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Dixie - Dans les ouvres de Julien Green


Poésie / Poémes d'Julien Green





Dans les ouvres de Julien Green, on trouvait, en « Pléiade », deux chapitres d'un roman inachevé, Les Pays lointains, écrits en 1934 et abandonnés aussitôt. En 1987, le titre ressuscita, sur un roman considérable, et l'on apprit que l'abandon ancien avait été provoqué par un ami, en Amérique, en 1934, qui lui avait raconté qu'une journaliste d'Atlanta écrivait un roman sur le Sud de la guerre de Sécession. Il s'agissait à'Autant en emporte le vent, le roman (uniquE) de Margaret Mitchell, qui parut en 1936. Julien Green avait cru qu'ils chassaient sur les mêmes terres et renonça à son livre. Puis à plusieurs reprises, en 1936, 1937, 1938, il parla à des journalistes de ce projet qui ne le quittait pas. Il se refusa à lire l'histoire de Scarlett jusqu'en 1988, ayant peur que Margaret Mitchell ne fut pas sans réserve pour le Sud. Mais il est inutile de préciser que la romancière et Green n'avaient en commun que l'amour de leur Sud, mais ni la même inspiration ni le même monde.





A quel point en était le roman abandonné dont on retrouve, légèrement corrigée, une page, une seule sur la cinquantaine écrites en 1934, la description d'une forêt nocturne, vers le milieu du livre publié en 1987? La part faite à la fabuleuse mémoire de Julien Green, capable, avant qu'elle soit retrouvée et vérifiée, de reconstituer exactement, à quelques mots près, une nouvelle écrite il y a plusieurs armées et perdue, le texte délaissé a-t-il été repris tel quel ? Si le roman avait été achevé d'un seul jet, eût-il été le même - anecdotiquement - que celui que nous lisons aujourd'hui ? Questions sans réponses puisqu'un auteur ne peut même pas affirmer à coup sûr que la page interrompue la veille aurait été telle que reprise le lendemain.



On s'interroge au sujet de cette ouvre parce que, après une si longue solution de continuité, elle apparaît insolite, tellement différente des créations romanesques antérieures, débarrassée, malgré le fond dramatique, de l'humanité sombre, des atmosphères troubles, oppressantes de jadis et naguère. Elle est apparue après Frère François, livre heureux et unique, qui a établi une coupure dans l'ouvre greenienne. Et c'est ainsi qu'en 1987 un romancier de quatre-vingt-sept ans provoqua l'événement littéraire au-delà de la saison, par son extraordinaire juvénilité ima-ginative autant que narrative.

A la mémoire de ma mère, fille du Sud. Tout le secret, la raison d'être du livre sont dans cette dédicace. Les récits maternels qui ont entretenu chez l'enfant le mal du Sud, la nostalgie de la terre ancestrale que l'étudiant de Virginie, la découvrant, reconnut immédiatement pour sienne, la fidélité nullement contradictoire de «l'écrivain français» à ses racines, appelaient dans la sérénité de l'âge ce ressourcement d'amour.

Car on ne s'y trompe pas : si grand bonheur romanesque qu'on goûte aux émois amoureux d'Elizabeth (troisième du nom, sans rapport avec celle de Minuit ni avec celle de L'EnnemI), ravissante Anglaise de seize ans dont la blondeur fait des ravages et qui, elle-même, se demande : Peut-on aimer deux hommes à la fois ? l'objet essentiel de la célébration est, d'un bout à l'autre : le Sud. Les péripéties de l'histoire, les rebondissements, les coups de théâtre (et Dieu sait s'il y en A), les multiples personnages, Noirs compris, gravitant autour d'Elizabeth sont là pour que celle-ci, orpheline recueillie en Géorgie par des parents de son père, soit initiée au Sud.

C'est le Sud de 1850, onze ans avant la guerre de Sécession. Les querelles sur l'esclavage - l'idéalisme du Nord n'est ni pur ni désintéressé, et la situation réelle des Noirs dans le Sud est moins pitoyable que ne l'imaginèrent les hypocrites lecteurs de La Case de l'oncle Tom, ouvre banale et sans talent, honnie par Julien Green - commencent à échauffer les esprits. Paysages grandioses ou émouvants, riches plantations, demeures qui sont des palais, préséances rigoureuses, un certain conformisme religieux, une certaine hypocrisie victorienne qui était celle de tout le XIXe siècle, le Sud c'est aussi une vie légère, insouciante, fastueuse. Son aristocratie est le seul reste sur le Nouveau Continent du monde anglais chassé par l'« Indépendance américaine ».



La situation politique fermente, mais la Society gaspille sa vie de bals en bals. Pour Elizabeth, la seconde découverte de l'Amérique sera celle de l'amour. Et c'est le seul garçon qu'elle devrait fuir dont elle tombe amoureuse. Elle le rencontre, à la fin d'une réception, sur la véranda de la plantation :



D'une main, le jeune homme écarta le feuillage et la lumière de la lune le frappa, impitoyable, en plein visage. Elle le regarda et demeura muette. Comme s'il lisait ses pensées, il sourit et dit :

- Je ne suis pas beau, n 'est-ce pas ?

- Je n'ai pas dit cela, fit-elle vivement.

- Moi, je le dis. Mais nous ne jouons pas à Roméo et Juliette bien que la lune, le balcon et tout le décor s'y prêtent. Avouez que j'ai une drôle de figure et qu'elle ne vous plaît pas.

- Je n 'avoue rien, je n 'ai rien à avouer, fit-elle de plus en plus troublée, car la voix, d'abord ironique, se faisait d'une lenteur presque plaintive.

- Alors, inclinez-vous un peu de côté, vers moi. Je vous verrai pendant une minute, c'est tout ce que je vous demande, il n'y a là rien de mal.

- Une minute et je m'en irai.

- Mais oui, je resterai là où je suis, je vous le promets. Qu'avez-vous à craindre?

Tout en parlant, il gardait les paupières mi-closes, comme si l'éclat de la lumière nocturne l'éblouissait. C'était cela et le chuchotement de toutes ces phrases qui inquiétaient le plus Elizabeth en même temps qu'ils la tenaient sur place. Une curiosité folle de ce qu 'il allait lui dire la possédait. Elle fit un pas de côté et à son tour repoussa de la main les feuilles qui la cachaient.

« Elizabeth, dit-il.

Elle avança un peu la tête. Leurs regards se croisèrent et elle se sentit perdue. Du fond de ces yeux clairs montait un appel d'une force terrible.

Elle pensa confusément aux âmes en détresse en proie au vertige de l'abîme qui les détache de la vie.

D'une voix si basse qu'elle ressemblait à un souffle, il dit :

- Ecoutez-moi, Elizabeth.

Malgré l'effroi qui lui serrait la gorge, elle admira la magnificence de ces prunelles à la fois pâles et lumineuses, mais où ne se lisait qu'une mortelle inquiétude.



- Je vous ai vue tout à l'heure par une porte entrebâillée. Votre innocence, il suffit d'un coup d'oil pour en deviner la présence troublante et merveilleuse, A cause de cela vous êtes en danger.

- En danger? Pourquoi?

Il leva la tête un peu plus haut.

- Un jour viendra où vous me chercherez, Elisabeth, et vous ne me trouverez pas.

- Pourquoi dites-vous ces choses... ?

- Je ne suis pas ici pour vous faire l'amour. Vous ne m'aimerez que lorsque je serai loin. A présent vous ne m'aimez pas.

- Je n'ai rien dit, murmura-t-elle, je ne comprends pas...

- Vous ne pouvez pas comprendre. Méfiez-vous de tous ces garçons et de leur politesse maniérée. Ils parlent d'amour et ne savent pas ce que c'est. Attendez. Je m'en vais, Elizabeth.

Un mot s'échappa de la jeune fille qu'elle ne put retenir :

- Oh! pourquoi?

- Je ne pourrais souffrir d'entendre de votre bouche un mot que je redoute.

- Mais je n'ai aucune envie de vous faire de la peine.

- Dites seulement mon nom et cela, je l'emporterai avec moi comme un talisman. Dites : «Jonathan»,

Le cour battant elle hésita, puis murmura doucement :

- Jonathan.

- Elizabeth, j'entendrai toujours le son de cette voix qui dit mon nom au cour de cette nuit de mai. A présent dites la phrase qui sera comme un coup de couteau parce qu'il faut mettre fin à ce qui ne peut pas être.

- Pourquoi parlez-vous ainsi? Vous me faites peur...

- Eh bien, dites seulement : «Jonathan, je ne pourrai jamais vous aimer. »

- Jen 'aime pas ce que vous dites, je ne dirai pas cette phrase.

- Pourquoi, Elizabeth?

- Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux pas. Adieu, Jonathan.

Ces derniers mots jetés presque tout haut comme dans un cri, elle s'enfuit et gagna sa chambre. Là, elle s'abattit tout habillée sur son lit, le visage enfoui dans l'oreiller, pour étouffer ses sanglots et soudain, de même qu'on s'évanouit, tomba dans le gouffre d'un sommeil sans rêves.



Amour défendu, rêves de jeunesse, le roman qui paraissait une fresque d'Histoire, où celle-ci est vécue de jour en jour avec l'incompréhension naturelle de ses protagonistes - le contraire du roman historique -, cache en profondeur l'histoire d'une âme. Elizabeth va vivre de bout en bout le drame d'une avant-guerre aveugle (guerre ou paix ?), tandis que son cour et ses sens s'éveillent à la guerre amoureuse. Et le roman suit l'évolution de cette éducation sentimentale, prenant un tempo plus rapide au fur et à mesure que grandit l'héroïne et que sa jeunesse s'approche d'un dénouement sanglant.

Comme on s'étonnait qu'il n'ait pas poussé Les Pays lointains jusqu'à la guerre, Green répondait que c'eût été pour lui évoquer des souvenirs trop douloureux; aussi n'envisageait-il pas d'écrire une suite. Mais il possédait tous les documents de famille qui lui donnaient la vérité du Sud et, insensiblement, l'incroyable travailleur qu'il est céda à ses impulsions secrètes. En juin 1987, il reprit la suite de son histoire. Cette fois, c'était le petit garçon d'Elizabeth qui en devenait le cour. Les Etoiles du Sud (ce sont celles du drapeau confédéré) couvrent plus d'événements que Les Pays lointains, avant même d'en arriver à la guerre et aux premières batailles. L'admirable, c'est non seulement l'enchaînement évident au premier livre, mais l'utilisation de personnages et de faits antérieurs, un flash-back naturel, comme si le romancier avait déjà tout prévu, alors qu'on sait qu'il ne fait aucun plan et se laisse guider par le subconscient.

Nous retrouvons Elizabeth en 1856, à Savannah, dans la semi-retraite que les convenances de son veuvage lui imposent. Elle vit en vase clos avec son petit garçon, qui s'appelle Ned comme son père, mais qu'elle nomme, dans un jeu secret et trouble, Jonathan comme son amant. L'enfant grandit, idolâtrant sa mère, mystérieux et secret. Pendant tout le livre, il reviendra souvent, tyrannique et amoureux, et c'est lui qui aura en quelque sorte la dernière vision de l'Histoire.

L'antagonisme du Nord et du Sud se fait plus violent. La politique se mêle à tous les bals, à toutes les réceptions. Julien Green historien puise dans les documents familiaux (Mémoires, journaux, souvenirS) bien des détails inconnus et nous emmène aussi bien sur les docks de New York qu'à la Maison Blanche. La guerre vient lentement d'abord avec l'affaire du fou John Brown (là encore, Green prend parti contre les idéologues farfelus du genre Victor HugO), puis chaque mois plus vite, toujours plus vite avec l'élection présidentielle, la Sécession à Charleston, la prise de Fort Sumter. Julien Green nous entraîne jusqu'à Manas-sas, première grande victoire du Sud, mais il ne lâche pas pour autant la vie quotidienne d'Elizabeth et des siens. Sa violence contre toute guerre se trahit dans la description du champ de bataille ou d'un train de blessés. Elizabeth sera veuve une nouvelle fois, et le petit Ned-Jonathan, sur son cheval Whitie, sera poursuivi par des éclaireurs nordistes, puis verra son premier mort dans une grange. Là, ce sont les souvenirs directs qui ont servi à l'auteur : son père avait l'âge du petit garçon à Manas-sas, et les soldats du Nord tirèrent sur lui et son cheval ; et Julien Green à seize ans, en Argonne, voyait un jeune soldat mort dans une grange, le premier mort qu'il voyait depuis la mort de sa mère. Voici une partie du récit de la bataille :



Une première fois, un quart d'heure avant trois heures, Jackson lança ses Virginiens sur les masses bleu sombre qui montaient vers Henry House de toutes parts.

- Attendez qu'ils soient bien en vue, et tirez ! Allez-y alors à la baïonnette. Et en chargeant, hurlez comme des furies!

Sur sa gauche, avec les restes de la brigade d'Evans -Caroliniens et jeunes recrues du Mississippi -, le capitaine Har-grove prit la tête de la charge. En se jetant en avant, Billy se rappela ce que le commandant de Fort Beauregard leur avait dit : «... la tête haute, droit sur votre cheval, les épaules en arrière. » Il s'agissait de la gloire du Sud.

Tout était noyé dans la poussière.

- En avant pour le Sud! cria-t-il.

Et il entendit le cri sauvage de ses hommes qui sembla le porter à l'ennemi encore plus vite. Alors il hurla : « Pour Elizabeth!» sans plus savoir ce qu'il disait et il fonça à travers le nuage couleur de feu.

Il fallait en finir. Au plus chaud du jour, à trois heures passées, une longue ligne grise apparut à la lisière des bois. Tout à coup, les collines résonnèrent d'un terrible cri de chasse, puis les soldats gris chargèrent. Les baïonnettes étincelaient. Les garçons du Nord prirent peur et lâchèrent pied. Ils dégringolaient Henry Hill à la débandade, protégés de la débâcle par quelques régiments qui se repliaient en ordre pour le moment.

Au-delà des gués de Sudley Springs, les jeunes soldats ralentirent à travers bois, se croyant à l'abri, mais des obus éclatèrent dans les buissons autour d'eux et ce fut une fuite éperdue; la panique courait avec eux, arrachait armes et havresacs de leurs mains poisseuses de mûres, il n'y avait plus de régiment. Dans la poussière qui flottait sur eux depuis l'aube, la déroute planait. Il était quatre heures.



Dixie, titre général de ces deux romans (l'auteur a commencé un troisième, qu'il annonce courT), est une ouvre qui paraît, à première vue, indépendante de tous les autres romans greeniens, mais en réalité l'ouvre s'y retrouve tout entière, les problèmes de la chair, l'horreur de la guerre, les crises de la foi, l'importance des rêves, du premier amour, de la beauté, de certains lieux, la vision de l'enfance, mais tout cela dans une lumière heureuse, malgré le sang des duels et des combats, comme si, après Frère François, Green ne pouvait plus créer un monde aux couleurs nocturnes du désespoir et qu'il donnait enfin la réponse à Chaque homme dans sa nuit :



Chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière.







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Julien Green
(1900 - 1998)
 
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