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Séductions du récit - Les réinventions du roman policier






Autrefois constitué d'un certain nombre d'éléments stables : prose narrative, fiction, histoire, personnages, le roman a subi, dans les années 1960-1980, les assauts successifs du formalisme: le langage seul maître à bord, et «l'auteur» passé par-dessus bord; puis de l'autofiction : écrire directement de/sur soi sans recourir à des personnages qui ne sont que projections et fantasmes. 11 glisse alors vers le «récit», plus informel. Mais la résistance s'organise avec le lancement de la revue Roman en 1982 (François Coupry et Erik OrsennA) puis de L'Atelier du roman, autour de Lakis Pro-guidis et de Milan Kundera, qui publie L'Art du roman (1986). Des écrivains se détournent de l'expérimentation : Le Clézio passe du Procès verbal (1963) à un romanesque plus traditionnel : Désert (1980), Le Chercheur d'or (1985), Onitsha (1991) ; après ses livres savants et fragmentés, Quignard donne deux romans : Le Salon du Wurtemberg (1986) et Les Escaliers de Chambord (1989); Yves Navarre délaisse ses petits romans sulfureux sur les amours homosexuelles pour un gros roman d'éducation dans le goût des années 1930 {Le Jardin d'acclimatation, Concourt 1980)... On parle alors de « retour au récit » de la littérature, favorisé par le roman policier contemporain, le «polar», qui n'a jamais cessé de raconter des histoires. Sans s'attarder sur les romans « naïfs » qui usent de vieilles recettes (dont certaines peuvent donner de savoureux résultats...), on visitera ces domaines où le roman/récit affiche une vitalité rajeunie, renouvelle le récit d'apports extérieurs, se livre à la virtuosité ludique ou encore se trouble de perturbations qui confinent parfois au malaise.





Les réinventions du roman policier



Le roman policier a joué à la charnière des années 1970 et 1980 un rôle tout à fait singulier dans l'évolution littéraire en répondant le premier au désir d'histoires d'un lectorat lassé par les avant-gardes formelles et en fournissant une reconversion à certains militants déçus par l'échec des utopies politiques. Cela a donné forme et audience nouvelles à ce genre longtemps considéré comme un divertissement et marginalisé dans le ghetto de l'infra-littérature. Sous le nom de « néo-polar », il s'affranchit à la fois des modèles américain, le « noir » qui avait succédé au roman d'intrigue anglais, et français, installé dans la représentation pittoresque du « milieu », de ses mours et de son langage. L'apparition d'auteurs féminins - Fred Vargas, Pascale Fonteneau, Sylvie Granotier, Brigitte Aubert, Maud Tabachnik... - dans cet univers longtemps misogyne favorise une mutation. Des collections de qualité s'ouvrent sous diverses appellations (« thriller », « suspense », « mystère », «polar»). «Rivages/Noir», dirigée par François Guérif depuis 1986, ou la « Noire», créée par Patrick Raynal aux éditions Gallimard, plus grande que l'ancienne « Série Noire» de Marcel Duhamel auquel Raynal succède en 1991, contribuent à la reconnaissance du genre. Entretenant avec le monde réel des relations plus étroites que bien d'autres formes d'art, ce roman policier hésite désormais entre une inscription accrue dans ce « réel» souvent sordide et des constructions privilégiant les subtilités formelles de l'intrigue, la machination d'une fiction rhétorique, voire un jeu parodique. La distance entre littérature « classique » et littérature policière s'en trouve considérablement atténuée : les écrivains reprennent les mêmes techniques stylistiques, thématiques ou narratives, glissent d'un genre à l'autre au fil des livres.



Le « néo-polar » : de l'engagement au désenchantement



Employant par dérision le terme de «néo-polar», Jean-Patrick Manchette (1942-1995) ignorait que l'expression connaîtrait un tel succès médiatique à partir des années 1980. Le terme vaut désormais pour tout texte qui hypertrophie la violence et le sexe, traite de problèmes sociaux ou politiques - délinquance, chômage, habitat précaire, autodéfense, racisme, pollution,... et découvre, derrière l'exhibition spectaculaire du fait brut, une réalité complexe. Dans le prolongement du «polar», roman noir délibérément moderniste apparu à la fin des années i960, le « néo-polar » radicalise ainsi ses contenus idéologiques et cherche à innover sur le plan des formes esthétiques en renouant avec les avant-gardes du début du siècle (l'empreinte du Voyage au bout de la nuit notamment demeure très vivE). Depuis L'Affaire N'Gustro (1971), inspiré par l'assassinat de l'opposant marocain Ben Barka, jusqu'à La Position du tireur couché (1981), les romans de Manchette sont inséparables de son parcours politique, de son adhésion aux thèses situationnistes et d'un goût pour l'action paradoxale : « Le polar, pour moi, c'est le roman d'intervention sociale très violent », déclare-t-il. Ses livres, critiques et acerbes, racontent la dérive de l'extrême-gauche vers la lutte armée (NadA), la collusion du milieu politique avec la pègre, la décadence de la bourgeoisie et des intellectuels, le désenchantement d'un ex-CRS, devenu détective après avoir tué un étudiant lors d'une manifestation (Que d'os!, et Morgue pleine, 1973, justement retitré Polar pour l'adaptation cinématographiquE), ou encore l'aliénation des cadres (dans Le Petit Bleu de la côte ouest, 1976). Après Manchette, de nouveaux auteurs se réclamant de Dashiell Hammett ou de Raymond Chandler viennent conforter cette tendance: Frédéric H. Fajardie, Didier Dacninckx, Jean-François Vilar, Patrick Raynal, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy, Maurice G. Dantec, Tonino Benacquista. Presque tous issus des milieux gauchistes actifs en 1968 - à l'exception du nationaliste convaincu A.-D.G. -, ils exploitent la forme policière au profit de la critique sociale, dans une écriture dure, condensée, qui se refuse les tics des polars traditionnels, les calembours et le didactisme appuyés.



Alors que l'ancien roman policier confortait les valeurs bourgeoises en rétablissant l'ordre perturbé, le «néo-polar», au contraire, exhibe les diverses formes de la violence étatique et les injustices d'une société qui a perdu ses repères. Georges-Jean Arnaud dénonce les multinationales, les activités occultes de l'État {Brûlez-les tous, 1978), le fascisme ordinaire des municipalités et des individus {Quartier condamné, 1981 ; Bunker-Parano, 1982). Didier Daeninckx, dont on a vu le rôle dans l'écriture de l'Histoire (cf. suprA), stigmatise l'infiltration des milieux politiques par l'extrême-droite et le révisionnisme (Nazi dans le métro, 1996), la situation faite aux immigrés clandestins (Lumière noire, 1987), montre l'envers des plateaux de télévision (Zapping, 1992). Des événements réels servent souvent de prétexte : l'exclusion du maire communiste de Clichy-sous-Bois, André Deschamps, coupable de propos dignes du Front National (Gérard Delteil, Mort d'un satrape rouge, 1994) ou la prise d'otage de la maternelle de Neuilly (Thierry Jonquet, La Bombe humaine, 1994). Le genre s'inquiète du totalitarisme rampant qui menace les démocraties vieillissantes, lorsque désinformation, manipulation et raison d'Etat soumettent l'individu à leut pouvoir. Pierre Siniac dans Carton blême (1985) élabore un récit entre politique-fiction et fable misanthrope à la Villiers de L'Isle-Adam : pour sortir d'une période de crise et de criminalité, la « démocratie libérale » réserve le droit à la protection de la police aux citoyens « normaux » dotés d'un coefficient de « santé légale » suffisant. Les autres, qui grèvent le budget de la Sécurité sociale, pourront être impunément assassinés. Frédéric H. Fajardie traque l'infiltration de la police par l'extrême-droite {Clause de style, 1987) ou les exécutions politiques au sein du Parti communiste d'après-guerre (Des Lendemains enchanteurs, 1986). Après Mygale (1984) et La Bête et la Belle (1985), Thierry Jonquet s'attaque dans Les Orpailleurs (1993) à la spoliation des juifs déportés à Auschwitz. Mais, à l'épreuve du réel, l'idéologie des auteurs, qu'elle soit maoïste, trotskyste, situationniste ou anarchiste, tend à s'estomper au profit d'une tentative de déchiffrement du monde politique, social et humain. La grande réussite du roman policier depuis les années 1980 tient sans doute dans cette volonté d'interroger et d'interpréter le réel.



Perspective critique et esprit de révolte glissent ainsi au constat désenchanté, proche du pessimisme de Dashiell Hammett, du cynisme de Raymond Chandler face au monde de l'argent et de la corruption, et proche aussi de la brutalité sarcastique des héros de roman noir américain. Pris dans une société dont la pratique dément les principes et bafoue la morale, conscient que le succès de son enquête ne ramènera qu'un équilibre factice et provisoire, le héros hard-boiled, trahi et déçu, devient amer face à un monde gangrené, comme le commissaire Fabio Montale, personnage de Jean-Claude Izzo (Total Kheops, 1995; Chourmo, 1996; Solea, 1998). Les efforts désenchantés de cet enfant adoptif de Marseille, contre la violence hypertrophiée de la mafia, de l'islamisme et de l'extrême-droite auront raison de lui. L'itinéraire de l'inspecteur Cadin dans le cycle de Didier Daeninckx (Mort au premier tour, 1977 ; Meurtres pour mémoire, 1984 ; Le Géant inachevé, 1984 ; Le Bourreau et son double, 1986) le conduit au suicide dans Le Facteur fatal (1990) à la dernière seconde de l'année 1989. Ce policier humaniste de gauche est confronté aux régressions de la loi, au double langage: chassé de la police en 1985, il devient détective privé et sombre dans la clochardisation. Ce roman noir dont les héros sont mortels manifeste ainsi une relative impuissance face aux crimes que suscitent l'économie du chômage et de l'exclusion, les dérives technologiques, l'emprise des drogues, la dictature de la marchandise ou du sexe. L'impasse idéologique peut alors conduire à une vision nihiliste du monde et de l'homme.



Une réalité et des personnages brouillés



Jean Amila - autre précurseur du néo-polar -, qui fut, sous le nom de Jean Meckert, l'auteur du roman Les Coups (1942), remarqué par Gide, et auquel Dider Daeninckx rend un hommage indirect dans 12, Rue Meckert, a contribué à installer des personnages de marginaux, de délinquants juvéniles et de losers qui traversent désormais les livres de nombreux auteurs - noires chroniques du réel, de la banlieue ou du quart-monde - comme ceux de Jean Vautrin, témoignages de la vie dans les « tours achélèmes », inhumaines et «terriblement uniformes» (Billy-ze-Kick, 1974), ou de Ricardo Matas, Hervé Prudon, Michel Lebrun, Jean-Paul Demure, Hervé Pagan, Alain Demouzon. Le monde rural, loin de constituer un antidote au mal urbain, trahit sa xénophobie dans L'Eté en pente douce (1980) de Pierre Pelot. Le crime apparaît désormais moins comme l'aboutissement d'une déviance individuelle que comme le résultat monstrueux d'une société compromise. Le citoyen ordinaire est pris dans un engrenage tragique comme le cadre du Petit Bleu de la côte ouest de Manchette ou le couchettiste du train Paris-Venise de La Maldonne des sleepings (1989) de Tonino Bcnacquista, entraînés malgré eux dans une chasse à l'homme. Happés par une machine sociale monstrueuse, les personnages appartiennent d'avantage à l'univers de Kafka qu'au microcosme politique ou judiciaire. Comme dans les théories du philosophe René Girard, le criminel devient un bouc émissaire que la société doit éliminer. En l'élevant parfois au rang de mythe (Pierre Magnan, Le Sang des Atrides, 1977), le récit policier manifeste ainsi le malaise de toute une civilisation traversée par la pulsion de mort.



Avec l'idée pessimiste selon laquelle les citoyens sont des criminels en puissance, le roman policier risque de renforcer les préjugés qui visent des groupes sociaux déterminés (l'étranger, l'analphabète, le « fou », le marginal, etc.) et de contribuer ainsi malgré lui à une certaine paranoïa sociale. Or, loin de renvoyer à une vision manichéenne d'un monde partagé entre « bons » et « méchants », la littérature policière contemporaine restitue une réalité aux repères instables et brouille de plus en plus l'opposition entte l'Enquêteur et l'Agresseur, qui possèdent le même langage ou présentent la même marginalité. Ce brouillage a engendré l'apparition d'un nouveau type, le policier ignoble, présent dans les romans de Jean-Patrick Manchette {L'Affaire N'GustrO), Georges-Jean Arnaud {Ami-ami flic, 1982), Jean Amila {Contest-Flic, 1986) ou Frédéric H. Fajardie {Tueurs de flics, 1979). Quand l'enquêteur appartient à l'institution policière, le récit joue du conflit entre l'individu et son Institution, fait interférer l'enquête et les problèmes personnels du personnage. Loin d'Odipe qui résout triomphalement l'énigme du Sphynx, le détective, piégé par son destin, devient assassin et victime, accablé de culpabilité.



Le roman policier confine parfois au «récit de filiation»: dans La Nuit des Chats bottés (1977) de Fajardie, Stéphan décide de venger le père de Jeanne, ouvrier mort au travail, et plastique les lieux qu'il a traversés (un PMU, une clinique, les usines Renault, le Sacré-Cour, etc.). Symptomatique de la disparition du prolétariat, cette mort engendre une guerre ouverte avec la société et les institutions. Le narrateur du Cinéma de papa (1989), de Jean-Bernard Pouy, qui se déroule dans le milieu de cinéphiles surréalistes, trotskistes et staliniens, découvre que l'assassinat de ses parents est lié à un «home-movie» pornographique tourné cinquante ans plus tôt où figure Léon Trotsky. L'histoire privée et publique interfèrent de même dans La Commedia des ratés (1991) de Tonino Benacquista, récit à la première personne d'un héros décalé, traître à son origine italienne, surplombé par l'irruption d'une voix qui raconte, elle aussi, son histoire, donne clef à l'énigme et identité à l'assassin. Or, cette voix est celle du père du narrateur, victime du fascisme. Espace propice à creuser le refoulé, le polar retrouve ainsi la plupart des enjeux de la littérature contemporaine. Sébastien Japrisot et Alain Demouzon livrent le détective à la déambulation solitaire, ce qui favorise des moments d'égarement où le « je » devient « autre ». Le parcours plein de détours du personnage ressemble étrangement au labyrinthe métaphorique de la cure psychanalytique. L'apparition du sériai killer dans le polar français {Six-pack de Jean-Hugues Oppel ; Le Festin de l'araignée (1996) de Maud Tabachnik ou L'Âme du mal (2002) de Maxime ChattaM) témoigne aussi de la volonté d'explorer les méandres d'une psyché mortifère.

Dans ses romans hyperréalistes ou fantastiques {L'Enfer, 1986 ; La Machine, 1990), René Belletto met en scène les dérives schizo-phréniques de ses personnages. Les fables ethnologiques de Tobie Nathan sur le déracinement {Sarako Bô, 1993), les récits en forme de rhizome kafkaïen de Serge Quadruppani {Rue de la Cloche, 1992), les paraboles oulipiennes post-voltairiennes de Jean-Bernard Pouy {La Belle de Fontenay, 1992) ou les « cyberpolar » de Maurice G. Dantec {Les Racines du mal, 1995), perturbent de même la perception du réel, révèlent des vérités ambiguës et réversibles. La « grande ville » moderne, babélique, semble elle-même définitivement marquée par la discontinuité spatiale et sociologique avec ses souterrains, cul-de sac, son atmosphère brumeuse ou crépusculaire dans les récits de Frédéric H. Fajardie, de Jean-François Vilar {Bastille Tango, 1986) ou d'Hugues Pagan {Dernière Station avant l'autoroute, 1997). Paris devient un miroir hystérique de la réalité moderne.



Des constructions formelles



On reproche souvent à la littérature policière son réalisme plat, délaissant toute responsabilité de la forme. Ce qui est vrai des romans des années 1940-1960 ne l'était pas du roman à énigme, d'Arthur Conan Doyle à Agatha Christie, qui se souciait peu d'être un miroir du réel et travaillait sa construction. Pour Demouzon, « le récit d'énigme n'est pas une copie de la réalité, une espèce d'amplification poétique de la chronique des faits divers, c'est un travail d'écriture au sens strict, fondé sur une invention narrative ». En avouant sa nature fictionnelle, le roman policier devient une pure construction de l'esprit, un jeu de langage et de signes et affirme par là son autonomie. Quelques écrivains mettent en relief ce laboratoire formel. Fondé sur le modèle de l'Oulipo, l'Ouvroir de littérature policière potentielle, qui rassemble notamment Jacques Baudou, Paul Gayot, Michel Lebrun, François Rivière et François Guérif, recense les combinatoires du roman policier et produit de courtes histoires à partir des mécanismes inutilisés. Jean de Porla suggère ainsi 125 solutions à l'énigme posée par le premier crime de l'humanité (« Abel et Caïn : propositions de criminologie potentielle »), François Le Lionnais (« Qui est le coupable ? ») met en ouvre un cas jamais réalisé dont le coupable est le lecteur, tandis que René Réouven, à grand renfort de diagrammes, graphiques et arbres généalogiques, fait de ses romans le fruit d'un croisement entre mathématiques et littérature.



Fictions et métafictions policières



Convaincus que le personnage est une fiction de papier, certains auteurs jouent avec les stéréotypes du genre. Le relevé de quelques titres {Socrate encule Hegel de Pouy, Eros et Thalasso de Chantai Pelletier, La Commedia des ratés de Tonino BenacquistA), notamment ceux du « Poulpe » (Touche pas à mes deux seins de Martin Winckler, Vomi soit qui mal y pense de Gérard LeforT), fondés sur des calembours, manifestent une dimension humoristique héritée de Frédéric Dard. De nombreuses parodies affichent l'arbitraire de la fiction contre l'illusion référentielle. Des références intertex-tuclles aux enquêteurs mythiques (Oedipe, Dupin, Sherlock Holmes, Hercule Poirot, etc.) semblent redoubler des énigmes déjà écrites. Le livre devient preuve ou arme du crime, la bibliothèque le lieu du meurtre. Récit piégé, La Théorie de l'ubiquité (1991) de Jean-Baptiste Baronian se clôt sur une explication finale de Holmes qui relève de la métanarration : « - Nous ne sommes que des personnages romanesques. Nous tous rassemblés dans cette belle bibliothèque au coeur de Londres et, en particulier Watson et moi, nous n'existons que par la volonté de sir Arthur et de ses innombrables émules. Enfin, mes chers amis, vous n'ignorez pas que tout est possible dans le monde de l'imaginaire, y compris l'impossible. Sans quoi, qui s'intéresserait à nous ? » Dernière Station avant Jérusalem (Dcmouzon, 1994), vertigineuse fiction au second degré, mêle l'allégorie à la science-fiction, au fantastique, au conte oral, aux ouvrages ésotériques et à l'exégèse religieuse, dans l'esprit du Nom de la rose d'Umberto Eco et des Fictions de Borges: Le massacre d'une famille entière suit le récit d'un livre, découvert chez un témoin de la tuerie, une « Série noire » signée d'un certain Korbush-Reinhardt, qui raconte les événements mêmes sur lesquels la police enquête et contient les noms des enquêteurs: « [...] nous ne sommes qu'un univers de fiction attaqué par le réel ».



Le métissage du genre policier



« Tous les grands romans du XXe siècle sont des romans policiers », disait de façon provocatrice Jorge Luis Borges. De fait, le roman policier sollicite depuis cinquante ans l'attention d'écrivains qui réfléchissent sur la représentation romanesque: Michel Butor, Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget, mais aussi Georges Perec, Patrick Modiano ou Jean Echenoz. Même si leur intention est parfois de détourner le modèle de sa norme ou de l'exaspérer pour mieux le détraquer, cet intérêt manifeste les possibilités créatrices inhérentes au genre, comme si sa structure particulière se prêtait à toutes les subversions narratives, à toutes les transformations ludiques. Inversement, des écrivains comme Alain Demouzon, Jean Vautrin, Daniel Pennac, Pierre Magnan, Didier Daeninckx passent du roman policier à la littérature générale. Jean Vautrin obtient le prix Goncourt en 1989 avec Un grand pas vers le bon Dieu, dont l'intrigue policière reconstitue la langue cajun. Les deux premiers titres de la tétralogie de Malaussène {Au bonheur des ogres, 1985 ; La Fée carabine, 1987) de Daniel Pennac ont été publiés en « Série Noire », les deux suivants sont parus dans la « Blanche ». Les romans de Philippe Djian, dont l'écriture rapide, cinématographique, doit beaucoup à l'école américaine, sont édités dans une collection de littérature générale. Inversement, une nouvelle traduction & Odipe Roi de Sophocle en «Série Noire» (1994) souligne la porosité des catégories littéraires : « Les amateurs de polar adorent se réclamer de la poésie ou de la tragédie classique. C'est pour eux une manière réjouissante, provocatrice, de revendiquer l'éternité de la littérature face à ceux qui ne voient dans le roman noir qu'un genre mineur voué à la disparition », note l'éditeur.

Cela permet de varier les registres : il y avait un « ton » singulier du roman policier, fait de gouaille et d'argot; celui-ci joue désormais sur tous les langages. La diction hallucinée du réel, scandée à la manière d'un rap pulsionnel chez Hervé Prudon {Nadine Mouque, 1995) ne ressemble pas à la musique douce-amère des romans de Tonino Benacquista ni à celle, plus « trash », des romans de Virginie Despentes {Baise-moi, 1996). Dans La Vie de ma mère (1994) de Thierry Jonquet, la narration en première personne d'un adolescent socio-culturellement défavorisé témoigne de sa perception appauvrie et montre la violence qu'impose une langue mutilée. Les romans de Sébastien Japrisot, L'Eté meurtrier (1977) ou Un long dimanche de fiançailles (1991), imbriquent des discours hybrides (la lettre officielle ou intime, le poème, le conte, etc.), multiplient narrateurs et narrataires. Serge Quadruppani se cherche des pères spirituels en littérature : Kafka, Musil et surtout Poe, auquel il emprunte Double Assassinat de la rue Morgue et La Lettre volée.



Certains auteurs tiennent à demeurer a contrario dans la littérature dite «populaire». Jean Vauttin imagine avec Dan Franck depuis 1989 un feuilleton digne de Dumas, Les Aventures de Boro, reporter-photographe, qui se déroule dans l'Europe de l'avant-guerre. La série collective « Le Poulpe » créée par Jean-Bernard Pouy aux éditions Baleine en 1995, où un auteur différent (Jean-Bernard Pouy, Didier Daeninckx, Patrick Raynal, Serge Quadruppani, etc.) invente une nouvelle aventure {La Petite Ecuyère a cafté. Nazis dans le métro, L'Amour tarde à Dijon, etc.) du héros récurrent, Gabriel Lecouvreur, dit « Le Poulpe », enquêteur libertaire, renoue avec la tradition du feuilleton. Mais nombre d'autres assument des croisements génériques plus ou moins audacieux. Les récits de Fred Vargas {Debout les morts, L'Homme aux cercles bleuS) s'ouvrent sur une certaine poésie urbaine et mettent en scène des enquêteurs historiens (archéologue, médiéviste...). L'ouvre gigantesque de Serge Brussolo explore l'angoisse de l'être humain dans une approche à la fois historique et scientifique, mêlée de science-fiction et de psychologie. Les romans de Maurice G. Dantec revendiquent une hybridation exponentielle des formes. Thriller haletant, «road-movie», La Sirène rouge (1993), placé sous le patronage de Wim Wenders et d'Aldous Huxley, a pour héros un militant humaniste enragé par la violation des droits de l'homme en Bosnie, par la purification etfinique et la complicité occidentale. À l'approche rationaliste du polar français, Dantec préfère une plongée dans le sous-sol infernal des idéologies totalitaires, hantée par l'ambivalence du Bien et du Mal et le conflit irrationnel entre des forces antagonistes, et ouvte la voie peu explorée du cyber-polar {Les Racines du maL). Son écriture hypnotique joue avec la dissémination des technologies de destruction, la désagrégation post-industrielle, la manipulation génétique ou médiatique, les snuff-movies et les génocides. Alors que le roman à énigme était, selon l'expression de Narcejac, un «roman-machine» bien réglé et rassurant, dont les éléments s'emboîtent jusqu'au dévoilement final, Dantec y introduit le chaos. Dans Villa Vortex (2003), l'auteur multiplie voix narratives et formes de récits (rêves, rapports, films, faits divers authentiques, journal métaphysique et considérations géopolitiques...), fait référence à L'Eve future de Villiers de l'Isle-Adam, allusion à la Kabbale et à l'Evangile de Jean de Patmos. L'intrigue n'est pas moins profuse, enchâssée qu'elle est dans l'espace indéfini et métafictionnel du « Quatrième monde », futuriste et apocalyptique, où des résistants cybernétiques luttent contre la Très Grande Bibliothèque de Babel, symbole de la décadence de la civilisation occidentale. Ce roman-monde, métissé de science-fiction, prétend jouer le rôle de capteur sensible aux évolutions de la société et en préfigurer les visages les plus inquiétants.



Ainsi, en l'espace de trente ans, le roman policier sera-t-il sorti définitivement du purgatoire qui l'identifiait comme un genre populaire, hâtivement écrit et souvent caricatural, pour accéder à une véritable légitimité cultutelle. Modèle de variations formelles ou ludiques pour certains écrivains, de Butor et Robbe-Grillet à Echenoz et Tanguy Viel, il a surtout puissamment contribué à la prise en compte des questions sociales par la littérature et même offert la structure de l'enquête au renouvellement des écritures de l'Histoire (cf. supra, p. 129). C'est dire que son influence sur la création contemporaine demeure importante, alors que le genre lui-même a désormais affirmé sa richesse, sa densité et sa diversité.





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