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UN MOT FRANCO-EUROPÉEN : LA RENAISSANCE






Le mot de Renaissance a une étonnante fortune européenne. Elle commence au moment où, chose étrange, Jacob Burckhardt dans un livre qui devait faire époque sur Die Kultur der Renaissance in Italien, paru en 1859, se servit du mot français pour décrire une époque de la culture italienne. Il est vrai que Burckhardt n'est pas le premier à se servir du mot en allemand. Le premier qui le fit est Éduard Kolloff, critique d'art allemand, qui vivait à Paris et qui en 1840 publia un essai avec le titre Die Entwicklung der modemen Kunst aus der antiken bis zur Epoche der Renaissance. Un an après, Heinrich Heine parlera de la nouvelle mode de la Renaissance à Paris dans un article pour la Augsburger Allgemeine inséré plus tard dans son livre Lutetia. Dans une rêverie de flâneur Heine parle d'abord du nouveau danger du communisme pour ensuite, dans un changement brusque de ses idées, parler des objets dans le style de la Renaissance qu'offrent les étalages des magasins élégants :





C'est une vie animée, exprimée dans de l'or, de l'argent, du bronze et des pierreries, dans toutes sortes de formes, surtout dans les formes du temps de la Renaissance, dont l'imitation est dans ce moment la mode régnante. D'où vient cet engouement pour le temps de la Renaissance, qu'on serait en droit d'appeler le temps de la résurrection, le temps où le monde antique sortit du tombeau, avec tous ses splendides enchantements, dont il voulait embellir les dernières heures du Moyen Age ? Notre époque actuelle se sent-elle de l'affinité avec cette autre période qui, languissant comme nous après une nouvelle boisson vivifiante, chercha dans le passé une fontaine de Jouvence ? Je ne sais. Mais le temps de François Ier et de ses contemporains du même goût exerce sur notre cour un charme presque effrayant, comme le souvenir d'une vie secrète que nous aurions traversée en songe ; et puis, il y a quelque chose de magique, de singulièrement hardi, de mystérieusement original, dans la manière dont cette époque a su travailler et absorber en elle l'antiquité retrouvée. Là, nous ne voyons pas, comme dans l'école de David, une imitation sèche et académique de la plastique grecque, mais une harmonieuse identification du génie antique avec le spiritualisme chrétien. Les formes de l'art et de la vie, qui ont dû leur existence aventureuse à l'union de ces deux éléments tout à fait hétérogènes, portent l'empreinte d'un esprit si mélancolique et si doux, d'un baiser de réconciliation à la fois si rêveur et si ironique, d'une volupté si élégante et d'une joie si funèbre et si sinistre, que nous en sommes saisis de frissons et subjugués, nous ne savons comment.



Revenons à Burckhardt et à l'effet calculé du titre de son livre célèbre. Puisque le mot de Renaissance, die Renaissance, est devenu un terme technique de la langue allemande, aujourd'hui on n'entend plus la provocation sémantique que cette mise en relation entre le mot français et son réfèrent italien signifiait. Mais c'est justement cette provocation que le titre visait. Il fallait probablement être savant et homme de lettres suisse pour pouvoir sentir à quel point la copré-sence des cultures française, italienne et allemande - puisque c'est un livre écrit en langue allemande et nourri d'une discipline allemande du savoir - constituait une unité. En effet, le moment où Burckhardt présentait son livre sur une époque à la fois essentiellement italienne et essentiellement européenne était marqué dans toute l'Europe par les idéologies nationalistes élevant des voix de plus en plus sourdes et menaçantes. Il fallait alors rappeler à une élite européenne ce qui faisait l'unité du monde moderne et que les nationalismes divers en Europe étaient eux-mêmes le symptôme d'une crise sur le plan européen. Cet appel tacite qui donnait au livre de Burckhardt son pathétique discret avait une résonance puissante partout en Europe. Ce mot français que Burckhardt avait proposé comme mot européen pour désigner un moment extraordinaire de la culture européenne permettait de centrer et d'organiser un savoir et une expérience du XVIe siècle que les romantismes européens avaient déjà accumulés. Entre 1875 et 1886 paraissait la History ofthe Italian Renaissance de John A. Symonds, livre capital dans sa conception précise et son savoir immense, et peut-être même supérieur à celui de Burckhardt. L'article Renaissance du même auteur dans l'Encyclopaedia Britannica de 1883 est un résumé des tendances diverses de cette époque, qui a conservé sa validité jusqu'à nos jours. Dans ces années aussi, Nietzsche, l'ami de Burckhardt et son collègue à l'université de Bâle, s'approprie le mot et lui donne la valeur d'un mot-clé pour désigner la seule époque moderne qui puisse entrer en concurrence avec la culture de la Grèce antique. A Bâle toujours, Heinrich Wolfflin, dans son livre dédié à Burckhardt, Die Klassische Kunst. Eine Einfuhrung in die italienishe Renaissance, paru en 1894, essaie de donner une nouvelle unité à l'art du cinquecento. Dans Wolfflin le mot de Renaissance sert déjà comme terme technique pour désigner une époque dans l'histoire de l'art sans que la tension entre le mot français et son réfèrent italien soit encore réalisée. Un an avant le livre de Wolfflin, en 1893, parut la dissertation de Aby Warburg Botticellis « Geburt der Venus » und « Friihling ». Cette ouvre devait fonder un projet extraordinaire de recherches continues sur la Renaissance. Dans les années 20, la Bibliothèque Warburg devint un centre d'études sur la Renaissance autour duquel toute une phalanx des meilleurs chercheurs se rassemblaient. Dans le contexte de la Bibliothèque Warburg, Ernst Cassirer publiait son livre Individuum und Kosmos dédié à Warburg pour son soixantième anniversaire. Quand la Bibliothèque Warburg, en 1934, dut céder au fanatisme nationaliste et raciste et qu'en Angleterre elle trouva un nouveau foyer, une élite internationale de la recherche sur la Renaissance continua le travail inauguré par son fondateur.

Mais la réception européenne du mot français de Renaissance devait avoir aussi des conséquences pour les recherches en France même. C'est alors que la perspective, qui d'abord en France avait été concentrée sur le XVIe siècle français, s'ouvrait pour concevoir la Renaissance de la France dans son contexte italien et européen. Je ne voudrais mentionner ici que les travaux d'Eugène Miintz pour qui la Renaissance, en effet, est devenue une époque franco-italienne. De l'autre côté, Francesco de Sanctis donne au concept de la Renaissance son équivalent italien quand, dans son Histoire de la littérature italienne, il esquisse au début du chapitre II une brève caractéristique du cinquecento, qu'il met sous le concept de Rinascimento :



Nous sommes au cinquecento. Le monde gréco-latin se présente à l'imagination comme une espèce de Pompéi que tous veulent visiter et étudier. L'Italie retrouve ses Anciens, les Boccace se multiplient, l'impulsion donnée par lui et par Pétrarque devient une fièvre ou, pour dire mieux, ce courant électrique qui en certains moments parcourt toute une société et la remplit du même esprit. Cette même activité qui avait jeté l'Europe des Croisades en Palestine, et qui plus tard la poussa vers les Indes et lui fit trouver l'Amérique, amène alors les Italiens à exhumer le monde romain resté si longtemps sous les cendres de la barbarie. Cette langue était leur langue à eux et ce savoir était leur savoir. Les Italiens avaient l'impression d'avoir retrouvé la connaissance et la possession d'eux-mêmes, de renaître à la civilisation. Et la nouvelle époque fut appelée il Rinascimento.



Pour de Sanctis aussi, le mot français qu'il adopte sous une forme italianisée a passé par Burckhardt. Quand de Sanctis entre 1856 et 1860 enseignait la littérature italienne à l'école polytechnique de Zurich, il devint I' ami de Burckhardt et se familiarisa avec ses idées.



Cette nouvelle présence d'un mot, d'un concept d'époque et d'un savoir mis en circulation à travers toute l'Europe était accompagnée d'une nouvelle actualisation de la Renaissance par la littérature et par les arts contemporains. Ce n'est un paradoxe qu'à première vue que la fin de siècle européenne soit aussi une époque européenne sous le signe de la Renaissance.

Pour que le mot français de Renaissance puisse devenir un mot européen, il fallait un long trajet et une longue histoire sémantique. De cette histoire il sera question maintenant. Cependant il faut, pour comprendre le trajet du mot en France et son enrichissement sémantique progressif, remonter vers ses débuts italiens. J'esquisserai ensuite en quelques lignes l'histoire du mot jusqu'au moment où, au XIXe siècle, il devint un mot d'époque.

Les histoires du mot Renaissance - et il n'en manque pas - ont l'habitude de commencer avec Pétrarque et sa conception d'une interruption de l'histoire par ces siècles barbares qu'il appelle le temps des ténèbres. Mais l'essor des mots désignant l'espoir d'une résurrection d'un temps meilleur - rinascere, risorgere - mène plus loin. Celui qui le premier donna à ces mots une nouvelle intensité et les chargea d'un nouvel espoir, c'est Dante. Quand au début du premier chant du Purgatorio le poète dit : « Ma qui la morta poesi resurga », cette renaissance de la poésie correspond au passage du monde infernal des ténèbres vers le nouveau monde de l'espoir et de la nouvelle lumière qu'est le Purgatorio.



Dolce color d'oriental zaffïro, che s'accoglieva nel sereno aspetto del mezzo, puro infino al primo giro, a gli occhi mieu ricominciô diletto, tosto ch'io usci' fuor de l'aura morta che m'avea contristati li occhi e'1 petto.



Et à la fin du Purgatorio le poète purifié, se préparant aux extases de la lumière qu'est le Paradiso, peut dire de lui-même :



Io ritornai da la santissima onda rifatto si corne piante novelle rinovellate di novella fronda, puro e disposto a salire a le stelle.



Pétrarque s'est servi du grand antagonisme métaphysique entre le monde des ténèbres et le monde de la lumière chez Dante pour donner à cette opposition un nouveau sens historique. Nous pouvons l'observer par exemple dans le sonnet 34 du Canzoniere, sonnet initialement destiné à inaugurer tout le livre. C'est là que le poète s'adresse à Apollon avec la prière de bien vouloir, après un temps de froideur et de ténèbres, revenir pour rendre la lumière au laurier, objet aimé d'Apollon, mais aussi du poète présent qui, par son identification avec le dieu de la poésie antique, se veut être son vrai successeur. Ainsi dans son épopée Afrique Pétrarque se fait prédire par la voix d'Ennius qu'il sera le vrai rénovateur de la poésie antique : « Tune helicona nova revirentem stirpem videbis », « alors tu verras à la nouvelle source héliconienne le nouveau rejeton reverdissant ». Pétrarque n'était pas seulement le plus fin poète lyrique de son époque et un de ses hommes les plus lettrés, il était aussi un propagandiste génial. C'est ainsi que, lançant le slogan des siècles ténébreux, il réussit en effet à créer un stéréotype assez puissant pour détourner la circulation d'un savoir historique pendant un temps considérable de ces siècles qui peu à peu devinrent obscurs par manque d'intérêt en eux. Pétrarque voyait bien la supériorité de l'antiquité chrétienne sur l'antiquité païenne. Son espoir en un retour de l'ancienne gloire de l'empire romain avec son centre Rome tombé dans l'insignifiance n'avait rien d'antichrétien. Pétrarque ne glorifiait pas l'antiquité païenne pour elle-même. Mais quand, deux siècles plus tard, Giorgio Vasari écrira son histoire biographique de l'art moderne en Italie, il n'hésitera pas à trouver dans le christianisme la raison principale de la destruction de l'art antique. Ainsi l'idée pétrarquienne d'un seuil historique est centrée à neuf. Vasari, pour qui Giotto a ouvert la nouvelle voie de l'art italien vers une renaissance de l'art antique, indique la possibilité que l'art moderne pourrait non seulement égaler l'art antique, mais encore le surpasser : « [...] venghiamo aile cose più chiare, délia loro perfezione e rovina e restaurazione e per dir meglio, rinascita ; délie quali con molto migliori fondamenti potremo ragionare ». Le mot de rinascita chez Vasari, qui donne au verbe rinascere une nouvelle consistance terminologique, est le point de départ de l'histoire du mot en France. C'est ainsi que Pierre Belon dans un passage célèbre de la dédicace pour son ouvre Observations de plusieurs singularitez et choses mémorables, trouvées en Grèce, Asie, Iudée, Egypte, Arabe et autres pays estranges (Paris 1553) écrit:



De la est ensuivy que les esprits des hommes qui auparavant estoyent comme endormis et detenuz assopiz en un profond sommeil d'ancienne ignorance ont commencé à s'éveiller et sortir des ténèbres ou si long temps estoyent demeurez ensueliz et en sortant ont iecté hors et tiré en évidence toutes espèces de bonnes disciplines lesquelles à leur tant heureuse et désirable renaissance, tout ainsi que les nouvelles plantes après saison de l'hyver reprennent leur vigueur à la chaleur du Soleil et sont consolées de la doulceur du printemps.



La renaissance des disciplines se concrétise surtout dans deux formules : celle de la renaissance des arts suivant Vasari et celle de la renaissance des lettres, conception authentiquement française qu'on trouve pour la première fois dans le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, terme qui deviendra essentiel pour toute la philosophie de l'histoire au Siècle des Lumières. Voltaire surtout s'est servi du concept de « renaissance des lettres » pour donner à l'époque italienne de Léon X le prestige d'une des époques les plus fleurissantes de l'Europe et de celle qui fut l'origine des lumières modernes. Il donne au stéréotype humaniste d'une époque de ténèbres suivie par une époque du retour des lumières, une interprétation moderniste. L'époque de la renaissance des lettres devient alors le point de départ d'un progrès des lumières et ainsi d'un dynamisme du monde moderne. Cette conception d'un progrès plus ou moins constant des lumières dans le monde moderne trouve son élaboration la plus ambitieuse dans l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1795) de Condorcet. En faisant du progrès la loi élémentaire de l'histoire de l'homme, Condorcet avait cependant des difficultés d'autant plus grandes à expliquer pourquoi seuls les siècles qu'on était convenu d'appeler le Moyen Age devaient être exceptés de cette loi. Le topos humaniste des ténèbres du Moyen Age qui s'adaptait si bien aux idées du Siècle des Lumières sur le sens de l'histoire entre dans sa phrase critique par une radicalisation de cette conception même.

L'essai de Madame de Staël De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, paru en 1800, marque un point tournant dans la conception du Moyen Age aussi bien que dans celle de la renaissance des lettres. Pour la première fois. Madame de Staël met en question la relation topique entre les ténèbres du Moyen Age et la renaissance des lettres. C'est ainsi qu'elle donne au concept de renaissance une perspective tout à fait nouvelle. En donnant au Moyen Age une valeur positive pour l'évolution culturelle, elle rend à la conception historique de Condorcet une cohérence que celle-ci ne pouvait pas encore trouver. La renaissance des lettres présuppose une continuité non interrompue de l'évolution culturelle pendant le Moyen Age :



En parcourant les révolutions du monde et la succession des siècles, il est une idée première dont je ne détourne jamais mon attention ; c'est la perfectibilité de l'espèce humaine. Je ne pense pas que ce grand ouvre de la nature morale ait jamais été abandonné ; dans les périodes lumineuses, comme dans les siècles de ténèbres, la marche graduelle de l'esprit humain n'a point été interrompue.



Ainsi



Quand on voit, à la renaissance des lettres, la pensée prendre tout à coup un si grand essor, les sciences avancer en peu de temps d'une manière si étonnante, on est conduit à croire que, même en faisant fausse route, l'esprit acquérait des forces qui ont hâté ses pas dans la véritable carrière de la raison et de la philosophie.



Ce sont donc les siècles barbares qui, dans une certaine mesure, ont préparé les bases de la culture moderne telle qu'elle s'est montrée si brillamment au moment où la renaissance des lettres commençait. En différenciant le Moyen Age d'une nouvelle époque de la renaissance des lettres, Madame de Staël n'opère plus une différenciation qualitative, mais descriptive. Au moment seulement où le Moyen Age est conçu dans sa valeur propre, il peut être suivi par une nouvelle époque pour laquelle l'étiquette de Renaissance prend alors plutôt une valeur distinctive qu'une valeur qualitative. C'est à cette condition qu'en France un discours de la Renaissance en tant qu'époque particulière peut s'ouvrir. Mais avant que la renaissance des lettres soit transformée en lettres de la Renaissance, avant que le mot de Renaissance puisse se libérer de ses compléments et devenir ainsi une conception acceptée par la pensée historique de toute l'Europe, il fallait encore d'autres conditions que j'essaierai d'esquisser en quelques mots.

Il faut, pour concevoir la naissance de la Renaissance, se rendre compte de la situation politique dans laquelle l'essor du mot comme terme désignant une époque pouvait se déclencher. L'actualisation du XVP siècle dans la France de la Restauration se fait dans un contexte qu'on pouvait bien appeler de mythologie politique. Quand, après la défaite de Napoléon, la monarchie fut restaurée avec Louis XVIII, celui-ci décida dès le début de sa prise de pouvoir de comparer son régime à celui de Henri IV. Ce roi qui avait mis fin à une guerre civile atroce était le modèle idéal d'un roi qui de nouveau voulait pacifier la France. C'est pour cette raison que l'entrée triomphale de Louis XVIII se fit sur le Pont Neuf où on avait rétabli le monument de Henri IV que les révolutionnaires avaient démoli pour en fondre des canons. Nous en avons le témoignage d'Etienne Jouy :



Lorsque la voiture royale s'arrêta devant la statue de Henri IV, qui semblait avoir été replacée là par enchantement, un concert mélodieux fit entendre les airs chéris du peuple. Tous les yeux, tous les cours, se portaient alternativement de Louis XVIII à Henri IV, dont les traits semblaient revivre sous le plâtre. [...] En passant devant cette statue du chef de la maison royale, du meilleur et du plus brave des princes, les troupes le saluèrent d'une voix unanime : Vive le roi ! Vivent les Bourbons ! Le peuple répondit à ce cri d'amour ; et Louis XVIII en présence de son aïeul, sembla par le regard qu'il jeta sur son image, le prendre à témoin de l'engagement qu'il venait de renouveler au pied des autels.

Je ne peux pas supprimer ici un petit détail anecdotique. Puisque le temps manquait, il n'était pas possible de reconstruire le monument en bronze. Il fallait donc un monument en plâtre. Le cheval dont on prit le moule pour en faire celui de Henri IV fut un des chevaux du quadrige de la Porte de Brandebourg à Berlin que Napoléon avait transportée à Paris et qui, aux Champs-Elysées, attendait d'être retransportée à Berlin. En 1818 le nouveau monument de bronze fut inauguré à la fête de la Saint Louis dans le cadre de grandes festivités publiques qui furent suivies d'un bal populaire au Pont Neuf et d'une ascension spectaculaire de ballon. Une lithographie du temps montre le peuple de Paris qui tire le nouveau monument à l'aide de cordes vers son lieu de destination. Victor Hugo retient ce moment dans son Ode sur le rétablissement de la statue de Henri IV :



Par mille bras traîné, le lourd colosse roule.

Ah ! volons, joignons-nous à ces efforts pieux.

Qu'importe si mon bras est perdu dans la foule !

Henri me voit du haut des cieux.

Tout un peuple a voué ce bronze à ta mémoire,

O chevalier, rival en gloire

Des Bayard et des Duguesclin !

De l'amour des Français reçois la noble preuve.

Nous devons ta statue au denier de la veuve,

A l'obole de l'orphelin.



La statue en plâtre devenue inutile fut transportée dans la Salle des Français illustres au Louvre où on pouvait encore l'admirer en 1819 lors de la première exposition industrielle qui se tint au Louvre et dont devait résulter la tradition des grandes expositions mondiales à Paris. Mais c'est là aussi, au Louvre, et dans le contexte précis d'une nouvelle actualisation du siècle de Henri IV que le mot de Renaissance devait trouver son sens moderne de nom d'époque. Le recours de la Restauration au siècle de Henri IV est à l'origine de deux musées qui en ce temps furent fondés au Louvre. Le 8 juillet 1824 est inaugurée la Galerie d'Angoulême. Elle porte ce nom en honneur du Duc d'Angoulême qui, en 1814 à Bordeaux, avait proclamé Louis XVIII, le nouveau roi des Français. Ce musée d'art plastique du Moyen Age et de la Renaissance comprenait une grande partie des pièces qu'Alexandre Lenoir avait, dans son Musée des Monuments nationaux, sauvées de la fureur de destruction révolutionnaire. Quand en 1816 le musée fut dissout et une partie de sa collection rendue à ses anciens propriétaires, une autre partie fut rendue au Louvre. Ces pièces sont à l'origine de la collection de la Galerie d'Angoulême où pour la première fois un style particulier de l'art plastique du XVIe siècle en France pouvait être étudié. Dans son numéro du 5 juillet 1824 le Journal des Débats décrivait le musée qui sera prochainement ouvert :



Les travaux du rez-de-chaussée du Louvre se poursuivent avec activité, et cinq nouvelles salles de ce palais viennent d'être terminées. Le Musée consacré à recevoir les chef-d'ouvres de la sculpture depuis la renaissance portera, d'après une décision de S. M. le nom de Galerie d'Angoulême. C'est sous les auspices de ce nom auguste que ces nouvelles salles seront ouvertes au public le 8 juillet courant.



Si je ne me trompe, nous avons ici une des premières occurrences de l'emploi absolu de « renaissance » en tant que terme de style aussi bien que d'époque. Trois ans après la fondation du Musée d'Angoulême, une nouvelle collection présentée au public portera le nom du roi Charles qui, aussi, en 1824, avait succédé à Louis XVIII. Ce musée, d'une présentation élégante, contenait une collection de vases étrusques, d'antiquités égyptiennes, grecques et romaines et également une collection de vases et de bibelots de la Renaissance française. Les nouvelles salles furent décorées avec des peintures ayant surtout comme sujet le passage de la culture de l'Antiquité grecque à la Renaissance française. Et est-ce un hasard si pendant ce même temps l'École des Beaux-Arts, qui avait trouvé son lieu définitif au couvent des Augustins, là où Alexandre Lenoir avait installé son Musée des Monuments Nationaux, devint un foyer d'attention au style de la Renaissance ? Un des premiers bâtiments conçu dans ce style était justement le bâtiment principal de l'école dont la façade dans le style de la Renaissance réalisée selon les plans de l'architecte Duban fut terminée en 1830.



Il semble que la nouvelle conception d'une époque de la Renaissance soit née dans le contexte d'une politique culturelle de la Restauration et se réfère d'abord aux nouvelles collections du Louvre. Nous en avons un témoignage assez précieux qui, me semble-t-il, n'a pas encore été pris à sa juste valeur. La première attestation peut-être d'un emploi absolu du mot de renaissance en tant que terme d'époque que nous ayons en littérature se trouve dans un conte de Balzac terminé en 1829, Le bal de Sceaux. C'est une étude physionomique de la Restauration. Là, le narrateur dit de la jeune Emilie de Fontaine : « Elle raisonnait facilement sur la peinture italienne ou flamande, sur le Moyen Age ou la Renaissance... ». Quand on réalise que c'est en juillet 1824 que l'action se déroule, il semble assez évident que la jeune Emilie de Fontaine ait visité au Louvre la nouvelle Galerie d'Angoulême et étudié là les différents styles d'époque. Qu'il s'établisse dans cette histoire une affinité particulière entre Restauration et Renaissance n'est peut-être pas sans signification. Non seulement pouvons-nous dans le tableau de Condorcet, à chaque moment où il parle de restauration, remplacer ce terme par celui plus courant de renaissance, mais il semble surtout que l'usage de parler du temps présent avec une formule d'époque qui avait d'abord servi en Angleterre, c'est-à-dire la Restauration, pouvait devenir, pour ainsi dire, le modèle du nouveau terme d'époque, « la Renaissance ».

Il semble que la critique littéraire, une fois le mot de Renaissance mis en circulation, s'en soit bientôt servie avec prédilection. En 1826, l'Académie française avait donné comme sujet de son concours un Discours sur l'histoire de la langue et de la littérature française depuis le commencement du XVIe siècle jusqu'en 1610. Il est fort probable que cette initiative n'était pas sans relation avec la politique culturelle de la Restauration et son nouveau mythe de Henri IV. Sainte-Beuve répondit à cette suggestion de revaloriser l'époque, qui avait été quasi entièrement refoulée par le siècle classique, en donnant son Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle (1828) qui remporta le prix de l'Académie. D'abord Sainte-Beuve se réfère encore au concept de la renaissance des lettres pour marquer le seuil entre Moyen Age et Humanisme. Dans ses remarques finales cependant, où la poésie du XVIe siècle français est considérée dans un large cadre philosophique, il passe de la désignation d'un seuil d'époque à la nouvelle conception de Renaissance comme nom d'époque, même si celui-ci se rapporte toujours au concept traditionnel de la renaissance des lettres. A la fin du Moyen Age, Sainte-Beuve voit une époque de synthèse entre tradition médiévale et nouvelle présence du monde antique qui, en Italie et en Angleterre, aurait produit une grande littérature à laquelle la France cependant n'aurait presque rien à opposer :

Il y eut alors pour les nations modernes un instant décisif. Les traditions religieuses, féeriques et chevaleresques, subsistaient encore dans toute leur force et leur éclat ; et de plus la parole, travaillée et assouplie par le temps, l'usage et l'étude, se prêtait à consacrer ces souvenirs récents et chers. Le Dante, l'Arioste et le Tasse ; Spenser, Shakespeare et Milton, appartiennent à cette époque opportune de la renaissance. Leurs admirables poèmes, placés au confluent de l'Antiquité et du Moyen Age, s'élèvent comme des palais magiques sur des îles enchantées, et semblent avoir été doués à l'envi de toutes leurs merveilles par les fées, les génies et les Muses. En France malheureusement rien de pareil n'arriva. Ce confluent, ailleurs si pittoresque et si majestueux, ne présente chez nous qu'écume à la surface, eaux bourbeuses et fracas bientôt apaisé.



Sainte-Beuve suit la ligne officielle quand il postule que la littérature moderne en France, la littérature romantique donc, devrait trouver son identité historique derrière le seuil du classicisme. Mais puisque, selon lui, la poésie française du XVIe siècle n'avait produit rien de comparable à ce qui s'était fait en Italie et en Angleterre, celle-ci n'est pas vraiment capable de montrer à la poésie moderne son chemin. Et pourtant c'est, aux yeux de Sainte-Beuve, l'importance historique de l'époque que ces essais encore timides désignent un devoir que la littérature classique ne pouvait pas réaliser et qui reste donc à accomplir par la poésie présente.



En secouant le joug des deux derniers siècles, la nouvelle école française a dû s'inquiéter de ce qui s'était fait auparavant, et chercher dans nos origines quelque chose de national à quoi se rattacher. A défaut de vieux monuments et d'eeuvres imposantes, il lui a fallu se contenter d'essais incomplets, rares, tombés dans le mépris ; elle n'a pas rougi de cette misère domestique, et a tiré de son chétif patrimoine tout le parti possible avec un tact et un goût qu'on ne saurait trop louer.



Le romantisme devient dans cette perspective une renaissance présente qui doit achever ce qui dans la Renaissance italienne et anglaise s'annonce déjà comme pressentiment du romantisme. En ceci. Sainte-Beuve continue des idées chères au romantisme allemand. Chez les frères Schlegel, mais également dans l'Esthétique de Hegel, l'affinité profonde entre Renaissance (même si le mot manque encorE) et Romantisme est si profonde que la poésie de la Renaissance pouvait devenir le paradigme de la poésie romantique. Quand Sainte-Beuve, partant de la conception de renaissance des lettres, conçoit pour la première fois l'idée d'une unité de la Renaissance en tant qu'époque. il fait de la relation privilégiée entre Renaissance et Romantisme l'axe de sa réflexion.

Il fallait bien que le terme de renaissance devienne un terme profondément français pour pouvoir devenir un terme européen. Ce sont d'abord des données particulières à la France, données politiques aussi bien que données culturelles, qui dominent la nouvelle portée de l'emploi du mot en tant que terme d'une époque proprement française. C'est en France seulement où derrière l'absolutisme de Louis XIV surgissait la figure d'un roi du peuple et de la pacification, et c'est au-delà du siècle classique que peu à peu se dessinent les contours d'un siècle non moins riche en art et en littérature, siècle chargé d'affinités avec le moment présent.

Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, paru en 1831, est la première ouvre de fiction qui fasse du passage entre le Moyen Age et la Renaissance son vrai sujet. Tandis que chez Sainte-Beuve le nom de l'époque et son concept étaient encore dans une cohérence immédiate, le nom de l'époque chez Victor Hugo s'est émancipé de sa signification originelle. Car pour Hugo l'époque de la Renaissance est essentiellement une époque de la décadence et de la destruction d'une continuité, d'une rupture donc. C'est en même temps une époque d'illégitimité esthétique où le style gothique est remplacé par un classicisme anémique.

Mais, dès le XVIe siècle, la maladie de l'architecture est visible ; elle n'exprime déjà plus essentiellement la société, elle se fait misérablement art classique ; de gauloise, d'européenne, d'indigène, elle devient grecque et romaine, de vraie et de moderne, pseudo-antique. C'est cette décadence qu'on appelle renaissance.

Mais l'attitude de Victor Hugo devant la Renaissance est profondément ambiguë. En même temps que dans Notre-Dame de Paris il oppose un Moyen Age florissant à une Renaissance décadente, dans les Feuilles d'automne, ouvre parue en 1831 également, il voit le XVIe siècle sous une lumière radicalement différente :

L'art, et l'auteur de ce livre n'a jamais varié dans cette pensée, l'art a sa loi qu'il suit, comme le reste a la sienne. Parce que la terre tremble, est-ce une raison pour qu'il ne marche pas ? Voyez le XVIe siècle. C'est une immense époque pour la société humaine, mais c'est une immense époque pour l'art. C'est le passage de l'unité religieuse et politique à la liberté de conscience et de cité, de l'orthodoxie au schisme, de la discipline à l'examen, de la grande synthèse sacerdotale qui fait le Moyen Age à l'analyse philosophique qui va le dissoudre ; c'est tout cela ; et c'est aussi le tournant magnifique et éblouissant de perspectives sans nombre, de l'art gothique à l'art classique. Ce n'est partout, sur le sol de la vieille Europe, que guerres religieuses, guerres civiles, guerres pour un dogme, guerres pour un sacrement, guerres pour une idée, de peuple à peuple, de roi à roi, d'homme à homme, que cliquetis d'épées toujours tirées et de docteurs toujours irrités, que commotions politiques, que chutes et écroulement des choses anciennes, que bruyant et sonore avènement des nouveautés ; en même temps, ce n'est dans l'art que chefs-d'ouvre. On convoque la diète de Worms, mais on peint la chapelle Sixtine. Il y a Ludier, mais il y a Michel-Ange.



Michelet semble s'être souvenu de ces phrases tonnantes quand il écrivit son livre sur la Renaissance, grande synthèse d'un nouveau discours qui avait ses origines autour du Louvre dans les années 20. Comme première synthèse il y a surtout avant Michelet, l'ouvre collective en plusieurs volumes Le Moyen-Age et la Renaissance (Paris 1848-1854), éditée par Paul Lacroix, c'est-à-dire le bibliophile Jacob. Ce grand travail d'ensemble se veut une histoire européenne de la culture entre le Xe et le XVIe siècles. Dans la perspective de Lacroix, le Moyen Age et la Renaissance sont encore une grande unité, tandis que la vraie césure, le vrai seuil d'une nouvelle époque se place à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle. A ce livre de synthèse entre le Moyen Age et la Renaissance correspond la fondation d'un nouveau musée au Louvre, le Musée du Moyen Age et de la Renaissance (1849). Là aussi, le seuil du monde moderne est le commencement du siècle classique. Michelet, au contraire, dans son livre qui deviendra le lieu d'où le mot de Renaissance puisse prendre son essor européen, fait commencer le monde moderne avec le commencement du XVIe siècle ou plutôt avec ce moment où les soldats émerveillés de Charles VIII en 1494 découvrirent un nouveau monde en Italie.



[...] c'est le choc de deux mondes, mais bien plus, de deux âges qui semblaient si loin l'un de l'autre ; le choc et l'étincelle ; et de cette étincelle, la colonne de feu qu'on appela la Renaissance.

Que deux mondes se heurtent, cela se voit et se comprend ; mais que deux âges, deux siècles différents, séparés ainsi par le temps, se trouvent brusquement contemporains ; que la chronologie soit démentie et le temps supprimé, cela paraît absurde, contre toute logique. II ne fallait pas moins que cette absurdité, ce violent miracle contre la nature et la vraisemblance, pour enlever l'esprit humain hors du vieux sillon scolastique, hors des voies raisonneuses, stériles et plates, et le lancer sur des ailes nouvelles dans la haute sphère de la raison.



Pour Michelet, c'est l'appropriation française de la Renaissance italienne qui donne à l'époque son sens progressif et qui en fait l'époque de fondement du monde moderne. La France du XVIe siècle deviendra le lieu où une nouvelle foi profonde dans l'homme prendra ses racines, foi qui trouvera toute sa réalisation humanitaire au moment où la Révolution française éclate et donne au peuple un signal pour l'avenir. « La découverte du monde, la découverte de l'homme », telle est la formule retentissante avec laquelle Michelet donne à l'Europe la vision d'une époque à la fois profondément française et encore plus profondément européenne. Ce sera cette formule qui permettra à Jacob Burkhardt de donner à la Renaissance italienne sa portée européenne, tout en donnant avec Michelet à l'essor de l'esprit moderne en Italie son empreinte française.






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