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François-Marie Arouet Voltaire



L'Ouvre de voltaire - Poéme


Poéme / Poémes d'François-Marie Arouet Voltaire





La lecture contemporaine de
Voltaire relève peut-être d'un malentendu.
De cet extraordinaire polygraphe, que retient-on aujourd'hui ?
Les
Contes bien entendu.
D'abord et surtout
Candide, qui caracole en tête de toutes les éditions et figure au palmarès des ouvres du
Bac.
Viennent ensuite quelques morceaux du
Traité sur la tolérance, des articles de dictionnaire (le fameux
Dictionnaire philosophique), parfois des épigrammes et encore des satires.
On continue de le ranger - sans trop savoir pourquoi - parmi les « philosophes » des
Lumières, mais on ignore tout ou presque de sa philosophie.
Face au grincheux
Rousseau,
Voltaire est l'homme qui rit.
Son ironie légendaire est reconnue comme un label ou une appellation contrôlée, mais elle occulte en même temps la gravité des sujets où elle s'exprime.
On se divertit certes, mais on oublie derrière ces jeux de l'esprit les crises qui les ont fait naître.

Si
Voltaire revenait sur terre aujourd'hui, quelle ne serait pas sa surprise d'apprendre qu'on ne lit que la plus petite partie de ses ouvres, et surtout celle à laquelle il attachait le moins d'importance.
En héritier respectueux de la tradition classique,
Voltaire a réellement bâti sa carrière d'homme de lettres sur les genres littéraires susceptibles de lui assurer la notoriété : la poésie (surtout la poésie épique) et le théâtre (d'abord la tragédie).
Mais à côté de cette voie royale,
Voltaire emprunte bien souvent des chemins écartés pour répondre à l'actualité ou satisfaire ses mouvements d'humeur.
Son ouvre énorme, envahissante, embrasse ainsi toutes les formes - de la prose au vers, du traité à l'essai -, mais aussi tous les genres, du plus noble au plus futile : «
Tous les genres sont bons sauf le genre ennuyeux. »



Dans les rayonnages d'une bibliothèque, la place qu'occupe
Voltaire laisse perplexe.
Les dix-sept volumes de ses Ouvres complètes (auxquels il faut ajouter vingt volumes de
Correspondance) seront bientôt remplacés par les cent cinquante tomes de la savante édition en cours à
Oxford !
Devant un tel festin, le lecteur risque l'indigestion.
Alors quoi lire, et comment lire ?
Pour entrer dans cet écrasant monument littéraire, on peut feuilleter les pages des
Mélanges (dans la
Bibliothèque de la
Pléiade, par exemple).
On peut aussi fureter dans les morceaux choisis, et retrouver le chemin des anthologies qui sont les seules éditions capables de rendre compte en un nombre limité de pages d'une telle diversité.
Cette pratique n'aurait pas indigné
Voltaire, lui qui aimait faire court.
Comparé aux grandes manouvres de l'Encyclopédie, son
Dictionnaire philosophique () est une machine de guerre au format d'un livre de poche.
Voltaire fait de la philosophie portative, dira-t-on avec quelque mépris.
Mais où réside le plaisir de le lire, sinon dans ses passes d'armes étincelantes et dans ses raccourcis lumineux ?



Un génie face à la société



L'homme de lettres



La fonction d'homme de lettres sous l'Ancien
Régime ne suffit pas à assurer le prestige social et un niveau de vie décent.
Voltaire, comme beaucoup d'autres, se faufile dans les allées du pouvoir et commence par briguer des pensions (du
Régent, de la reine).
Rares sont les carrières qui ne comportent pas, moyennant quelques serments d'allégeance, des gratifications officielles ou le soutien d'un mécène.
Mais le tempérament fougueux et l'insolence de
Voltaire («Je ne peux pas louer les gens sérieusement en face », août ) l'obligent à conquérir une totale indépendance financière.
Voltaire fut immensément riche, mais il doit sa fortune à des spéculations financières, des rentes viagères, des créances, plutôt qu'à sa plume.

Outre l'indépendance matérielle, cette fortune lui a permis une incomparable indépendance d'esprit.
Pour un écrivain de sa trempe, les dangers sont réels.
Dès la parution des
Lettres philosophiques en ,
Voltaire est sérieusement inquiété ; et à partir de les sanctions pleuvent autant sur les auteurs que sur les libraires qui diffusent les ouvres interdites : en , un colporteur est condamné à cinq ans de galère pour avoir vendu
L'Homme aux quarante écus.
A ces risques graves s'ajoutent des conditions matérielles souvent déplorables.

Lécrivain est mal payé et les contrefaçons se multiplient.
Ainsi
Voltaire doit souffrir qu'une troupe de comédiens ambulants représente une parodie du
Temple du goût, et qu'un libraire d'Amsterdam publie sans son accord la dangereuse
Epître à
Uranie.

On comprend dans ces conditions que la découverte de la politique anglaise à l'égard des gens de lettres l'ait enthousiasmé : en , en
Angleterre, ne rappelle-t-il pas que « le parlement s'est avisé de promettre vingt mille guinées à celui qui ferait l'impossible découverte des longitudes » ; et que la célèbre comédienne,
Mlle
Oldfield, vient d'être enterrée dans
Westminster « avec les mêmes honneurs qu'on a rendus à
Newton » {Lettres philosophiques, lettre
XXIII).
Que revendiquent ces critiques implicites du système français ?
Sans doute des instances de légitimation du statut d'intellectuel : des entreprises collectives (PEncyclopé-<&?viendra à point nommé), des académies moins élitistes qui donnent à chacun sa chance, bref une consécration sociale que le seul mécénat privé ne peut offrir.
Voltaire n'est pourtant pas à plaindre, lui qui fut historiographe du roi et entra à l'Académie française en .



Le philosophe



Voltaire est un philosophe au sens où l'entendait son temps.
Un homme de liberté et d'action qui examine les faits sous le contrôle de la raison, et dont l'analyse critique s'étend à tous les domaines de pensée, y compris la religion.
Les adversaires des
Lumières se définissent par rapport à ce modèle qu'ils récusent.
Quand paraît le
Dictionnaire philosophique de
Vohzirc, un
Dictionnaire antiphilosophique de l'abbé
Chaudon lui répond.
Mais pour
Voltaire l'esprit philosophique est d'abord un esprit de tolérance et de modération.
L'enthousiasme excessif ne peut conduire qu'au fanatisme. «Je ne sais avec quelle fureur le fanatisme s'élève contre la philosophie.
Elle a deux filles qu'il voudrait faire périr comme
Calas, ce sont la
Vérité et la
Tolérance : tandis que la philosophie ne veut que désarmer les enfants du fanatisme, le
Mensonge et la
Persécution. » (Lettre à
Damilaville.)

Voltaire n'est pas seulement ce défenseur pacifiste de la liberté de pensée.
Sans être un vrai savant, il se tourne résolument vers des recherches positives et valorise autant les sciences et les arts que les enquêtes historiques.
En revanche, il récuse volontiers les systèmes et désaprouve les métaphysiciens qui parlent tous à la fois, sans s'entendre, comme dans le dernier chapitre de
Micromégas.
Le vrai philosophe pour
Voltaire est celui qui reconnaît son ignorance (Le
Philosophe ignorant est d'ailleurs le titre d'un de ses ouvrages).
Allergique aux constructions déduites a priori.
Voltaire admire ceux qui apportent des réponses dictées par les résultats de la science expérimentale.
Des
Lettres philosophiques zux
Eléments de la philosophie de
Newton,
Voltaire a vulgarisé le principe de l'attraction universelle, encensant
Newton en qui il voit un héros de la pensée capable de percer les secrets du
Créateur.
Le philosophe anglais
Locke a opéré dans les sciences de l'homme une mutation tout aussi importante.
La treizième lettre philosophique vante ainsi les qualités de cette méthode : «
Locke a développé à l'homme sa raison humaine comme un excellent anatomiste explique les ressorts du corps humain.
Il s'aide parfois du flambeau de la physique ; il ose quelquefois parler affirmativement, mais il ose aussi douter ; au lieu de définir tout d'un coup ce que nous ne connaissons pas, il examine par degrés ce que nous voulons connaître. »
Voltaire fut bien, à sa manière, un vulgarisateur.
Il excelle à parler de science dans les exposés courts et clairs s'intégrant à la fiction des contes ou au traité didactique.
Dans ces conditions, tous les moyens sont justifiés pour agrémenter l'exposé : le recours à des anecdotes savoureuses (on lui doit l'histoire de
Newton et de sa pomme dans les
Lettres philosophiques), la dramatisation, les métaphores énergiques.

S'il n'est pas un grand philosophe,
Voltaire n'a éludé aucune des questions importantes que se posait son siècle.
Qu'il s'agisse de réflexion morale, de problèmes de fiscalité ou de théories scientifiques, il donne son avis sur tout.
Mais il accepte aussi que certaines questions restent sans réponse : c'est souvent ce qui arrive quand l'homme s'interroge sur son origine, ou discute indéfiniment de l'existence de
Dieu...



Le déiste



Lorsque
Candide, dans le pays d'Eldorado, demande au vieillard si dans son pays il y a une religion, le brave homme « rougit un peu ».
Sa réaction vive prouve que l'existence de
Dieu est pour lui une évidence.
De fait,
Voltaire n'a jamais nié la nécessité d'un être supérieur, moins encore celle de la foi.
Ne meurt-il pas en « adorant
Dieu (...) et en détestant la supersitilion » ?
En ce sens,
Voltaire se fait le disciple d'une idée peu nouvelle au
XVIIIe siècle : le déisme.
Il va pourtant en être le porte-parole le plus convaincu.

Dès , dans son poème épique
La
Henriade, il écrit un hymne à la gloire du «géomètre éternel ».
Dieu a créé le monde et ce monde est une merveille ; car
Dieu est « architecte », « horloger », « pragmatique », autant dire philosophe...
Voltaire est séduit par les théories de
Locke ou de
Newton qui posent
Dieu comme un impératif de la raison pour résoudre l'énigme du monde (lettres
XIV et
XV des
Lettres philosophiques).
Ce
Dieu-là n'a pas de nom particulier : il est un être souverain, adoré sous des formes variant selon les mours et les nations.
Au chapitre de
Zadig, des convives appartenant à des races et à des religions différentes se querellent sur la valeur de leurs croyances respectives : le
Celte adore le chêne
Teu-tath, l'Egyptien le bouf
Apis, et le
Chaldéen le poisson
Oannès.
La discussion manque de se terminer dans une tuerie sanglante quand
Zadig les réconcilie tous : «
Vous êtes tous du même avis, et adorez un Être supérieur. »
Ce que dénonce l'allégorie, c'est la sottise des dogmes et des hommes, et non celle de
Dieu.
Ainsi la religion de
Voltaire apparaît plutôt comme une instance morale chargée de rappeler aux hommes « qu'ils sont tous frères » (
Traité sur la tolérance).

Les
Lumières impliquent un nouveau rapport de l'homme à
Dieu contre ceux qui se disent ses interprètes ou ses représentants.
Le refus de confondre le spirituel et le temporel doit se traduire par un recul de l'emprise de l'Église sur l'État.
Mais
Voltaire est également hostile à la vision janséniste et tragique de l'homme, telle que l'a exprimée
Pascal.
A l'homme misérable, dont la condition est prise dans l'abîme du péché originel,
Voltaire oppose la vision simple et rassurante d'une créature en quête de son épanouissement.
En s'attaquant au « misanthrope sublime » (c'est-à-dire
Pascal), l'auteur du
Mondain refuse l'angoisse existentielle, valorise l'action de l'homme dans le monde et avec ses semblables ; il légitime également l'amour propre et les passions qui poussent l'homme à faire le bien autant qu'à faire le mal.
Le bonheur n'est donc plus dans un au-delà inaccessible mais ici-bas.
De même, au
Dieu sévère des jansénistes qui ne donne la grâce qu'avec parcimonie,
Voltaire oppose la figure idéale d'un
Dieu bon et d'une
Providence qui peut transformer les misères en bienfaits.



Voltaire a donc mené la lutte sur deux fronts : contre le
Dieu incarné du christianisme et ses représentants ; contre l'athéisme de ses amis philosophes, qu'il combat au nom de la raison et dont il craint les conséquences sociales.



Voltaire à tous les vents



L'homme de théâtre



Cinquante-deux !
C'est le nombre de pièces écrites par
Voltaire, alors que
Corneille nous en a laissé à peine trente-trois et
Racine douze.
Cette supériorité de production n'est pas un gage de qualité, certes, mais les pièces de
Voltaire (aujourd'hui oubliées) eurent un retentissement considérable au
XVIIIe siècle.
La première représentation d'Odipe, le novembre , fut un prodigieux succès.
La pièce est jouée quarante-cinq fois consécutives devant un public enthousiaste. «
Première tragédie philosophique », Odipe traite de politique et de religion sans y mêler aucune intrigue d'amour.
Le choix du sujet montre néanmoins l'attachement de
Voltaire pour les auteurs classiques.
Toute une partie de son ouvre tend à faire l'éloge du classicisme : il n'y a qu'à lire ses
Commentaires sur
Corneille ; dans
Le
Temple du goût trônent les grands auteurs du siècle de
Périclès, d'Auguste ou de
Louis
XIV
Aussi, malgré son anglophilie tenace, ne manque-t-il pas de regarder
Shakespeare d'un ceil critique : «
Ses pièces sont barbares, dépourvues d'ordre, de vraisemblance », écrit-il dans les
Lettres philosophiques (lettre
XVIII).

Pourtant, les tragédies de
Voltaire n'ont presque rien de classique, malgré les intentions de leur auteur.
S'il y a bien un genre littéraire où il innove, c'est le théâtre.
A l'unité d'action paralysante des classiques, il oppose les coups de théâtre les plus tonitruants : méprises, reconnaissances, situations imprévues, intrigues enchevêtrées.
Voltaire fait l'économie des récits, et aux dialogues interminables il préfère les scènes d'action à l'état brut : écha-rauds, sacrifices, duels, empoisonnements, batailles...
Dans
César arrive un personnage ensanglanté, le bras en écharpe : la scène choque les censeurs, mais le public applaudit.
Ce théâtre annonce les rebondissements pathétiques du mélodrame bourgeois de la fin du siècle.
Voltaire a réellement voulu réformer la tragédie classique.
L'exemple de
Zaïre () indique des changements significatifs dans le traitement des sujets et des personnages.
L'action ne va plus se perdre dans un temps ou un espace mythiques, elle prend racine dans le réel et s'inscrit dans le passé national (à l'époque des croisades de saint
Louis).
Avec
Voltaire, la tragédie s'humanise, et
Dieu n'a plus sa place dans les affaires humaines.
Le destin des personnages est pris dans des contradictions bien réelles et s'éloigne de toute transcendance.
Ainsi la tragédie voltairienne est-elle, au fond, anti-tragique.



Le conteur



«
Le vieux
Bélus, roi de
Babylone, se croyait le premier homme de la terre ; car tous ses courtisans le lui disaient et ses historiographes le lui prouvaient. » (La
Princesse de
Babylone.) À l'image du château de
Thunder-Ten-Tronck dans les premières pages de
Candide, « le plus beau et le plus agréable des châteaux possibles », le palais de
Bélus est des plus magnifiques.
Le schéma initial du conte est donc mis en place : dans un lieu en apparence paradisiaque se préparent d'invisibles revers.
L'excès ne peut conduire qu'à la dégénérescence et l'orgueil au châtiment.
Introduction indispensable au conte philosophique qui montre comment l'homme transforme son paradis en enfer, et le bonheur au sein de sa patrie en une suite de mésaventures dans le vaste monde.

Le conte voltairien joue avec nos rêveries d'enfance, caresse notre goût des fables et des prodiges, des aventures et des passions.
Véritable «
Sésame ouvre-coi », les premières pages des contes nous introduisent d'emblée dans un univers où tout devient possible : des animaux doués d'intelligence (Le
Taureau blanc), des planètes lointaines (Micromégas), ou encore un palais aux proportions démesurées (La
Princesse de
Babylone).
Les descriptions multiplient les invraisemblances au mépris du réalisme le plus élémentaire, et nous entraînent vers des « rivages enchantés ».
Le procédé est habile et connu.
Il procède d'abord d'un désir de plaire au public : en ,
Galland traduit les
Mille et
Une
Nuits, cinq ans plus tard paraît
Robinson
Criisoé.

Pourtant, dès les premières pages, une fêlure surgit au cour du rêve.
Le conte voltairien ne tarde jamais à démystifier son propre merveilleux.
L'exotisme lui-même n'est bien souvent qu'un déguisement.
Babylone, c'est
Paris, et les derviches sont nos prêtres.
Mais
Voltaire mise aussi sur la confrontation des expériences et des cultures.
Il délègue souvent ses observations à un regard étranger qui autorise l'étonnement critique.
Le géant de
Micromégas renvoie les terriens à leur petitesse, et nous rappelle que la grandeur d'un homme comme d'une civilisation est d'abord une affaire de proportions, de rapports, de points de vue.
Le conte nous apprend ainsi la relativité des mours et des coutumes en partant d'une expérience concrète et physique.
Les héros voltairiens ont souvent la pureté et la naïveté qui renversent la solide assurance des préjugés.
Le regard détaché de
Ba-bouc,
Candide,
Memnon, l'Ingénu, appréhende les contradictions les moins voyantes.
Le huron de
L'Ingénu se rit du baptême chrétien qu'il juge ridicule, réprimande ses hôtes de leur manque de courtoisie, conteste l'intégrité des juges qui l'envoient en prison.
Voltaire a compris quel instrument de critique - comme de propagande - pouvait être le conte.
L'imagination la plus folle s'y allie avec la raison, parce que le monde est sage et fou à la fois.



L'historien



De la production historique de
Voltaire, plus rien n'est lu aujourd'hui.
C'est à la fois normal et injuste.
Normal, parce que son histoire est alourdie d'un esprit de propagande irritant.
Injuste, parce que
Voltaire est un extraordinaire pionnier.
Jusqu'à lui, l'histoire n'est le plus souvent qu'une mythification fantaisiste des événements que les colportages successifs ont déformés.
Tout le monde a en mémoire la fameuse « dent d'or » de
Fonte-nelle où de faux historiens, forts de leur suppositions, ne songent pas un seul instant à examiner le fait réel.
L'histoire, encouragée par le pouvoir royal, est un récit à la gloire des grands hommes, une succession de faits militaires ou politiques.
Ecartant tout compromis,
Voltaire adopte une démarche radicalement différente : «
Observe, interroge, doute », telle est la devise qu'il lance à ses confrères historiens.
Le philosophe applique ainsi à l'histoire les méthodes expérimentales du savant.
Plutôt que de lire les gros livres de ses prédécesseurs, il traque la vérité là où elle est restée, c'est-à-dire à la source.
II cherche les témoignages, les preuves, recoupe les faits avant de les juger comme établis.
Pour son
Siècle de
Louis
XIV, il enquête auprès du cardinal de
Fleury, de la duchesse de
Saint-Pierre, interroge les survivants du grand règne au
Temple, à
Sully, à
Sceaux.
Il descend également dans les archives du
Louvre pour y examiner tous les manuscrits.

De cette nouvelle méthode naît une histoire nouvelle.
Quelle est-elle ?

Voltaire commence par écarter la
Providence de l'enchaînement des événements.
La succession des faits ne peut s'expliquer que par l'analyse des causes naturelles, et non par le recours à une intervention divine.
II faut explorer tout ce qui constitue une civilisation, les courants d'idées, le progrès technique et scientifique, le commerce, les arts... plutôt que de brosser le portrait des chefs de guerre ou des souverains : «
Quand je vous ai demandé des anecdotes sur le siècle de
Louis
XIV, c'est moins sur sa personne que sur les arts qui ont fleuri de son temps.
J'aimerais mieux des détails sur
Racine et
Despréaux, sur
Quinault,
Lully,
Molière,
Lebrun,
Bossuet,
Poussin,
Descartes, etc., que sur la bataille de
Steinkerque.
Il ne reste plus rien que le nom de ceux qui ont conduit des bataillons et des escadrons.
Ils ne revient rien au genre humain de cent batailles données, mais les grands hommes dont je vous parle ont préparé des plaisirs purs et durables aux hommes qui ne sont point encore nés. »
L'histoire, telle que la conçoit
Voltaire, est donc un travail de longue haleine.
Il commence
Le
Siècle de
Louis
XIVen ; médité depuis , l'ouvrage ne verra le jour qu'en .
Même parcours laborieux pour l'Essai sur les mours : de à ,
Voltaire ne cesse d'y revenir pour le nourrir de nouvelles remarques.

Certes, on pourrait adresser bien des reproches à ces ouvrages.
Le tempérament et la philosophie de
Voltaire ont quelquefois transformé son observation en jugement.
C'est qu'au fond il conçoit l'histoire comme une pédagogie destinée non à informer les hommes du passé, mais à les instruire des erreurs à ne pas commettre ou des modèles à suivre.
Tous les moyens sont permis pour former « l'esprit public ».
Ainsi a-t-il exagérément flatté les civilisations chinoise, hindoue ou musulmane tout simplement parce qu'elles n'étaient pas chrétiennes.
Mais il rompt du même coup avec les découpages qui reflètent la domination culturelle européenne.
En élargissant le cadre géographique et la trame chronologique, il replace un événement dans son contexte historique, voire dans celui de plusieurs continents à la fois.
C'est encore à lui que l'on doit la notion de « philosophie de l'histoire », expression qui investit les hommes de la responsabilité d'un devenir, celui de leur civilisation.



Le témoin de son temps



Voltaire est né journaliste.
Son goût de l'observation le poste aux aguets de tous les événements qu'il commente à chaud.
Le désastre de
Lisbonne, l'attentat de
Damiens, la réforme des parlements... il n'est pas de sujet sur lequel il ne prononce quelques mots décisifs.
Cette tendance s'accroît au fil des ans.
Durant toute sa vieillesse, il dispose d'une véritable audience médiatique.
Dans .ses retraites suisses, il entretient un réseau de correspondants à l'échelle européenne, qu'il sait mobiliser lorsque l'actualité le demande.
En vrai journaliste d'enquête,
Voltaire dispose d'observateurs bien placés.
Chroniqueur des erreurs judiciaires ou témoin compatissant d'une catastrophe naturelle, lui seul sait donner à un événement en apparence insignifiant une dimension universelle.
L'affaire
Calas montre comment, à propos d'un cas particulier, on impose à l'opinion publique la reconnaissance d'un principe.

«
J'écris pour agir », affirme-t-il.
Ce journaliste-là est un militant.
Voltaire aime l'action et il vit son métier d'écrivain comme un apostolat : «
J'aime passionnément à dire des vérités que d'autres n'osent pas dire et à remplir des devoirs que d'autres n'osent pas remplir. »
Si sa philosophie manque de profondeur, c'est aussi parce qu'elle refuse de se cantonner dans les sphères de l'abstraction.
Elle reste inscrite dans le réel qui l'entoure et s'oriente vers des réformes concrètes ; elle est pratique avant d'être théorie.
On comprend dès lors que les positions de
Voltaire soient instables, changeantes, soumises au pour et au contre.
Sa pensée est sensible aux contradictions de la condition humaine, elle se forge au contact des événements les plus révoltants.
C'est encore ce qui la rend perpétuellement disponible.

Sa contribution aux périodiques proprement dits est assez mince.
Voltaire méprisait d'ailleurs les folliculaires.
Ses textes trouveraient pourtant souvent place dans des hebdomadaires satiriques.
On le sait, c'est dans ce registre que
Voltaire excelle, parce que la polémique fait partie de son hygiène de vie.
S'il a de nombreux ennemis, c'est qu'il n'a pas son pareil pour susciter les animosités.
Il riposte à la moindre escarmouche et terrasse son adversaire impitoyablement.
Témoins
Desfontaines,
Mau-pertuis et tant d'autres, moins connus mais passés grâce à lui à une postérité encombrante.
L'arme privilégiée de
Voltaire, c'est le pamphlet écrit au pied levé, ou « fusée volante », inséparable de la pensée d'un homme en perpétuelle alerte et qui recherche le combat.
Couvert sous une multitude de déguisements ou de pseudonymes transparents pour les lecteurs avisés,
Voltaire dénonce l'adversaire par son faible.
Relation, facétie, dialogue, édit, lettre supposée, mémoire, sermon ou discours se succèdent avec alacrité.

Ces disputes pourraient avoir vieilli ou n'avoir qu'un intérêt historique.
C'est tout le contraire qui se produit.
On se moque aujourd'hui du contexte, on oublie les enjeux pour ne retenir qu'un formidable éclat de rire.
La virtuosité diabolique de la langue, l'imagination cruelle et gaie nous entraîne continûment.
On a peine à concevoir l'énorme quantité d'énergie et le talent que ces métamorphoses supposent.
Mais on est saisi par la variété de tons, les gags, les jeux du propre et du figuré.
Dans son théâtre de
Ferney,
Voltaire fut un redoutable montreur de marionnettes.
Ce pourfendeur de vrais et de faux mystiques, ce dévoreur de petits abbés s'invente même un allié puissant, bien qu'inattendu : «J'ai toujours fait une prière à
Dieu, qui est fort courte.
La voici : "Mon
Dieu, rendez nos ennemis bien ridicules !"
Dieu m'a exaucé. »



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François-Marie Arouet Voltaire
(1694 - 1778)
 
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Voltaire, entre la légende et l'histoire


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