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Jules Laforgue



Les compagnons d'ulysse - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Prince, l'unique objet du soin des
Immortels,
Souffre/ que mon encens parfume vos autels.
Je vous offre un peu tard ces présents de ma
Muse;
Les ans et les travaux me serviront d'excuse.
Mon esprit" diminue, au lieu qu'à chaque instant
On aperçoit le vôtre aller en augmentant :
Il ne va pas, il court, il semble avoir des ailes.
Le héros dont il tient des qualités si belles
Dans le métier de
Mars brûle d'en faire autant :
Il ne dent pas à lui que, forçant la victoire,

Il ne marche à pas de géant

Dans la carrière de la gloire.
Quelque dieu le retient (c'est notre souverain),
Lui qu'un mois a rendu maître et vainqueur du
Rhin;
Cette rapidité fut alors nécessaire;
Peut-être elle seroit aujourd'hui téméraire.
Je m'en tais : aussi bien les
Ris et les
Amours
Ne sont pas soupçonnés d'aimer les longs discours.
De ces sortes de dieux votre cour se compose :
Ils ne vous quittent point.
Ce n'est pas qu'après tout
D'autres divinités n'y tiennent le haut bout :
Le
Sens et la
Raison y règlent toute chose.

Consultez ces derniers sur un fait où les
Grecs,

Imprudents et peu circonspects,

S'abandonnèrent à des charmes
Qui métamorphosoient en bêtes les humains.
Les compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erroient au gré du vent, de leur sort incertains.

Ils abordèrent un rivage

Où la fille du dieu du jour,

Circé, tenoit alors sa cour.

Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d'un funeste poison.

D'abord ils perdent la raison;
Quelques moments après, leur corps et leur visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différents :
Les voilà devenus ours, lions, éléphants;

Les uns sous une masse énorme,

Les autres sous une autre forme;
Il s'en vit de petits : exemplum, ut talpa.

Le seul
Ulysse en échappa;
Il sut se défier de la liqueur traîtresse.

Comme il joignoit à la sagesse
La mine d'un héros et le doux entretien,

Il fit tant que l'enchanteresse
Prit un autre poison peu différent du sien.
Une déesse dit tout ce qu'elle a dans l'âme :

Celle-ci déclara sa flamme.
Ulysse étoit trop fin pour ne pas profiter

D'une pareille conjoncture :
Il obtint qu'on rendroit à ces
Grecs leur figure. «
Mais la voudront-ils bien, dit la
Nymphe, accepter?
Allez le proposer de ce pas à la troupe. »
Ulysse y court, et dit : «
L'empoisonneuse coupe
A son remède encore; et je viens vous l'offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir?

On vous rend déjà la parole. »

Le
Lion dit, pensant rugir :



«
Je n'ai pas la tête si folle;
Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir!
J'ai griffe et dent, et mets en pièces qui m'attaque.
Je suis roi : deviendrai-je un citadin d'Idiaque!
Tu me rendras peut-être encor simple soldat :

Je ne veux point changer d'état. »
Ulysse du
Lion court à l'Ours : «
Eh! mon frère.
Comme te voilà fait! je t'ai vu si joli! -
Ah ! vraiment nous y voici.
Reprit l'Ours à sa manière :
Comme me voilà fait? comme doit être un ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre?

Est-ce à la tienne à juger de la nôtre?
Je me rapporte aux yeux d'une
Ourse mes amours.
Te déplais-je? va-t'en; suis ta route et me laisse.
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse;
Et te dis tout net et tout plat :
Je ne veux point changer d'état. »
Le prince grec au
Loup va proposer l'affaire;
Il lui dit, au hasard d'un semblable refus : «
Camarade, je suis confus
Qu'une jeune et belle bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver sa bergerie :
Tu menois une honnête vie.
Quitte ces bois, et redevien,
Au lieu de loup, homme de bien. -
En est-il? dit le
Loup : pour moi, je n'en vois guère.
Tu t'en viens me traiter de bête carnassière;
Toi qui parles, qu'es-tu?
N'auriez-vous pas, sans moi,
Mangé ces animaux que plaint tout le village?
Si j'étois homme, par ta foi,
Aimerois-jc moins le carnage?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des loups?



Tout bien considéré, je te soutiens en somme

Que, scélérat pour scélérat,

Il vaut mieux être un loup qu'un homme :

Je ne veux point changer d'état »
Ulysse fit à tous une même semonce.

Chacun d'eux fit même réponse.

Autant le grand que le petit.
La liberté, les bois, suivre leur appétit,

C'étoit leurs délices suprêmes;
Tous renonçoient au lôs des belles actions.
Ils croyoient s'affranchir suivants leurs passions.

Ils étoient esclaves d'eux-mêmes.

Prince, j'aurois voulu vous choisir un sujet
Où je pusse mêler le plaisant à l'utile :

C'étoit sans doute un beau projet

Si ce choix eût été facile.
Les compagnons d'Ulysse enfin se sont offerts :
Ils ont force pareils en ce bas univers,

Gens à qui j'impose pour peine

Votre censure et votre haine.



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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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