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Théophile Gautier






Commençons par la fameuse définition que Théophile Gautier donne de lui-même : « Je suis un homme pour qui le monde visible existe. » On l'a beaucoup commentée. Voyons pourtant ce que nous pouvons en tirer de neuf.



Constatons d'abord que cette proposition contient une affirmation très nette, mais soumise à une condition restrictive. Gautier éprouve le besoin de donner de son existence une définition sévèrement limitatrice. On peut y voir une déclaration comme celle-ci : Je suis homme, et l'homme est un être qui se définit essentiellement comme ayant une claire conscience du monde extérieur. Par cette affirmation Gautier à la fois se rapproche et se sépare ostensiblement de Descartes. Il s'en rapproche en laissant entendre, comme lui, qu'il importe avant toute chose de donner une définition compréhensive de l'homme, et d'en trouver le principe dans le rôle de la conscience. Il s'en sépare, de façon éclatante, en rejetant implicitement le cogito cartésien, qui a pour grave défaut de tout concentrer sur le fait que la conscience de soi, réduite à elle seule, c'est-à-dire à la seule conscience de la personne réfléchissante, peut servir de fondement à toute connaissance, alors qu'aux yeux de Gautier, c'est la connaissance du monde extérieur qui importe avant tout. « Je veux me définir, dit en substance Gautier; or, je ne puis le faire qu'en m'ap-puyant sur l'existence du monde visible. Sans elle, je ne saurais avoir une connaissance claire de moi-même. »





Il y a donc chez Gautier une opposition évidente à la pensée cartésienne. Pour Descartes, ce qui initialement seul importe, c'est la conscience de soi, saisie en elle-même, tout le reste étant, pour le moment, exclu. Pour Gautier, au contraire, la conscience de soi, saisie en elle-même, est un faux point de départ. C'est par le dehors, c'est-à-dire par la perception du monde externe, et non par le dedans, c'est-à-dire par la conscience exclusive que le moi a de lui-même, que l'on peut acquérir une vraie connaissance. Contrairement donc à Descartes qui instaure un cycle extraordinairement étroit de pensées, où l'on voit la conscience de soi existant solitairement dans un Heu purement mental, d'où tout ce qui existerait à l'extérieur serait écarté, Gautier, dès l'abord, conçoit un autre cercle, infiniment plus large que le premier, et qui aurait pour office exprès de permettre à celui qui en fait usage de se trouver en contact direct avec un monde externe largement ouvert au regard. Grâce à lui, la pensée jouit du privilège immédiat de connaître le monde. Elle se découvre de plain-pied avec celui-ci. Bien plus, elle se trouve éclairée et fortifiée par cette connaissance du monde sans laquelle elle ne pourrait même pas se connaître elle-même. Ainsi le dedans se révèle comme étant dès le début subordonné au dehors ; l'étroitesse de son champ est aussitôt compensée par la visibilité merveilleuse du monde perçu. Bref, le moi dépend d'un non-moi, et c'est de ce non-moi seul que dépend son épanouissement. C'est par l'entremise de celui-ci, et non par aucun autre chemin, et spécialement par aucun chemin purement intérieur, que le moi peut arriver à se connaître et à connaître les objets qui tombent sous son regard. Il acquiert ainsi cette qualité même qu'il ne possédait pas et que seul le contact avec le monde lui permet d'acquérir : l'ouverture sur le dehors, la capacité de voir. La pensée cesse d'être vague, incomplète, isolée. Elle devient une activité déterminée.



L'on voit que pour Gautier la détermination est de toutes les qualités de l'esprit la plus importante, si on la prend pour ce qu'elle est fondamentalement, la faculté de fixer avec le plus de netteté possible les limites et les propriétés de l'objet considéré. On pourrait craindre qu'en traçant ainsi avec précision les bornes de la réalité explo-rable, la détermination n'entraîne chez celui qui la pratique une certaine gêne, voire une certaine perte, dans la prise de connaissance du réel. Tel n'est pas l'avis de Théophile Gautier. Pour lui, elle est chaque fois un gain, et même le seul qui importe. Elle nous protège de l'indétermination. Aux yeux de Gautier, l'indétermination, c'est le vague, l'indéfinissable, le non-visualisable : sorte de profondeur suspecte qui n'a pas de forme, ni, par conséquent, de définition. L'existence intérieure de tout être sensitif et intelligent doit être complétée, précisée, définie, par la place déterminée qu'on peut lui voir occuper dans un ensemble nécessairement extérieur. Là, et là seul, l'existence acquiert une forme. Elle devient visible à l'oil qui la perçoit. Avant que le dehors ne soit perçu, l'être pensant n'est pas encore susceptible de distinguer des objets quelconques. Il n'est même pas susceptible de se distinguer lui-même en tant qu'objet parmi des objets. Une sorte d'unification générale réduit tout ce qui est, et le moi lui-même, confondu avec tout le reste, à une vague entité plus négative que positive, dont on ne saurait rien dire, pas même qu'elle existe. Tout devient indéterminé, le moi, ou le dedans, comme le dehors. Ou plutôt il n'y a plus ni dedans, ni dehors, rien qu'une indétermination générale qui n'a pas de nom.



D'où la supériorité immense de la détermination. Tout doit être déterminé, tout doit être reconnu, ou, ce qui est mieux encore, représenté, avec le maximum de netteté et de précision possible. Gautier ne pourrait pas penser - ou peindre, ou écrire -, autrement. C'est par la détermination de tous les objets, de tous les moyens d'expression, et, par conséquent aussi, du moi devenu objet, qu'il débute. Dès l'abord il oriente sa pensée dans la seule direction qu'il considère comme possible, la direction du dehors. Il n'y a pas d'être moins introspectif que Gautier. En acceptant cette position, il se présente et s'affirme comme un des représentants les plus rigoureux de la pensée déterministe, si par déterministe on entend, non nécessairement un être qui ramène à des causes, mais un être qui cherche exclusivement à percevoir des réalités strictement objectives. Par là, Gautier ressemble à un autre poète, plus grand même que lui, qui, lui aussi, mettait toute son application à présenter toujours des êtres rigoureusement déterminés à son public. C'est Pierre Corneille. Corneille est, comme Gautier, un être pour qui le monde visible existe. Mais avec une certaine différence. Pour lui, comme pour Gautier, le seul monde certain, c'est le monde visible. Il n'y en a pas d'autre. Mais, pour Corneille, il inclut aussi le monde moral. Il comprend le monde des vertus, le monde des lois, le monde des devoirs, toutes valeurs abstraites, mais nettement déterminées. Chez Gautier, il n'en est pas tout à fait de même. Le personnage qu'on trouve généralement dans ses ouvres ne pratique pas tant les vertus morales que le culte de la beauté, et admire les belles formes. A l'éthique cornélienne fait pendant l'esthétique de Gautier. Mais ces deux conceptions n'en font plus qu'une sur un point essentiel : elles associent de la même façon dans la nature des hommes l'extérieur et l'intérieur. Cela leur donne l'avantage de pouvoir montrer au grand jour un type d'être à la fois héroïque et déterminé.



Chez tous deux, par conséquent aussi, la réalité se montre de façon nette, sans ombre, sans équivoque, s'ap-puyant sur des actions et des définitions tranchées. D'où le caractère généralement ouvert, indépendant, audacieux et hardi des personnages qui y sont dépeints. Ils se présentent franchement au-dehors, comme des êtres évoluant à l'aise dans le milieu où ils se trouvent. De plus, ils tiennent continuellement vis-à-vis du lecteur un office externe, celui d'exemples. Leurs façons d'agir, plus encore que leurs façons de penser et de sentir, tiennent grand compte de certaines règles de conduite, et offrent par conséquent des motifs d'intérêt qui concernent tout le monde. A la différence des héros romantiques, en effet, avec lesquels nous sommes parfois tentés de les confondre, ils se prêtent volontiers à nous servir de modèles. Nous sommes incités à agir comme eux et à nous faire voir comme eux. En d'autres termes, ils prennent souvent à nos yeux une apparence idéale, et apparaissent moins comme des êtres en chair et en os que comme des types. Or, les types sont invariablement des êtres déterminés. Il semble que de tout temps ils ont existé et qu'ils sont même doués parfois d'un pouvoir spécial qui leur permet de se déterminer eux-mêmes. C'est qu'ils sont indépendants de quelque direction étrangère que ce soit, et le fruit direct de leurs actes ou de leurs choix. Ils se conforment à ce qu'ils sont par une sorte d'élection continue ou de fidélité à un principe d'action qui est l'essence même de leur être. Ainsi le personnage favori de Gautier (comme de CorneillE) est volontiers causa sut, créateur de sa propre personne. Là encore, nous pouvons remarquer un trait essentiel de l'être proprement déterminé. Il n'éprouve jamais le besoin de modifier la figure qu'il présente. Il fixe et maintient sa propre forme.

Point donc de monde qui paraisse plus nettement formé que le monde de Théophile Gautier ou de ses personnages ; et cela d'autant plus visiblement que ce monde et ses habitants se présentent invariablement, non seulement sous l'apparence d'un assemblage de formes solides, reposant sur leur base, mais encore comme composés d'une substance inusable, qu'il serait vain de vouloir détruire. Us sont indestructibles. Cela est vrai pour les choses aussi bien que pour les êtres vivants dans le monde de Gautier. S'il y a, par exemple, dans Le Capitaine Fracasse, un certain « château de la misère » qui menace ruine, il est soigneusement remplacé à la fin du récit par un château tout neuf. C'est qu'il y a toujours chez Gautier, avant tout, un désir profond de garantir la pérennité de la forme. Il aime les réalités indivisibles qui possèdent en elles-mêmes le pouvoir de résister aux forces de dissolution, quelles qu'elles soient. A n'en pas douter, son idéal est de préserver toujours l'existence du durable, et cela par une alliance étroite du sujet lui-même avec la forme dont il jouit. De cette façon l'idéal et le réel se découvrent identiques, et il en est aussi de même pour la forme et le fond. De là enfin, la volonté persévérante de Gautier, de faire toujours de la forme le fondement d'une ouvre destinée à durer éternellement.



L'inaltérabilité semble donc bien être le rêve permanent de Gautier. Mais la question, alors, se pose : cette inaltérabilité, l'a-t-il lui-même toujours vraiment réalisée dans ses ouvres ? Eliminons d'abord de celles-ci tous les ouvrages mineurs : une bonne partie des articles; tous les poèmes légers, où n'apparaît la plupart du temps qu'un habile jeu verbal. Eliminons aussi la plupart des ouvres ambitieuses, qui, prisonnières de leur langage, manquent de souplesse. Que reste-t-il alors ? D'admirables réminiscences qui ont nécessairement un caractère fragmentaire; des feuilles détachées et incapables, par conséquent, de nous donner une peinture complète de l'existence. Bien peu de ces pages, écrites pourtant toujours avec la même perfection verbale, sont susceptibles de nous offrir et réaliser pour nous ce que Gautier pourtant ne cesse de vouloir nous donner : la représentation intégrale, sans faille, sans fragmentation, d'une figure totale déterminée. On dirait que, chez lui, l'idéal, très précis, procède le plus souvent à rebours. L'art du poète, destiné par lui à revêtir l'ouvre qu'il réalise, d'une substance seconde plus solide et plus somptueuse encore que la base, a par une sorte de renversement complet de l'intention initiale, un effet directement contraire à celui cherché. Ce que Gautier rêve de réaliser, c'est une ouvre, ou un ensemble d'ouvres, où la forme renforcerait sans la moindre pause la densité de la substance première. La réalisation d'une telle intention, si elle avait lieu, ne serait donc rien d'autre qu'une consolidation du fond par la forme. Le dehors, le contour, la silhouette, enfin le formel tout entier devrait s'ajouter au noyau premier, afin que l'ouvre se maintienne par un mouvement continu qui irait de la base à la surface. Or, l'effet visé n'est presque jamais atteint. Non pas en raison de l'impuissance dans laquelle se trouverait en fait le poète de donner réellement forme à son fond, mais, à l'inverse, parce que la perfection de la forme est ici si complètement réalisée qu'elle éclipse la perfection du fond. Au lieu de faire du développement de la forme une sorte de prolongement naturel de la conception inidale, la réussite, d'ailleurs admirable, de l'expression, prend le caractère d'un ajout, d'un revêtement superficiel et détachable. Il superpose une sorte de masque à ce qu'il avait cependant pour mission de faire apparaître dans sa simplicité originelle. Ce qui survit, c'est une forme qui, lorsqu'elle atteint la perfection proprement formelle - la seule qu'elle puisse offrir -, remplace le naturel par le typique : le typique était ici la forme en creux qu'un mauvais génie aurait imposée à l'image au cours de sa réalisation.



Si, comme on est tenté de le faire, on se laisse entièrement absorber par les beautés apparentes, ici présentées, l'on risque donc de n'en pas percevoir l'échec évident. Soustraite au temps et à l'altération subtile causée par celui-ci, l'ouvre typique paraît d'abord entièrement admirable. Atteindre le typique et s'y fixer, c'est atteindre, semble-t-il, l'éternel, l'immuable. L'ouvre s'immobilise hors du temps, exempte de tout vice de forme, mais aussi de toute vie interne. Elle se veut intacte, inattaquable, en pleine lumière, en pleine surface. Tout se ramène à un effet immédiat et direct, qui ne prétend se relier, même en secret, à nulle cause fût-elle profonde. Il n'y a pas là, comme chez tant d'autres poètes de son bord, l'émergence d'une image qui, lorsqu'elle surgit à la lumière, porte encore des traces de ses origines, peut-être obscures. S'il y a un lien avec des racines, il est coupé ou n'est qu'abstraitement mentionné, ce qui revient au même. Sans passé, l'image est aussi sans futur. Elle ne laisse rien entrevoir au-delà d'elle-même. Purement actuelle, elle n'a pas de profondeur. Il ne lui reste d'autre possibilité que de s'épanouir à la surface. Dans un de ses poèmes, Gautier, parlant de certains débris de marbre antique, retrouvés un jour dans des fouilles, résume en ces termes lapidaires les sentiments que lui inspire cette survivance du passé dans le présent : « le buste survit à la cité ». Cette espèce de survie, chantée par Gautier, est révélatrice. Elle reconnaît la présence actuelle du passé dans le présent, mais non sous la forme d'une authentique résurrection ou surrection de celui-ci dans la vie présente. Le passé reste passé. Ou bien, s'il redevient actuel, comme on le voit dans l'admirable conte intitulé Aria Marcella, c'est par une opération mystique qui le transporte d'un temps à un autre, sans qu'on puisse réellement participer à la magie de l'opération. C'est ainsi que pour Gautier « le buste survit à la cité ». Il y survit sous la forme un peu dérisoire d'un ancien chef-d'ouvre isolé qui prétendrait, rien que par l'exposition de ses formes parfaites, restaurer le passé tout entier, alors qu'en fait il ne le conserverait que sous la forme plus anodine d'une simple pièce de musée.



Ce n'est donc pas rendre service au poète que de s'attarder dans son ouvre à ces images trop « achevées », prisonnières des contours restreints qui sont devenus les leurs. Leurs formes minutieusement déterminées les protègent de la destruction et leur permettent de survivre, mais, hélas, le plus souvent, sous un aspect qui les empêche de vivre. Ainsi, par un curieux retournement du sort, ce ne sont pas les ouvres trop achevées qui, chez Gautier, nous paraissent aujourd'hui les meilleures. Ce sont, au contraire, ceux de ses écrits qui s'offrent à nous sous le simple aspect de pages détachées, de notations de voyage, de comptes rendus, de feuilletons critiques. Ces textes, écrits au courant de la plume, ont souvent le mérite de nous révéler le poète dans les moments les moins tendus et les moins ambitieux de sa carrière littéraire. Or, ces moments de détente, la plupart du temps, sont des moments d'échec. Pages inachevées, esquisses rapides, réflexions faites en courant, Gautier n'attachait guère d'importance à ces ébauches ; et pourtant elles constituent peut-être la partie la plus vivante et la plus significative de son ouvre. Sans doute, comme leur auteur le craignait, elles révélaient au fond la défaite de l'artiste, son incapacité à faire vivre ce qu'il savait pourtant si bien objectivement représenter. Derrière l'ouvteformée de Gautier, ses poèmes, ses romans, ses pièces de théâtre, il y avait le germe d'une ouvre non formée, osons même le dire, une ouvre proprement informe. Et peut-être même - allons plus loin encore -, c'est dans cette informité à peine dissimulée que résidait ce qu'il y avait de plus important dans l'ouvre publiquement reconnue. Ce peintre des extériorités, condamné par ses propres intentions à ne jamais tenir compte que des extériorités, atteint, sans le vouloir peut-être, la vraie profondeur, dès qu'il constate dans ses propres ouvres et dans les ouvres d'autrui les plus extérieures, les plus formelles, l'étrange penchant qu'ont leurs auteurs pour trahir leurs faiblesses. Ecrire, c'est à la fois dissimuler et laisser entrevoir mille tendances secrètes. Superficiellement, il y a l'usure des mots, l'affaiblissement pathétique des formes, le sentiment qu'en se dissolvant elles laissent transparaître, à leur place dans l'esprit, une « région vague, dit Gautier, un lieu de refuge quelconque où va ce qui ne laisse ni corps, ni fantôme ».



Chose curieuse, déroutante, fascinante même, Gautier laisse entrevoir à tous les détours de ses écrits une écriture directement contraire à celle qu'il emploie sans cesse dans son ouvre positive. Car ce qu'il y constate, c'est une sorte de négativité, dissimulée derrière la posi-tivité. C'est alors qu'il parle d' « un pays étrange », émanant d'un monde qu'il appelle « onirique, vaporeux et impalpable ». Ce qu'il y découvre n'est plus le monde du dehors : c'est tout au fond de lui-même un lieu où s'accomplit « la dissolution lente des formes », révélant l'existence d'un monde de l'informe, « au bord du néant jeté ». Est-ce bien là le même poète qui parle, ce poète qui s'était fait le porte-parole de la forme « impérissable » et qui deviendra le premier des Parnassiens ? Tout un univers inconnu fait irruption ici, un univers dont il confesse qu'il a « quelque vague réminiscence », tout en laissant entendre qu'il est à la fois lointain et comme endormi au fond de lui-même : monde qui n'affleure à la surface de la pensée éveillée que lorsque celle-ci, au lieu de se braquer sur l'éternité des formes extérieures, s'abandonne, non sans scrupules et avec un bizarre sentiment de culpabilité à la magie d'un univers interne, contraire donc à tout ce qu'il avait voulu présenter dans ses vers. Univers donc inverse de celui qu'il avait essayé sans cesse de définir, pour en faire la réussite de son art. Comment donc ce monde aurait-il pu souffrir une contrepartie ? Et voilà pourtant que, presque subrepticement, dans ses chroniques, dans quelques-uns de ses contes, Gautier ose lui en donner une. On le voit d'abord se présenter devant son public et devant lui-même, comme le champion des réalités positives, extérieures, composées de formes très nettes ; et puis, sans qu'il y ait chez lui de véritable palinodie, voici que s'accomplit dans sa parole, et peut-être aussi dans sa pensée, un renversement dramatique de situation. Cela émerge dans un mélange équivoque de réprobations et d'émerveillements, de formules positives et négatives entremêlées, comme si l'auteur, sans y croire, s'efforçait encore de condamner ce à quoi, d'autre part, il n'avait plus le courage de se refuser.



L'aventure spirituelle de Gautier est donc surprenante. C'est l'aventure d'un poète qui avait commencé par se donner pour unique objet de son activité la peinture d'un monde externe, étroitement délimité, entièrement déterminé; mais qui, sans l'avoir expressément voulu, se trouve obligé de laisser filtrer par toutes les lézardes de ce monde, une réalité exactement à rebours de celle à laquelle il avait voulu donner, en quelque sorte officiellement, son adhésion; une réalité, cette fois, totalement indéterminée et totalement non formelle. Ce monde antipodique qui prend la place du sien, il persistera à le qualifier de suspect, de dangereux, de haïssable même. Il se persuadera qu'il est de son devoir de protéger, coûte que coûte, le monde objectif contre cette invasion désastreuse; mais par une sorte d'ironie, c'est peut-être l'irruption tardive, intermittente, douteuse, de l'indéterminé dans ses écrits, qui leur donne encore aujourd'hui une valeur.



GAUTIER : TEXTES



Pour nous, il n'est pas de plaisir plus vif, de sensation plus étrange que de nous promener dans ces habitations exhumées qui ont gardé (à PompéI) les formes de la vie antique. C'est comme si l'on marchait au milieu du passé rendu visible et palpable.



(L'époque de Louis XIII) Voilà un beau temps ! Comme les types y abondent de tous côtés, comme chaque figure se détache nettement !



Le contour de chaque caractère doit être tracé d'une manière précise et sculpturale, de façon à mettre les personnages en relief et à les faire se détacher nettement sur le fond.



Peintre, poète et musicien, Hoffmann saisit tout sous un triple aspect, les sons, les couleurs et les sentiments. Il se rend compte des formes extérieures avec une netteté et une précision admirables.



Tout ce qui est caractéristique s'efface et disparaît. Ce sera un joli temps que celui où les peuples, composés d'individus absolument pareils, mèneront une existence sans aventure possible. Le type blond et le type brun se confondront dans une nuance bâtarde.

Tout se dissout, tout se détruit.



A force de plonger opiniâtrement mes yeux sous le voile de fumée épaissi par les siècles, ma vue se troublait, les contours des objets perdaient leur précision et une espèce de vie immobile et morte animait tous ces pâles fantômes de beautés évanouies.



Il y a sans doute je ne sais où, quelque part, très haut et très loin, une région vague, un lieu de refuge quelconque, où va ce qui ne laisse ni corps, ni fantôme, ce qui n'est rien, ayant été...



En nous-mêmes gravitent des mondes ténébreux.

Il me semblait que j'étais seul, au milieu de l'univers, et que tout le reste n'était que fumées, images, vaines illusions, apparences fugitives, destinées à peupler ce néant.






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