wikipoemes
paul-verlaine

Paul Verlaine

alain-bosquet

Alain Bosquet

jules-laforgue

Jules Laforgue

jacques-prevert

Jacques Prévert

pierre-reverdy

Pierre Reverdy

max-jacob

Max Jacob

clement-marot

Clément Marot

aime-cesaire

Aimé Césaire

henri-michaux

Henri Michaux

victor-hugo

Victor Hugo

robert-desnos

Robert Desnos

blaise-cendrars

Blaise Cendrars

rene-char

René Char

charles-baudelaire

Charles Baudelaire

georges-mogin

Georges Mogin

andree-chedid

Andrée Chedid

guillaume-apollinaire

Guillaume Apollinaire

Louis Aragon

arthur-rimbaud

Arthur Rimbaud

francis-jammes

Francis Jammes


Devenir membre
 
 
auteurs essais
 

Paul Verlaine



Bonheur - Poéme


Poéme / Poémes d'Paul Verlaine





I



L'incroyable, l'unique horreur de pardonner.
Quand l'offense et le tort ont eu cette envergure,
Est un royal effort qui peut faire figure
Pour le souci de plaire et le soin d'étonner ;

L'orgueil qu'il faut se doit prévaloir sans scrupule
Et s'endormir pur, fort des péchés expiés.
Doux, le front dans les cieux reconquis, et les pieds
Sur cette humanité toute honte et crapule.

Ou plutôt et surtout gloire à
Dieu qui voulut

Au cour que tout émeut, tel sous des doigts un luth ",

Donner quelque repos * dans l'entier sacrifice.

Et paix au cour c enfin de bonne volonté
Qui ne veut vivre plus d que vers la
Charité,
Et que votre plaisir, ô
Jésus, s'assouvisse.



II



La vie est bien sévère
A cet homme trop gai :
Plus le vin dans le verre
Pour le sang fatigué.

Plus l'huile dans la lampe
Pour les yeux et la main.
Plus l'envieux qui rampe
Pour l'orgueil surhumain.

Plus l'épouse choisie
Pour vivre et pour mourir,

En qui l'on s'extasie
Pour s'aider à souffrir,

Hélas ! et plus les femmes
Pour le cour et la chair.
Plus la
Foi, sel des âmes,
Pour la peur de l'Enfer,

Et ni plus l'Espérance
Pour le ciel mérité
Par toute la souffrance " !
Rien !
Si !
La
Charité :

Le pardon des offenses
Comme un déchirement,
L'abandon des vengeances
Comme un délaissement ;

Changer au mieux le pire,
A la méchanceté
Déployant son empire
Opposer la bonté ;

Peser, se rendre compte.
Faire la part de tous,
Boire la bonne honte, Être toujours plus doux...

Quelque chaleur va luire
Pour ce cour h fatigué,
La vie un peu sourire c
A cet homme si gai d.

Et puisque je pardonne,
Mon
Dieu, pardonnez-moi,
Ornant l'âme enfin bonne
D'espérance et de foi.



III



Après la chose faite, après le coup porté.

Après le joug très dur librement accepté

Et le fardeau plus lourd que le ciel et la terre

Levé d'un dos vraiment et gaîment volontaire.

Après la bonne haine et la chère rancour.

Le rêve de tenir, implacable vainqueur,

Les ennemis du cour et de l'âme et les autres,

De voir couler des pleurs plus affreux que les nôtres

De leurs yeux dont on est le
Moïse au rocher.

Tout ce train mis en fuite, - et courez le chercher ! -

Alors on est content comme au sortir d'un rêve,

On se retrouve net, clair, simple, on sent que crève

Un abcès de sottise et d'erreur, et voici

Que de l'éternité symbole et raccourci.

Toute une plénitude afflue, aime ', et s'installe.

L'être palpite entier dans la forme totale.

Et la chair est moins faible et l'esprit est moins prompt ;

Désormais, on le sait, on s'y tient, fleuriront

Le lys du faire pur, celui du chaste dire

Et, si daigne
Jésus, la rose du martyre.

Alors on trouve, ô
Dieu si lent à vous venger,

Combien doux est le joug et le fardeau léger !

Charité ! la plus forte entre toutes les forces,

Tu veux dire, saint piège aux célestes amorces,

Les mains tendres du fort, de l'heureux et du grand

Autour du sort plaintif du faible et du souffrant.

Le regard franc du
Riche au
Pauvre exempt d'envie

Ou jaloux, et ton nom encore signifie

Quelle douceur choisie et quel droit dévouement,

Et ce tact virginal, et l'ange exactement !

Mais l'ange est innocent ; d'essence bienheureuse.

Il n'a point à passer par notre vie affreuse.

Et toi,
Vertu sans pair, presque
Une, n'es-tu pas

Humaine en même temps que divine ici-bas ?

Aussi la conscience a dû pour des fins sûres

Surtout sentir en toi le pardon des injures.

Par toi nous devenons semblables à
Jésus

Portant sa croix infâme et qui, cloué dessus.

Priait pour ses bourreaux d'Israël et de
Rome,

A
Jésus qui, du moins, homme avec tout d'un homme.

N'avait, lui, jamais eu de torts de son côté.

Et, par
Lui, tu nous fais croire en l'éternité.



IV



Aussi, cette ignorance " de
Vous !
Avoir des yeux et ne pas
Vous voir.
Une âme et ne vous point concevoir.
Un esprit sans nouvelles de
Vous !

Ô temps, ô mours qu'il en soit ainsi
Et que ce vase de belles fleurs.
Qu'un tel vase, précieux d'ailleurs,
De la plus belle se prive ainsi * !

Religion, unique raison.
Et seule règle et loi,
Piété,
Rien là de vous n'a jamais été.
Pas un retour, pas une oraison.

Aussi cette ignorance de tout !
Et de soi-même, droits et devoirs.
Et des autres, leurs justes pouvoirs,
Leur action légitime, et tout !

Jusqu'à méconnaître en moi quel nom.
Quel titre augurai et de par
Dieu,
Et six ans passés à plaire à
Dieu,
Vertu vécue, effortd bel et bon,

Jusqu'à ne pas se douter vraiment
Du tour affreux et plus que cruel
Qu'un sot grief à peine réel
Inflige à ses rancunes vraimente.

Éclairez ces ténèbres de mort.
C'est votre créature après tout
Que l'ignorance invincible absout.
Bah ! claire et bonne lui soit la mort !



V



L'adultère, celui, du moins, codifié

Au mépris de l'Église et de
Dieu défié,

Tout d'abord doit sembler la faute irrémissible :

Tel un trait lancé juste, ayant l'enfer pour cible.

Beaucoup de vrais croyants, questionnés ici.

Répondraient à coup sûr qu'il en doit être ainsi ".

D'autre part le mondain, qui n'y voit point un crime.

Pour qui tous mauvais tours sont de bons coups d'escrime,

Rit du procédé lourd, préférant, affrontés.

Tous risques et périls à ces légalités

Abominablement prudentes et transies

Entre des droits divers et plusieurs fantaisies,

Enfin trouve le cas'' boiteux, piteux, honteux.

Le
Sage, de qui l'âme et l'esprit vont tous deux,

Bien équilibrés, droit au vrai milieu des causes,

Pleure sur telle femme en route pour ces choses.

Il plaide l'ignorance, elle donc ne sachant

Que le côté naïf, c'est-à-dire méchant.

Hélas ! de cette douce et misérable vie.

Elle plaît et le sait, et ce qu'elle est ravie !

Mais son caprice tue, elle l'ignore tant !

Elle croit que d'aimer c'est de l'argent comptant.

Non un fonds travaillant ; qu'on paie et qu'on est quitte.

Que d'aimer c'est toujours : « qu'arrivera-t-il ensuite ? »

Non un seul vou qu'on tient jusqu'à la fin de nous c.

El certes suscité, néanmoins son courroux

Gronde le seul péché, plaignant les pécheresses
Coupables tout au plus de certaines paresses
Et les trois quarts du temps luxurieuses point.
Bête orgueil, intérêt mesquin, voilà le pointd.
Avec d'avoir été trop ou trop peu jalouses.

Seigneur, ayez pitié des âmes, nos épouses !



VI



Puis, déjà très anciens.
Des songes de souvenirs.
Si doux nécromanciens
D'encor pires avenirs !

Une fille presque enfant
Quasi zézayante un peu
Dont on s'éprit en rêvant
Et qu'on aima dans le bleu.

Mains qu'on baisa que souvent !
Bouche aussi, cheveux aussi.
C'était l'âge triomphant
Sans feintise et sans souci.

Puis on eut tous les deux tort,
Mais l'autre n'en convient pas.
Et si c'est pour l'un la mort,
Pour l'autre c'est le trépas.

Montrez-vous,
Dieu de douceur.
Fût-ce au suprême moment,
Pour qu'aussi l'âme ma sour
Revive éternellement.



VII



Maintenant, au gouffre du
Bonheur !

Mais avant le glorieux naufrage
Il faut faire à cette mer en rage
Quelque sacrifice et quelque honneur.

Jettes-y, dans cette mer terrible.
Ouragan de calme, flot de paix,
Tes songes creux, tes rêves épais,
Et tous les défauts, comme d'un crible.

(Car de gros vices tu n'en as plus.
Quant aux défauts, foule vénielle

Contaminante, ivraie et nielle.

Tu les as tous on ne peut pas plus.)

Jettes-y tes petites colères,

-
Garde les grandes pour les cas vrais, -
Les scrupules excessifs après,

-
Les extrêmes, que tu les tolères ! -

Jette la moindre velléité

De cotlcupiscence, quelle qu'elle

Soit, femmes ou vin ou gloire, ah, quelle

Qu'elle soit, qu'importe en vérité !

Jette-moi tout ce luxe inutile

Sans soupir, au contraire en chantant,

Jette sans peur, au contraire ! étant

Lors délesté d'un luxe inutile.

Jette à l'eau ! que légers nous dansions
En route pour l'entonnoir tragique
Que nul atlas ne cite ou n'indique,
Sur la mer des
Résignations.



VIII



L'homme pauvre d'esprit est-ii " si rare, en somme ?
Non.
Et je suis cet homme et vous êtes cet homme,
Et tous les hommes sont cet homme ou furent lui
Ou le seront quand l'heure opportune aura lui.
Conçus dans l'agonie épuisée et plaintive
De deux désirs que seul un feu brutal avive ;
Sans vestige autre nôtre, à travers cet émoi,
Qu'une larme de quoi ! que pleure quoi ! dans quoi !
Nés parmi la douleur, le sang et la sanie,
Nus. de corps sans instinct et d'âme sans génie
Pour grandir et souffrir, par l'âme et par le corps.
Vivant au jour le jour, bernés de voux discords
Pour mourir dans l'horreur fatale et la détresse.
Quoi de nous dès qu'en nous la question se dresse ?
Quoi ? qu'un être capable au plus de moins que peu
En dehors du besoin d'aimer et de voir
Dieu,
Et quelque chose au front du fond du cour te monte
Qui ressemble à la crainte et qui tient de la honte.
Quelque chose, on dirait d'encore incomplété
Mais dont la
Charité ferait l'Humilité.
Lors à quelqu'un vraiment de nature ingénue
Sa conscience n'a qu'à dire :
Continue,
Si la chair n'arrivait à son tour en disant :
Arrête, et c'est la guerre en ce
Juste à présent.
Mais tout n'est pas perdu malgré le coup si rude.

Car la chair avant tout est chose d'habitude.

Elle peut se plier et doit s'acclimater.

C'est ton droit, ton devoir, ta loi de la mater

Selon les strictes lois de la bonne nature.

Or la nature est simple, elle admet la culture.

Elle procède avec douceur, calme et lenteur.

Ton corps est un lutteur, fais-le vivre en lutteur,

Sobre et chaste, abhorrant l'excès de toute sorte.

Femme qui le détourne et vin qui le transporte

Et la paresse pire encore que l'excès.

Enfin pacifié puis apaisé - tu sais

Quels sacrements il faut pour cette tâche intense.

Et c'est l'Eucharistie après la
Pénitence -

Ce corps allégé, libre et presque glorieux.

Dûment redevenu dûment laborieux,

Va se rompre ou plutôt s'assouplir au service

De ton esprit d'amour, d'offre et de sacrifice.

Subira les saisons et les privations,

Enfin sera le temple embaumé d'actions

De grâce, d'encens pur et de vertus chrétiennes

Et tout retentissant de psaumes et d'antiennes,

Qu'habite l'Esprit
Saint et que daigne
Jésus

Visiter, comparable aux bons rois bien reçus.

De ce moment, toi. pauvre avec toute assurance *,

Après avoir prié pour la persévérance,

Car docte charité tout d'abord pense à soi.

Puise au gouffre infini de la
Foi plus de foi

Que jamais, et présente à
Dieu ton vou bien tendre,

Bien ardent, bien formel, et de voir et d'entendre

Les hommes t'imiter, même te dépasser

Dans la course au salut, et pour mieux les pousser

A ces fins que le ciel en extase contemple,

Bien humble, (souviens-toi !), prêcheur, prêche d'exemple !



IX



Bon pauvre, ton vêtement est léger

Comme une brume.
Oui, mais, aussi, ton cour, il est léger

Comme une plume.

Ton libre cour qui n'a qu'à plaire à
Dieu,

Ton cour bien quitte
De toute dette humaine, en quelque lieu

Que l'homme habite !

Ta part de plaisir et d'aise paraît
Peu suffisante.

Ta conscience, en revanche, apparaît

Satisfaisante,
Ta conscience que précisément

Tes malheurs mêmes
Ont dégagée en ce juste moment

Des soins suprêmes !

Ton boire et ton manger sont, je le crains.

Tristes et mornes,
Seulement ton corps faible a dans ses reins.

Sans fin ni bornes

Des forces d'abstinence et de refus

Très glorieuses
Et des ailes vers les deux entrevus

Impérieuses !

Ta tête franche de mets et de vin.

Toute pensée.
Tout intellect conforme au plan divin.

Haut redressée,

Ta tête est prête à tout enseignement

De la
Parole
Et de l'exemple de
Jésus clément

Et bénévole

Et de
Jésus terrible, prête au pleur

Qu'il faut qu'on verse,
A l'affront vil qui poigne, à la douleur

Lente qui perce.

Le monde pour toi seul, le monde affreux,

Devient possible,
T'environnant, toi qu'il croit malheureux.

D'oubli paisible.

Même l'ayant d'étonnantes douceurs

Et ces caresses !
Les femmes qui sont parfois d'âpres sours,

D'aigres maîtresses.

Et de douloureux compagnons toujours

Ou toujours presque.
Te jaugeant mal fringant, aux gestes lourds.

Un peu grotesque,
Tout à fait incapable de n'aimer

Qu'à les voir belles.
Qu'à les trouver bonnes et de n'aimer

Qu'elles en elles.

Et te pesant si léger que ce n'est

Rien de le dire.
Te dispenseront, tous comptes au net.

De leur sourire.

Et te voilà libre à dîner, en roi.

Seul à ta table
Sans nul flatteur (quel fléau pour un roi

Plus détestable !)

L'assassin, l'escroc et l'humble voleur

Qui n'y voient guère
De nuance, t'épargnent comme leur

Plus jeune frère.

Des vertus surérogatoires, la

Prudence humaine, -
L'autre, la cardinale, ah ! celle-là,

Que
Dieu t'y mène ! -

L'amabilité, l'affabilité

Quasi célestes.
Sans rien d'affecté, sans rien d'emprunté",

Franches, modestes,

Nimbent ce destin que
Dieu te voulut

Tendre et sévère,
Dans l'intérêt surtout de ton salut

A bien parfaire.

Et pour ange contre le lourd méchant

Toujours stupide,
La
Clairvoyance te guide en marchant,

Fine et rapide,

La
Clairvoyance qui n'est pas du tout

La méfiance,
Et qui plutôt serait, pour sommer tout,

La prévoyance,

Élicitant ' les gens de prime-saut

Sous les grimaces,
Faisant sortir la sottise du sot,

Trouvant les traces.

Et médusant la curiosité

De l'hypocrite
Par un regard entre les yeux planté

Qui brûle vite...

Et s'il ose rester des ennemis

A ta misère,
Pardonne-leur, ainsi que l'a promis

Ton notre-père.

Afin que
Dieu te pardonne aussi,
Lui,

Prends cette avance.
Car dans le mal fait au prochain, c'est lui

Seul qu'on offense.



X



Le « sort » fantasque qui me gâte à sa manière

M'a logé cette fois, peut-être la dernière

Et la dernière c'est la bonne - à l'hôpital ' !

De mon rêve à ceci le réveil est brutal

Mais explicable par le fait d'une voleuse,

(Dont l'histoire posthume est, dit-on, graveleuse)

Du fait d'un rhumatisme aussi, moindre détail ;

Puis d'un gîte où l'on est qu'importe le portail ?

J'y suis, j'y vis. «
Non, j'y végète », on rectifie ;

On se trompe.
J'y vis dans le strict de la vie,

Le pain qu'il faut, pas trop de vin, et mieux couché !

Evidemment j'expie un très ancien péché

(Très ancien ?) dont mon sang a des fois la secousse,

Et la pénitence est relativement douce.

Dans le martyrologe et sur l'armoriai

Des poètes, peut-être un peu proverbial,

C'est un lieu comme un autre, on en prend l'habitude :

A prison bonne enfant longanime
Latude.

Sans compter qu'au rimeur, pour en parler, alors !

Pauvre et fier, il ne reste qu'à mourir dehors

Ou tout comme, en ces temps vraiment trop peu propices,

Et mourir pour mourir,
Muse qui me respices ,

Autant le faire ici qu'ailleurs, et même mieux.

Sinon qu'ici l'on est tout « laïque », les vieux

Abus sont réformés, et le « citoyen », libre !

Et fort ! doit, ou l'Etat perdrait son équilibre,

-
Avec ça qu'il n'est pas à cheval sur un pai ! -

Mourir dans les bras du
Conseil
Municipal,

Mal rassurante et pas assez édifiante

Conclusion pour tel qu'un vou mystique hante.

Moi par exemple, j'en forme l'aveu sans fard,

Me dût-on traiter d'âne ou d'impudent cafard.

La conversation, dans ce modeste asile,

Ne m'est pas autrement pénible et difficile :

Ces braves gens que le
Journal rend un peu sots

Du moins ont conservé, malgré tous les assauts

Que « l'Instruction » livre à leur tête obsédée,

Quelque saveur encor de parole et d'idée ;

La
Révolution, qu'il faut toujours citer

Et condamner, n'a pu complètement gâter

Leur trivialité non sans grâce et sincère.

Même je les préfère aux mufles de ma sphère.

Certes ! et je subis leur choc sans trop d'émoi.

Leur vice et leur vertu sont juste à point pour moi

Les goûter et me plaire en ces lieux salutaires

A (comme moi) des espèces de solitaires.

Espèce de couvent moins cet espoir chrétien !

Le monde est tel qu'ici je n'ai besoin de rien

Et que j'y resterais, ma foi, toute ma vie,

Sans grands jaloux, j'espère, et pour sûr. sans envie !

Si, dès guéri, si je guéris, car tout se peut.

Je n'avais quelque chose à faire, que
Dieu veut.



XI



Prêtres de
Jésus-Christ, la
Vérité vous garde.

Ah, soyez ce que pense une foule bavarde

Ou ce que le penseur lui-même dit de vous,

Bassement orgueilleux, haineusement jaloux.

Avares, impurs, durs, la vérité vous garde.

Et de fait nul de vous ne risque, ne hasarde

Un seul pan du prestige, un seul pli du drapeau

Tant la doctrine exacte et du
Bien et du
Beau

Vit là, qui vous maintient entre ses hauts dilemmes.

Plats comme les bourgeois, vautrés dans des
Thélèmes

Ou guindés vers l'honneur pharisaïque alors,

Qu'importe, si
Jésus, plus fort que des cours morts,

Règne par vos dehors du reste incontestables :

Culte respectueux, formules respectables,

Un emploi libéral et franc des
Sacrements

(Car les temps ont du moins, dans leurs relâchements

Parmi plus d'une bonne et délicate chose,

Laissé tomber l'affreux
Jansénisme morose ')

Et ce seul mot sur votre enseigne :
Charité !

Mal gracieux, sans goût aucun, même affecté.

Pour si peu que ce soit d'art et de poésie.

Incapables d'un bout de lecture choisie,

D'un regard attentif, d'une oreille en arrêt,

Pis qu'inconsciemment hostiles, on dirait.

A tout ce qui dans l'homme et fleurit et s'allume,

Plus lourds que les marteaux et plus sourds qu'une enclume.

Sans même l'étincelle et le bruit triomphant.

Que fait ? si
Jésus a, pour séduire l'enfant

Et le sage qu'est l'homme en sa double énergie,

Votre théologie et votre liturgie.

D'ailleurs maints d'entre vous, troupeau trié déjà.

Valent mieux que le monde autour qui vous jugea.

Lisent clair, visent droit, entendent net en somme.

Vivent et pensent, plus que non pas un autre homme,

Que tels, mes chers lecteurs, que moi, cet écrivain,

Tant leur science est courte et tant mon art est vain !

C'est vrai qu'il sort de vous comme de votre maître.
Quand même, une vertu qui vous fait reconnaître.
Elle offusque les sots, ameute les méchants,
Remplit les bons d'émois révérents et touchants,
Force indéfinissable ayant de tout en elle.
Comme surnaturelle et comme naturelle.
Mystérieuse et dont vous allez investis.
Grands par comparaison chez les peuples petits.
Vous avez tous les airs de toutes, sinon toutes
Les choses qu'il faut être en l'affre de nos routes.
Si vous ne l'êtes pas, du moins vous paraissez
Tels qu'il faut, et semblez dans ce zèle empressés,
Poussant votre industrie et votre économie
Depuis la sainteté jusqu'à la bonhomie.
Hypocrisie, émet un tiers, ou nullité !
Bonhomie, on doit dire en chour, et sainteté,
Puisque, ô croyons toujours le bien de préférence.
Mais c'est surtout ce siècle et surtout cette
France
Que charme et que bénit, à quelles fins de
Dieu ?
Votre ombre lumineuse et réchauffante un peu,
Seul bienfait apparent de la
Grâce invisible
Sur la
France insensée et le siècle insensible,
Siècle de fer et
France, hélas ! toute de nerfs,
France d'où détalant partout comme des cerfs.
Les principes, respect, l'honneur de sa parole.
Famille, probité, filent en bande folle,
Siècle d'âpreté juive et d'ennuis protestants
Noyant tout, le superbe et l'exquis des instants.
Au remous gris de mers de chiffres et de phrases.
Vous, phares doux parmi ces brumes et ces gazes,
Ah ! luisez-nous encore et toujours jusqu'au jour.
Jusqu'à l'heure du cour expirant vers l'amour
Divin, pour refleurir éternel dans la même
Charité loin de cette épreuve froide et blême.
Et puis, en la minute obscure des adieux.
Flambez, torches d'encens, et rallumez nos yeux
A l'unique
Beauté toute bonne et puissante.
Brûlez ce qui n'est plus la prière innocente.
L'aspiration sainte et le repentir vrai !

Puisse un prêtre être là.
Jésus, quand je mourrai !



XII



Guerrière, militaire et virile en tout point,
La sainte
Chasteté, que
Dieu voit la première
De toutes les vertus marchant dans sa lumière
Après la
Charité distante presque point.

Va d'un pas assuré mieux qu'aucune amazone

A travers l'aventure et l'erreur du
Devoir.

Ses yeux grands ouverts pleins du dessein de bien voir.

Son corps robuste et beau digne d'emplir un trône,

Son corps robuste et nu balancé noblement
Entre une tête haute et deux jambes sereines,
Du port majestueux qui sied aux seules reines.
Et sa candeur la vêt du plus beau vêtement.

Elle sait ce qu'il faut qu'elle sache des choses.
Entre autres, que
Jésus a fait l'homme de chair
Et mis dans notre sang un charme doux-amer
D'où doivent découler nos naissances moroses,

Et que l'amour charnel est bénit en des cas.
Elle préside alors et sourit à ces fêtes.
Dévêt la jeune épouse avec ses mains honnêtes
Et la mène à l'époux par des tours délicats.

Elle entre dans leur lit, lève le linge ultime,
Guide pour le baiser et l'acte et le repos
Leurs corps voluptueux aux fins de bon propos.
Et désormais va vivre entre eux, leur ange intime.

Puis, au-dessus du
Couple, ou plutôt à côté, -
Bien agir fait s'unir les voux et les nivelle, -
Vers le
Vierge et la
Vierge isolés dans leur belle
Thébaïde à chacun, la sainte
Chasteté,

Sans quitter les
Amants, par un charmant miracle,
Vole et vient rafraîchir l'Intacte et l'Impollu
De gais parfums de fleurs comme s'il avait plu
D'un bon orage sur l'un et l'autre habitacle,

Et vêt de chaleur douce au point et de jour clair

La cellule du
Moine et celle de la
Nonne.

Car s'il nous faut souffrir pour que
Dieu nous pardonne.

Du moins
Dieu veut punir, non torturer la chair,

Elle dit à ces chers enfants de l'Innocence :
Dormez, veillez, priez.
Priez surtout, afin
Que vous n'ayez pas fait tous ces travaux en vain.
Humilité, douceur et céleste ignorance !

Enfin elle va chez la
Veuve et chez le
Veuf.
Chez le vieux
Débauché, chez l'Amoureuse vieille.
Et leur tient des discours qui sont une merveille,
Et leur refait à force d'art un corps tout neuf.

Et quand alors elle a fini son tour du monde,
Tour du monde ubiquiste. invisible et présent,
Elle court à son point de départ en faisant
Tel grand détour, espoir d'espérance profonde.

El ce point de départ est un lieu bien connu,
L'Eden même.
Là, sous le chêne et vers la rose.
Puisqu'il paraît qu'il n'a pas à faire autre chose,
Rit et gazouille un beau petit enfant tout nu.



XIII



Un projet de mon âge mûr
Me tint six ans l'âme ravie :
C'était d'après un plan bien sûr
De réédifier ma vie.

Vie encor vivante après tout.
Insuffisamment ruinée
Avec ses murs toujours debout
Que respecte la graminée,

Murs de vraie et franche vertu.
Fondations intactes, certes.
Fronton battu, non abattu.
Sans noirs lichens ni mousses vertes.

L'orgueil qu'il faut et qu'il fallait,
Le repentir quand c'était brave,
Douceur parfois comme le lait,
Fierté souvent comme la lave.

Or durant ces deux fois trois ans
L'essai fut bon, grand le courage :
L'ouvre en aspects forts et plaisants
Montait, tenant tête à l'orage.

Un air de grâce et de respect
Magnifiait les calmes lignes
De l'édifice que drapait
L'éclat de la neige et des cygnes...
Furieux, mais insidieux.
Voici l'essaim des mauvais anges '
Rayant le pur, le radieux
Paysage de vols étranges.

Salissant d'outrages sans nom,
Obscénités basses et fades,
De mon renaissant
Parthénon
Les portiques et les façades,

Tandis que quelques-uns d'entre eux.
Minant le sol, sapant la base.
S'apprêtent par un art affreux
A faire du tout table rase.

Ce sont, véniels et mortels,

Tous les péchés des catéchismes

Et bien d'autres encore, tels

Qu'ils font les sophismes des schismes :

La
Luxure aux tours sans merci.
L'affreuse
Avarice morale,
La
Paresse morale aussi,
L'Envie à la dent sépulcrale,

La
Colère hors des combats,
La
Gourmandise, rage, ivresse,
L'Orgueil, alors, qu'D ne faut pas,
Sans compter la sourde détresse

Des vices à peine entrevus.
Dans la conscience scrutée,
Hideur brouillée et tas confus,
Tourbe grouillante et ballottée.

-
Mais quoi ! n'estDémon femelle, triple peste.
Pire flot de tout ce remous.
Pire ordure que tout le reste.

Vous toujours, vil cri de haro
Qui me proclame et me diffame,
Gueuse inepte, lâche bourreau.
Horrible, horrible, horrible femme.

Vous l'insultant mensonge noir,
La haine longue, l'affront rance,
Vous qui seriez le
Désespoir,
Si la
Foi n'était l'Espérance,

Et l'Espérance le pardon.
Et ce pardon une vengeance.
Mais quel voluptueux pardon.
Quelle savoureuse vengeance.

Et tous trois.
Espérance et
Foi
Et
Pardon, chassant la séquelle
Infernale de devant moi,
Protégeront de leur tutelle

Les nobles travaux qu'a repris
Ma bonne volonté calmée,
Pour, grâce à des grâces sans prix,
Achever l'ouvre bien-aimée

Toute de marbres précieux
En ordonnance solennelle
Bien par-delà les derniers deux
Jusque dans la vie éternelle.



XIV



Sois de bronze et de marbre et surtout sois de chair.

Certes, prise l'orgueil nécessaire plus cher.

Pour ton combat avec les contingences vaines.

Que les poils de ta barbe ou le sang de tes veines.

Mais vis, vis pour souffrir, souffre pour expier,

Expie et va-t'en vivre et puis reviens prier,

Prier pour le courage et la persévérance

De vivre dans ce siècle, hélas ! et cette
France.

Siècle et
France ignorants et tristement railleurs.

Mais le règne est plus haut et la patrie ailleurs

Et la solution tout autre du problème.

Sois de chair et même aime cette chair, la même
Que celle de
Jésus sur terre et dans les cieux
Et dans le
Très
Saint
Sacrement si précieux
Qu'il n'est de comparable à sa valeur que celle
De ta chair vénérable en sa moindre parcelle
Et dans le moindre grain de l'Hostie à l'autel.
Car ce mystère, l'Incarnation, est tel
Par l'exégèse autour comme par sa nature,
Qu'il fait égale au
Créateur la créature,
Cependant que, par un miracle encor plus grand,
L'Eucharistie, elle, les confond et les rend
Identiques.
Or cette chair expiatoire,
Fais-t'en une arme douloureuse de victoire
Sur l'orgueil que
Satan veut d'elle t'inspirer pour l'orgueil qu'à jamais tu peux considérer
Comme le prix suprême et le but enviable.
Tout le reste n'est rien que malice du diable.

Alors, oui, sois de bronze impassible, revêts
L'armure inaccessible à braver le
Mauvais :
Pudeur,
Calme,
Respect,
Silence et
Vigilance.
Puis sois de marbre, et, pur, sous le heaume qui lance
Par ses trous le regard de tes yeux assurés,
Marche à pas révérents vers les parvis sacrés.



XV



Mon ami, ma" plus belle amitié, ma meilleure,

Les morts sont morts, douce leur soit l'éternité ! -Laisse-moi te le dire en toute vérité '

Tu vins au temps marqué, tu parus'à ton heure ' ;

Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cour
Au jour ciimatérique où. noir vaisseau qui sombre,
J'allais noyer ma chair sous la débauche sombre.
Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur.

Et mon âme naguère et jadis toute blanche !

Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur,

-
Tel
Christ viendra - voleur * qui m'a pris mon malheur !

Tu parus sur ma mer non pas comme c une planche

De salut, mais le
Salut même !
Ta vertu
Première, la gaieté, c'est elle-même, franche
Comme l'or, comme un bel oiseau sur une branche
Qui s'envole dans un brillant turlututu,

Emportant sur son aile électrique les ires

Et les affres et les tentations encor ;

Ton bon sens, - tel après du fifre c'est du cor, -

Vient paisiblement mettre une fin aux délires.

N'étant point, ô que non ! le prudhommisme affreux.
Mais l'équilibre, mais la vision artiste.
Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste
A l'argumentateur plat comme au songe-creux ;

Et ta bonté conforme à ta jeunesse, est verte,
Mais elle va mûrir délicieusement !
Elle met dans tout moi le renouveau charmant
D'une sève éveillée et d'une âme entr'ouverte.

Elle étend sous mes pieds un gazon souple et frais
Où ces marcheurs saignants reprennent du courage.
Caressés par des fleurs au gai parfum sauvage,
Lavés de la rosée, et s'attardant exprès.

Elle met sur ma tête aux tempêtes calmées
Un ciel profond et clair où passe le vent pur
Et vif, éparpillant les notes dans l'azur
D'oiseaux volant ou s'éveillant sous les ramées.

Elle verse à mes yeux qui ne pleureront plus
Un paisible sommeil dans la nuit transparente
Que des rêves légers bénissent, troupe errante
De souvenirs futurs et d'espoirs révolus.

Avec des tours naïfs et des besoins d'enfance

Elle veut être fière et rêve de pouvoir

Etre rude un petit sans pouvoir que vouloir,

Tant le bon mouvement sur l'autre prend d'avance.

J'use d'elle et parfois d'elle j'abuserais

Par égoïsme un peu bien surérogatoire.

Tort d'ailleurs pardonnable en toute humaine histoire

Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets.

De mon côté c'est vrai qu'à travers mes caprices.
Mes nerfs et tout le train de mon tempérament,
Je t'estime et je t'aime, ô si fidèlement,
Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices.

Déployant tout le peu que j'ai de paternel
Plus encor que de fraternel malgré l'extrême
Fraternité, tu sais, qu'est notre amitié même,
Exultant sur ce presque amour presque charnel !

Presque charnel à force de sollicitude
Paternelle vraiment et maternelle aussi,
Presque un amour à cause, ô toi, de l'insouci
De vivre sinon pour cette sollicitude.

Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais
Non sans prudence en raison de l'expérience
Très douloureuse qui m'apprit toute nuance.
Du jour lointain quand la première fois j'aimais.
Ce presque amour est saint ; il bénit d'innocence
Mon reste d'une vie en somme toute au mal.
Et c'est comme les eaux d'un torrent baptismal
Sur des péchés qu'en vain l'Enfer déçu recense.
Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi
Que je fus et serai si doit durer ma vie,
Soyons tout l'un pour l'autre en dépit de l'envie,
Soyons tout l'un à l'autre &#; en toute bonne foi.

Allons, d'un bel élan qui demeure exemplaire
Et fasse autour le monde étonné chastement.
Réjouissons les cieux d'un spectacle charmant
Et du siècle et du sort défions la colère.

Nous avons le bonheur ainsi qu'il est permis.
Toi de qui la pensée est toute dans la mienne.
Il n'est, dans la légende actuelle et l'ancienne,
Rien de plus noble et de plus beau que deux amis

Déployant à l'envi les splendeurs de leurs âmes.
Le
Sacrifice et l'Indulgence jusqu'au sang,
La
Charité qui porte un monde dans son flanc.
Et toutes les pudeurs comme de douces flammes !

Soyons tout l'un à l'autre, enfin ! et l'un pour l'autre
En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons
A nous, et cette fois, pour de bon, renonçons
Au vil respect humain où la foule se vautre,

Afin qu'enfin ce
Jésus-Christ qui nous créa
Nous fasse grâce et fasse grâce au monde immonde
D'autour de nous alors unis, - paix sans seconde ! -
Définitivement, et dicte : «
Alléluia e.

«
Qu'ils entrent dans
Ma joie et goûtent
Mes louanges «
Car ils ont accompli leur tâche comme dû, «
Et leur cri d'espérance, il me fut entendu, «
Et voilà pourquoi les anges et les archanges

«
S'écarteront de devant
Moi pour voir admis, «
Purifiés de tous péchés inévitables «
En des traverses quelquefois épouvantables. «
Ce couple infiniment bénissable d'Amis. »



XVI



Seigneur, vous m'avez laissé vivre
Pour m'éprouver jusqu'à la fin.
Vous châtiez cette chair ivre.
Par la douleur et par la faim " !
Et
Vous permîtes que le diable
Tentât mon âme misérable
Comme l'âme forte de
Job,
Puis
Vous m'avez envoyé l'ange
Qui gagea le combat étrange
Avec le grand aïeul
Jacob.

Mon enfance, elle fut joyeuse ' ;
Or je naquis choyé, béni
Et je crûs, chair insoucieuse.
Jusqu'au temps du trouble infini
Qui nous prend comme une tempête,
Nous poussant comme par la tête
Vers l'abîme et prêts à tomber ;
Quant à moi, puisqu'il faut le dire,
Mes sens affreux et leur délire
Allaient me faire succomber,

Quand
Vous parûtes,
Dieu de grâce
Qui savez tout bien arranger,
Qui
Vous mettez bien à la place,
L'auteur et l'ôteur du danger.
Vous me punîtes par moi-même
D'un supplice cru le suprême (Oui, ma pauvre âme le croyait)
Mais qui n'était au fond rien qu'une
Perche tendue, ô qu'opportune !
A mon salut qui se noyait.

Comprises les dures délices,
J'ai marché dans le droit sentier,
Y cueillant sous des cieux propices
Pleine paix et bonheur entier.
Paix de remplir enfin ma tâche,

Bonheur de n'être plus un lâche Épris des seules voluptés
De l'orgueil et de la luxure,
Et cette fleur, l'extase pure
Des bons projets exécutés.

C'est alors que la mort commence
Son ouvre - inexpiable ? non.
Mais qui me saisit de démence
Bien qu'encor criant
Votre nom.
L'Ami me meurt, aussi la
Mère,
Une rancune plus qu'arrière
Me piétine en ce dur moment
Et me cantonne en la misère,
Dans la littérale misère
Du froid, et du délaissement * !

Tout s'en mêle : la maladie
Vient en aide à l'autre fléau.
Le guignon, comme un incendie
Dans un pays où manque l'eau.
Ravage et dévaste ma vie,
Traînant à sa suite l'envie,
L'orde, l'obscène trahison,
La sale pitié dérisoire.
Jusqu'à cette rumeur de gloire
Comme une insulte à la raison !

Ces mystères, je les pénètre,
Tous les motifs, je les connais.
Oui, certes,
Vous êtes le maître
Dont les rigueurs sont des bienfaits.
Mais, ô
Vous, donnez-moi la force.
Donnez, comme à l'arbre
Pécorte,
Comme l'instinct à l'animal.
Donnez à ce cour, votre ouvrage.
Seigneur, la force et le courage
Pour le bien et contre le mal.

Mais hélas ! je ratiocine

Sur mes fautes et mes douleurs.

Espèce de mauvais
Racine

Analysant jusqu'à mes pleurs.

Dans ma raison mal assagie

Je fais de la psychologie

Au lieu d'être un cour pénitent

Tout simple et tout aimable en somme.

Sans plus l'astuce du vieil homme

Et sans plus l'orgueil protestant...

Je crois en l'Église romaine,
Catholique, apostolique et

La seule humaine qui nous mène

Au bout que
Jésus indiquait,

La seule divine qui porte

Notre croix jusques à la porte

Des libres deux enfin ouverts.

Qui la porte par vos bras même,

Ô grand
Crucifié suprême

Donnant pour nous vos maux soufferts.

Je crois en la toute-présence,

A la messe, de
Jésus-Christ.

Je crois à la toute-puissance

Du
Sang que pour nous il offrit

Et qu'il offre au
Seul
Juge encore

Par ce mystère que j'adore

Qui fait qu'un homme vain, menteur,

Pourvu qu'il porte le vrai signe

Qui le consacre entre tous digne.

Puisse créer le
Créateur.

Je confesse la
Vierge unique.
Reine de la neuve
Sion,
Portant aux plis de sa tunique
La grâce et l'intercession.
Elle protège l'innocence,
Accueille la résipiscence.
Et debout quand tous à genoux,
Impètre le pardon du
Père
Pour le pécheur qui désespère...
Mère du
Fils, priez pour nous !



XVII



Rompons !
Ce que j'ai dit je ne le reprends pas.
Puisque je le pensai c'est donc que c'était vrai.
Je le garderai, jusqu'au jour où je mourrai.
Total, intégral, pur, en dépit des combats

De la rancour très haute et de l'orgueil très bas.
Mais comme un fier métal qui sort du minerai
De vos nuages à la fin je surgirai,
Je surgis, amitiés d'ennuis et de débats...

O pour l'affection toute simple et si douce

Où l'âme se blottit comme en un nid de mousse !

Et fi donc de la sale « âme parisienne » !

Vive l'esprit fiançais, d'Artois jusqu'en
Gascogne,

De la
Champagne et de l'Argonne à la
Bourgogne

Et vive un cour, morbleu ! dont un cour se souvienne !



XVIII



J'ai dit à l'esprit vain, à l'ostentation,
L'Ilion de l'orgueil futile, la
Sion
De la frivolité sans cour et sans entrailles,
La citadelle enfin du
Faux :

«
Croulez, murailles
Ridicules et pis, remparts bêtes et pis,
Contrescarpes, sautez comme autant de tapis
Qu'un valet matinal aux fenêtres secoue,
Fossés que l'eau remplit, concrétez-vous en boue,
Qu'il ne reste plus rien qu'un souvenir banal
De tout votre appareil, et que cet arsenal,
Chics fougueux et froids, mots secs, phrase redondante,
Et estera, se rende à l'émeute grondante
Des sentiments enfin naturels et réels. »
Ah, j'en suis revenu, des « dandysmes » « cruels »
Vrais ou faux, dans la vie (accident ou coutume)
Ou dans l'art ou tout bêtement dans le costume.
Le vêtement de son état avec le moins
De taches et de trous possible, apte aux besoins,
Aux tics, aux chics qu'il faut, le linge, mal terrible
D'empois et d'amidon, le plus fréquent possible.
Et souple et frais autour du corps dispos aussi,
Voilà pour le costume, et quant à l'art, voici :

L'art tout d'abord doit être et paraître sincère

Et clair, absolument : c'est la loi nécessaire

Et dure, n'est-ce pas, les jeunes, mais la loi ;

Car le public, non le premier venu, mais moi,

Mais mes pairs et moi, par exemple, vieux complices.

Nous, promoteurs de vos, de nos pauvres malices,

Nous autres qu'au besoin vous sauriez bien chercher,

Le vrai, le seul
Public qu'il faille raccrocher,

Le
Public, pour user de ce mot ridicule,

Dorénavant il bat en retraite et recule

Devant vos trucs un peu trop niais d'aujourd'hui,

Tordu par le fou rire ou navré par l'ennui.

L'art, mes enfants, c'est d'être absolument soi-même.

Et qui m'aime me suive, et qui me suit qu'il m'aime,

Et si personne n'aime ou ne suit, allons seul

Mais traditionnel et soyons notre aïeul !

Obéissons au sang qui coule dans nos veines

Et qui ne peut broncher en conjectures vaines.

Flux de verve gauloise et flot d'aplomb romain

Avec, puisqu'un peu
Franc, de bon limon germain.

Moyennant cette allure et par cette assurance

Il pourra bien germer des artistes en
France.

Mais, plus de vos fioritures, bons petits,

Ni de ce pessimisme et ni du cliquetis

De ce ricanement comme d'armes faussées,

Et ni de ce scepticisme en sottes fusées :

Autrement c'est la mort et je vous le prédis

De ma voix de bonhomme, encore un peu.
Jadis.

Foin d'un art qui blasphème et fi d'un art qui pose,

Et vive un vers bien simple, autrement, c'est la prose.

La
Simplicité, - c'est d'ailleurs l'avis rara, -

Ô la
Simplicité, tout-puissant qui l'aura

Véritable, au service, en outre, de la
Vie.

Elle vous rend bon, franc, vous demi-déifie,

Que dis-je ? elle vous déifie en
Jésus-Christ

Par l'opération du même
Saint-Esprit

Et l'humblesse sans nom de son
Eucharistie,

Sur les siècles épand l'ordre et la sympathie.

Règne avec la candeur et lutte par la foi.

Mais la foi tout de go, sans peur et sans émoi

Ni de ces grands raffinements des exégètes.

Elle trempe les cours, rassérène les têtes,

Enfante la vertu, met en fuite le mal

Et fixerait le monde en son état normal.

N'était la
Liberté que
Dieu dispense aux âmes

Et dont, le premier homme et nous, nous abusâmes

Jusqu'aux tristes excès où nous nous épuisons

Dans des complexités comme autant de prisons.

Et puis, c'est l'unité désirable et suprême.

On vit simple, comme on naît simple, comme on aime

Quand on aime vraiment et fort, et comme on hait

Et comme l'on pardonne, au bout, lorsque l'on est

Purement, nettement simple et l'on meurt de même,

Comme on naît, comme on vit, comme on hait, comme on aime !

Car aimer c'est l'Alpha, fils, et c'est l'Oméga
Des simples que le
Dieu simple et bon délégua
Pour témoigner de lui sur cette sombre terre
En attendant leur vol calme dans sa lumière.

Oui, d'être absolument soi-même, absolument !

D'être un brave homme épris de vivre, et réclamant

Sa place à toi, juste soleil de tout le monde.

Sans plus se soucier, naïveté profonde !

De ce tiers, l'apparat, que du fracas, ce quart,

Pour le costume, dans la vie et quant à l'art ;

Dédaigneux au superlatif de la réclame.

Un digne homme amoureux et frère de la
Femme,

Élevant ses enfants pour ici-bas et pour

Leur lot gagné dûment en le meilleur
Séjour.

Fervent de la patrie et doux aux misérables.

Fier pourtant, partant, aux refus inexorables
Devant les préjugés et la banalité
Assumant à
Penvi ce masque dégoûté
Qui rompt la patience et provoque la claque
Et, pour un peu, ferait défoncer la baraque !
Rude à l'orgueil tout en pitoyant l'orgueilleux.
Mais dur au fat et l'écrasant d'un mot joyeux
S'il juge toutefois qu'il en vaille la peine
Et que sa nullité soit digne de l'aubaine.

Oui, d'être et de mourir loin d'un siècle gourmé
Dans la franchise, ô vivre et mourir enfermé.
Et s'il nous faut, par surcroît, de posthumes socles.
Gloire au poète pur en ces jours de monocles !



XIX



La neige à travers la brume
Tombe et tapisse sans bruit
Le chemin creux qui conduit
A l'église où l'on allume
Pour la messe de minuit.

Londres sombre flambe et fume ' Ô la chère qui s'y cuit
Et la boisson qui s'ensuit !
C'est
Christmas et sa coutume
De minuit jusqu'à minuit.

Sur la plume et le bitume,
Paris bruit et jouit.
Ripaille et
Plaisant
Déduit
Sur le bitume et la plume
S'exaspèrent dès minuit.

Le malade en l'amertume
De l'hospice où le poursuit
Un espoir toujours détruit
S'épouvante et se consume
Dans le noir d'un long minuit-La cloche au son clair d'enclume
Dans la tour fine qui luit.
Loin du péché qui nous nuit,
Nous appelle en grand costume
A la messe de minuit.



Contact - Membres - Conditions d'utilisation

© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.

Paul Verlaine
(1844 - 1896)
 
  Paul Verlaine - Portrait  
 
Portrait de Paul Verlaine

Ouvres

Après une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b

Chronologie


Biographie


mobile-img