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Marie de France



Milon - Poéme


Poéme / Poémes d'Marie de France





Quand on veut raconter des récits variés, on doit les faire commencer différemment et on doit s'exprimer avec assez d'à propos pour être agréable au public.
Je vais commencer l'histoire de
Milon et j'expliquerai en quelques vers pourquoi et comment fut composé le lai qui porte ce nom.

Milon naquit dans le sud du pays de
Galles.
Depuis le jour de son adoubement, il ne trouva aucun chevalier capable de le désarçonner.
C'était un très bon chevalier, noble, hardi, courtois et redoutable.
Grande était sa renommée en
Irlande, en
Norvège ou dans le
Jutland.
Dans le royaume de
Logres et en
Albanie il avait suscité de nombreuses jalousies.
Pour son courage, il était fort apprécié et honoré par beaucoup de princes.
Dans son pays se trouvait un baron dont je ne connais le nom.
Ce baron avait une fille,

une belle et très courtoise demoiselle.

Elle entendit parler de
Milon

et se mit à l'aimer.

Elle lui fit dire par un messager

que, s'il le voulait bien, elle lui accorderait son

amour.
Milon fut très heureux de la nouvelle et remercia la demoiselle.
Il accepte volontiers son amour et il ne s'en départira jamais.
Sa réponse est d'une parfaite courtoisie.
Il comble le messager de cadeaux et lui promet toute son amitié. «Ami, fait-il, veille à me préparer une entrevue avec mon amie afin que je puisse lui parler et garde bien le secret sur notre conversation.
Tu lui apporteras mon anneau d'or

et tu lui diras de ma part que,

quand cela lui plaira, tu viendras me chercher

et je t'accompagnerai. »

Le messager prend congé et le quitte.

Il va trouver la demoiselle,

lui donne l'anneau et lui dit

qu'il s'est bien acquitté de sa mission.

La jeune fille est tout heureuse

d'avoir obtenu l'amour de
Milon.

Près de la chambre, dans un jardin

où elle allait d'habitude se promener,

Milon et son amie, à maintes reprises,

se fixent des rendez-vous.

Milon y vint si souvent et l'aima tant

que la jeune fille devint enceinte.

Quand elle s'en aperçoit,

elle fait venir
Milon et se lamente.

Elle lui dit ce qui est arrivé :

elle a perdu son honneur et son bonheur.

Puisqu'elle s'est prêtée à une telle action,

il lui faudra subir un rude châtiment.

Elle sera suppliciée par l'épée

ou vendue à l'étranger.

C'était la coutume des anciens,

en vigueur à cette époque.

Milon répond qu'il fera

ce qu'elle aura décidé.

«
Quand l'enfant sera né, dit-elle,

vous le porterez chez ma sour

qui est mariée et vit dans le
Northumberland.

C'est une dame puissante, pleine de mérite et de

sagesse.
Vous lui ferez savoir par une lettre et de vive voix

que c'est l'enfant de sa sour et qu'il lui a causé bien des souffrances.
Qu'elle prenne bien soin de son éducation, que ce soit une fille ou un garçon.
Je suspendrai votre anneau au cou de l'enfant et j'enverrai à ma sour une lettre où seront écrits le nom de son père et l'histoire de sa mère.
Quand il aura grandi et qu'il aura atteint l'âge de raison,

ma sour devra lui remettre la lettre et l'anneau en lui recommandant de les conserver jusqu'à ce qu'il ait retrouvé son père.

Ils s'en sont tenus à ce plan jusqu'au moment où la jeune femme accoucha.
Une vieille femme, chargée de la garder

et à qui elle avait révélé toute son histoire,

la cacha et la protégea si bien

que personne ne s'aperçut de rien,

ni dans ses propos ni dans son allure.

La jeune femme accoucha d'un très beau garçon.

Au cou, on lui suspend l'anneau,

une aumônière de soie

et la lettre en faisant de sorte que personne ne s'en

aperçoive.
Puis on couche dans un berceau l'enfant enveloppé d'un drap de lin blanc.
Sous la tête de l'enfant, on place un oreiller de grande valeur et sur lui une couverture tout ourlée de martre.
La vieille remet l'enfant à
Milon qui l'attendait dans le jardin.
Il le confie ensuite à des gens qui l'emportent en suivant fidèlement ses ordres.
Dans les villes qu'ils traversaient, ils s'arrêtaient sept fois par jour et faisaient allaiter l'enfant.
Ils changeaient ses couches et le baignaient.
Ils emmenaient une nourrice avec eux.
Tous se montraient parfaitement dévoués. À force de suivre le droit chemin, ils purent confier l'enfant à la dame.
Elle l'accueillit avec un grand plaisir et reçut la lettre scellée.
Quand elle eut appris qui était l'enfant, elle se mit à le chérir tendrement.
Tandis que ceux qui lui avaient apporté l'enfant retournèrent chez eux.
Milon quitta son pays

pour louer ses services et conquérir la gloire.

Son amie resta chez elle.

Son père lui donna un mari ',

un très haut personnage du pays,

très puissant et de grand mérite.

Quand elle apprit ce qui l'attendait,

son désespoir fut immense

et elle se prit souvent à regretter
Milon

car elle craignait beaucoup d'être châtiée

pour avoir eu un enfant.

Son mari le saura tout de suite.

«
Hélas ! dit-elle.
Que faire ?

Prendre un mari ?
Mais comment ?

Je ne suis plus vierge.

J'en suis réduite à devenir servante toute ma vie.

Je ne pensais pas que les choses tourneraient ainsi.

Je pensais pouvoir épouser mon ami

et nous aurions gardé l'affaire entre nous

sans que je n'en entende plus jamais parler.

Mieux vaudrait pour moi mourir que vivre,

cependant je ne suis pas libre

mais je suis entourée de gardiens,

vieux et jeunes, mes domestiques,

qui haïssent toujours les loyaux amants

et se réjouissent de leur malheur.

Il me faudra donc subir mon sort.

Malheureuse que je suis, puisque je ne peux pas

mourir. »
Au jour fixé pour le mariage, son époux l'a emmenée.

Milon revient dans son pays en proie à la tristesse et à l'abattement.
Il ressent et manifeste une grande douleur mais il est réconforté par la proximité du pays

où vit celle qu'il a tant aimée.

Milon se met à réfléchir

à la manière de lui faire savoir,

sans que nul ne s'en aperçoive,

qu'il est revenu de son pays.

Il écrit une lettre qu'il scelle.

Il avait un cygne qu'il aimait beaucoup ;

il lui attache la lettre autour du cou

en la cachant bien dans ses plumes'.

Puis il appelle un écuyer

et le charge de son message.

«
Dépêche-toi, lui fait-il, change-toi,

va au château de mon amie

et prends mon cygne avec toi.

Veille à ce qu'un domestique ou une suivante

offre le cygne en cadeau à la dame. »

L'écuyer lui obéit.

Il prend le cygne et s'en va.

Il se rendit au château comme il le pouvait

par le chemin le plus direct qu'il connaissait.

Il traversa la ville

et se rendit à la porte principale

puis interpella le portier :

«
Ami, dit-il, écoute-moi !

J'ai un métier :

je sais bien capturer les oiseaux.

Dans une prairie au pied de
Carlion,

j'ai capturé un cygne au lacet.

Je veux l'offrir à la dame

pour avoir son appui et sa protection

et pour éviter d'être inquiété

ou accusé dans le pays. »

Le jeune homme lui répondit :

«Ami, personne ne peut lui parler

mais je vais néanmoins m'informer.

Si je peux trouver une occasion

pour te mener à elle,

je pourrai te donner la possibilité de lui parler. »

Le portier se rend dans la salle principale ;

il n'y trouve que deux chevaliers,

assis autour d'une grande table,

et qui se distrayaient en jouant aux échecs.

Le portier revient alors sur ses pas.

Il introduit le messager

de telle manière que,

personne ne l'ayant vu,

il n'est ni inquiété ni remarqué.

Il arrive près de la chambre et appelle.

Une demoiselle vient leur ouvrir la porte.

Tous deux s'avancent vers la dame

et lui présentent le cygne.

Elle appelle alors un de ses domestiques

et lui dit: «Veille donc

à ce que mon cygne soit bien traité

et qu'il ait bien à manger.

-
Dame, fait celui qui apporta l'oiseau,

personne d'autre que vous ne doit le recevoir

et c'est un véritable cadeau royal :

voyez comme il est noble et beau ! »

Il le lui donne en mains propres.

Elle le prend avec beaucoup de bonne grâce ;

elle lui caresse le cou et la tête

et sent bien la lettre sous les plumes.

Son sang ne fait qu'un tour ;

elle a compris que le cygne vient de son ami.

Elle fait offrir une récompense à l'écuyer

et lui donne son congé.

Quand elle se retrouva seule dans la chambre, elle appela une servante.
Elles détachèrent la lettre et en brisèrent le sceau.
En premier lieu, elle voit «
Milon » et reconnaît le nom de son ami.
Elle embrasse cent fois la lettre en pleurant avant de pouvoir la lire plus avant.
Au bout d'un moment, elle lit la lettre et apprend son contenu ainsi que les souffrances et la peine que
Milon supporte nuit et jour.
Il s'en remet totalement à elle pour décider de sa vie ou de sa mort.
Si elle pouvait trouver une ruse pour lui parler,

qu'elle la lui fasse connaître par écrit en lui renvoyant le cygne.
Tout d'abord qu'elle le fasse bien garder puis qu'elle le laisse jeûner pendant trois jours sans la moindre nourriture, que la lettre soit ensuite suspendue à son cou et qu'on le laisse partir ; il volera et retournera à son premier gîte.
Quand la dame a terminé la lecture de la lettre et qu'elle a bien compris son contenu, elle laisse le cygne se reposer et lui donne bien à manger et à boire.
Elle le garde dans sa chambre pendant un mois.
Mais écoutez la suite de l'histoire. À force d'habileté et de ruse, elle finit par obtenir de l'encre et du parchemin.
Elle écrivit une lettre en y mettant tout ce qu'elle

avait à dire

puis elle la scella avec un anneau.

Elle laissa jeûner le cygne,

lui suspendit la lettre au cou et le laissa partir.

L'oiseau était affamé,

avide de nourriture.

Il revint en hâte

à son point de départ.

Il arriva dans la ville puis à la maison

où il se posa aux pieds de
Milon.

Quand
Milon le vit, il en fut très heureux.

Il le prend joyeusement par les ailes

puis appelle son intendant.

Il fait donner à manger au cygne ;

il lui enlève la lettre du cou,

parcourt la missive d'un bout à l'autre,

se réjouissant des indications

et des salutations qui s'y trouvent.

Elle ne peut connaître le bonheur sans lui.

Maintenant, qu'il lui fasse connaître ses intentions

en utilisant le cygne de la même façon.

C'est bien ce qu'il va faire sans tarder.

Pendant vingt ans,
Milon et son amie vécurent ainsi.

Ils firent du cygne leur messager et n'eurent pas d'autre médiateur.
Ils faisaient jeûner l'oiseau avant de le laisser s'envoler.
Celui chez qui l'oiseau arrivait, sachez bien qu'il lui donnait à manger.
Ils se sont rencontrés plusieurs fois car même le prisonnier le mieux gardé peut trouver des occasions propices.

La dame qui élevait leur fils

(son âge correspondait au nombre d'années

qu'il avait passé avec elle)

le fit adouber chevalier.

C'était un bien noble jeune homme.

Elle lui remit l'anneau et le message

qui lui révélait le nom de sa mère.

Elle lui raconta l'histoire de son père

et lui dit combien c'était un bon chevalier,

si valeureux, si courageux et si redoutable

que dans le pays il n'y en avait aucun autre

capable de l'égaler en réputation et en mérite.

Quand la dame lui eut tout raconté

et qu'il l'eut bien écoutée,

il se réjouit de la bravoure de son père.

Il était heureux de ce qu'il avait entendu.

Il se dit en lui-même :

«
Il doit avoir une piètre estime de lui-même

celui qui, engendré

par un père d'une telle renommée,

refuserait de chercher plus de gloire encore

loin de sa terre et de son pays. »

Il avait assez d'argent.

Il ne resta donc plus qu'une soirée

et le lendemain prit congé.

La dame lui fait de nombreuses recommandations

et l'exhorte à bien se conduire.

Elle lui donne beaucoup d'argent.

Il va embarquer à
Southampton ' et, dès qu'il le peut, prend la mer.
Il arrive à
Barfleur ;

de là il part directement vers la
Bretagne.
Là, il s'adonne à des largesses, participe aux

tournois, et se lie avec de hauts personnages.

À toutes les joutes auxquelles il participe,

on le considère comme le meilleur.

Il aimait les chevaliers pauvres.

Ce qu'il gagnait sur les riches,

il le leur offrait et il les gardait à ses côtés.

Il dépensait très généreusement.

Jamais, de son propre gré, il ne prit du repos.

Sur toutes les terres de
Bretagne,

il était reconnu comme le plus valeureux.

Il était courtois et avait un grand sens de l'honneur.

De sa valeur et de sa renommée,

le bruit se répandait dans son pays.

On disait en effet qu'un jeune homme de cette région

qui avait traversé la mer en quête de gloire

s'était tant illustré par ses hauts faits,

par sa perfection et sa largesse

que ceux qui ne connaissaient pas son nom

l'appelaient partout «Sans pair».

Milon avait entendu chanter ses louanges

et raconter ses mérites.

Il en était affecté et se plaignait fort

de ce chevalier si valeureux.

Aussi longtemps qu'il pourrait voyager,

participer aux tournois ou porter les armes,

aucun autre chevalier du pays

n'aurait dû obtenir estime et réputation.

Il médite un projet:

il traversera la mer dès que possible

et ira affronter le chevalier

pour lui causer honte et dommage.

Il se battra furieusement contre lui

et s'il peut le désarçonner

alors il finira par le couvrir de honte.

Après cela, il ira chercher son fils

qui a quitté le pays

mais il ignore ce qu'il est devenu.

Milon en informe son amie

et veut obtenir d'elle son congé.

Il lui fait connaître ses intentions

dans une lettre scellée qu'il lui envoie

par l'intermédiaire du cygne, je crois bien.

Et maintenant qu'elle lui dise à son tour son désir.

Quand elle apprit son projet,

elle l'en remercia et lui fut reconnaissante

de quitter son pays pour partir en quête de leur

fils et pour prouver sa propre valeur.
Elle ne veut pas le détourner de ce projet.
Milon apprit sa réponse.
Il s'équipe magnifiquement.
Il embarque vers la
Normandie puis il se rend en
Bretagne où il fait de nombreuses connaissances.
Il fréquente les tournois et se montre d'une généreuse hospitalité ; il distribue des dons avec courtoisie.

Durant tout l'hiver, ce me semble,
Milon séjourne en
Bretagne.
Il retient à ses côtés plusieurs bons chevaliers et on arrive bientôt à
Pâques, au moment où les tournois reprennent ainsi que les guerres et batailles.
Au
Mont
Saint-Michel ' se rassemblèrent
Normands et
Bretons,
Flamands et
Français, mais il n'y eut guère d'Anglais.

Milon s'y rendit le premier

car c'était un chevalier plein de valeur.

Il demande le bon chevalier.

Il y eut beaucoup de gens pour lui apprendre

de quel endroit ce bon chevalier était venu.

Grâce à ses armes et à ses écus,

ils peuvent tous le désigner à
Milon

qui le regarde attentivement.

Les participants au tournoi se rassemblent.

Qui cherche la joute la trouve aussitôt.

Qui parcourt les rangs quelque peu

a vite l'occasion de perdre ou de gagner

en affrontant un adversaire.

Quant à
Milon, je vous dirai seulement ceci :

il s'est bien illustré dans ce tournoi

et il se fit beaucoup apprécier ce jour-là.

Mais le jeune homme dont je vous parle

l'emporte en mérite sur tous les autres.

Nul ne peut se comparer à lui

en matière de tournoi ou de joute.

Milon le voit si bien se comporter,

si bien charger et si bien frapper

que, malgré toute la jalousie qu'il éprouve,

il en ressent joie et satisfaction.

Il prend du champ pour charger

et tous deux s'affrontent.

Milon le frappe si durement

qu'il met sa lance en pièces

sans toutefois désarçonner son adversaire.

Mais déjà
Milon reçoit un nouveau coup

qui le fait tomber de sa monture.

Le jeune homme aperçoit alors sous la ventaille

la barbe et les cheveux blancs de son adversaire.

Aussi, la chute du chevalier l'attrista.

Il prit le cheval par les rênes et le tint devant son adversaire pour le lui présenter.
Il lui dit ensuite : «
Seigneur, remontez à cheval !
Je suis désolé et peiné d'avoir dû infliger un tel outrage à un homme de votre âge '. »
Milon remonta vite à cheval et en fut fort aise.
Lorsque son adversaire lui rendit son cheval, il reconnut l'anneau que l'autre portait à son doigt.
Il s'adressa alors à lui: «
Ami, fait-il, écoute-moi bien !
Au nom du
Dieu tout puissant, dis-moi comment se nomme ton père ?
Comment t'appelles-tu ?
Qui est ta mère ?
Je veux tout savoir là-dessus !
J'ai vu beaucoup de choses, j'ai beaucoup voyagé, j'ai parcouru bien des pays étrangers en participant à des tournois ou à des guerres.
Jamais cependant un coup porté par un chevalier ne m'a fait tomber de mon destrier.
Toi, tu m'as abattu dans cette joute.
J'ai envie de te porter une grande amitié. »
Le jeune homme lui répondit: «Je vais vous dire tout ce que je sais de mon père.
Je crois qu'il est né au pays de
Galles et qu'on l'appelle
Milon.
Il aima la fille d'un puissant seigneur et il me conçut en secret.
On m'envoya dans le
Northumberland où je fus élevé et instruit.
Une de mes tantes m'éleva.
Elle me garda avec elle

puis me donna armes et chevaux

et m'envoya sur cette terre.

Je vis ici depuis longtemps.

J'ai le projet et l'intention

de traverser bientôt la mer.

Je rentrerai dans mon pays.

Je veux connaître la vie de mon père

et sa liaison avec ma mère.

Je lui montrerai un certain anneau d'or

et je lui donnerai de telles indications

qu'il ne cherchera pas à me renier

et il n'aura pour moi qu'amour et affection. »

Quand
Milon l'entendit,

il ne put l'écouter plus longtemps.

Il se précipita vers lui

et le saisit par le pan de sa cotte de mailles.

«
Ah,
Dieu, fait-il, me voilà sauvé.

Par ma foi, mon ami, c'est toi, mon fils !

Pour te chercher et te trouver,

£ai quitté cette année mon pays. »

A cette nouvelle, le jeune homme descendit de

cheval et embrassa tendrement son père.
Ils avaient l'un envers l'autre des regards touchants et se disaient de telles paroles que ceux qui les regardaient en pleuraient de joie et d'attendrissement.
Les participants au tournoi se séparèrent.
Alors,
Milon s'en alla et il lui tarda de parler à son fils tout à loisir et de lui dire toute sa joie.
Ils passèrent cette nuit-là dans le même logis avec une joie et un plaisir extrêmes.
Il y eut beaucoup de chevaliers.

Milon raconta à son fils

comment il avait aimé sa mère

et comment le père de celle-ci l'avait donné pour

épouse à un baron de son pays, comment par la suite ils s'aimèrent d'un amour sincère, comment il fit du cygne un messager.
Il lui faisait porter ses lettres car il ne pouvait se fier à personne.
Son fils lui répondit : «
Par ma foi, cher père, je vous réunirai, vous et ma mère.
Je tuerai son mari et je vous la ferai épouser. »

Ils laissèrent alors ces propos et, le lendemain, se préparèrent à partir.
Ils prennent congé de leurs amis et retournent dans leur pays.
Sur mer, ils font une traversée rapide par beau temps avec un vent favorable.
En chemin,

ils rencontrent un jeune homme.
Il venait de la part de l'amie de
Milon.
Il voulait aller en
Bretagne où elle l'avait envoyé et voici que sa mission est simplifiée.
Il tend à
Milon une lettre scellée.
De vive voix, il lui dit de rentrer, sans tarder.

Son mari est mort, que
Milon revienne bien vite.
Quand
Milon entendit la nouvelle, elle lui parut prodigieusement belle.
Il en fit part à son fils.
Il n'y eut plus aucun délai ni répit.

Ils vont à un si bon train qu'ils arrivent

au château où habitait la dame.

Elle fut très heureuse de revoir son fils

qui était si preux et courtois.

Ils ne firent pas appel à la famille.

Sans le conseil de quiconque,

leur fils les unit tous deux

et donne ainsi sa mère en mariage à son père.

Ils vécurent depuis lors, nuit et jour,

dans un grand bonheur et une grande tendresse.

De leur amour et de leur bonheur, les anciens ont fait un lai et moi qui l'ai mis par écrit, je prends bien du plaisir à le raconter.






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Marie de France
(1160 - 1199)
 
  Marie de France - Portrait  
 
Portrait de Marie de France


Biographie / chronologie

Marie de France est une poétesse médiévale célèbre pour ses lais - sortes de poèmes - rédigés en
ancien français1. Elle a vécu pendant la seconde moitié du XIIème siècle, en France puis en Angleterre,
où on la suppose abbesse d'un monastère, probablement2 celui de Reading.

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