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Julien Green

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Le réalisme magique


Poésie / Poémes d'Julien Green





Les deux romans qui suivirent Mont-Cinère plongeaient tous deux dans les désirs et les rêves de Julien Green, mais transposés, déformés, traînés dans les boues du subconscient comme dans les eaux mères d'une nouvelle naissance.



« Adrienne Mesurât»



Histoire d'une longue suffocation morale, dans la province d'avant-guerre. Une jeune fille cherche une issue à la solitude étouffante qui est la sienne, au sein d'un milieu et d'une vie médiocres. Rien à faire. Adrienne demeure murée dans sa maison-prison, avec les aspirations confuses et impétueuses de sa jeunesse, de sa beauté, de sa chair. Il faut trouver un moyen d'évasion, et, dans l'inassouvissement qui est le sien, la jeune fille s'éprend du docteur Maurecourt, qu'elle a à peine entrevu, à qui elle ne peut avouer son amour et qui, pourtant, représente pour elle, dans son désarroi, la dernière chance de salut. L'obsession menace peu à peu sa raison et, au terme d'une scène nocturne violente, Adrienne tuera son père. La fatalité conduit de la détresse au crime avant de mener du crime à la folie :





Dans son visage, l'effroi donnait aux traits quelque chose de théâtral. Tout à coup, elle se mit en mouvement et fit quelques pas devant elle, comme à contrecour et en murmurant : « Non. » Elle alla ainsi jusqu'à la rampe et se pencha un peu au-dessus de la cage de l'escalier. Ses cheveux balayèrent ses joues. Elle regarda et ne vit rien. La lumière tombait mal. Elle tendit la lampe presque à bout de bras et vit un corps au bas de l'escalier. Son poing tremblait. Il y a une manière d'être couché à terre, d'être immobile qui ne peut tromper, qui ne ressemble en rien au sommeil ou à la syncope; la mort ne se contrefait pas. Elle distingua la tête dans une tache sombre, puis les bras étendus n'importe comment au-dessus du crâne et les jambes pliées ; les deux pieds étaient couchés parallèlement sur la dernière marche. Elle retira son bras et la vision disparut.

[...] Lorsqu'elle eut regagné sa chambre et fermé la porte, elle posa la lampe sur la table et regarda dans l'armoire. La boîte d'olivier était à moitié ouverte sur une pile de linge, telle que M. Mesurât l'avait laissée, quand, la jetant au fond du meuble, il avait dit à sa fille qu 'elle avait entamé sa dot. Elle compta l'argent, le remit en place, rabattit le couvercle de la boîte et donna un tour à la petite clef qui était restée dans la serrure. Puis elle ferma l'armoire et se mit à se déshabiller sans hâte.

Il faisait chaud dans cette chambre. Elle ouvrit la fenêtre et respira un instant l'air froid qui frôla ses épaules nues comme des mains glacées. Des chiens aboyaient du côté de la route nationale; il y en avait deux qui paraissaient se répondre et s'encourager de leurs voix rauques. La lune brillait doucement... Elle se frotta les épaules et courut frileusement à son lit. Ce qu 'elle - faisait, ces gestes familiers qu'elle retrouvait, lui procuraient une joie animale, une joie qu'elle ne raisonnait pas, mais qu'elle eût pu traduire par ces mots : « Tout est bien, rien n'est changé, puisque je me couche comme à l'ordinaire, que j'ouvre la fenêtre, que je me frotte les épaules. » Elle souffla la lampe et s'enfonça sous les couvertures.

Dans le noir, elle bâilla et ferma les yeux, mais un bourdonnement continu l'empêchait de dormir. C'était un son qui, tour à tour, paraissait très proche et très lointain, et il suffisait d'un bruit très léger pour le faire cesser. Elle eut l'idée de chantonner, mais aux premières notes elle s'arrêta, recon- naissant dans l'air qu'elle murmurait la marche préférée de son père. Le bourdonnement reprit. Elle frappa dans ses mains; ce bruit lui fit peur. Elle se boucha les oreilles, mais entendit aussitôt une sorte de mugissement sourd comme celui d'un fleuve au cours rapide.



« Leviathan »



Une fois de plus les personnages mènent le jeu, entraînant l'auteur à leur suite, comme un témoin muet. Dans un cauchemar, le pire est toujours sûr. Léviathan est un cauchemar d'amour. Dès l'entrée de ce roman noir, nous laissons toute espérance. L'enfer, ce n'est plus les autres, c'est chacun pour soi.

Un homme mal marié regarde et suit une jeune Blanchisseuse, Angèle. Prénom ironique, car tout le linge blanc qui pend au-dessus de la tête de la jeune fille est de la frime : la belle se prête à tous les jeux. Mais un homme amoureux est un naïf et un aveugle ; il va se conduire en enfant de chour ; elle se refuse. Il s'exaspère et la frappe, la laissant pour morte, ou du moins il le croit, et dans sa fuite cause la mort d'un vieillard qui se trouve sur son chemin. Alors la nuit qui couvre ce roman s'empare de toute cette vie : ce n'est plus un livre entre vos mains, c'est le cauchemar qui devient livre. Le coupable est recherché. Il se cache et passe une nuit dans un entrepôt ; autour de lui, le charbon est un précipité d'enfer qui s'est cristallisé dans le sommeil. Tout se déforme, l'amour noir devient diamant. Il retournera là où il croit avoir tué. Angèle n'était que défigurée et les coups lui ont arraché son premier visage. La voici, cicatrisée, prête pour les transfigurations de l'amour. Tout devient possible, mais le cauchemar veille sur le couple et rien n'est plus sinistre que ce petit coin de ciel bleu.

Sur ce bonheur, deux femmes se penchent : la première est une notable, Mme Grosgeorges ; la seconde, une sorte de limonadière vivandière qui tient un cercle d'hommes subjugués sous sa coupe, comme un échantillonnage de toutes les lâchetés humaines, et les deux amoureux passent au second plan, car les deux Parques bourgeoises jouent leur destin pour leur troisième sour, qui attend. La mort viendra en effet emporter Angèle deux fois touchée au cour, et Guéret, son amoureux pitoyable, sera promis à l'échafaud.

Gide avait aimé le livre et voulu en faire un film. « C'est une projection de vous sur le papier », disait-il à l'auteur. Le progrès haletant de la narration le frappait, et surtout ce qu'il appelait «la montée vers le crime». Celle-ci, ajoutait-il, serait rendue à merveille par la caméra. D'autres, comme Dreyer et Eisenstein, puis Robert Siodmak, Cottafavi et Visconti, furent aussi tentés, mais tout resta à l'état de projet. Seul Visconti écrivit un scénario pendant la guerre.

De sa vie intérieure, du combat violent et continuel qui le troublait alors, l'auteur, pendant douze mois, nourrit Léviathan. A travers le récit court le fil d'une autre aventure, personnelle, et parallèle à celle qui nous est contée. Je trompe la violence qui forme le fond de ma vie en écrivant mes livres. Aveu complété par cette autre confidence : Presque tous mes romans contiennent sous-entendue une histoire secrète qui transparait aux yeux de qui sait voir. Il y a celle de Philippe dans Épaves, celle de Serge dans Minuit, celle de Praileau dans Moïra, et c'est même cet élément secret qui semble conditionner le reste, qui fait que je peux écrire mon livre, le mener jusqu'au bout.

Guéret a cruejlemein frappé Angèle, qui se refuse à lui, et il la laisse, défigurée, sur la berge. Il s'enfuit. Au clair de lune, tremblant de frayeur, il escalade un mur qui entoure un vaste entrepôt de charbon.



La lune prodiguait une lumière crue et puissante... Au milieu du chantier se dressaient trois tas de charbon, de taille égale, séparés les uns des autres, malgré les éboulements qui brisaient la pointe de leurs sommets et tentaient de rapprocher leurs bases en les élargissant. Tous trois renvoyaient avec force la lumière qui les inondait; une muraille de plâtre n 'eût pas paru plus blanche que le versant qu'ils exposaient à la lune, mais alors que le plâtre est terne, les facettes diamantées du minerai brillaient comme une eau qui s'agite et chatoie. Cette espèce de ruissellement immobile donnait aux masses de houille et d'anthracite un caractère étrange; elles semblaient palpiter ainsi que des êtres à qui l'astre magique accordait pour quelques heures une vie mystérieuse et terrifiante. L'une d'elles portait au flanc une longue déchirure horizontale qui formait un sillon où la lumière ne parvenait pas, et cette ligne noire faisait songer à un rire silencieux dans une face de métal. Derrière elles, leurs ombres se rejoignaient presque, creusant des abîmes triangulaires d'où elles paraissaient être montées jusqu'à la surface du sol comme d'un enfer. La manière fortuite dont elles étaient posées, telles trois personnes qui s'assemblent pour délibérer, les revêtait d'une grandeur sinistre. A les regarder longtemps, dans le silence de minuit, sous un ciel noir au fond duquel la lune semblait fixée pour toujours, elles devenaient aussi effroyables que des dieux spectateurs d'une tragédie où le sort même de la création se jouerait.



Pas un souffle ne passait dans l'air. Ainsi que dans un lieu enchanté, toute vie était suspendue entre ces murs. Les choses, transfigurées par un violent éclairage, n'appartenaient plus à ce monde et participaient d'un univers inconnu à l'homme, et c'était parmi les ruines d'une cité, mais non d'une cité terrestre, que l'on se serait cru, tant le cour était remué par tout ce que cet endroit comportait de magnificence et de désolation.

Il regarda devant lui quelque temps, comprenant mal où son rêve avait pris fin et l'état de veille recommencé. Lorsqu'il s'était jeté de côté, cinq heures plus tôt, pour éviter le promeneur qui venait vers lui, la fatigue l'avait empêché de noter le caractère du lieu où il prenait refuge; son cerveau à bout de force ne recevait plus aucune impression. La tête pleine de songe, il fit trois ou quatre pas et parvint au premier tas de charbon. Nul souvenir ne le troublait encore; il était pareil à un enfant, étonné par la vue de cette pyramide étincelante au pied de laquelle il se tenait, et se baissant, il plongea la main comme dans un torrent d'où il retira une pierre noire aux cassures parcourues d'étincelles.

Un morceau de charbon. Il le tint dans sa paume un instant et le laissa tomber. Lentement il fit le tour de la première pyramide, passa devant la seconde et marcha jusqu'au milieu de la cour avec l'allure d'un somnambule...



Léviathan plaçait définitivement Green au premier plan. Des témoignages enthousiastes venaient de l'étranger, Allemagne, Etats-Unis, Angleterre, Italie... Il eut dès Adrienne Mesurât des prix en Amérique et à Londres. Ses romans aussitôt traduits y connaissaient le même succès qu'en France. Certains prévoyaient déjà ce que l'ouvre apporterait. Par exemple, Maeterlinck dans sa lettre du 3 avril 1929 : «Je lis peu de romans, car à un certain âge on s'intéresse médiocrement aux petites et charnelles questions sexuelles ou sentimentales qui en forment le fond. Mais votre Léviathan, c'est autre chose. Je l'ai lu sans désemparer, comme si j'avais découvert tout à coup un Balzac souterrain qui promenait sa lampe de mineur dans des ténèbres bien plus épaisses que celles auxquelles nous sommes accoutumés. Et quelle belle lumière quand, par moments, il sort de sa nuit et regarde le paysage...»



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Julien Green
(1900 - 1998)
 
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