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Julien Green

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L'étudiant de Virginie


Poésie / Poémes d'Julien Green





Son oncle, qui l'a accueilli au débarcadère, se fait une joie de montrer tout de suite au visiteur la Cinquième Avenue, cette gloire nationale. Mais Julien, à cette première confrontation avec le colossal, se sent mal à l'aise, et la cité lui paraît à la fois superbe et horrifiante. Le premier soir, il va au théâtre avec sa cousine Sarah voir Thejest, mélodrame italien qui fait courir New York. Pendant le premier acte, Green éprouve de la difficulté à saisir toutes les répliques, car l'accent des acteurs le déconcerte, mais dès le second acte le déclic se produit : il comprend l'américain, en plus de l'anglais. Dans le train qui le conduit le lendemain vers le Sud, le voyageur écrit, pour la première fois, un poème en anglais. Sujet : la mort. Un de ses arrière-grands-pères, Robert Charlton, avait eu la même source d'inspiration en 1830.





Le Sud retrouvé



L'Amérique que le jeune homme aime, pour ainsi dire, depuis plusieurs générations, l'Amérique virginienne l'attend. Arrivé dans la nuit à Charlottesville, dès l'aube, il court à la fenêtre de sa chambre d'hôtel : le Sud se trouve bien au rendez-vous. Dans la vue qui s'offre à ses yeux, rien ne manque : les colonnes doriques, le fronton blanc, les sycomores, et le canon de bronze 3 l'entrée du palais de justice, pour rappeler la guerre perdue. Coup de soleil dans la mémoire héréditaire : J'avais tout à coup devant les yeux la patrie de ma mère... Le passé s'est fait reconnaître, le passé qui, lui aussi, est une évasion.



Une fois inscrit sur les registres de l'Aima Mater, « l'étudiant-qui-vient-d'ailleurs » retombe dans sa solitude et se transforme, sans le vouloir, en l'un de ces fantômes des légendes anglaises qui n'ouvrent la bouche que lorsqu'on leur a adressé la parole. Tout le rejette à l'intérieur de lui-même, et cette attitude, il la trouvera bien sotte par la suite. Mais l'Université ne prête nulle attention à son dédain. Entre l'Hermès de Praxitèle et le Discobole de Myron, dont les formes de plâtre ornent le vestibule de Cabell Hall, vont et viennent d'autres statues, vivantes celles-là. Comme si Aphrodite s'était trompée en exauçant le vou de Pygmalion et avait animé, au lieu d'une Galatée, cent Acis habillés en collège boys. Pourquoi souffre-t-on ainsi rien qu'à voir un visage humain ? On peut regarder et regarder, souffrir et encore souffrir, mais dans cette souffrance il y a un bonheur cruel qui ravage le cour.



Pendant les vacances, c'est à Savannah, la « ville-forêt » au nom doux et sauvage, lourd de langueur et de nuit, que le neveu d'Europe vient habiter chez son oncle et sa tante, Walter et Catherine Har-tridge. Ceux-ci lui font visiter la maison de Charles Grecn, mais qui n'appartient plus à la famille. Pour son caprice, l'architecte bâtit cette demeure dans un style Tudor des plus flamboyants, et les vérandas à croisées gothiques s'ouvrent sur un ciel tropical. Elle en impose, à l'ombre des lauriers-roses et des bananiers. On la proposera d'ailleurs au jeune homme, car elle se trouve a vendre et on le considère toujours comme l'héritier naturel, fflais il doit décliner cette offre au-dessus de ses moyens, et elle deviendra, quelques années plus tard, monument national. Là, en effet, son grand-père anglais offrit l'hospitalité au général Sher-ntan, pour éviter à ses amis du Sud la honte d'avoir à loger leur vainqueur. Sherman y établit son quartier général.

Un matin, l'oncle magistrat propose à son neveu d'assister à Une séance du tribunal : la visite se répétera plusieurs fois et éveillera aussitôt chez le jeune témoin un très vif intérêt qui ressemblera singulièrement à la curiosité d'un romancier... Le duel du corps et de l'âme reprend, comme en France, et le plus souvent la révolte la plus violente ne vient pas du corps, mais de l'âme. La lecture d'Havelock Ellis apporte quelque lumière sur la sexualité, et les conversations sans réticences des camarades se révèlent également instructives. Aux tentations s'oppose la morale de l'Évangile, prise à la lettre. J'étais double comme la plupart des hommes, mais le pécheur en moi me faisait home, j'aimais mieux l'autre personnage qui se voulait pur. Cela me scandalisait de n'être pas tout entier celui-là. En hiver, dans la petite chapelle catholique de Charlottesville où le prêtre célèbre la messe à l'aube, Green se rappelle son désir de vie parfaite. Et quelques heures plus tard la fantasmagorie charnelle reprend, au détour d'une allée de l'Université. C'est compliqué, un jeune homme vierge, nous expliquera, plus tard, l'écrivain de Terre lointaine. Cependant, en dépit de remous, la vie intérieure de l'étudiant reste dominée par la pensée du salut. Pécher, c'est rompre avec Dieu, se perdre dans ce monde, et surtout dans l'autre. Dans le journal qu'il tient alors par intermittence, la même question revient sans cesse : Comment gagner ici-bas la promesse de la vie éternelle ? En même temps le jeune homme voudrait aimer un être humain autour duquel ne rôdent pas d'interdits, mais aimer comme aiment les enfants. Cet être humain mystérieux, tant attendu, surgit un matin : c'est Mark, la rencontre a lieu près de la rotonde de l'Université : [...] tout à coup la liberté m'était enlevée [...] Cela m'était d'autant plus pénible que je ne me jugeais aucunement coupable. Rien de charnel dans cet amour. Jusqu'à la fin de son séjour à Charlottesville Green connaîtra les souffrances d'un attachement impossible, et c'est pour mettre un terme à l'épreuve qu'il hâtera d'un an son retour en France. Aucune parole révélatrice ne fut jamais prononcée de sa part. Mark sera pour toujours un ami, fidèle, lui aussi, à cette première rencontre, ce coup de foudre de l'amitié et de l'amour pur. Jusqu'à sa mort en mai 1989, il restera le plus vieil ami de l'écrivain.



« L'Apprenti psychiatre »



Cependant la passion d'écrire se développa rapidement chez Green pendant ces années virginiennes. Des «contes noirs» furent commencés. Écrire, c'était encore se fuir. Se confier à soi-même, noter les rêves et les tristesses, c'était se délivrer. L'étudiant rédigea un essai qu'il intitula, comme le traité de Kierkegaard, Philosophie du désespoir. Enfin, l'idée d'un roman où les personnages apparaissaient tour à tour comme les métamorphoses du premier d'entre eux commença à occuper son imagination. Cela deviendra, vingt ans plus tard, Si j'étais vous. Mais, ironie des circonstances, c'est en anglais qu'il commença sa vie littéraire. The Apprenties psychiqtrist est sa première nouvelle. Le Dr. Metcalfe, professeur de littérature anglaise, avait demandé a ses élèves d'écrire une histoire : le jeune Julian Green remit Une nouvelle qui fut d'abord lue devant toute la classe attentive, Puis publiée dans le numéro (mai 1920) de The University of Virginia Magasine. Être imprimé à dix-neuf ans, cela ne s'oublie Pas... La nouvelle ne fut traduite en français que cinquante-sept ans plus tard, par son fils Éric, et figure avec plusieurs autres nouvelles de jeunesse dans Histoires de vertige. Un étudiant en médecine accepte de devenir le précepteur d'un jeune homme dont la raison commence à vaciller. Au lieu d'avertir la famille, l'étudiant note, avec un intérêt de plus en plus bizarre, les progrès de la belle expérience qui se déroule sous ses yeux. Bientôt, il ne se bornera plus à observer les ravages de la folie naissante, mais il la précipitera pour avancer ses propres recherches sur la neurologie et finira par tuer sa victime avant de sombrer lui-même dans la démence.

Beaucoup de thèmes futurs sont déjà là, et l'influence de Natha-niel Hawthorne est sensible sur le jeune étudiant virginien qui écrivait sa première histoire, avec tout ce qui sera plus tard son apport personnel à la littérature française : le réalisme magique. La langue de l'auteur possède la précision et la sobriété qui seront siennes en français.

A la fin des cours, Julien Green rejoint à New York sa sour Anne, s'embarque avec elle sur le Rochambeau à destination de la France. Il rapporte un énorme butin d'impressions, d'images, de pensées, dans le bagage de sa mémoire, mais il n'en sait encore à peu près rien.



Le douanier - s'il s'en trouvait un qui ouvrît les cerveaux comme des valises - aurait pu lui dire avec raison : « Vous avez, monsieur, beaucoup de choses à déclarer, et vous n'ouvrez pas la bouche. Les hommes et les paysages vus par vous dans le Sud vous accompagnent, ne vous lâcheront plus, et se transformeront en personnages, en décors, pour former tout un univers romanesque singulier... La chambre de Chancellor Street où vous logiez chez Miss Page, à Charlottesville, deviendra le logis de Moïra... Vos compagnons d'études à l'Université peupleront Chaque homme dans sa nuit et Terre lointaine sous des noms d'emprunt... Le cèdre mystérieux des Clefs de la mort a d'abord jeté son ombre sur les pelouses du « Lawn », demeure familiale de Virginie qui servira aussi de cadre à quelques scènes de Chaque homme dans sa nuit et des Pays lointains. Dans Le Voyageur sur la terre, le cimetière de Bonadventure garde son nom, et, soit dit sans vous offenser, Daniel O'Donovan, c'est vous !... Inutile de nier, le lieutenant Wiczewski, ce sera encore vous ! Et il y aura aussi une part de vous-même dans Joseph, l'étudiant obsédé de Moïra, et vous serez tout au long dans Les Étoiles du Sud... Et j'oublie Mont-Cinère et... » Dans le subconscient de l'étudiant virginien un long film américain a été tourné, et il se passera des mois, des années, avant qu'il ne soit développé et présenté au public. En attendant, le jeune homme parisien ignore qu'une vie d'écrivain va commencer pour lui d'un instant à l'autre, et que le temps de la confusion, de l'incertitude, des échecs - l'adolescence - touche à sa fin.





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Julien Green
(1900 - 1998)
 
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