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Jules Laforgue



Le meunier, son fils et l'ane - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





L'invention des arts étant un droit d'aînesse,

Nous devons l'apologue à l'ancienne
Grèce;

Mais ce champ ne se peut tellement moissonner

Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.

La feinte est un pays plein de terres désertes;

Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.

Je t'en veux dire un trait assez bien inventé :

Autrefois à
Racan
Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,

Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire,

Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins

(Comme ils se connoient leurs pensers et leurs soins),

Racan commence ainsi : «
Dites-moi, je vous prie,

Vous qui devez savoir les choses de la vie,

Qui par tous ses degrés avez déjà passé,

Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé,

A quoi me résoudrai-je?
Il est temps que j'y pense.

Vous connoissez mon bien, mon talent, ma naissance :

Dois-je dans la province établir mon séjour,

Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour?

Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes :

La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes.

Si je suivois mon goût, je saurais où buter;

Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter. »

Malherbe là-dessus : «
Contenter tout le monde!

Écoutez ce récit avant que je réponde.

«
J'ai lu dans quelque endroit qu'un
Meunier et son
Fils,

L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,

Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,

Alloient vendre leur
Ane, un certain jour de foire.

Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,

On lui lia les pieds, on vous le suspendit;

Puis cet homme et son
Fils le portent comme un lustre.

Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre!

Le premier qui les vit de rire s'éclata :

«
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?

«
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense. »

Le
Meunier, à ces mots, connoît son ignorance;

Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.

L'Ane, qui goûtoit fort l'autre façon d'aller.

Se plaint en son patois.
Le
Meunier n'en a cure;

Il fait monter son
Fils, il suit, et d'aventure

Passent trois bons marchands.
Cet objet leur déplut.

Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put :

«
Oh là oh, descendez, que l'on ne vous le dise,

«
Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise!

«
C'étoit à vous de suivre, au vieillard de monter.

- «
Messieurs, dit le
Meunier, il vous faut contenter. »
L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte.
Quand trois filles passant, l'une dit : «
C'est giand'honte «
Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,

«
Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, «
Fait le veau sur son
Ane, et pense être bien sage.

- «
Il n'est, dit le
Meunier, plus de veaux à mon âge : «
Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. »
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'homme crut avoir tort, et mit son
Fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe

Trouve encore à gloser.
L'un dit : «
Ces gens sont fous!

«
Le
Baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups.

«
Hé quoi? charger ainsi cette pauvre bourrique!

«
N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique?

«
Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau.

- «
Parbieu! dit le
Meunier, est bien fou du cerveau

«
Qui prétend contenter tout le monde et son père.

«
Essayons toutefois si par quelque manière

«
Nous en viendrons à bout. »
Ils descendent tous deux.

L'Ane se prélassant-marche seul devant eux.

Un quidam les rencontre, et dit : «
Est-ce la mode

«
Que
Baudet aille à l'aise, et
Meunier s'incommode?

«
Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser?

«
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.

«
Ils usent leurs souliers, et conservent leur
Ane.

«
Nicolas, au rebours; car, quand il va voir
Jeanne,

«
Il monte sur sa bête; et la chanson le dit.

«
Beau trio de baudets! »
Le
Meunier repartit :

«
Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue;

«
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,

«
Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien,

«
J'en veux faire à ma tête. »
Il le fit, et fit bien.

«
Quant à vous, suivez
Mars, ou l'Amour, ou le
Prince;
Allez, venez, courez; demeurez en province;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement :
Les gens en parleront, n'en doutez nullement. »





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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue


Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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