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Poésie de PAUL MORIN


Poésie / Poémes d'Paul Morin





En 1900, Montréal était une ville de cinq cent mille habitants, que la rue Saint-Laurent tranchait du nord au sud en ligne droite. A l'ouest, une forte minorité anglaise, riche, sûre d'elle-même et de la puissance de son argent, vivant largement, toutefois provinciale, attachée aux valeurs de l'Empire britannique (c'est à elle que s'adresse le vers ironique, méprisant de Matthew Arnold : « O God ! 0 Montréal ! ») ; à l'est, la majorité française, tout juste débarquée bécassinement des campagnes, race inculte et forte, faiseuse d'avocats et de prêtres. Cependant, le trek vers la ville du troupeau des fidèles s'était accompagné d'un traumatisme culturel, de ces ruptures qui donnent naissance aux poètes. En même temps que Paul Morin, et au même âge, Emile Nelligan surgit tout ailé de cette matrice. La masse des prolétaires, qui semble indifférenciée, est venue s'ajouter, dans la grande ville, à une bourgeoisie canadienne-française dont les racines montréalaises plongent dans plus de deux siècles d'histoire. L'accumulation des césures, anglaise, protestante, française, catholique, bourgeoise, constitue un ferment de doutes et de recherches d'appartenance. Pareil conflit, faute de déboucher sur une révolution politique, ne peut se résoudre qu'en littérature. L'éloignement de la France, dont les oukases littéraires arrivent ici trop tard, ayant du reste, perdu au centre de l'Atlantique leur valeur d'urgence, accentue très tôt le caractère original de cette littérature, qui, dès le xix' siècle, aspire à l'universalité. Elle n'y atteint pas, puisqu'elle n'a ni l'abondance cyclique des talents, ni le public nécessaire au dialogue créateur, ni l'étendue des sujets. Il n'en reste pas moins que l'aspiration à l'universalité du message et de la forme est le signe dont cette littérature veut être marquée. Ce signe d'avenir est toujours là, écrit en lettres de feu.





Au moment où naît Paul Morin (1889), les écrivains montréalais se divisent en régionalistes, et en cosmopolites. Les régionalistes, spécialistes du langage de nos pères venus de France, sont férus de croix du chemin et de coins de feu ; leur immobilisme aspire à une sorte de transcendance naïve, qui repose sur le culte des champs. Lorsqu'ils disaient : « Chez nous », il s'agissait d'une nouvelle Attique. Cette frairie balbutiante ne trouvera son chantre qu'au milieu du xx' siècle, en Félix-Antoine Savard, qui alliera aux enchantements d'une prose parente de celle de Valéry, la cruauté des grands espaces et cette mélancolie voluptueuse qui naît de l'amour, constamment trahi, de la terre natale. Les cosmopolites, admirateurs inconditionnels de tout ce qui venait à Montréal de Paris, depuis la Sarah de Sardou jusqu'aux bocks de Verlaine, se regrouperont autour d'une revue à la lente parturition, à la disparition soudaine, qui portait le nom du harpon esquimau : le Nigog. Ils méprisaient le folklore, l'étroitesse de leurs entours, et surtout, l'accent traînant de leurs compatriotes, qui recouvrait l'ignorance des règles du beau langage. Ces jeunes puristes, contemporains de Morin, groupés autour de M. Victor Barbeau, de René Chopin et de Marcel Dugas, voulaient créer une littérature qui fût acceptable au génie français et qui exprimât, dans une forme parfaite, l'âme nouvelle des Français d'Amérique. Autant leur but était de s'éloigner des poncifs traditionnalistes, autant ils refusaient toute concession au mouvement naturel de la langue. Jeunes comme Hugo, ils étaient vieux comme Vaugelas. Inutile d'ajouter que c'est à ce groupuscule que, du haut de son socle, appartint Paul Morin.



Il avait, dès l'adolescence, écrit des vers. Toute sa vie, il ignora la prose, sauf à mettre en place une thèse ou une préface à quelque essai géographique de son grand-père, qu'il ressuscita par pur snobisme. Le vers seul, dans sa totale affirmation d'une esthétique, lui parut convenable à son talent, ce vers qui, toujours parfait, permet de jongler avec les rythmes et les sons, ce vers, dont la musique se suffit à elle-même. Morin était excellent pianiste ; dans le style de Chabrier, il parodiait volontiers les compositeurs à la mode. Il aimait les romantiques russes, Scriabine et Medtner. Trouvait-il, dans leurs ouvres à l'écriture composite, les zones de secrets et d'incertitudes qu'il déniait à sa poésie ? Ses auditeurs le voyaient s'enfoncer dans ces architectures, comme au cour d'une forêt, lui, le poète de la cérébrale luminosité. Car, dans l'art des vers, Paul Morin privilégie ordonnance, régularité, proportion, mesure. Il part du principe que la structure du poème permet au non-dit d'exprimer son mystère, qui irradie depuis les mots, dans la lumière de la forme, inspiré et soutenu par elle. Ce qui est dans les profondeurs « ...ne peut être dit en paroles ». Il reste à l'énoncer dans le rapport entre le silence et les modulations, ce qui est écrit n'étant plus que le signe prémonitoire de ce poème qui gît dans l'esprit et la sensibilité du lecteur et que le texte fera remonter des profondeurs. Le don de poésie se situe dans cet appel de la forme à une autre réalité, qui n'apparaît jamais sur la page, cependant prolongement de ce qui est écrit.



Paul Morin, c'est Frédéric Moreau, qui serait né, aurait vieilli et serait mon à Montréal, traducteur par nécessité, bohème, revenu de tout et qui aurait été poète. Son ouvre accompagne sa vie et la domine. A l'enthousiasme glacé du Paon d'émail, écrit à vingt ans ; à la méditation esthétique qui caractérise les Poèmes de cendre et d'or, succèdent les derniers poèmes, schopenhaueriens d'inspiration, où Gérante, cherchant ses rides dans le miroir, abdique vie et volonté, ne trouvant réconfort que dans l'acceptation de la banalité poussive de tout homme. Avant de mourir, ce parnassien devint le chantre du triomphe de la déesse Médiocrité, demi-sour du destin qui régit en zig-zag la vie des hommes. Fils unique, né dans une famille à prétentions intellectuelles, Paul Morin, dès son jeune âge, tourna les yeux vers la France. Tu votes eris. Il se savait poète et se prépara tôt à ce sacerdoce. L'idée qu'il se faisait du poète était celle qui avait cours à la fin du siècle dernier. Il allia donc, en sa personne, le snobisme et la bohème. Enfant de riches, il fut élève des jésuites ; il ne se rendait au Collège Sainte-Marie qu'à cheval. Bottes et cravache ajoutaient à une prestance qui s'est, jusqu'au jour où Morin s'est pris pour Job, voulue aristocratique. Il se situait délibérément à part, se félicitait d'être en butte aux brocards de ses camarades. Quelques-uns d'entre eux qui aspiraient au style, échappèrent à sa vindicte. Il s'en fit des amis, les invita chez lui, où les attendaient des agapes réglées comme du papier à musique, qu'accompagnait la lecture par l'amphitryon de Heredia, Paul Fort et Paul Morin. A la naïveté du petit homme du monde, le comportement de Paul Morin joignait une fatuité d'auteur qui rendait le personnage antipathique. Il affichait son mépris du commun par sa préférence marquée pour l'emploi de l'anglais dans la vie courante (il interdira plus tard à ses secrétaires de lui parler français, sous prétexte que leur accent affectait son tympaN) et par son élégance vestimentaire, imitée d'Oxford.



Le but, bien sûr, était Paris. Morin s'y rendit, dès 1907, sa mère à ses trousses. Il s'inscrivit à la Sorbonne et y rédigea une thèse (à l'usage des étrangerS) sur Longfellow. Son rêve était ailleurs. Il avait le Paon d'émail dans ses bagages, recueil écrit par un enfant dans la langue désenchantée des vieillards qui n'ont jamais aimé. A sa première mouture montréalaise, le poète de vingt ans ajoute les amertumes que laissent dans l'âme du voyageur chevronné les souvenirs et les oublis de l'Italie, de la Grèce et de la Porte. L'intensité des poèmes tient en ceci qu'un jeune homme, presque un enfant, interdisant aux mots de dépasser leur sens, les traitant comme des poncifs, dans la rigueur d'une technique immuable, réfléchit dans ses vers la tradition universelle, à la fois purifiée par l'usure des siècles et dont, cependant, les images surprennent toujours. L'étonnement du poète devant le monde qui se révèle à lui est celui de l'enfant ; le regard, celui d'un vieillard méprisant tout, qui chante ce tout. Sous la perfection du discours pointe la désolation de qui a trop rêvé, trop tôt.

Cette lassitude, produit d'une civilisation qui a connu Baudelaire, est aussi prise de possession de soi-même en cet instant où la poésie surgit de la parole. C'est par là, d'abord, que Morin se sépare de ses contemporains montréalais. Leur poésie, qui reposait sur le hasard des rencontres verbales, affleurait comme par erreur. Morin, lui, partira à la recherche de la poésie, son dictionnaire de rimes à la main (il utilisait celui de Philippe MartinoN), fouaillait les mots et leurs associations, suscitait l'image, réglait le déroulement du texte, trouvant liberté extrême dans cette extrême discipline, richesse dans ce dénuement volontaire.



Le voilà donc à Paris, cette Combaluc ! Sa jeunesse s'était passée, d'un livre à l'autre, à imaginer ce séjour, sur la trace des bardes. Respirer le même air qu'eux, c'était déjà l'extase. On pense à Rubén Dario, à Verlaine, à leur rencontre au Café d'Harcourt, où le choc fut déception et violence. Au Québec, avide de Paris, s'est créée une légende autour des années parisiennes de Paul Morin. Plus tard, il éblouira la duchesse de Clermont-Tonnerre, en tournée de bavardage au Canada, par la précision de ses connaissances salonnardes et généalogiques. Qu'en fut-il, au juste ? Le catalogue de sa bibliothèque comprendra des titres d'ouvrages de Barrés, « avec dédicace » ; mais ces dédicaces s'adressaient à d'autres qu'à Morin. Sa correspondance a disparu. Elle contenait, dit-on, des lettres d'amis français, parmi lesquels figuraient certains illustres. Sur son passage, Morin suscitait l'incendie ; presque toutes les maisons où il vécut, se rendant odieux de l'une à l'autre, disparurent dans les flammes. L'incendie, ce fléau des villes du Nord. Sa correspondance et ses manuscrits furent réduits en cendre. Les archives de Barrés, celles d'Anna de Noailles recèlent-elles les réponses de leur admirateur, de leur ami ? Le mystère plane en parfait équilibre au-dessus du mensonge et de la vérité. A Montréal, le bruit se répandit que Morin avait fait partie du cénacle qui entourait Anna de Noailles. Le reçut-elle, allongée sur son divan, à l'ombre de son paravent à cretonnes ? L'entendit-il monologuer sans fin ? Fut-il de ces poètes dont la barque frôla, sur les eaux pâles du post-symbolisme, celle de Robert de Montesquiou ? Barrés, Anna de Noailles, Montesquiou, triangle au centre duquel Morin, dans la plénitude de son talent d'imitateur, aurait contemplé Paris, c'est-à-dire, le monde, de son oil impavide. On se dit, les documents ne répondant pas à l'appel, que la légende est trop belle pour être vraie. Nombreux furent les étudiants canadiens à Paris, contemporains du poète. Un intime comme Marcel Dugas glisse en douceur sur les relations parisiennes de Morin ; son biographe et ami, M. Victor Barbeau, y trouve ample matière à son habituel scepticisme. La grisaille anecdotique recouvre ce qui a pu être comme ce qui n'a pas été. Les équipages passent. Il n'y a pas loin du jeune prince au jeune badaud. Morin savait utiliser le silence, jongler, un sourire mystérieux aux lèvres, avec les possibles, susciter autour de ce qui devint vite son personnage, les points d'interrogation. Aucune de ses affirmations qui n'ait dérivé de son contraire. IJ est resté dans la littérature québécoise comme le seul de nos écrivains qui ait eu accès au saint des saints de la vie littéraire et mondaine de Paris, le seul qui, méprisant la tourbe des cafés, le Boul' Mich', ses filles et ses futurs ministres, ait vécu la vie de château. Ce sont les assises de sa légende. Barrés, qu'on ne lit plus pour les raisons qui assurèrent sa réussite ; Anna de Noailles, de moqueuse devenue moquée ; Montesquiou, dont la cambrure d'âge mûr, grâce à Boldini, survit. Par ignorance transatlantique, par timidité peut-être, Paul Morin s'est tenu à Paris éloigné des écrivains de son âge, loin même du Mercure, séduit par les glaciations du passé. Pour lui, la poésie française s'est arrêtée à Heredia. La rigueur adjectivale devient un tout.



Chose certaine, loin de Paris, Morin a traversé - et aimé - le paysage français, devant lequel il vibre comme Du Bellay, retrouvant, contre toute espérance, les vergers des ancêtres. Il a connu Constantinople, Smyrne, Venise qui deviennent, sous son pur regard, de ces cartes postales si belles qu'on en fait des signets. A Constantinople, il enseigna le français ; à Venise, il se gava de Titien et d'odeurs ; à Bruges, les béguines furent taciturnes ; à Damas, le bulbul se tut ; à Tokyo, où il ne fut jamais, la claire nuit glaça Hokaïdo. Aux voyages s'ajoutent les errances imaginaires, plus vraies d'être peuplées des mots magiques de ces peuples inconnus.

Bouillonnant d'exotisme, Morin revient à Montréal en 1914. C'est l'exil, sous l'oil amusé des barbares. Riche, dépensier, Paul Morin se croira toute sa vie presque voué à la mendicité. Des études de droit lui permirent d'exercer. Premier échec. Il tâta de la traduction vers le français de l'anglais des affaires ; le krach de 1929 vint à point nommé pour que reparaisse la sébille. A la radio balbutiante et populaire, il figura sous les traits d'un grammairien public, assorti d'un conseiller des cours. Ses foucades grammaticales et morales déplurent. Réduit au compte-gouttes de sa fortune, ancienne, veuf, il erra d'un logis à l'autre (ce qu'il appelait ses « bauges »), geignard, sale, soupçonneux, fuyant amis et connaissances. Peu à peu, les incendies aidant, il vécut dépossédé, ouvres d'art et bibelots dispersés dans des ventes successives et sordides, les manuscrits en cendre, lui, jour et nuit en pyjamas, cigarette au bec, ne communiquant plus avec le monde extérieur que par l'intermédiaire d'un chauffeur de taxi chargé de renouveler la provision d'alcool. Parfois, quelque lettre, en style télégraphique, parvenait à son destinataire. C'étaient des sarcasmes et des plaintes, avec d'avantageux retours sur un passé de plus en plus mythique. Par la déchéance, le poète s'était installé dans un état de béatitude critique. Tout allait mal et c'était sa joie. Devant son dernier miroir, Géronte pouvait se livrer à son délire, à ses angoisses, embellir le passé, fustiger son pays et ses contemporains, s'apitoyer sur lui-même. Jeune, il avait eu un rival, Emile Nelligan, « poète maudit ». Cette apothéose avait été refusée à Paul Morin, jeune ; il la connaîtra dans sa vieillesse, dans l'immortalité de l'oubli, la vraie, la seule qui consacre. La poésie marmoréenne se liquéfie ; elle devient confidences mélancoliques, renie la souveraine allure et le sifflement de la cravache. Dans sa chambre dont le désordre et les odeurs de sanglier écartent le rare visiteur, en butte aux quolibets de logeuses maritornes qui insultent à la gloire du prince déchu, Morin rumine ces Mémoires qu'il n'écrira pas et dont on retrouve des bribes dans ses derniers poèmes. Il fera paraître Géronte et son miroir peu avant d'affronter le face-à-face. Au mépris du lecteur avait succédé la rage d'être lu, adulé, reconnu poète, de respirer, une dernière fois, l'encre d'imprimerie. Il y a quelque chose de touchant dans cette volonté d'être présent jusqu'à la fin, par un livre, qui sera le tribut que réclame le Styx. Charon l'accepta-t-il ? Jugea-t-il que ces vers autobiographiques, de beaucoup de cendre et de quelque or, faisaient le poids ? Il les faisait paraître, disait-il, afin de rendre hommage à Molière qui, créateur de barbons, avait peut-être songé à lui. Le feu s'y éteint avec un bruit sec, non sans que Morin, comme tout brasier qui se respecte, ait fait jaillir une flamme. Il intitulera Flamme le dernier poème du recueil, comme si ce bûcher qui l'attendait et qui s'apprêtait à le consumer représentait le lieu ultime de sa transcendance. Ici, le poète se décante au point de ne plus rien retenir de la vie. La poésie elle-même, maîtresse roide en somme, devient carence, objet d'ironie. Comme la vie, elle a trahi. Morin estime que l'effort poétique, cette mise en condition du corps et de l'âme qui fait qu'on retrouve le matin la rime parfaite rêvée pendant la nuit, ce raidissement de tout l'être vers l'expression heureuse n'est rien s'il ne mène à la conquête du feu. Il s'y brûle, sans pouvoir le ravir. Il ne sera le poète que de quelques-uns, de ceux qui, par delà le bruit de l'orchestre, aiment reconnaître le son d'un instrument, respirent ou retiennent leur souffle avec lui.



Cette fin de vie misérable aura duré vingt ans, consacrés à la méditation ironique. L'homme juge le poète, le dépouille peu à peu de ses pouvoirs. Il ne lui laissent, devant le miroir, que ce regard sans indulgence, cette paupière lourde à demi fermée sur un oil qui, feignant de s'abstraire, voit. Jeune, Paul Morin avait été beau, du genre gommeux, dandy montréalais imitant le dandy imaginaire du xvr. Le temps qui passe, les basses besognes, les désirs inassouvis, la paresse, l'alcool - conjugaison délétère - avaient fait de lui un malodorant poussah. Ne lui restait que ce regard, plein de morgue pour autrui, pour lui-même d'une dureté sans pareille. Par delà la rigueur d'une prosodie qui n'a rien à envier au métronome, c'est vers le cour même du classicisme - inquisiteur, ironique, sans pitié - que Paul Morin bande son arc. Et la flèche qu'il décoche, se retournant contre lui, le frappe, sans qu'il sourcille. Il savait que cette flèche lui était destinée. Il l'attendait.



Après son retour à Montréal (1914), Paul Morin ne retournera plus en France. Il mourra en 1963. A pan quelques échappées de professeur itinérant en Amérique, dont l'une lui permettra de rencontrer sa femme, il se fixera à Montréal, savourant son exil, dressant le col au-dessus d'un vulgum auquel n'échappèrent longtemps que quelques élus ; et, à la fin, quasi personne. Plus on le choyait, plus il faisait la moue, jusqu'à ce que, de guerre lasse, les hommages cessèrent. Ecrivains et ministres s'étaient moqués de lui, du paon qu'il avait choisi comme symbole, mais in petto. En public, le ciseleur était porté aux nues. Morin se réfugia dans sa tour, avec sa femme et ses bibelots dont il exagérait l'historicité et le prix, persuadé que personne ne se rendait compte de ces supercheries, replié qu'il était sur son mépris. Mépris de quoi, au juste ? Son milieu lui reconnaissait un immense talent. On lui offrit des prix, une sinécure. Rien n'y fit. Morin a, de propos délibéré, choisi l'exil dans son propre pays, au milieu des siens. Sans cet exil, loin de la terre idéale où tout est beauté, sa poésie n'a pas de sens. Qu'il décrive le paysage canadien, ce sera pour en dresser une nomenclature narquoise, où les noms bizarres, souvent d'origine indienne, se suivent à la queue-leu-leu, faisant sourire. Sa vraie patrie, ce sont les poètes, Shelley, Li Po ; dans un square de Northampton, sur la côte Atlantique, il rêve au Luxembourg, à « Sa voix », à la tristesse ardente de Racine. Le souvenir ne s'efface pas de la « chaude Méditerranée ». Le culte est entretenu, celui d'un « ...Passé tour à tour délicieux et fourbe, Et de ce bel émoi que j'aurai voulu fuir... » (La Rose au jardin smymiotE) qui permet au poète d'ajouter à mesure mille filigranes à son rêve. Paul Morin a découvert, dans une Europe, un Orient mythiques, le sourcier qui fera toujours jaillir en lui la fontaine de poésie. On assiste à la création d'un univers onirique d'une beauté d'autant plus étrange qu'elle est plus froide ; non pas de la froideur polaire, cet « inerte démon du gel », qui caractérise la vie en Amérique du Nord, mais de cette vibration glacée qui est le propre des statues. Ainsi, l'on voit dans des salles de Musées, des touristes accablés par la chaleur, se rafraîchir la paume aux plis du péplum sévère de quelque matrone sur son socle. Paul Morin rêve à ces femmes lointaines, aux ifs qui peuplaient leurs jardins, aux paons qui se mirent dans l'eau des étangs ou qui déchirent la nuit de leurs cris rauques, car le paon n'est pas que cet animal infiniment ocellé ; il est aussi un gallinacé à la voix mortuaire qui, du haut du tamarinier où il perche, vous fait prendre conscience, dans la nuit et le vent, de la précarité des choses, animal qu'on admire et qu'on n'aime pas. Le paon, symbole de toute perfection baroque, poussera, au cour d'un jardin, son cri guttural, qu'accompagnera un mouvement d'aigrette, afin de mieux faire ressortir le calme éternel des « bleuâtres Caprées ».



Cet exil intérieur qui repose sur un mépris savamment dosé des entours, devient le lieu des épigrammes de l'âme. Paul Morin vivra sa longue vie dans un décor de théâtre, que les ombres elles-mêmes (Anna de Noailles et son évangé-liaire, Montesquiou et sa canne-tourniqueT) ont déserté. Le poète, livré à ces paysages inventés, deviendra un « obèse rêveur », un « gros Orphée à la manque », un « vieil étudiant de Salamanque », autres produits de l'imagination, entre le lit qui grince et le verre à dents qui sert aux rasades. Une curieuse dégringolade du niveau de langage accompagne cet aggiomamento. L'articulation métrique reste sévère, bien que le poème en prose montre le bout de l'oreille, et les accentuations piquantes, propres à Morin, continuent de marquer le rythme. Le vieux pianiste fait toujours aussi patiemment ses gammes, et les exercices qui suivent ont une liberté d'allure, un doigté, une utilisation de l'empan qui soulignent, sans lui donner la première place, la virtuosité de l'exécutant. Le champ de l'exil intérieur s'agrandit. On peut regretter que l'homme d'âge mûr, impassible dans sa vilaine petite chambre aux odeurs de graillon, ait peu à peu cédé la place au vieillard amoureux des ciselures (TétraglyphE), des jardins d'acclimatation (Monsieur de BuffoN), des éloges (Neuf épigrapheS) ou des scènes de la vie moderne. Paul Morin avait longtemps évité le traquenard parnassien des descriptions rendues surréelles par la précision excessive du trait. Juste retour de l'affectation d'impassibilité, il y tombe enfin. La nostalgie, les petits fours, le jazz, Eros au cinéma, tout y passe, car le regard du vieillard a retrouve sa jeunesse, sa mémoire n'a rien perdu de son sentiment de l'aigu. Dans son intériorité, l'exil plonge jusque dans l'enfance, celle qui, rattrapée à temps, sauve parfois les poètes.



Morin, dans cet exil, que le hasard lui a imposé et dont il a appris, peu à peu, à faire son nid, jubile et fulmine. Il finit par loger à trois pas d'un hôpital. Il y mourut en vitesse car le métronome indiquait presto, la camarde toujours pressée. On l'incinéra et ses cendres se trouvent dans le Minnesota, près de celles de sa femme. Là où il est, il n'y a plus d'exil. A son tombeau, les foules ne se pressent pas. Il ne le souhaiterait pas.






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Paul Morin
(1889 - 1963)
 
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