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TCHEKHOV






On trouve dans un roman de Tourgueniev la notation suivante, appliquée par lui à l'un de ses personnages : « Toutes ces impressions diverses et pourtant liées entre elles qu'il avait éprouvées, se confondirent peu à peu dans son esprit en un sentiment général. » Comment ce sentiment peut-il s'expliquer ? Pour le comprendre, il suffit de se rapporter à quelque autre état d'esprit de ce genre, éprouvé bien des fois sans doute en Russie à la même époque et qui doit encore aujourd'hui s'y trouver indéfiniment répété. Il se trouve associé à l'expérience de la steppe, expérience qui, dans l'opinion de bien des personnes, laisse apparaître chez certains, dans le fond de leur pensée, une sorte d'étrange concentration de l'esprit sur une seule vision ou sur une seule pensée, qui aurait pour effet chez les personnes ainsi affectées, par exemple au cours d'un long déplacement comme il y en a dans la steppe russe, de se trouver amenées par l'immense vide se découvrant devant elles, à éprouver quelques sentiments très simples, élémentaires mêmes, liés à la vaste uniformité silencieuse perçue par une pensée réduite à une expérience unique, mais indéfiniment répétée. Phénomène éprouvé peut-être encore en d'autres endroits de la Russie, mais qui se découvre là plus visiblement que partout ailleurs. Le côté essentiellement négatif de ce phénomène s'y trouve marqué à la fois fortement et profondément. Les visiteurs qui en font l'expérience perdent peu à peu de leur vivacité et de leur sentiment des nuances. A la longue rien ne reste en eux de la gaie multiplicité de paroles qu'ils avaient échangées au départ. La cause de ce changement peut être la rareté des endroits qu'on y trouve où se distingue une activité personnelle. Elle est plus étroitement liée encore à l'existence d'un élément entièrement négatif, qui est tout simplement l'existence oppressante du vide ambiant.





La pensée russe est remplie de ces étranges expériences. Celles-ci se succèdent les unes aux autres, toujours semblables, selon un rythme aussi monotone que possible. Dans les récits comme dans les songeries qui s'y rapportent, tout ce qui avait été perçu au-dehors, comme tout ce qui avait été senti au-dedans, occupe une place disproportionnée à l'extrême pauvreté des événements qui y avaient été relevés. Un engourdissement général affecte l'activité de la pensée aussi bien que le déroulement des phénomènes externes dont le voyageur ou le rêveur peut être le témoin désintéressé en passant. Au-dehors comme au-dedans, ce singulier parallélisme se poursuit. Il semble avoir pour effet de freiner les mouvements physiques comme les activités mentales, et de les amener ainsi insensiblement à finir par se métamorphoser en un double arrêt total. Pourtant celui-ci ne se réalise presque jamais pleinement. Si tout se ralentit, les êtres comme les choses, et les individualités comme la totalité générale, d'un autre côté aucun objet physique aussi bien que mental n'est jamais condamné, semble-t-il, à une absolue immobilisation. Le but visé, à supposer qu'il y en ait un dans l'intention ou dans le désir du voyageur, ne donne jamais l'impression de pouvoir être définitivement atteint. Il ne pourrait être, semble-t-il, qu'indéfiniment approché, de sorte qu'il n'y a jamais possibilité, ou même espoir, d'arriver à un but défini, et que tout a l'air de se continuer sans variation et sans la moindre assurance d'arriver jamais en fin de compte à un point déterminé.



De cet éternel piétinement de la pensée on trouve une admirable représentation symbolique dans un roman de Tchékhov. On y voit un enfant docilement mené le long d'une steppe interminable, qu'il suit sans mobile déterminé comme sans résistance. Il n'est à aucun moment, non plus, fixé par quelque désir occasionnel ni par une intention qui se préciserait dans sa pensée à mesure qu'il avance. Au contraire, on a plutôt le sentiment qu'au Heu d'un progrès sa démarche révèle un abandon résigné à quelque propulsion aveugle. Tandis que la steppe s'ouvre indéfiniment devant lui, on le voit devenir de plus en plus docile à une expérience qui, à mesure qu'elle se poursuit, se fait plus vaste, mais aussi de plus en plus indéfinie. Une plaine se prolonge sans mesure. L'on ne se rapproche apparemment d'aucun but fixé à l'avance. L'on n'a donc, par conséquent d'autre impression, que celle de piétiner sur place. Les plaines traversées comme les pensées éveillées ou les rencontres faites en cours de route, si neuves qu'elles puissent paraître, n'ont jamais le pouvoir d'arrêter l'attention du voyageur. Elles ne méritent qu'une attention distraite au passage, et semblent s'évanouir les unes après les autres, sans susciter autre chose qu'un bref regret. Ou plutôt, c'est comme si toutes ces expériences n'avaient d'autre rôle que de se fondre à mesure dans un sentiment unique, ayant perdu toute caractéristique personnelle, et étant devenu, de ce fait, parfaitement indéterminé. Les commentaires du voyageur restent donc à peu près toujours les mêmes : « La plaine continue de s'étendre à l'infini », constate-t-il chaque fois qu'il fait halte, sans varier l'expression du sentiment qu'il éprouve. Cela est dit sans découragement peut-être, mais non sans une sorte d'indifférence. C'est qu'entre les lieux successifs traversés au cours de son voyage le voyageur ne remarque jamais de différences bien tranchées. Tous ces lieux se ressemblent, tous, plus ou moins, reviennent au même. D'autre part, le but du voyage perd peu à peu de son urgence. Il ne suscite guère d'impatience. On dirait qu'au lieu d'engendrer un véritable progrès le mouvement n'eût d'autre effet que de créer un vide ou une absence. L'existence ne suscite plus qu'un intérêt aussitôt épuisé. La pensée renonce à supporter la venue de nouvelles formes. Les couleurs perdent de leur fraîcheur. Les lointains deviennent brumeux. Les images se brouillent et se font confuses. Elles semblent renoncer au pouvoir qu'elles avaient auparavant de s'associer à des substances; tout ce qui est perçu apparaît un peu neutre et finit par être laissé sans regret. Au bord des chemins, en cours de route, c'est comme une neige qui tomberait, et qui, en tombant, recouvrirait à mesure toutes les formes. Ou bien, c'est comme si ces dernières, devenues molles et malléables, s'uniformisaient le long du chemin. La persistance de la notion du temps chez l'écrivain russe n'a pas Ici pour effet de donner aux objets un caractère durable, précis, voire une solidité supplémentaire, mais plutôt de les poster à distance les uns des autres comme de simples points de repère, de façon qu'on puisse mieux mesurer ce qui abstraitement les sépare et leur confère ainsi une sorte d'égalité, mais d'égalité négative, par opposition, aux vides qui existent entre eux, et qui, eux, déroulent par en dessous une trame quasi continue. Aussi n'y a-t-il personne qui sente mieux la monotonie de l'existence que n'importe quel écrivain russe : « Les objets perdent ainsi peu à peu leurs contours, écrit Gontcharov, tout se confond dans une masse grise qui s'assombrit. » - « Des pensées vagues, lentes, toujours sur le même thème, constate, de son côté, Tchékhov se traînent dans mon cerveau comme un long convoi de chariots par un soir pluvieux d'automne. » - Et ceci encore, toujours du même écrivain : « Une nuit de mars embrumée et nuageuse enveloppe le sol. Il semble que la terre, que le ciel et que l'être vivant lui-même avec ses pensées, se fondent en une immensité insondable ment obscure. » - « Je ne puis définir ce qui me manque », constate de même Tourgueniev. Tout se ramène donc pour chacun, en fin de compte à un Je ne sais quoi, éprouvé dans un état de vide ou de manque, dans l'uniformité qui porte le voyageur au découragement ou au dégoût. L'indétermination dont souffrent ces écrivains russes, n'est pas différente comme le fait remarquer l'un d'eux, Berdiaev, de l'indétermination boehmienne : « Chez Dostoïevski, écrit-il, comme chez le Dieu boeh-mien, l'on trouve en opposition avec la lumière un abîme de ténèbres. » - Telle est la théorie même del'Untergrund.



- Enfin, chez Pouchkine, comme le rappelle encore Berdiaev, quel est le trait qu'on perçoit avant tout ? H répond lui-même : - « C'est l'angoisse de l'être sans certitude. »

- Et il ajoute : « Incapable de se déterminer. »

... il n'avait à cet instant nulle intention, nul désir. Il ne pensait à rien.

De toutes parts, la nature apparaissait comme une fosse noire, infiniment profonde et froide, d'où Kirilov, ni Aboguine, ni le croissant rouge ne sortiraient jamais.

Le troupeau dormait. Sur le fond gris de l'aube qui commençait déjà à envahir la partie orientale du ciel, on distinguait çà et là des silhouettes de moutons qui ne dormaient pas; debout, tête baissée, ils pensaient à on ne sait quoi. Nées de la seule représentation de la vaste steppe et du ciel, des jours et des nuits, leurs idées traînantes, diffuses, les accablaient et les opprimaient sans doute eux-mêmes jusqu'à en perdre tout sentiment.

Dans le lointain bleu, où la dernière colline visible se perdait dans le brouillard, rien ne bougeait. Les mottes funéraires et celle de guet, qui se dressaient çà et là à l'horizon et dominaient la steppe sans bornes, étaient mornes et semblaient mortes. Dans leur immobilité et leur silence, on sentait les siècles et leur totale indifférence à l'égard de l'homme.

Parlant de Tchékhov, Du Bos dit : « Il avait une extraordinaire faculté d!'acceptation. »

... je croyais réellement voir un monde mort depuis longtemps... inanité de l'existence, inéluctabilité de la mort.

... Son visage... ses yeux... toute sa silhouette révélaient l'engourdissement de l'âme, l'indolence du cerveau. On aurait dit qu'il lui était totalement indifférent qu'une lumière l'éclairât... « Je ne vois rien de bon dans un travail défini, dans un gagne-pain défini, dans un point de vue défini sur les choses. Tout cela est idiot... »

... inanité de l'existence, du néant...

... la vie privée de sens... indifférence... A quoi bon ?...

... « Notre cerveau reste à son point de congélation, sans avancer ni à hue ni à dia. »

... L'ennui, le silence et le roucoulement des vagues m'amenèrent insensiblement au mode de penser dont nous parlions.

... Celui qui sait que la vie est sans but et la mort inéluctable est bien indifférent à la lutte contre la nature et au concept du péché.

... Pareil à un aveugle, je ne voyais ni la mer, ni le ciel, ni même le kiosque où j'étais assis... Impression de solitude terrible que de se croire tout seul dans tout l'univers obscur et informe... Idée d'inanité de l'existence, de mort, de ténèbres d'outre-tombe... Rumeur égale, monotone de la mer...

... rester la nuit assis, dans mon lit sans bouger et penser avec une parfaite indifférence...

La plage déserte, la chaleur accablante et la monotonie des montagnes mauves et embrumées, éternellement pareilles à elles-mêmes et silencieuses, éternellement solitaires, lui inspiraient de la nostalgie, l'endormaient...

Les journées longues, intolérablement chaudes, ennuyeuses, les soirées splendides, langoureuses, les nuits étouffantes et toute cette vie où du matin au soir on ne sait que faire d'un temps inutile...

L'obscurité était totale. Dans les ténèbres on percevait le murmure paresseux, somnolent de la mer, et l'écoulement du temps infiniment lointain, inimaginable, aux âges où Dieu planait au-dessus du chaos.






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