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Une décennie de transition (1619-1628 environ) - Plaisirs de la poésie






A. CHANGEMENT DE GÉNÉRATION



La plupart des grandes figures du début du siècle disparaissent entre 1621 et 1629. Du Vair et Montchrestien (1621), François de Sales (1622), Nervèze et d'Urfé (1625), Malherbe (1628), Bérulle (1629). Hardy cesse d'écrire en 1626. Parallèlement, de 1623 à 1629, apparaissent ceux qui vont dominer le second quart de siècle. Mer-senne publie La vérité des sciences (1625) ; Descanes abandonne les pures mathématiques pour des sciences plus utiles (1628) et rédige son premier grand ouvrage, les Règles pour la direction de l'esprit (avant 1629). Gassendi, lui aussi théoricien des sciences, arrive à Paris (1628) et se lie avec Naudé et La Mothe Le Vayer. En religion, Saint-Cyran s'oriente vers l'antihumanisme sous l'influence de Bérulle rencontré en décembre 1620 et commence sa lutte contre les Jésuites avec La Somme des fautes et faussetés contenues en la Somme théologique du P. Garasse (1626).





En littérature apparaissent Chapelain (la préface de l'Adone, 1623, en fait d'emblée une autorité) et Balzac (l'unico éloquente, dont les Lettres ont six éditions de 1624 à 1627) ; ils régneront longtemps sur la vie littéraire. Vaugelas s'intéresse à la langue à partir de 1625 environ. Des poètes originaux s'affirment : Théophile, Saint-Amant, puis Tristan ; mais la discipline malherbienne va triompher et Voiture entre à l'Hôtel de Rambouillet où les mondains codifient la fantaisie. Gomberville publie les premières versions de Polexandre, remanié de 1619 à 1645, principal roman d'une époque qui ne brille pas dans ce genre. C'est surtout le théâtre qui se développe et se transforme. Pyrame et Thisbé àe Théophile (1621, 1623) et les Bergeries de Racan (1620, 1625) rompent avec la tradition ; Mairet {Sylvie, 1626, 1627), Rotrou, Du Ryer, Mareschal, Scudéry, Corneille (Milite, 1629) font jouer leurs premières pièces tandis que se déchaîne la querelle des règles.

Quatre nouveautés : l'importance des bourgeois, des théoriciens de la connaissance, des théoriciens de l'art et des dramaturges. Ils ont en commun le souci d'une discipline et l'on observe que dans ces années 1620, ils se regroupent, s'organisent en cercles et académies. Avec eux, l'art, la pensée ne seront plus évasion lyrique ou mystique : ils tendront à la maîtrise. Mais d'autres, de Sorel à Théophile leur opposent un art libertaire, bientôt étouffé par les nouvelles structures sociales et les exigences d'une période d'affrontements.



B. NOUVELLES TENDANCES



1. Plaisirs de la poésie : un baroque ludique



L'ardeur affective et la vigueur rationnelle, la pompe et les images reculent. La poésie s'éloigne du message collectif et de l'expression de correspondances naturelles ou mentales pour devenir plutôt invention individuelle. Elle n'est plus salut, ni « fureur », ni enseignement, mais plaisir. C'est le recul décisif de la tradition : Mlle de Gournay passera bientôt pour une vieille folle. Le baroque devient décidément ludique. Bertaut et Du Perron perdent leur importance à partir de 1622 ; Malherbe triomphe, mais ses disciples se détendent. Les nouveaux talents, fort nombreux (1), préfèrent aux grands thèmes politiques, religieux (2) ou moraux, au style tourmenté, rationnel ou pompeux, la « douceur » (terme à la modE) de sujets familiers et d'un style « naturel » - d'autant que s'accroît l'importance du public mondain, au détriment des intellectuels traditionalistes du Palais ou de l'Université. «Je fais mes vers pour être lus dans le cabinet du Roi et dans les ruelles des dames plutôt que dans votre chambre ou dans celle des autres savants en poésie », écrit Racan à son maître Malherbe.

Simplicité réaliste, descriptions champêtres, introspection, hédonisme sans illusion, aisance et liberté de la forme, vogue des petits genres : élégie, sonnet, épigramme, quatrain. « La nouvelle mode de la Cour » est « à la négligence » dit le titre d'un ouvrage de 1623. Un progrès de l'agrément. Mais Schelandre n'a pas tort de dire que ces nouveaux poètes « Ôtent le beau pour le joli. »

La métaphore s'éloigne des profondes correspondances naturelles ou mentales pour se rapprocher de l'invention ingénieuse. Il faut ici faire la pan (sous la Régence d'une princesse florentine, comme chez Mme de Rambouillet, italienne par sa mère, ou chez le duc de Montmorency, épouse d'une RomainE) de l'influence d'une culture et surtout d'une poésie considérées comme des modèles. Tous les esprits distingués parlent l'italien (de même que l'espagnoL) et Marino, à Paris de 1615 à 1623, y est plus richement pensionné qu'aucun poète français du siècle.

C'est maintenant que triomphent Protée, « Circé et le paon » (J. RousseT). C'est pour le plaisir que se multiplient les images de tout ce qui est fragile comme la fleur ou le verre, le nuage ou la vapeur, le feu ou l'eau ruisselante, instable comme la girouette ou le désir, la mer et le vent, la paille, la plume et la feuille morte, le sable et la poussière, la neige, le papillon ou l'oiseau.



Hélas ! qu 'est-ce de l'homme orgueilleux et mutin ?

Ce n 'est qu 'une vapeur qu 'un petit vent emporte,

Vapeur, non, une fleur qui e'close au matin,

Vieillit sur le midi, puis au soir elle est morte.



Une fleur, mais plutôt un torrent mène-bruit

Qui rencontre bientôt le gouffre où il se plonge ;

Torrent, non c 'est plutôt le songe d'une nuit,

Un songe ! non vraiment, mais c'est l'ombre d'un songe.

(AUVRAY, écrit vers 1623)



La précarité se mire en narcissisme, s'inverse en théâtralité ou en célébration libertine, multiplie les plaisirs du masque. Elle n'effraie plus : elle séduit. Marbeuf, né en 1596, écrit un Tableau de la beauté de la mort (1628).

Y a-t-il encore baroque, c'est-à-dire un art tourmenté quand l'angoisse même s'exprime par la limpidité (notamment chez ThéophilE) ? Quand la métaphore n'est plus correspondance fondamentale, mais fantaisie surréaliste ?



Ce ruisseau remonte en sa source,

Un bouf gravit sur un clocher,

Le sang coule de ce rocher,

Un aspic s'accouple d'une ourse. (THÉOPHILE)



2. Théophile ; les débuts de Saint-Amant et de Tristan



Théophile de Viau (1590-1626) a 35 ans de moins que Malherbe et n'a pas souffert des guerres. Fils d'un protestant résolu, il rompt avec son père, suit comme poète une troupe de comédiens, puis se met au service des Grands, changeant de protecteur et de parti. Ce Gascon primesautier, libertin de mours et de pensée, est à partir de 1619 un poète à la mode, leader de la jeunesse mondaine.

Il s'est dégagé rapidement des traditions, des modes et d'un certain mignardisme pour une poésie de sincérité et de liberté où se mêlent les fraîches sensations (« j'aime [...] tout ce qui touche particulièrement les sens »), les émotions et confidences, les analyses morales, les réflexions philosophiques. Sceptique, épicurien, épris d'authenticité, Théophile excelle dans une poésie élégiaque, touchante, parfois émouvante car l'hédonisme y joue courageusement sur fond de pessimisme. Cet amant de la vie est hanté par la mort et la fatalité. L'amour est jouissance et tourment, désir d'impossible immortalité. Son année de prison sera dure et ses plaintes tragiques sous leur délicatesse :



Il faudra qu'on me laisse vivre

Après m'avoir fait tant mourir.



Théophile aime en Malherbe « la douceur », la clarté, le refus de « la sotte antiquité ». Mais Malherbe était encore prisonnier de tout un héritage conventionnel (mythologique par exemplE). Il avait le sérieux et la pompe d'un chantre de l'ordre. « Il faut écrire à la moderne », dit Théophile, d'un style « naturel et facile » : « la règle me déplaît » ; « l'art gâte » la Nature.

Une personnalité charmante, une vie intéressante, une fin dramatique (cf. p. 52-53). Une facilité séduisante, mais à force de préférer la spontanéité à l'art, il manque d'exigence et d'intensité. Le succès de ses poésies se prolonge sur tout le siècle : 93 éditions contre 16 pour Malherbe. Mais la postérité l'a rangé sur le second rayon, oubliant aussi la prose claire et nerveuse de sa Première journée, Fragments d'une histoire comique (1623) où se mêlent aveux, réflexions, autobiographie et les plaidoyers du prisonnier, qu'on a pu comparer aux Provinciales.



Fils d'un négociant réformé de Rouen, Antoine Girard (1594-1661), se dira sieur de Saint-Amant sans qu'on sache si c'est à bon droit. Il voyage pour le commerce paternel (esclaves, bois, denrées exotiqueS) en Afrique et aux Antilles puis, à la suite de ses protecteurs, en Angleterre, Italie, Pologne et Suède. Il participe à des opérations navales, rencontre Campanella et Galilée, est libertin de mours et de pensée jusqu'à une tardive conversion, fréquente plusieurs milieux et suit divers protecteurs tout en préservant sa liberté. Par sa vie multiple, sa curiosité, son libre hédonisme, par la richesse concrète, imaginaire et verbale de sa poésie, par son goût ironique de la variété, c'est un homme des années vingt.

Mais la « fureur > est ici contrôlée par la raison : langue abstraite, images sobres, style précis. Poésie de transition entre baroque et classique. « Son jugement et son imagination font un si juste tempérament [...] que l'un n'entreprend rien sans le secours de l'autre» (FareT).

Les bons poèmes de Saint-Amant sont presque tous antérieurs à 1636. L'un des meilleurs, La Solitude, semble écrit dès 1617-1618. La convention pastorale y est relevée de précisions concrètes, de fantaisie, d'émotions prises sur le vif. Ton joyeux et rythme rapide. C'est déjà le mélange de romantisme et de parodie d'un poète qui voudra toujours mêler le naïf et le sublime, « l'héroïque » et « le bourlesque », l'émotion et l'ironie.

François L'Hermite, dit Tristan (1601 P-1655), est le plus grand de nos poètes entre Théophile et La Fontaine. Une ampleur, une rigueur malherbiennes, une sensibilité, une imagination qui rappellent Théophile et parfois l'ingéniosité de Marino ; une sincérité mélancolique qui lui est propre. Après une jeunesse assez agitée, il ne peut faire de carrière à la mesure de ses ambitions : sa noblesse est ancienne, mais pauvre et sa vertu refuse les compromissions. D'où une amertume stoïcienne, sensible surtout dans ses tragédies.



François L'Hermite, dit Tristan (1601 P-1655), est le plus grand de nos poètes entre Théophile et La Fontaine. Une ampleur, une rigueur malherbiennes, une sensibilité, une imagination qui rappellent Théophile et parfois l'ingéniosité de Marino ; une sincérité mélancolique qui lui est propre. Après une jeunesse assez agitée, il ne peut faire de carrière à la mesure de ses ambitions : sa noblesse est ancienne, mais pauvre et sa vertu refuse les compromissions. D'où une amertume stoïcienne, sensible surtout dans ses tragédies.

A partir de 1621-1622, il est secrétaire de Monsieur*. Il s'affirme dès 1625 comme un grand poète, avec La Maison d'Astrée, qui, à l'occasion de la description d'un château, célèbre la nature, l'art, la retraite, la monarchie pacificatrice, et l'Ode à M. de Chaude bonne (1625), qui nous confie son désir d'une retraite pastorale. Avec La Mer (1627), apparaît l'inquiétude. Miroitante magicienne et dangereuse séductrice, la mer, désirable, indifférente, dominatrice, dévorante avec des mugissements sadiques, est une image des forces et pulsions qui jusqu'en nous-mêmes nous dominent. Le poème s'achève sur l'exaltation des capacités humaines. Mais on peut y voir une métaphore du masochisme de l'auteur, de ses rapports de connivence et d'angoisse avec l'Autre, séduisant, versatile et inquiétant, figuré ici par la mer, ailleurs par d'autres formes de la nature, plus tard par la femme.

Abstraction, clarté, fermeté, parallélismes, hyperboles, travail de la strophe, la forme de Tristan est celle de Malherbe, mais plus moderne, plus imagée, avec plus de goût pour l'octosyllabe. Ses orientations sont plutôt celles de Théophile dont le rapprochent aussi son lyrisme et son libertinage. Son originalité est d'être un contemplateur fataliste et inquiet. Il cultive les contrastes, notamment entre lumière et obscurité. Et, après l'expression de l'anxiété, ses fins de poèmes sont ascendantes, affirmatives, optimistes.



3. Sorel : « L'Histoire comique de Francion »



Charles Sorel (1600 P-1674), fils d'un procureur au Parlement* de Paris, fréquente au début des années 1620 Théophile (dont Francion serait partiellement inspiré), Saint-Amant et Boisrobert, libertins et chefs de file de la nouvelle poésie. Après d'invraisemblables romans d'aventures à la mode (Cle'age'nor et Doriste'e, 1620 ; Le Palais d'Angélie, 1622), il publie en 1623 des Nouvelles françaises, relativement réalistes et surtout l'Histoire comique de Francion.



Apparue en 1612 avec Du Souhait, l'histoire comique constitue un genre original à partir des influences des farces, fabliaux et contes, du roman picaresque et de la parodie du roman épique. Ouvre libertaire, le Francion de 1623, sous une facétie volontiers gauloise et à travers des bouffonneries symboliques, veut enseigner une philosophie et un art de vivre contre le carcan socio-idéologique. Il dénonce toutes les contraintes (notamment le collège, prison pour le corps et l'espriT), les pharisaïsmes, les étroitesses d'esprit et les bassesses d'âme. Il y oppose un souci de vérité (3), une soif égotiste (4) de plénitude (vivre « comme des dieux ») dans la liberté du corps (5) et de l'esprit, une morale de l'authenticité (inscrite dans le nom de FrancioN), une exaltation du plaisir, qui culminent dans la fête chez Raymond (VII), « apothéose libertine » (J. SerroY) qui ne doit pas se lire seulement au premier degré : comme le rêve erotique, elle a un sens initiatique (6), le plaisir étant le mode le plus adéquat de notre participation à la vie universelle. Toute cette « nouvelle philosophie » respire le libertinage.



La première édition, fin 1622 ou début 1623, s'arrête là, inachevée. L'orientation de la seconde partie, même si elle a été accentuée par la condamnation de Théophile, était sans doute prévue. Car elle repasse, à l'envers, par les mêmes étapes que la première : les paysans et une cour (VI et IX-X), l'amour et un groupe d'amis (V et X), Hortensius, les comédiens, les bons rours (III-IV et X-XI), Emilie et Nays (XII), qui sont la réplique et l'inverse de Laurette (I). Comme si Francion repassait par les mêmes expériences pour en mesurer l'insuffisance. La première partie était une ascension sociale et sensuelle, mais cette quête temporelle et charnelle, centrée sur Laurette, se révélait finalement décevante, comme l'annonçait la vieille et hideuse Agathe, image obsédante de l'avenir de Laurette. La seconde, pleine d'épreuves, est tendue vers l'image idéale de Nays. Dans quelle mesure cette conversion était-elle inscrite dans le projet originel (probablement impréciS) - ce qui conduirait à accentuer la lecture symbolique de la fête chez Raymond ? Si elle n'est pas la cause de la réorientation spiritualiste, la condamnation de Théophile a entraîné la réduction de la dimension erotique et subversive en général, remplacée par un romanesque banal, si bien que les aventures précédentes peuvent passer pour péché de jeunesse. Le texte initial de la première partie est censuré : le rêve erotique est écourté et justifié par une explication rassurante, le plaidoyer pour l'émancipation sexuelle des adolescents disparaît, ainsi que des passages et expressions trop lestes. Mais cette censure est surtout verbale. Les attaques de fond, la philosophie libertine sont conservées jusqu'à l'édition moralisatrice de 1633. Et la caricature du pédant Hortensius s'aggrave : elle vise Balzac, qui avait renié Théophile.



Francion est aussi une description pittoresque et satirique de la société : entremetteuses et prostituées, archers et commissaires, écrivains et libraires, écoliers et pédants, pages et domestiques, juges et avocats, bourgeois, nobles de cour et de campagne. Un regard sympathique sur le peuple (sauf les paysans, rustiques et ridiculeS) ; une hargne contre les parvenus et surtout les petits parvenus - pédants, marchands, officiers - du milieu dont sortait Sorel lui-même, qui retourne la tradition satirique bourgeoise contre la bourgeoisie. Au fond, une vision pessimiste de la société, de l'idéologie, de l'homme tel qu'il est, et une réaction éliriste d'optimisme énergique et avide, qui se veut essentiellement morale mais ne peut s'empêcher d'être sociale. Le héros est un noble. L'association de « généreux » qu'il prône accepte les bourgeois... à condition qu'ils se renient. Sur ce plan aussi, les choses changent en 1626 : l'ordre moral va de pair avec l'ascension de la bourgeoisie. Le texte de 1623 affecte de « mépriser les âmes viles de tant de faquins qui [...] croient être quelque chose à cause de leurs richesses ou de leurs ridicules offices ». Celui de 1626, au contraire, blâme « l'impertinence des courtisans, qui s'estiment plus que les bourgeois des villes, qui valent quelquefois mieux qu'eux » et s'ouvre par une épître « aux Grands » qui proclame la supériorité de la vertu sur la naissance. L'édition de 1633 confirme l'évolution. Vingt-cinq pages de satire contre les « âmes viles », « abjectes » et « stupides » des officiers bourgeois sont désormais imputées à un vieux « gentilhomme champêtre [...] qui méprise toutes les autres conditions ».

« Dans mon livre, on peut trouver la langue française tout entière » ; « l'on n'écrit jamais mieux que quand l'on ne suit que la Nature et son génie » (Aux lecteurs, 1626). Francion est la dernière grande ouvre antérieure au triomphe d'une langue unifiée et distinguée. Ici parlent tous les milieux sociaux et leurs diverses options. Avide de pittoresque, le dynamisme de l'écrivain amalgame leurs langages avec une fantaisie sans entraves - notamment chez le fou. Ici encore, l'édition de 1626, soucieuse de clarté, de « naturel », de morale, marque un appauvrissement qui n'est pas seulement lexical et stylistique, mais narratif et structurel. En 1623, la parole circulait de l'auteur au narrateur et au héros, qui lui-même la distribuait à d'autres narrateurs. Dans les ajouts de 1626, interventions de l'auteur et délégations de voix se réduisent. Le narrateur gouverne plus étroitement un récit plus intégrant : le héros perd de sa liberté d'organisation narrative.

N'oublions pas les défauts. En dehors du début, de la foule parisienne (au Palais, dans la cour du Louvre, chez les libraires, sur le Pont-NeuF), de la vie au collège, du rêve (III), des propos du fou Col-linet (V), de la fête (VII), autrement dit en dehors du reportage satirique fondé sur l'expérience personnelle, de l'invention verbale et de l'imagination erotique, le Francion est souvent ennuyeux, avec ses descriptions et discours interminables.



Francion eut un vif succès : quinze éditions en dix ans. Mais celle de 1623 était radicalement opposée à la discipline esthétique et morale qui s'instaura aussitôt, comme à l'idée d'une nature commune à tous et à l'idéal à'aurea mediocritas du moment absolutiste, rationaliste, moraliste et classique. L'édition de 1626 témoigne d'une première soumission, encore formelle. Elle s'accentue fortement en 1633, avec une dédicace où l'auteur se démarque de son héros et un livre XII, inutile, sinon pour conclure que Francion est devenu tellement plus sage « que l'on n'eût pas dit que c'eût été lui-même ». Des moralités édifiantes, ajoutées aux principaux épisodes, en retournent le sens. L'ouvre devient pesante. Dans les ajouts, le style indirect fait reculer la libre parole.



Contemporain du Francion, Le Romant Satyrique de Jean de Lannel (1624), rocambolesque, sentimental, sensuel, est aussi une verte étude de mours, d'un genre que la normalisation va proscrire.





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