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Jean-Pierre Claris de Florian



Le lièvre, ses amis et les deux chevreuils - Fable


Fable / Poémes d'Jean-Pierre Claris de Florian





Un lièvre de bon caractère



Voulait avoir beaucoup d'amis.



Beaucoup !
Me direz-vous, c'est une grande affaire ;



Un seul est rare en ce pays.



J'en conviens ; mais mon lièvre avait cette marotte,



Et ne savait pas qu'Aristote



Disait aux jeunes grecs à son école admis :



Mes amis, il n'est point d'amis.



Sans cesse il s'occupait d'obliger et de plaire ;



S'il passait un lapin, d'un air doux et civil



Vite il courait à lui : mon cousin, disait-il,



J'ai du beau serpolet tout près de ma tanière,



De déjeuner chez moi faites-moi la faveur.



S'il voyait un cheval paître dans la campagne,



Il allait l'aborder : peut-être monseigneur



A-t-il besoin de boire ; au pied de la montagne



Je connais un lac transparent



Qui n'est jamais ridé par le moindre zéphyr :



Si monseigneur veut, dans l'instant



J'aurai l'honneur de l'y conduire.



Ainsi, pour tous les animaux,



Cerfs, moutons, coursiers, daims, taureaux,



Complaisant, empressé, toujours rempli de zèle,



Il voulait de chacun faire un ami fidèle,



Et s'en croyait aimé parcequ'il les aimait.



Certain jour que tranquille en son gîte il dormait,



Le bruit du cor l'éveille, il décampe au plus vite.



Quatre chiens s'élancent après,



Un maudit piqueur les excite ;



Et voilà notre lièvre arpentant les guérets.



Il va, tourne, revient, aux mêmes lieux repasse,



Saute, franchit un long espace



Pour dévoyer les chiens, et, prompt comme l'éclair,



Gagne pays, et puis s'arrête.



Assis, les deux pattes en l'air,



L'oil et l'oreille au guet, il élève la tête,



Cherchant s'il ne voit point quelqu'un de ses amis.



Il aperçoit dans des taillis



Un lapin que toujours il traita comme un frère ;



Il y court : par pitié, sauve-moi, lui dit-il,



Donne retraite à ma misère,



Ouvre-moi ton terrier ; tu vois l'affreux péril.



Ah !
Que j'en suis fâché !
Répond d'un air tranquille



Le lapin : je ne puis t'offrir mon logement,



Ma femme accouche en ce moment,



Sa famille et la mienne ont rempli mon asile ;



Je te plains bien sincèrement :



Adieu, mon cher ami.
Cela dit, il s'échappe ;



Et voici la meute qui jappe.



Le pauvre lièvre part. à quelques pas plus loin,



Il rencontre un taureau que cent fois au besoin



Il avait obligé ; tendrement il le prie



D'arrêter un moment cette meute en furie



Qui de ses cornes aura peur.



Hélas !
Dit le taureau, ce serait de grand cour :



Mais des génisses la plus belle



Est seule dans ce bois, je l'entends qui m'appelle ;



Et tu ne voudrais pas retarder mon bonheur.



Disant ces mots, il part.
Notre lièvre hors d'haleine



Implore vainement un daim, un cerf dix-cors,



Ses amis les plus sûrs ; ils l'écoutent à peine,



Tant ils ont peur du bruit des cors.



Le pauvre infortuné, sans force et sans courage,



Allait se rendre aux chiens, quand, du milieu du bois,



Deux chevreuils reposant sous le même feuillage



Des chasseurs entendent la voix.



L'un d'eux se lève et part ; la meute sanguinaire



Quitte le lièvre et court après.



En vain le piqueur en colère



Crie, et jure, et se fâche ; à travers les forêts



Le chevreuil emmène la chasse,



Va faire un long circuit, et revient au buisson



Où l'attendait son compagnon,



Qui dans l'instant part à sa place.



Celui-ci fait de même, et, pendant tout le jour,



Les deux chevreuils lancés et quittés tour-à-tour



Fatiguent la meute obstinée.



Enfin les chasseurs tout honteux



Prennent le bon parti de retourner chez eux ;



Déjà la retraite est sonnée,



Et les chevreuils rejoints.
Le lièvre palpitant



S'approche, et leur raconte, en les félicitant,



Que ses nombreux amis, dans ce péril extrême,



L'avoient abandonné.
Je n'en suis pas surpris,



Répond un des chevreuils : à quoi bon tant d'amis ?



Un seul suffit quand il nous aime.



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Jean-Pierre Claris de Florian
(1755 - 1794)
 
  Jean-Pierre Claris de Florian - Portrait  
 
Portrait de Jean-Pierre Claris de Florian

Biographie / Ouvres

Jean-Pierre Claris de Florian est né à Florian près de Sauve, dans les Cévennes, le 6 mars 1755, perd sa mère très jeune, probablement à l'âge de deux ans.
Familier du château de Sceaux et protégé de Voltaire (son oncle). Lauréat de l'Académie, le 6 mars 1788, Florian atteignit le sommet de sa gloire en y entrant , remplaçant le cardinal de Luynes.
Banni de Paris pendant

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