parler ce qui ne parle pas, ne date pas de l'exil, ni du Théâtre en Liberté, elle est présente dès le début de la carrière dramatique de Hugo. Quasimodo est défini comme celui qui ne sait, ni ne peut parler, presque aussi muet que sourd, le

■ cyclope ■. Seul le théâtre peut faire parler Quasimodo. Par une espèce de divination, la haine de Sainte-Beuve a perçu cet aspect des choses, lui qui dans ses notes intimes baptisait Hugo du surnom de Cyclope. Le Cyclope, soit! et bossu aussi comme le voulait Heine,

■ génie bossu -. Sa tâche est de devenir, par le discours, Caliban, Quasimodo, de leur donner la parole : l'invraisemblance fondamentale du rôle de Triboulet, ce n'est pas qu'il ait une fille ou cherche à se venger du Roi; le régicide non plus n'étonnait personne, ni la prostitution des grandes dames aux laquais, lieu commun libéral parfaitement inoffensif (sinon par son étonnante place dans le discours de TribouleT). Ce qui n'était pas acceptable, c'est que Triboulet non seulement parle son régicide, mais qu'il parle l'histoire, se permette de se voir comme sujet de l'histoire, étendant jusqu'aux limites de l'Europe la vengeance due à la vertu de sa fille. Le scandale, c'est la parole de Triboulet ; de même que ce qui est scandaleux dans le discours de Ruy Blas aux ministres, c'est que ce soit un laquais qui le parle : un laquais ne peut être ni sujet d'un discours politique, ni sujet de l'histoire. Sur le mode mineur, la revendication de la Tisbé, renouvelant avec beaucoup plus de vigueur la revendication de Marion, fait entendre la voix muette quoi que singulièrement éloquente de la courtisane au XIXe siècle. L'une des faiblesses de Marie Tudor, la seule vraie, c'est que Gilbert ne fasse rien entendre, qu'il soit un homme si peu capable de prendre la parole impossible. Si l'homme du peuple s'était permis, comme chez Dumas parfois, la parole efficace, il eût été paradoxalement moins scandaleux: il se serait inséré dans la mythologie libérale de l'homme du peuple au pouvoir, du parlementaire puissant. Hugo, très conscient de la chose, disait plus tard: « Et j'ai collé ma bouche à toute âme tuée1. » Faire parler les morts, ou les muets, telle est la tâche du poète dramatique. Inutile de s'étonner que leur discours soit si singulier.



Le grotesque hugolien est l'homme qui parle le discours de la rhétorique culturelle - avec des distorsions, certes, mais qui, sans la moindre vraisemblance, sans en avoir la moindre possibilité, le parle en le semant de ■ trivialités »: son grotesque, au niveau du langage, réside dans cette parole qui est dans sa bouche sans pouvoir y être décollée de son expérience sociale présumée - parole qui devient de ce fait même, le sujet d'une distorsion, d'une inversion grotesque. Cette distorsion paradoxale indique, non qu'il ne puisse ou ne sache la parler bien (c'est le contraire qui est vraI), mais qu'il ne veut pas la parler sans distorsion - pour que chacun puisse entendre qu'elle est parole d'un Autre inacceptable.

Le corollaire en est l'inefficacité de la parole, non étayée de la puissance sociale : l'association qui permet l'efficacité est celle de l'or et de la puissance. La parole seule est nulle : le grand discours insultant de Triboulet aux seigneurs ne fait pas s'ouvrir la porte du roi, et le Bon Appétit s'affaisse dérisoire quand Salluste donne au laquais Ruy Blas l'ordre de fermer la fenêtre et de recevoir l'or. On s'explique alors ce point, décisif: le caractère moins judiciaire ou délibératif qu'apodictique du discours hugolien. Le discours hugolien jusqu'au grand discours de Gwynplaine, et là nous dépassons le plan proprement dramatique, est discours de celui qui se contente de dire: vous n'avez pas le droit de. et qui pour finir se contente de nommer l'autre, criminel ou simplement coupable (les jeunes gens nommant LucrècE). À la limite, c'est ce que fera Hugo parlementaire, dire: voilà les choses que vous faites et vous n'en avez pas le droit. En ce sens la . dramatique ■ de Hugo est significative du caractère utopique de sa pensée: il dit: voilà les choses et l'on ne peut pas leur dire oui-, inutile même de chercher à les arranger; personne ne dira comment elles pourraient aller mieux. En ce sens, il n'y a pas de réformisme dans l'écriture de Hugo; à vous, responsables, de vous débrouiller ou de disparaître; moi, sujet parlant, je me contente de dire non. Et Hugo choisit pour dire ce non, l'homme qui ne peut même dire que cela, l'homme de la négativité, le grotesque. On comprend ici l'ambiguïté de la signification idéologique du discours vide chez Hugo. Mais il est possible de le lire ainsi, et c'est sans doute la lecture qui apportera un peu de cohérence à la fois aux faits d'écriture et aux particularités de l'écoute du drame hugolien: le discours vide, celui où personne ne peut être écouté parce que le seul qui parle n'est pas habilité à le faire, est probablement le signe le plus clair du refus par Hugo de l'idéologie dominante.



La parole parlementaire



On comprend que la perspective politique qui se lit dans cet usage de la parole n'ait pu que déplaire souverainement aux libéraux. La revendication de la parole, la légitimité de la parole donnée au peuple n'est pas en contradiction avec cet usage, elle est impliquée par lui. Le discours vide, c'est la parole donnée à qui ne peut la prendre, à celui qui ne peut être écouté : ou il ne dira pas ce qu'il faut dire, parce qu'il sera déjà intégré à ceux qui savent parler, ou s'il le dit, parce qu'il s'est retrouvé le sujet accidentel de l'inversion grotesque (de là le rôle du hasard dans la dramaturgie de HugO), non seulement il ne sera pas entendu, non seulement sa parole retombera impuissante, mais à l'intérieur même de cette parole, se fera entendre ce qui la nie et la détruit. À la puissance de la parole s'oppose la force des choses, cette dramaturgie de l'objet, ce système solide que nous allons voir se dessiner et qui contredit par la rigidité de ses structures l'efficace du langage. Non seulement la parole n'a pas été donnée au peuple par le système parlementaire de la monarchie de Juillet, mais toute parole parlementaire se heurte à un univers solide dont les lois la mettent en péril. Nous touchons là à ce qu'on pourrait appeler une symbolique du drame, une lecture de l'écriture dramatique où, à l'impuissance du sujet à rencontrer la réponse de l'autre se superpose l'impuissance de la parole à devenir objet dans le monde. Le doublure dramaturgique de la parole par les didascalies, ce fait capital, peut se lire, sans trop de médiations, comme la négation de la parole parlementaire.






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Victor Hugo
(1802 - 1885)
 
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Biographie / Ouvres

C'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature

Chronologie

1802
- Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris.

Chronologie historique

1848

Bibliographie sÉlective


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