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Henri Michaux



Les yeux - Poéme


Poéme / Poémes d'Henri Michaux





Là je vis les véritables yeux des créatures, tous, d'un coup; enfin!

Les yeux de la drague, les yeux de lait du ventre, les yeux d'encre, les yeux d'aiguille de l'urètre, l'oil roux du foie, les yeux de mer de la mer, l'oil de beurre des tonneaux, l'oil d'ébène du menton, l'oil englouti de l'anus, les yeux à plis, l'oil fessu des femmes acrobates, les yeux d'huile, les yeux de drap des mondains, la classe moyenne aux yeux de meuble, le pianiste aux yeux de frites, les yeux de soupe, les yeux lointains de l'artillerie lourde, les yeux de betterave de la foule, les grues aux yeux de menthe, l'oil bifteck de la cinquantaine, des yeux de haute taille, et les regards montaient comme une brume.

Et ils se mirent à bouger, car ils étaient devenus autonomes.

Il y avait là des yeux grimpeurs, il y avait les bêcheurs (chassieux), et la terre se mettant dans leur chassie les surchargeait continuellement; ils la secouaient constamment, qui tombait comme un paquet de tripes, ou comme bras à la guerre.

Il y avait les yeux planteurs et attentifs qui circulaient sur de hauts pédoncules, des yeux gourmands bourrés de marrons, des yeux comme des péritoines, enfin, à l'écart, toujours fins et fignolants, des yeux de lotus jolis à ravir.

Des yeux cornés qui y allaient carrément, et se buter contre un mur n'était pas pour les effrayer; des yeux à cinq rangs de paupières qu'ils abaissaient successivement en les comptant suivant l'hommage plus ou moins important qu'ils devaient à chacun; les yeux de velours, les yeux poilus, l'oil-aluminium de l'avenir, l'oil eunuchoïde écourant et à poches; les yeux innombrables des
Flises reines-marguerites de la vision; l'oil monté sur botte (il bascule lentement comme un gyroscope et est englué dans une sorte de séreuse); les yeux à clous qui se blessent eux-mêmes continuellement, les yeux des
Bélines qui ne songent qu'à se tremper, à faire de l'eau et à mouiller tout ce qui est en dessous; les yeux des
Corvates, tout en dents et qu'il faut engraisser sans relâche, les yeux écornifleurs qui ne vivent que sur les sentiments des autres, les yeux concaves, les yeux à la prunelle conique, les yeux empierrés, les yeux mères et d'autres qui allaitaient déjà.

Certains étaient gros comme des ballons de football, d'autres très hauts sur pattes, d'autres pas plus gros que des yeux de fourmis.

Tout ça est bon pour la marmite, dit une voix.

La plaine fut aussitôt raclée et nettoyée et plus rien ne subsista, que le sol obscur qui était de l'argile.

Puis, un peu après, d'autres yeux se mirent à apparaître.
Ils affleuraient d'abord timidement.
Bien vite, ils furent nombreux.

Des yeux lourds, des yeux ternes d'où sortaient les mites, des yeux à dentelles et à falbalas, des yeux à pendeloques, des yeux pleins d'écume en train de se raser (la partie droite déjà nette, rasée de près, et bonne à poudrer); les yeux explosibles dont tous les autres s'écartaient vivement, criant « poudre! » sans un mot de plus, les yeux volatiles qui partaient au moindre vent pour des pays lointains, et leurs amis s'accrochaient vainement à eux, en les implorant, emplissant le lieu d'une lamentation telle que l'on se serait cru sur
Terre.

Les yeux aquatiques où l'épinoche fait son nid, l'oil saugrenu, l'oil à peigne, l'oil trombone, l'oil à soufflets, et partout des carcasses d'yeux vidés par les oiseaux de nuit, des dépôts d'yeux frais qu'on venait de sortir des caves, les yeux malheureux se frottant d'une craie toujours renaissante, les yeux bouleversants de vide-poches, des yeux cadenassés où n'entre rien, et les yeux secrets qui vivent dans les mares.

De grosses bandes d'yeux échassiers poursuivaient les yeux ronds et courts sur pattes, les boulant vivement devant eux, jusqu'à les faire se prendre au loin, tout d'un coup, dans une ligne de barbelés qu'on n'avait pas vue et qui stoppait tout.
Comme le bêlement d'un mouton qui est fort, mais qui s'arrête quand le loup est là.

Tout ça est bon pour la marmite, criait à ce moment la voix.

Les yeux étaient enlevés, la plaine était balayée, la plaine redevenait nue.

Puis, petit à petit, elle se repeuplait; d'yeux toujours différents, de races nouvelles; de toutes les structures, des fignolés comme des minarets, des pleins comme des tambours, des rouges comme des cerises, de toutes sortes, emplissant la plaine rapidement, à petits bouillons, puis tout d'un coup, à nouveau :
Tout ça est bon pour la marmite, disait la voix.

Et la plaine était immédiatement léchée et lisse, et prête à être réensemencée.

Ah! cette nuit!

Le rythme surtout était étonnant. «
Grande foule », puis pftt... rien, la plaine comme une dalle, puis ça renaissait...
Mais un temps strictement mesuré et implacable s'accomplissant les fauchait d'un coup jusqu'au dernier.






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Henri Michaux
(1899 - 1984)
 
  Henri Michaux - Portrait  
 
Portrait de Henri Michaux


Bibliographie

En 1922, lors de son séjour à l'hôpital consécutif à ces problèmes cardiaques, il découvre Lautréamont, dont l'oeuvre lui donne la liberté et l'étincelle créative pour écrire ses propres poèmes. « Cas de folie circulaire », fut son premier poème publié en 1922 dans la revue littéraire Le Disque Vert, dirigée par Franz Hellens. Celui-ci, fervent amateur de Michaux, ira jusqu'à le nommer co-directeu

Ouvres d'henri michaux

Henri Michaux (Namur, 24 mai 1899 - Paris, 19 octobre 1984) est un écrivain, poète et peintre d'origine belge d'expression française naturalisé français en 1955. Son ouvre est souvent rattachée au courant surréaliste, même s'il n'a pas fait partie du mouvement.

Biographie

Né le 24 mai 1899 à Namur, Henri Michaux arrive en 1924 à Paris où il côtoie les peintres surréalistes et se lie d'amitié avec Jules Supervielle et le peintre Zao Wou KI. Après avoir longuement voyagé de 1927 à 1937 en Asie et en Amérique du Sud, il se retire dans le Midi durant la guerre. Il est mort à Paris le 19 octobre 1984. Si la mescaline est en grande partie à l'origine de son ouvre pictura

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