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Naissance de la prose: L'apparition de la prose littéraire et ses implications


Poésie / Poémes d'Marie de France





Le retard de la prose



Jusqu'à la fin du XII siècle, la littérature française est tout entière en vers et la prose littéraire n'existe pas. Les seuls textes en prose vernaculaire, dont le nombre n'est d'ailleurs pas considérable, ont un caractère utilitaire, qu'il soit juridique ou édifiant : ce sont des chartes, des traductions de l'Ecriture ou des sermons. Cette situation caractérise toutes les jeunes littératures : partout le vers apparaît avant la prose.





L'antériorité du vers sur la prose devrait à elle seule écarter la tentation de voir dans celle-ci un langage spontané, aux règles moins contraignantes que celles de la poésie et qui se confondrait avec le langage parlé. A la vérité, elle n'apparaît au contraire qu'à partir du moment où une langue a atteint une certaine maîtrise et, plus encore, une certaine conscience de ses ressources expressives. L'incrédulité de M. Jourdain n'est pas sotte, mais perspicace. La prose comme forme d'expression ne se confond ni avec la fonction purement communicative du langage (à supposer qu'elle puisse existeR) ni avec l'oralité. Elle n'est pas davantage d'ailleurs, et inversement, une conséquence immédiate du développement de récriture, auquel la poésie, toujours liée au chant à l'origine, serait antérieure. On l'a soutenu jadis à propos de l'apparition, au début du VF siècle av. J.-C, de la prose grecque. Mais l'écriture était chose commune en Grèce bien plus tôt, dès l'époque d'Hésiode, des hymnes homériques, des premiers poètes lyriques. Et, à ce compte, il n'y aurait pas eu de raison pour que le retard de la prose se répétât, comme il l'a fait, dans la littérature latine, et moins encore dans la littérature française, au service de laquelle se sont mis dès l'origine des clercs formes à l'école de la latinité. Ce n'est certes pas que la prose puisse se développer sans l'écriture. Mais son développement est postérieur à celui de l'écriture, et non concomitant. Il n'en est pas moins vrai que son essor est hé à une certaine forme de lecture et à une certaine idée du livre. Surtout, l'apparition tardive de la prose a pour conséquence, d'une part, qu'elle se définit à ses débuts par rapport au vers, d'autre part, et quand son emploi est généralisé, que toutes les formes d'expression en vers reçoivent, comme on le verra plus loin, par opposition à elle, une unité qu'elles n'avaient jamais eu et sont regroupées sous la notion nouvelle de poésie.



Définitions et notions médiévales de la prose



D'une façon générale, la revendication constante de la prose ne cessera d'être celle de la vérité. L'idée que le Moyen Age se fait d'elle s'exprime déjà, au regard de la prose latine et bien avant l'apparition des littératures romanes, dans la définition circonstanciée qu'en donne dans ses Etymobgws Isidore de Séville (560 env. - 636), dont l'ouvre, appelée à exercer une influence immense durant tout le Moyen Age, est peut-être la première à traiter, à classer, à penser les notions et les réalités de l'Antiquité dans l'esprit qui sera celui du savoir médiéval :



La prose est un discours étendu et libéré de la loi du mètre. En effet, les Anciens appelaient ce qui est étendu prosum (pour « prorsum », « qui s'étend en ligne droite ») et rectum (même senS). De là vient... que le discours qui ne se plie pas au nombre de la scansion, mais qui est tout droit foratio rectA) est appelé prose, du fait qu'il se développe en ligne droite. D'autres disent que la prose est ainsi appelée à cause de son abondance (prqfusA) ou parce qu'elle s'écoule avec ampleur et court sans terme fixé à l'avance. En outre, tant chez les Grecs que chez les Latins, on s'est soucié de composer des poèmes beaucoup plus tôt que de la prose. Tout en effet était autrefois exprimé en vers, tandis que la prose a été cultivée sur le tard.



Ce texte ne se contente pas de mettre l'accent sur l'apparition tardive de la prose. Il renferme deux idées qui ont joué, à des titres divers, un rôle important. La première est que la prose, libre des contraintes du mètre qui obligent à des sinuosités et à des détours, permet une expression directe, « en ligne droite », de la pensée. La seconde est que le discours en prose est plus ample et s'étend indéfiniment, alors que l'expression en vers est bornée par les lois propres aux différents genres poétiques. Ces deux idées seront souvent reprises dans la littérature française de la fin du Moyen Age. Les prosateurs tireront argument de la première pour justifier les mises en prose des romans en vers ou des chansons de geste du XIIe et du XIIIe siècle en arguant, non sans impudence au regard de leurs ouvres interminables, de l'exacte concision de la prose. I.a seconde sera, beaucoup plus rarement, invoquée à l'appui de l'opinion inverse. Mais elle est sous-jacente à la nouvelle répartition des formes littéraires à la fin du Moyen Age, la prose étant considérée comme l'expression naturelle de la narration, dont elle finit par avoir le quasi-monopole, tandis que la poésie tend à s'enfermer dans le corset des formes fixes.

En dehors de quelques documents juridiques, les premiers monuments de la prose française sont des traductions de la Bible et des sermons : traductions de sermons latins ou sermons au peuple comme ceux dont on a parlé plus haut, qui se réduisent à de brèves paraphrases des lectures du jour, d'autant plus sèches qu'il s'agit le plus souvent de canevas ou de modèles de sermons destinés à aider les prêtres dans leur prédication. Ils ne prétendent pas au statut d'ouvres achevées. On a présenté plus haut, au chapitre 3, ces différents textes. Ces débuts de la prose française sont donc marques d'un double caractère : d'une part, leur insertion dans le domaine religieux et leur dépendance à l'égard des modèles latins, scripturaires ou patristiques ; d'autre part, leur vocation utilitaire et leur indifférence à la chose littéraire. Celte indifférence ne signifie pas l'absence de règles d'écriture, mais elle pourrait entretenir l'illusion, dénoncée plus haut, que la prose est un mode d'expression spontané, étranger à l'écart qui définit le langage littéraire. Isidore ne tombe pas dans ce piège et ne confond nullement la prose avec le langage quotidien. Mais ce n'est plus le cas de Brunet Latin, auteur de la première encyclopédie écrite directement en français - et en prose - au XIIIe siècle, c'est-à-dire au moment où la prose française prend réellement son essor :

La grans partisons de touz parlëors est en deus manières, une qui est en prose et une autre qui est en rime... ; la voie de prose est large et pleniere, si comme est ore la commune parleùre des gens ; mais li sentiers de rime est plus estroiz et plus fors.

Les contemporains ont donc eu de la prose française, au moment même de son apparition, une conception ambiguë. Il faut observer en outre que prosa, sous la plume d'Isidore de Séville, s'oppose à nietrum, à numerus, à carmen, à versus, c'est-à-dire, tout naturellement, au vocabulaire de la versification latine classique, tandis que chez Brunct Latin prose s'oppose à rime. La remarque n'intéresserait que la différence entre la métrique latine, fondée sur l'alternance des syllabes longues et brèves, et la versification française, définie ici par son trait le plus caractéristique, la rime, si le mot prosa en latin médiéval ne désignait, outre la prose, des hymnes latines en vers syllabiqucs rimes. A l'époque en effet où la scansion des vers latins a cessé d'être naturelle, donc respectée, l'oreille ne percevant plus la différence de longueur des voyelles, on a composé des poèmes, particulièrement des hymnes liturgiques, sur le modèle métrique qui allait devenir celui de la langue vulgaire. Leur nom de « proses » montre que ce mot pouvait désigner toute composition littéraire échappant à la métrique classique - comme c'était le cas aussi bien de ces hymnes que de la prose au sens habituel du mot -, mais non pas « la commune parlcure des gens », comme dit Brunet Latin. Mais le développement de la prose dans la langue du peuple, précédé par des textes dans lesquels le souci de l'écriture était accessoire, comme les chartes ou les canevas de sermons, a provoqué une confusion qui n'existait pas jusque-là.



La prose et la lecture



La prose française ne reste bien évidemment pas longtemps cantonnée dans le domaine de la littérature religieuse. Elle ne cesse de se développer à partir du XIIIe siècle pour être à la fin du Moyen Age le mode normal de la narration. Il faut donc chercher les raisons de ce succès dans sa nature propre ou dans les besoins nouveaux auxquels elle répondait, et non pas seulement dans l'imitation utilitaire ou idéologique de la prose religieuse latine. En investissant d'abord le roman, comme on va le voir, la prose confirme le caractère intellectuel de cette forme, qui était sensible dès ses débuts. Du chant à la récitation, du vers à la prose, c'est la même évolution vers la lecture individuelle qui se poursuit. Les romans en vers semblent avoir été le plus souvent lus à haute voix devant un auditoire restreint et choisi. Il en allait probablement de même des romans en prose. Mais l'abandon du chant avait, dès les premiers romans, rendu comme officiellement possible la lecture individuelle, dont quelques témoignages confirment l'existence. Le passage à la prose poursuit l'adaptation aux conditions qui lui sont propres. Le découpage en chapitres, suggéré par les formules mêmes de la narration et opéré de plus en plus souvent par la présentation matérielle des manuscrits et par les rubriques, permet les repérages dans le texte, les retours en arrière, guide le rythme de la lecture. L'oreille n'est plus si impérieusement sollicitée par le mètre et la rime, ou plutôt elle l'est différemment, non par ce qui l'émeut physiquement, mais par ce qui permet la compréhension du texte.



Les qualités exigées depuis le haut Moyen Age pour la lecture à voix haute de la prose - latine, bien entendu - confirment sa vocation à l'explicitation. La Régie du Maître, règle monastique un peu antérieure à celle de saint Benoît (premier quart du VIe sièclE), stipule qu'il faut lire « en séparant, sans se presser », pour que les auditeurs comprennent et pour que l'abbé puisse ajouter des explications. Pierre Lombard (mort en 1160) exige du « lecteur » au sens canonique du terme, c'est-à-dire de celui qui a reçu le second des ordres mineurs, qu'il lise intelligemment les textes sacrés, en distinguant ce qui est indicatif de ce qui est inter-rogatif et en plaçant les pauses au bon endroit. Appel à la glose, à l'explicitation, volonté de clarté dans renonciation qui suppose que cette clarté soit déjà dans l'énoncé syntaxique, puisque les manuscrits ne sont pratiquement pas ponctués : voilà une exigence intellectuelle qui s'oppose à la séduction affective du vers, jouant en partie du suspens et de l'énigme, comme le montre assez le vers lyrique médiéval, dont le vers romanesque ne pouvait ignorer les effets.



La prose et la tendance à l'exhaustivité



Il n'est donc pas étonnant que le caractère le plus frappant de la première prose romanesque française soit, dans tous les domaines, son goût pour l'explicite. B. Ccrquiglini l'a bien montré pour ce qui est de sa syntaxe. Qu'il s'agisse de la prise de parole, de la relation du discours direct et du discours indirect, de la désignation du locuteur et de l'allocutaire, la prose ne laisse rien dans l'ombre, fût-ce un instant. Elle ne fait confiance ni au contexte ni au lecteur pour résoudre ce qui lui paraît ambigu et son système de repérage est serré jusqu'à la redondance. C'est pourquoi le texte en prose est toujours plus long que le texte en vers, alors même qu'il supprime ce qui lui apparaît comme des chevilles dues aux contraintes de la versification. D faut ajouter que ce qui est vrai de la syntaxe de la prose l'est aussi des principes de sa narration : elle tend à ne rien omettre de la succession des événements, ni les gestes qui vont de soi, ni les rites sociaux quotidiens, ni les formules de politesse banale. Cette prose ne connaît ni les raccourcis ni les syncopes. Elle a horreur du vide.

Toutefois, la fin du Moyen Age verra l'apparition d'une prose nouvelle, introduite par les pré-humanistes de la fin du XIVe siècle, une prose oratoire française calquée sur l'éloquence latine qui sera cultivée par les rhetoriqueurs et dont l'influence à long terme sera décisive. C'est elle, et non la première prose du XIIIe siècle, qui sera l'ancêtre et le modèle de la prose littéraire du XVI siècle.

Pour en revenir à ses débuts, lorsque la prose française, au tournant du xnr siècle, ne se contente plus de timides percées dans le domaine juridique ou homilétique et qu'elle prend réellement son essor, elle le fait en investissant deux formes littéraires, celle du roman et celle de la chronique. Elle rétablit ainsi en partie, mais d'une façon qui, du moins au commencement, reste toute formelle, la relation entre l'histoire et les histoires, entre history et story, qu'avait rompue le roman à la manière de Chrétien.



Les premiers romans en prose



Les premiers romans en prose présentent deux caractères dont on mesurera plus loin la portée. D'une part ils se rattachent à la matière du Graal. D'autre part ce sont des romans qui se regroupent et s'organisent en cycles. Es ne sont pas centrés sur un seul épisode ni même sur un seul personnage. Es prennent en compte la totalité du monde arthurien, de sa préhistoire à sa chute. Es renouent ainsi, d'une certaine façon, avec l'Hùtoria regum Britanniae et avec le Brut de Wacc, mais en déplaçant les perspectives. Arthur n'est plus que rarement au premier plan, sauf au début et à la fin de son règne. La généalogie fondatrice du récit et du sens n'est plus la sienne, mais celle des gardiens du Graal.



La trilogie dérivée de Robert de Boron



Une trilogie sur la matière du Graal est écrite en prose vers 1220. Elle retrace le destin du Graal et de la lignée qui en a la garde depuis la Passion du Christ jusqu'aux aventures de Perceval et à l'écroulement final du monde arthurien. Elle est formée du Roman de l'estoire dou Graal, du Merlin et du Perceval en prose, appelé aussi, comme on a déjà vu, Didot-Perceval ou Perceval de Modène. On a vu dans le chapitre précédent que les deux premiers romans sont la mise en prose de ceux de Robert de Boron. Le troisième est-il celle d'un Perceval en vers du même auteur, qui serait aujourd'hui perdu ? Ce n'est pas certain, car, outre le Joseph d'Anmathie et le Merlin de Robert, outre le Conte du Graal de Chrétien, outre le Brut de Wace pour la fin du règne d'Arthur, le Didot-Perceval compte parmi ses sources la Seconde Continuation du Conte du Graal, celle de Wauchier de Denain, dont on sait qu'elle est postérieure à l'ouvre de Robert de Boron. Ce Perceval en prose ne se distingue pas seulement du Conte du Graal par une coloration religieuse beaucoup plus marquée, héritée des romans de Robert de Boron dont il prend la suite, et qui en fait la conclusion d'une sorte de nouvelle Histoire sainte transportée de Terre sainte en Bretagne. Son héros est aussi, sur un point important, bien différent de celui de Chrétien. Même à ses débuts, le Perceval du roman en prose n'est nullement un nice, un innocent, un jeune rustre naïf. Du coup, la réflexion implicite sur le narcissisme et la charité, sur la nature et l'éducation, qui sous-tend le roman de Chrétien, disparaît, comme le fait aussi l'humour. Certes, Perceval a beaucoup à apprendre et doit progresser pour accomplir son destin : sa première tentative pour occuper le siège périlleux de la Table ronde, sa première visite au château du Graal sont des échecs douloureux. Mais il est d'emblée digne du lignage sacré dont il est le rejeton et l'accomplissement. De même il ne porte à aucun moment le péché de la mort de sa mère. L'identité du Roi Pêcheur - qui n'est plus infirme, mais seulement affaibli par l'âge - et les relations de parenté qui l'unissent à lui ont également changé. Ainsi ce roman, qui n'est pas au demeurant sans mérite, ignore, tout occupé de sa généalogie édifiante, les éléments générateurs du sens et de l'énigme dans celui de Chrétien.



Le « Lancelot-Graal »



Un autre cycle du Graal en prose, d'une ampleur bien plus considérable et dont le succès sera immense, voit le jour dans les années 1225-1230 : l'énorme ensemble connu sous le nom de Lancelot-Graal. Sa première originalité, soulignée par le titre qu'on lui donne, est de déplacer l'accent de Perceval au lignage de Lan-celot et de se rattacher ainsi non seulement au Conte du Graal de Chrétien, mais aussi à son Chevalier de la Charrette, à ce Lancelot qui accepte de se déshonorer aux yeux du monde pour l'amour de la reine Guenièvre. Le noyau du cycle, dit Lancelot propre, qui en constitue à lui seul près des deux tiers et qui a été écrit en premier, est consacré entièrement à Lancelot. I-c roman s'ouvre sur le récit de ses enfances : comment son père a été dépossédé par l'usurpateur Claudas et en est mort ; comment le petit Lancelot a été enlevé à sa mère par la fée du lac, élevé par elle en compagnie de ses deux cousins qu'elle soustrait eux aussi bientôt à la fureur de Claudas, conduit par elle à la cour du roi Arthur pour y être armé chevalier. Comment ce tout jeune homme tombe au premier regard amoureux pour la vie de la reine Guenièvrc. Comment cet amour fera de lui le meilleur chevalier du monde et lui donnera la force d'exploits surhumains, à commencer par la conquête de la Douloureuse Garde. Et puis tant et tant d'aventures, des centaines de personnages dont les destins et les chemins se croisent, se séparent, se rejoignent à nouveau. Gale-haut, le fils de la Belle Géante, le roi des Iles lointaines, se prend d'une telle amitié pour Lancelot qu'elle le fait renoncer à une victoire assurée sur le roi Arthur ; il favorise les amours de son ami et de la reine, et il meurt de chagrin le jour où il le croit mort. Arthur est victime des artifices de l'enchanteresse Gamilie. puis de la fausse Guenièvre. Lancelot connaît la folie, la captivité chez la fée Morgain, la sour malveillante du roi Arthur, la quête de la reine et l'humiliation de la charrette. Autour de lui, ses cousins Bohort et Lionel, Gauvain et ses frères, tous les chevaliers de la Table ronde vivent mille aventures qui défient tout résumé de proportions raisonnables.



Mais dans la Queste de/ saint Graal, qui est la suite du Lancelot, l'amour de Lancelot pour la reine, cet amour qui avait fait de lui le meilleur chevalier du monde, cet amour adultère, l'exclut des mystères du Graal, dont les élus sont son fils Galaad - engendré en la fille du Roi Pêcheur qui avait pris par magie l'apparence de Guenièvre - son cousin Bohort et Perceval. C'est que la Queste, où on a pu déceler une influence de la spiritualité cistercienne, est un roman essentiellement religieux et mystique. Les aventures chevaleresques y deviennent une figuration allégorique du combat du bien et du mal, de Dieu et du diable qui se disputent le cour de l'homme. La chasteté tend à y devenir l'unique vertu, la luxure l'unique péché. Galaad est vierge de corps et d'intention ; Perceval est vierge lui aussi, bien qu'il ait un peu tardé à repousser une tentation voluptueuse ; Bohort n'a succombé qu'une fois au désir charnel, et avec des circonstances atténuantes. C'est dire quelle réprobation pèse sur l'amoureux Lancelot et le volage Gauvain. Enfin les aventures du Graal sont un véritable complément de la révélation chrétienne, leur achèvement en est le couronnement, en elles les signes de Dieu manifestés dans le monde depuis la Genèse trouvent leur sens. Galaad est comme le nouveau Christ de la chevalerie qui, à sa mort dans la ville sainte de Sarras, rejoint le Père.



Dans la Mort le roi Artu, le dernier élément du cycle, c'est encore l'amour de Lancelot et de Guenièvre qui est la cause indirecte de la catastrophe finale et de la disparition du monde arthurien. On retrouve les événements pseudo-historiques relatés par Geoffroy de Monmouth et par Wace, mais commandés par le destin tragique des protagonistes. La guerre que le roi Arthur mène en Gaule contre les Romains et la trahison de Mordret le neveu d'Arthur qui est en réalité le fils né de son inceste - suivent la condamnation de la reine adultère, son enlèvement par Lancelot au prix de la mort d'un frère de Gau-vain et la haine inexpiable que celui-ci voue désormais à son ami de toujours et qui ne s'achève que dans le combat singulier où il reçoit de lui une blessure mortelle. Après la bataille de Salcsbièrcs (SalisburY) où Arthur tue Mordret mais en est mortellement blessé et voit périr presque tous ses compagnons, le vieux roi va au bord de la mer, où une nef dans laquelle se trouvent sa sour la fée Morgain et d'autres fées vient le chercher. Auparavant, son écuyer Girûet a sur son ordre jeté dans un lac son épéc Escalibor, qu'une main sortie de l'eau brandit et emporte. Dans tout le roman, les événements semblent obéir à la fois à leurs causes naturelles et à celles que suscitent obscurément les diverses culpabilités en un enchaînement implacable et oppressant.

Enfin, une Histoire du saint Graal et un Merlin adaptés des deux romans de Robert de Boron ont été ajoutés après coup au début du cycle. Ainsi tous les fils sont noués. Galaad est depuis l'origine le nom prédestiné du dernier rejeton de la lignée des gardiens du Graal, celui qui en accomplira les mystères. C'est d'ailleurs, avant d'être celui de son fils, le vrai nom de Lancelot, dissimulé par celui sous lequel il s'illustrera et péchera. La Dame du lac n'est autre que Niniènc. Avant d'être sa victime consentante, Merlin s'assure que les exploits des chevaliers de la Table ronde seront transcrits et conservés et sème du haut du ciel les alignements mégalithiques de Stonehenge pour marquer par avance le heu de la grande bataille de Salesbières. La préhistoire du Graal, vérité sacrée dont l'auteur a pu prendre connaissance dans le petit livre divin au contenu indicible qui lui a été transmis par un ange, fait ainsi pendant à la quête, et la préhistoire arthurienne, sur laquelle veille Merlin, fait pendant à son écroulement.



On s'est étonné, bien entendu, du « double esprit » de ce vaste cycle, amoureux et courtois dans le Lancelot, puis ascétique et mystique dans la Quête - la Mort Artu ayant sa tonalité propre, sombre, pessimiste, tourmentée par l'idée d'une fatalité d'où Dieu semble absent. Y a-t-il eu plusieurs auteurs ? Sans doute, mais d'un autre côté la composition de l'ensemble est extra-ordinairement rigoureuse, les contradictions sont minimes, d'infimes détails se répondent à des centaines, à des miniers de pages d'intervalle. Supposer avec Jean Frappier qu'un maître d'ouvre a conçu le plan et confié la réalisation à plusieurs écrivains est raisonnable, mais ne fait guère autre chose que formuler autrement la difficulté. Elspeth Kennedy n'a pas fait l'unanimité en soutenant, non sans arguments cependant, qu'un Lancelot primitif « non cyclique » a été plus tard poursuivi, infléchi, artificiellement relié à la matière du Graal, car la cohérence du cycle a frappé au contraire beaucoup de critiques. A vrai dire, le « double esprit » ne suppose nullement deux idéologies contradictoires. Ce mélange vertigineux et mystérieux de diversité et d'unité, fondé sur une sorte de dialectique de la perfection mondaine et de la perfection ascétique et mystique, ne révèle pas nécessairement une contradiction. Au demeurant, l'ouvre médiévale, et surtout l'ouvre en prose, est essentiellement mouvante. La notion d'un état définitif du texte ne peut guère lui être appliquée. Chacune de ses variations, de ses refontes, de ses réécritures a sa propre légitimité.



Le « Perlesvaus »



Un roman un peu étrange, le Haut livre du Graal ou Perlesvaus, écrit selon les uns dès les premières années du XIIIe siècle, selon les autres - et beaucoup plus vraisemblablement - après le Lancelol-Graal, se présente comme une sorte de continuation en prose du Conte du Graal, auquel il prétend remonter directement, tout en prenant des libertés avec les données laissées par Chrétien. Il relate les quêtes successives de Gauvain, de Lancelot et de Perceval (PerlesvauS). Ce dernier, après la mort du Roi Pêcheur, son oncle, reconquiert le château du Graal sur un usurpateur, le roi du Chastel Mortel, un autre de ses oncles, méchant celui-là et dont la figure se confond avec celle du démon. C'est un roman qui a quelque chose de raide, d'âpre et de sauvage. Il débute dans une atmosphère onirique, oppressante et sanglante. On y voit Perceval tirer vengeance des ennemis de sa mère, encore en vie, et de sa sour avec une cruauté sans mesure. Le sénéchal Kcu, personnage désagréable et moqueur mais fondamentalement honorable et loyal dans la tradition arthurienne, y devient un traître de mélodrame qui assassine au fond des bois le fils du roi Arthur et laisse accuser Lancelot des trahisons dont il se rend coupable. Le roman, dont l'action est placée dans les premières années de l'ère chrétienne, à une époque où les îles bretonnes, à l'exception du royaume de Logres, sont encore païennes, est tout entier construit autour de l'affrontement du paganisme et de la nouvelle loi. Vers la fin, Perceval-Perlesvaus effectue une longue navigation d'île en île, dans la tradition celtique, pour évangéliscr les rois et les peuples qu'il y trouve et châtier ceux qui refusent la conversion. En même temps, la figure de Lancelot est d'une exceptionnelle grandeur. Son refus de se repentir de son amour pour la reine au moment même où il s'en confesse, la nuit qu'il passe près du tombeau de Guenièvre à l'abbaye de Glastonbury - qui se glorifiait de ses reliques arthuriennes - donnent lieu à des pages saisissantes.



Prose et vérité



Les premiers romans en prose française sont donc des romans du Graal. Ce n'est probablement pas, ou pas uniquement, un effet du hasard. Aussi bien, ce caractère en apparence accidentel était parfaitement clair aux yeux des contemporains. Le traducteur de la Philippide, épopée latine à la gloire de Philippe Auguste, déclare - dans un prologue en vers - qu'il écrira en prose, sur le modèle « du livre de lancelot, où il n'y a de vers un seul mot ». Un siècle plus tard encore, Guilhem Molinicr, pour dire qu'il bornera ses Leys d'Amors, traité occitan de grammaire et de poétique, à l'étude des ouvres en vers et en exclura celles en prose, donne comme exemple et comme emblème de ces dernières « le Roman du saint Graal ».



Pourquoi cette association de la prose et du Graal ? Peut-être à cause de l'association de la prose et du religieux. Les romans en prose apparaissent au moment où la littérature du Graal prend une coloration mystique, où la gloire mondaine et les amours courtoises cessent d'être exaltées pour être marquées du sceau du péché, où Galaad fait figure de nouveau Christ de la chevalerie, venu achever l'ouvre de la Rédemption. C'est que les seuls modèles de prose française dont disposaient les romanciers étaient, on l'a vu, des textes religieux : quelques sermons, quelques traités d'édification, quelques récits hagiographiques traduits du latin. Plus encore, c'est la prose qui, en latin, sert à l'expression du sacré ; elle est le langage de l'exégèse et de la prédication, elle est le langage de la Bible. Non seulement le langage du Nouveau Testament et des livres historiques de l'Ancien, mais celui de l'Ecriture sainte tout entière, car l'extension du mot prosa à tout ce qui ne relève pas de la métrique latine classique lui permet d'englober même les traductions latines des textes poétiques de la Bible, les psaumes ou le Cantique des Cantiques. La prose, en un mot, est le langage de Dieu. Rapprocher, comme le fait Isidore de Sévillc, prosa de pro(R)sum, la définir comme un mode d'expression direct, en ligne droite, par opposition aux sinuosités du vers soumis aux contraintes métriques, c'est implicitement lui reconnaître une adéquation plus parfaite à l'idée, que les détours et les ornements ne viennent pas dissimuler ou gauchir. Dans le climat platonicien du christianisme médiéval, ce trait marque une supériorité de la prose. On n'imagine guère la parole de Dieu se pliant aux lois frivoles du vers, ce qui montre d'ailleurs combien la littérature du Moyen Age est loin d'être une littérature primitive : la poésie, pour elle, n'est nullement le langage du sacré. La prose est donc plus que le langage de la littérature religieuse, elle est celui de la Bible, et plus que le langage de la Bible, celui de Dieu. Un livre qui renferme une révélation des desseins de Dieu doit être en prose. C'est le cas des romans du Graal, dès lors qu'ils retracent l'histoire familiale des gardiens du vase mystique, de Joseph d'Arimathie à Galaad ou à Perceval, dès lors que cette histoire est supposée intéresser le salut de l'humanité tout entière et reçoit un sens eschatologique lié au mystère de la Rédemption, dès lors enfin qu'elle se développe autour d'une sorte de noyau à la fois plein et vide, les paroles ultimes de la révélation divine, toujours dissimulées et toujours efficaces. A la place et comme signe de cette brève prose de Dieu s'étend la prose du narrateur, celle du prêtre Biaise, par exemple, confesseur de la mère de Merlin et greffier supposé de son histoire.

Enfin, et de façon plus précise, le style de ces romans s'inspire fréquemment dans le détail soit de l'Ecriture sainte, soit de la littérature homilétique, révélant ainsi les vrais modèles de la prose. Il arrive par exemple que la mise en prose de Robert de Boron s'écarte de l'original en vers pour traduire directement le passage scripturairc dont il s'était librement inspiré. Et la Queste del saint Graal, par la place qu'elle fait à l'allégorie dans l'interprétation du monde et des signes divins, s'inspire des méthodes de l'exégèse et du discours de la prédication.

La prose est donc fiée à la vérité. C'est au demeurant un lieu commun des prosateurs du Moyen Age que d'affirmer que la prose est plus vraie que le vers et qu'elle ne sacrifie pas comme lui à l'ornement. Elle sert, dans le cas des romans du Graal, à l'expression d'une vérité qui est d'ordre spirituel, mais qui est aussi d'ordre historique. Car, en fixant la généalogie des gardiens du Graal, ces romans renouent d'une certaine façon avec le temps de l'histoire, suspendu par la vision du monde arthurien qu'avait imposée Chrétien. Il ne faut donc pas s'étonner de la voir s'imposer simultanément chez eux et, comme on le verra bientôt, dans les chroniques qui écrivent l'histoire en français.



Le « Tristan en prose », « Guiron le Courtois » et le cycle du Pseudo-Robert de Boron



Mais, bien entendu, le lien entre la prose et les préoccupations spirituelles disparaît dès que son emploi se généralise, c'est-à-dire très vite, favorisé par la multiplication de l'écrit, par la familiarité de plus en plus grande avec lui, par le développement, sans doute, de la lecture individuelle. On a déjà noté que l'atmosphère de la dernière partie du Lancelot-Groal, la Mort le roi Artu, était, si l'on peut dire, étrangement laïque. La même remarque peut s'appliquer à l'immense Tristan en prose qui replace la légende de Tristan dans l'univers du Lancelot. Dieu paraît étrangement absent de la quête du Graal qu'il insère à sa matière.



Le Tristan en prose a connu un immense succès dont témoignent les quelque quatre-vingts manuscrits que nous en connaissons, représentant quatre versions principales qui s'échelonnent de 1230 ou 1235 à 1300 environ. Il aurait été commencé par un chevalier, Luce del Gat, mentionné par les prologues, tandis que les épilogues font intervenir la figure, certainement fictive, d'un certain Hélie de Boron, parent et compagnon d'armes de Robert de Boron, et qui serait aussi l'auteur de Guiron le Courtois. Le roman utilise aussi bien la version de Béroul que celle de Thomas, mais marque un certain raidissement dans le traitement des personnages. Le roi Marc, au caractère ambigu dans les romans en vers, est noirci jusqu'à devenir fourbe, méchant et même criminel. D'autres figures, celle de Kaherdin, celle de Palamèdc, sont traitées avec une certaine habileté. Plusieurs traits du Tristan en prose sont caractéristiques de son époque et de l'évolution du roman. Il prend prétexte du talent poétique et musical depuis toujours attribué à Tristan pour insérer des pièces lyriques dans le récit en prose. Mêlant définitivement la matière tristanienne et la matière arthurienne, il illustre par la fluctuation des rédactions et par le nombre des variantes d'un manuscrit à l'autre variantes qui portent sur des épisodes entiers le caractère très mouvant du texte des romans bretons en prose à la fin du Moyen Age.



Guiron le Courtois, autrefois désigné sous le nom de Palamède, qui lui est à peine postérieur, tente de le compiler systématiquement avec le Lancelot-Graal. C'est une « suite rétrospective » mettant en scène la génération des pères : les héros en sont, outre Guiron lui-même, Mcliadus, père de Tristan, Lac, père d'Erec, Pellinor, père de Perceval, sous le règne d'Uterpendragon, père d'Arthur. La version primitive de ce très long roman, conservé dans une trentaine de manuscrits représentant une tradition complexe, semble être restée inachevée et a été poursuivie par de nombreuses suites. On se perd à partir de là dans le dédale des copies et des compilations. Dans la sienne, Rusticien de Pisc - le même qui a noté le Livre des Merveilles sous la dictée de Marco Polo - emprunte à la fois au Tristan en prose et à Guiron le Courtois. On peut suivre comme en creux, à travers les manuscrits, à travers aussi des adaptations ibériques plus tardives, la trace d'un « cycle du Pseudo-Robert de Boron », dont on n'a conservé en français aucun manuscrit complet. Plus que le vers, la prose invite au remaniement, « en lisant, en écrivant ». De copie en copie, elle subit l'empreinte des générations successives de lecteurs qui lui impriment leurs goûts.





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Marie de France
(1160 - 1199)
 
  Marie de France - Portrait  
 
Portrait de Marie de France

Biographie / chronologie

Marie de France est une poétesse médiévale célèbre pour ses lais - sortes de poèmes - rédigés en
ancien français1. Elle a vécu pendant la seconde moitié du XIIème siècle, en France puis en Angleterre,
où on la suppose abbesse d'un monastère, probablement2 celui de Reading.

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