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RIMBAUD






Pour parler congrôment de Rimbaud il faudrait - mais est-ce possible ? - adopter le ton qui est le sien, s'exprimer à brûle-pourpoint, sans liaison des termes, des images ou des idées, comme s'il n'existait chez lui que des mots prononcés sur-le-champ, ex abrupto, et que le reste n'eût pas d'importance. Rimbaud, en effet, dans quelque endroit de ses écrits que nous le prenions, se révèle immanquablement à nous sous l'aspect d'un être neuf, inédit, je veux dire un être dont chaque écrit, chaque page, presque chaque vocable, se présente sans antécédent par un procédé de rebondissement saccadé qui l'empêche très délibérément de se rattacher à ce qui précède. Aussi, les différents textes qui constituent cette ouvre nous suggèrent-ils le plus souvent l'idée que chacun d'eux existe avant tout en lui-même et non avec le support d'un contexte. Si nous voulons le comprendre comme il insiste pour l'être, il nous contraint à le repenser tel qu'il s'offre, parfois très brutalement, dans la pluralité discontinue des moments qui le composent. Il nous interdit les reconstructions, les généralisations et même parfois aussi, et surtout, le sentiment d'interdépendance que nous inspire d'ordinaire tout bon texte. Chaque partie au contraire insiste ici pour que nous lui fassions un sort et que nous lui accordions même la valeur d'un absolu. Bon gré mal gré, le lecteur se trouve donc forcé de sauter de texte en texte, voire de mot en mot, comme dans un ruisseau (ou un torrenT) on saute de pierre en pierre; ou bien alors, il lui faut accepter de se confiner dans le cercle éblouissant, mais combien étroit, de l'actuel. D'où l'impossibilité de lire Rimbaud d'une traite. Le courant est sans cesse stoppe, puis recommencé. Par suite il est malaisé d'en saisir le fil. Ouvre faite, sinon de tronçons épars, au moins de « temps » nettement séparés. Les morceaux n'y glissent pas les uns sur les autres. Ils refusent de se fondre. Chacun revendique son indépendance.





En un mot, pour parler de Rimbaud ainsi qu'il conviendrait de le faire, il nous faudrait procéder comme lui, marcher du même pas, observer les mêmes haltes et les mêmes bonds, posséder la même prodigieuse capacité de renouvellement. Or, ce n'est pas possible. Contentons-nous donc de prendre pour point de départ de notre propos un texte fameux, exemplaire, cent fois cité, où éclate à l'évidence cette radicale coupure introduite par le poète entre chaque moment ou presque de sa pensée comme de son existence. Je fais allusion à la lettre à Delahaye : « A trois heures du matin, la bougie pâlit, tous les oiseaux crient à la fois dans les arbres : c'est fini. Plus de travail. Il me fallait regarder les arbres, le ciel, saisis par cette heure indicible, première du matin. »

Aucune parole, nous le savons, n'exprime mieux ce qu'il convient de faire sentir, avant tout, comme/le trait essentiel de la poésie rimbaldienne : son immédiateté, son absence délibérée de toute attache à quelque passé que ce soit, la fraîcheur du moment perçue juste au moment où elle se dévoile. Mieux qu'aucun autre poète, Rimbaud comprend la nécessité de traiter chaque moment comme si, détaché de tous les autres, il était saisi au vol et exprimé d'un coup par une présentification, elle aussi, instantanée.

Aucun terme ne la formule mieux et n'est employé plus volontiers par Rimbaud que la locution Voici ou Voilà :



Voici nager...

Voici que mon esprit vole...

Voilà mille loups...

Voici le printemps...

Voici mon cour qui bat la mesure.

Voici s'enchevêtrer les vignes...

Voici que cela finit par des anges de flamme et de glace...

Voici le temps des Assassins...

Voilà la Gté sainte...

Voilà les boulevards, voici la nuit de joie...



Plus brève encore, plus brusque, plus contractée que le voici prépositionnel, il y a la tournure exclamative, monosyllabique, dont Rimbaud use toujours avec une force maximum :



O vive lui chaque fois

Que chante le coq gaulois...

O saisons, O châteaux...

Vrai, cette foisjj'ai pleuré plus que tous les enfants du monde...

O le plus violent Paradis de la grimace enragée...

O la la...

Zut alors...



Citons, à ce propos, la remarque si juste de Benjamin Fondane :

Rimbaud veut crier dans la poésie même, faire coïncider inspiration et cri.



On voit que dans le voici, le voilà, comme dans toutes les tournures exclamatives, s'affirme avec une vigueur exceptionnelle le besoin qu'éprouve Rimbaud décondenser dans l'expression le maximum de force dans le rninimum d'espace et de temps; c'est-à-dire de faire de sa parole, comme le remarquait Fondane, quelque chose d'analogue au cri. De la sorte, chez Rimbaud, combien souvent se réalise d'un coup la fusion de l'événement et de la parole, l'une étant l'écho instantané de l'autre : coïncidence parfaite d'une action et de son expression, au point qu'il est possible de soutenir que, dans la plupart des cas où, chez Rimbaud, elles s'affrontent, la parole et, par conséquent, la pensée qu'elle explicite ne sont pas seulement un mode d'expression ayant pour fin de traduire dans le langage quelque événement de la réalité externe ou interne, mais l'écho direct, subit, foudroyant de cette réalité événementielle dans le verbe qui la formule. D'où l'extraordinaire brièveté qui se révèle quasi toujours dans la perception et i'expression du monde rimbaldien.

Brièveté qui est d'abord, essentiellement, un raccourci opérant dans l'espace, une compression de celui-ci par un procédé à la fois mental et verbal.

Mais il y a aussi la promptitude, compression parallèle, opérant cette fois dans le temps. Si l'ouvre rimbaldienne est la plus concise, elle est aussi, du même coup, la plus rapide. 'Elle est une activité verbale sans délai, sans hésitation, sans ambages. Aucune superfluité, aucune redondance, aucune médiatisation n'en suspend ou n'en ralentit le cours. Le laconisme et la brusquerie y triomphent, souvent aussi l'agressivité, qui a presque toujours ici un caractère instantané. Tout se trouve ramassé de telle sorte qu'il n'y a jamais besoin de faire retour en arrière, de rattacher ce qui est dit à ce qui a été dit, de faire intervenir le passé pour justifier le présent, de telle manière que dans l'actualité de l'expérience rimbaldienne tout ce qui pourrait la précéder, immédiatement bu non, doit être considéré aussitôt comme annulable ou négligeable, c'est-à-dire tout simplement comme non advenu. Quant au futur, le plus souvent, au lieu d'être nié, Rimbaud le fait paraître comme si imminent, comme si urgent, qu'il n'alloue pour ainsi dire aucune distance entre le présent et lui.Du présent au futur, sans transition, le contact s'accomplit, non par un glissement insensible des temps l'un dans l'autre, mais au contraire par une action aussi violente qu'immédiate, comparable à celle du bateau ivre, dont l'étrave se révèle toujours comme s'engageant à fond dans l'ouverture d'un nouveau futur.



En un mot, le poème rimbaldien se caractérise presque toujours par la présentation directe de l'actuel : l'actuel tel qu'il est, tout formé, intégral, jamais à l'état d'ébauche; et cela, que cette actualité soit authentique ou imaginaire, réelle ou simplement rêvée. Présentation qui ne peut se faire qu'avec la netteté la plus grande, sans flou, sans imprécision, sans bavure, mais aussi sans lenteur, sans mollesse, sans hésitation, sans incertitude. Rien qui soit plus contraire au style rimbaldien et à l'univers qu'il nous décrit, que le vague de la pensée associé au vague de l'expression.

Donc l'inverse même de ce qu'on trouve le plus souvent chez Verlaine. Rien ici qui évoque « la chanson grise où l'indécis au précis se joint ». Ainsi Verlaine écrit :



Rires oiseux, pleurs sans raison

Mains indéfiniment pressées,

Tristesses moites, pâmoisons.

Et quel vague dans les pensées !



Telle est, on le sait, le plus souvent, la poésie de Verlaine : pleine de choses oiseuses, indéfinissables, vague à la fois dans les termes qu'elle emploie et dans les pensées qu'elle se donne. Pa»de pensée plus évidemment indéterminée que la poésie verlainienne. Pas de poésie, au contraire, plus rigoureusement déterminée que celle de Rimbaud. Obscure parfois, jamais confuse. Poésie qui ne tolère aucun flottement, aucune inexactitude, aucune équivoque. Point d'approximation, d'à-peu-près, point d'incertitude. Une démarche prompte, foudroyante même, et toujours assurée. Si cette poésie s'interroge, comme il lui arrive de le faire, la réponse aussitôt révèle une certitude. Et même parfois plus encore qu'une certitude : quelque chose comme une prise de possession triomphante, immédiate et totale, de l'objet mis en question/La poésie de Rimbaud se montre ainsi le plus souvent comme une poésie assertive et affirmative. C'est une poésie qui donne toute sa force, sans réserve, au Oui.



Néanmoins il ne faut jamais perdre de vue que ce oui a le plus souvent pour base ou pour point de départ un non :



Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur,

Mon esprit ! (Qu'est-ce que nous ?)

Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce. (Une saison en Enfer.)

Europe, Asie, Amérique, disparaissez...

Peut-on s'extasier dans la destruction, se rajeunir par la cruauté ? (Illuminations.)



La guerre, la destruction, le bond de la bête féroce ne sont pas des actes affirmatifs, loin de là ! Ils ne créent rien, ils détruisent. Mais il semble évident que dans le monde rimbaldien leur intervention violemment négative n'a d'autre raison d'être, de justification, et même de puissance positive, que la force d'engendrer immédiatement l'inverse, c'est-à-dire une absolue positivité. C'est de la plus indubitable négation que jaillit ici l'affirmation : affirmation elle-même si évidente, que, bien loin de l'affaiblir, la négation qui la précède, ne fait que la renforcer. De plus, entre la négation antécédente et l'affirmation subséquente, aucune pause n'est prévue. En un même moment quelque chose s'écroule, quelque chose naît. Une détermination positive se substitue instantanément à une détermination négative. Devant le présent qui naît, le passé n'a d'autre ressource que de céder tout d'un coup la place. Destiné à être aussitôt détruit et remplacé, il ne peut être considéré d'aucune façon comme un processus préparatoire, et, encore moins, comme une cause déterminante.



Ainsi, le plus souvent, chez Rimbaud, c'est sans transition aucune que de l'activité destructrice originelle jaillit par une sorte d'éruption quelque chose qui en est l'inverse, presque l'image à rebours, c'est-à-dire une authentique création. Entre les deux il y a sans doute un lien, mais est-ce un lien causal, dans le sens ordinaire du terme, ce n'est pas évident. Sans l'activité destructrice, certes, il est bien improbable qu'il pût y avoir apparition d'une réalité radicalement adverse, espèce de positivité qui ne doit sans doute l'existence qu'au fait qu'elle dépend d'un contrecoup. Mais y a-t-il là génération au sens habituel de ce terme ? Ne serait-ce pas attribuer chez Rimbaud au pouvoir négateur primitif une espèce de positivité rudimen-taire qui trouverait dans son retournement sa complète réalisation ? La poésie de Rimbaud dépendrait-elle ainsi d'un simple effet de bascule ? Ne serait-ce pas trop dire ? Peut-on prétendre par exemple que, chez l'auteur des Illuminations, à tout coup, le positif sorte du négatif par un renversement inévitable ? Est-ce que le surgissement inespéré, chez le poète, de toute réalité nouvelle, a bien toujours pour origine le déploiement d'une force négatrice, productrice seulement de ruine et de néant ? A bien y réfléchir, cette intervention originelle doit-elle être réellement considérée comme une cause, et n'est-elle pas simplement, dans l'effondrement définitif qu'elle détermine, l'occasion de faire naître une possibilité nouvelle d'existence, dont le poète, alors, instantanément s'empare ? Le pouvoir destructeur de Rimbaud, quelque puissamment qu'il puisse s'exercer, a tout juste un rôle à jouer : celui de faire le trou, ou, en d'autres termes, de faire place nette. C'est dans ce vide, étonnamment fécond, que vient alors s'engouffrer une autre force, celle-ci entièrement neuve et positive. Aussi, n'est-ce jamais, chez Rimbaud, le pouvoir négateur qui s'affirme comme le principe générateur de ce qui a lieu. Il permet seulement l'intervention d'une force, celle-ci totalement positive, qui installe instantanément son activité jaillissante dans le vide ainsi creusé - permettant ainsi du même coup au poète-créateur de donner libre cours à sa puissance inventive sans rencontrer d'obstacles. La prise de possession par l'esprit de son nouveau domaine donc présente toujours chez Rimbaud l'aspect d'un bond qui le jette aussitôt, aussi loin que possible du vide originel. L'activité négative par laquelle, chez lui, le passé est sur-le-champ renversé, n'a nullement pour effet de l'immobiliser dans un état d'inertie.- Rien ne lui plaît moins qu'une éternité figée. L'éternité même ne lui apparaît jamais que sous la forme, non d'un état sans changement, mais, au contraire, d'une activité aussi mouvante que complexe : « Où est l'éternité ? », s'écrie-t-il. Et il répond : « C'est la mer allée (ou mêléE) avec le soleil », c'est-à-dire engagée dans un mouvement confus, qui est à la fois celui d'un dégagement et celui d'une lancée. D'un dégagement, par rapport à tout ce qui se trouve abandonné, laissé en arrière, et d'une lancée en raison du bond qui la projette en avant. Néanmoins, il faut remarquer ici que le bond en avant qui caractérise inoubliablement, par sa force exceptionnelle d'ouverture, l'élan rimbaldien, ne se donne jamais pour fin de son progrès un temps futur fixé pour toujours. Il ne vise pas quelque paradis terminal. Ce qui, avant tout, absorbe l'énergie du poète, c'est la volonté de manouvrer librement à l'intérieur d'un moment simultanément soustrait aux contraintes du passé et non encore dépendant de quelque spécifique avenir : donc un moment qui, pour tout le temps qu'il dure - et ce peut être celui d'un éclair - serait un moment non expressément déterminé, un moment véritablement libre.



C'est peut-être en cela que consiste essentiellement l'apport de Rimbaud à la poésie moderne : créer, ne serait-ce que le temps d'un éclair, un moment soustrait à l'engrenage de causes et d'effets dans lequel, immanquablement, les moments se trouvent déterminés les uns par les autres et soumis ainsi à la loi la plus rigoureuse qui régit les moments humains, c'est-à-dire la loi de causalité. Celle-ci semble avoir pour effet de condamner tous les êtres à un engagement perpétuel. Une chaîne ininterrompue paraît lier tous ceux-ci par le truchement de déterminations particulières emboîtées en quelque sorte les unes dans les autres. Il n'y a donc moyen de recouvrer sa liberté qu'en rompant cette chaîne qui nous oblige à aller de détermination en détermination - ou, en d'autres termes, qui nous contraint de reconnaître toute existence présente comme actuellement déterminée par l'existence antérieure. Rompre cette chaîne, c'est permettre à l'être ainsi affranchi de faire du moment présent l'occasion d'un libre bond vers le futur. Agissant dans ce sens, Rimbaud ne reconnaîtra pas la loi de détermination à laquelle pourtant sont universellement soumis tous les hommes. Il rejettera le principe qui veut que notre présent soit causé par notre passé. Il exige, au contraire, que son présent à lui se pose comme absolument indéterminé, en ce sens qu'il s'affirme comme libéré de toute attache avec quelque détermination antérieure que ce soit. Tel est le sens, sans doute, de paroles comme celles-ci : « Moi, je suis intact », « Dispensé de toute morale ». Tel est peut-être aussi le sens qu'accorde Rimbaud à certains mots de son vocabulaire, le mot « pureté », le mot « innocence », l'expression « être sans défaut ». Telle est surtout son intention majeure, l'orientation unique de sa volonté : celle, comme il dit, d'accéder à la « liberté libre ». La liberté libre ne peut être qu'une chose : l'état dans lequel vit un être qui, « brisant le joug pesant sur l'âme et sur toute l'humanité », serait « libéré de tous ses dieux » et, en particulier, du démon de la détermination causale, affectant tous les humains.



Bref, ce que tente de réaliser Rimbaud, c'est de se hausser jusqu'à un certain niveau de la vie mentale, où la pensée et, par conséquent, l'existence, soustraites au joug de la détermination causale imposée par les dieux à l'homme, se trouvent lavées de toute souillure, et, de ce fait, en particulier, des déterminations de toutes sortes, qui, comme les vers d'un cadavre, s'attachent inséparablement à celui-ci. La vraie vie, c'est la vie qui se saisit comme positivement indéterminée, c'est-à-dire libre, à l'instar du bateau ivre, de choisir sa route : le bateau ivre, disant : « Les fleuves m'ont laissé descendre oit je voulais. »



Sans doute une telle indétermination, à aucun titre, ne saurait être identifiée avec l'indétermination de celui qui s'abandonne au courant qui le pousse, il ne sait où. L'indétermination rimbaldienne est identifiable, au contraire, à un acte de pure volonté. De pure volonté, en ce sens qu'il se présente comme indépendant de toute intention antécédente ou extérieure. Le bateau ivre descend le fleuve, selon Rimbaud, par un acte sut generis, c'est-à-dire par une détermination, certes, mais, cette fois-ci, interne, se manifestant sur place, sur le moment, et en pleine indépendance. Un être libre, non pré-déterminé par qui que ce soit, ou par quoi que ce soit, transforme son indétermination originelle en détermination libre. Par là il fait de lui-même un être nouveau, ou, en d'autres termes, il se réinvente. Rien de plus différent donc de l'indéterminisme verlainien, celui de la « Chanson grise », du vague, de l'indécis, du troublé, de l'incertain. Dans un sens qu'il faut soigneusement préciser, l'indétermination rimbaldienne est autre. Elle est autre en ce sens qu'elle permet à celui qui la pratique de s'émanciper totalement au moins sur-le-champ, sur le moment, de toute détermination antérieure. Elle est autre parce qu'elle permet d'être autre. Je est un autre. Passage si radical qu'il n'y a plus moyen pour réaliser ce moi « autre », de le faire dépendre, si peu que ce soit, d'un moi précédent. Et ce qui est vrai pour le moi l'est aussi pour le monde recréé par le moi. La détermination rimbaldienne, créant ou déterminant (ces deux termes devenant interchangeableS), sa réalité ultérieure, procède par bonds, qui, chaque fois, l'arrachent à quelque détermination antérieure, radicalement dépassée. Si, pour y parvenir, elle dépend de quelque chose, c'est de quelque chose d'entièrement négatif, le pouvoir d'interruption et de libération, qui est, lui aussi, une espèce d'indétermination.



RIMBAUD : TEXTES



Je est un autre.

Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute.

Cela m'est évident. J'assiste à l'éclosion de ma pensée.

Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens...

Car il arrive à l'inconnu.

Ecouter ses inventions.

Si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme.

Si c'est informe, il donne de l'informe.

J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues.

J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels.

Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle.

Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens.

Apprécions sans vertige l'étendue de mon innocence.

Je m'entête affreusement à adorer la liberté libre.

Peut-on s'extasier dans la destruction, se rajeunir par la cruauté !

Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur.

Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.

Voici le temps des assassins.

Voici que mon esprit vole.

Et j'irai loin, bien loin.

Je quitte l'Europe.





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