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PIERRE POIRET






Au lieu de nous occuper de Pierre Poiret, nous aurions pu nous contenter de choisir comme unique représentant de la mystique protestante au xvne siècle celui qui fut sans conteste son maître et son inspirateur, Jacob Boehme, et cela avec d'autant plus de raison que de leurs pensées, l'une et l'autre admirables d'ailleurs, la plus originale, la plus géniale même, voire la plus profonde, est, à n'en pas douter, celle de Boehme. Mais, d'une part, il est possible, à travers les textes de Poiret, d'aborder plus aisément la pensée boehmienne, qu'en affrontant directement celle-ci; et d'autre part, si Poiret n'a pas toujours exactement suivi celui qui fut son maître, les variations qu'il a introduites dans sa doctrine enrichissent et même approfondissent plus d'une fois celle-ci. Poiret, il faut le reconnaître, tempère considérablement la violence, ou l'âpreté plutôt, qu'on trouve chez Boehme; il adoucit le caractère intensément tragique, caractéristique de la pensée du philosophe silésien. Grâce aussi à ce ton plus serein dans l'expression des idées et des sentiments, il n'est pas sans rapprocher le prophétisme boehmien, qui est le sien, de la pensée plus suavement méditative des grands mystiques allemands et flamands du xrve siècle. D'autre part, Poiret apporte à la pensée chrétienne française de l'époque classique, où il faut le situer, une contribution précieuse à cause du contraste qu'il offre d'un côté avec l'intellectualisme pieux qui domine en France entre l'époque de Descartes et celle de Malebranche, et à cause aussi du fait qu'il laisse pressentir quelque chose de ce que sera, bien plus tard, la pensée religieuse romantique. De la sorte, Poiret nous fait songer tantôt à Tauler, à Suso, à Ruys-broeck, et tantôt à Joubert, à Chateaubriand, voire à Lamennais.





Ce qu'il faut retenir en premier lieu dans l'ouvre de Poiret, c'est une admirable description de l'âme humaine, telle qu'elle apparaît immédiatement après la chute. Il la voit tourmentée par un regret inapaisable, par un besoin avide de la lumière dont elle a été privée : « Je ne suis qu'un principe de désirs et de recherches », écrit-il, résumant en ces termes l'état de l'être humain obsédé par la conscience de la perte infinie qu'il a subie, et sans cesse à la recherche d'objets qui pussent compenser ce dont il avait été privé.



L'homme tombé est hanté par le désir de retrouver et de refaire sien quelque bien passionnément désiré, dont il continue de rêver, mais qu'il est devenu incapable de définir. D'où, au dire de Poiret, dans l'esprit de l'homme tombé, « une suite de pensées informes, confuses, ténébreuses, embrouillées, sans ordre et sans certitude, sujettes à enfanter mille chimères et mille désirs ».

Dans cette première peinture de l'homme, présentée par Poiret, aucune place n'est prévue pour la vie sociale, ni pour le rôle d'une Eglise. On n'y distingue, en somme, que des individus, ou plutôt des âmes solitaires, chacune absorbée, soit dans ses passions, soit dans ses croyances, et n'ayant de rapport qu'avec les réalités spirituelles. Entre Dieu et l'âme, aucun agent interposé : l'âme se trouvant réduite à une vie purement intérieure, enclose en elle-même, sans intermédiaire social ou ecclésial, et ensevelie dans ce que Poiret appelle « une ténèbre générale ». Dans cette solitude profonde dont rien ne vient le distraire, l'homme est livré à la fois à une confusion perpétuelle, en même temps qu'à l'angoisse, ayant perdu le contact avec la seule source vivante qui pût l'abreuver. Mais le pire est que dans cette situation sans issue, faite de désirs renaissants qui ne peuvent être contentés, l'être est inlassablement ramené au vide, à une sorte d'atonie ou de vacuité, de temps à autre interrompue par de brèves tentatives d'action. Ce sont des déterminations passagères, en coups de tête, passionnément vécues, mais dont l'esprit se fatigue aussitôt. De la sorte, les objets successifs et variés qui tour à tour se présentent à la conscience, les diverses formes dont l'esprit les revêt, s'affirment à un moment donné comme irrésistiblement désirables, et l'instant d'après, comme sans attrait. Tel est pour Poiret, un peu comme pour tous les grands moralistes de l'époque, l'état ordinaire des êtres. Harcelés par des déterminations urgentes, multiples, étroitement limitées dans le temps et instantanément remplacées par d'autres, les êtres vont de détermination en détermination sans pouvoir s'arrêter à aucune.



Sans doute, ce tableau pessimiste de toute activité individuelle n'a rien d'original. Il est néanmoins indispensable à son auteur pour faire saillir, dans toute sa force, le contraste qu'il veut établir dans ce tableau des activités humaines entre, d'une part, le long cortège des déterminations particulières, et, d'autre part, la négation répétée de celles-ci, le vide récurrent qui possède l'être, dès qu'il se soustrait à cette multiplicité factice.

Il s'agit donc, pour échapper à ce que Poiret appelle « la multiplicité des formalités particulières », de « se défaire de tous attachements, de toutes idées, de toutes les opérations de la volonté, de l'esprit et de toutes les puissances, pour - dit Poiret - se recueillir en silence, en vacuité et en ténèbres dans le centre de l'âme en la présence de la Divinité incompréhensible ».

Insistons sur ce rejet de toute détermination particulière, recommandé par Poiret comme l'objet essentiel de la pensée mystique, ou, si pas comme l'objet de cette pensée, au moins comme l'étape indispensable par laquelle l'âme doit passer pour échapper à ce qu'il appelle le cycle des opérations particulières de la volonté. Il s'agit, en effet, d'atteindre à un état profondément différent, celui où se trouvent « le centre et la force suprême de l'âme, le fond de celle-ci », dont il est parlé si souvent, dit Poiret, chez les auteurs mystiques, et qui, affirment-ils, dans la vie présente, est « divinement obscur et le siège de la vraie contemplation ». - « Là réside, écrit encore Poiret, la Ténèbre fondamentale de Dieu », expression tout à fait boehmienne.

A la vacuité de la pensée humaine, éliminant de son centre toute volonté, toute activité personnelle, tout désir, hormis celui de Dieu, correspond donc une vacuité égale de l'intellect, ramené à l'absence de tout objet déterminé, afin de parvenir ainsi, par une voie négative, et par la dénudation résultante de la pensée, au centre même de l'âme humaine, lieu où secrètement Dieu réside. Dans ce « centre indivisible et très profond », dit toujours Poiret, « règne un silence uniforme », où il n'y a aucune forme, aucune durée, ni continuation, ni diversification qui y soit manifeste : « Ce sont là, ajoute l'auteur, les silencieuses et adorables Ténèbres de la Divinité. »

L'on voit ici combien étroitement la doctrine mystique de Poiret se relie à celle des mystiques du XIVe siècle, et, en particulier, à Ruysbroeck. Poiret et Ruysbroeck conçoivent dans les mêmes termes, comme centre de la pensée mystique, un lieu mental qui ne peut être perçu et décrit que négativement : lieu de silence et de paix, investi d'un calme sacré. Dans la profondeur de l'être existe, comme siège de l'âme ou de ce qu'il y a de plus saint en elle, une infiniment mystérieuse présence. C'est la présence divine qui ne peut se révéler que dans une totale absence de forme, et même aussi d'activité. Elle est, dans les termes de Poiret, comme « un abîme infini de repos, de paix, de joie, de gloire ». Aucune représentation de cette présence mystérieuse entre toutes n'est concevable. Car la Divinité dont il est parlé ici est une Divinité sans forme, sans figure, dépourvue de toute détermination particulière, et mieux définie par des négations que par des affirmations.



Ici Poiret suit une longue tradition d'écrivains mystiques, se rattachant à ce qu'on appelle la théologie négative du pseudo-Denys l'Aréopagite. Et il est frappant que pour lui, disciple le plus souvent très fidèle de Boehme, ce soit précisément ce côté entièrement négatif, ou, dans le cas présent, rigoureusement inactif, d'une Divinité conçue comme exemple de toute activité externe, que retient Poiret. Il en fait le trait essentiel de sa méditation. Visiblement, rien ne lui apparaît comme plus précieux que cet aspect de repos, attribué à l'Etre divin. Il le considère comme plus digne de vénération que tout autre. Or, par cette préférence, Poiret se montre ici très nettement difie-rent de Boehme. Car, pour ce dernier, l'aspect prédominant de la Divinité, celui qui prime dans sa théodicée, c'est celui d'un être qui, si insondable que soient sa nature originelle et le caractère indéterminé que, de ce fait, il présente, ne peut être conçu par notre esprit que comme engagé dans un étrange conflit d'activités, qui se croisent et se heurtent, et où éclatent de violentes tendances antagonistes.



Le Dieu de Boehme est un Dieu sans repos, engagé dans une guerre intestine qui apparaît sans issue.

Sur ce point, à n'en pas douter, Poiret se montre beaucoup plus proche d'un Tailler ou d'un Ruysbroeck que d'un Boehme. Ceci se laisse voir dans le ton de sa pensée. Il est aisé de relever chez lui, jusque dans son langage, un mode de réflexion marquant une certaine répugnance pour les conflits violents qui constituent l'essentiel de la dialectique boehmienne. La douceur de son ton, la sérénité heureuse de ses humeurs, tempèrent considérablement chez lui les âpres affrontements de tendances qui abondent dans l'ouvre de son prédécesseur. Cela n'implique nullement que sa propre pensée s'abandonne sans interruption à la contemplation passive d'une Divinité enveloppée dans son mystère. Mais à la place d'une oscillation perpétuelle de l'une à l'autre des tendances opposées, ce que Poiret conçoit le plus souvent, c'est par une sorte de phénomène d'émergence, la manifestation parallèle, à l'intérieur même de la Divinité, d'une puissance active, issue de la profondeur impénétrable où elle réside, et qui aurait pour conséquence de la rendre perceptible aux yeux ou à l'imagination des contemplateurs. Dieu apparaîtrait alors, non plus, cette fois, exclusivement, dans la simplicité de son essence, mais dans la multiplicité des aspects d'elle-même qu'elle peut révéler en se manifestant. Cette nouvelle ou autre révélation de Dieu serait d'ailleurs continue, en ce sens que la présence du divin, enclos dans ses ténèbres, ne cesserait jamais d'être perceptiblement accompagnée par les activités diverses qu'elle manifesterait au-dehors. Il y a en Dieu, d'une part, une unité fondamentale, absolument indéfinissable, et d'autre part, une pluralité d'actions qui inlassablement émanent de lui :



Dieu, écrit Poiret, comme il lui plaît, recommence à saillir du centre de son éternité dans la multiplicité de ses manifestations, pour renouveler l'adorable et toujours nouveau jeu de sa contemplation infiniment multiple. Cette saillie, dit encore Poiret, quand elle se fait en lui-même, c'est la Trinité; mais cela peut être aussi un mouvement inépuisable qui, s'élançant au-dehors du centre, s'épanouit dans un espace divin sans borne et sans définition.

Dieu rejaillit comme de son centre et du centre de chacune de ses perfections vers son immensité.



Ainsi, dans la sorte de rêverie spéculative à laquelle volontiers Poiret s'abandonne à l'extrême de ses réflexions, il conçoit un Dieu qui, en même temps, se tiendrait caché dans la centralité infinie de sa nature, et qui, d'autre part, saillirait hors de son indétermination originelle, pour s'épanouir par une manifestation expresse de sa nature, dans un espace également infini.

La prise de conscience que nous pouvons avoir de Dieu reste donc voilée de deux façons : en ce sens que dans sa centralité et sa profondeur Dieu se dérobe à nous ; mais qu'il se dérobe encore à nous par l'immensité de la circonférence que son activité remplit. D'un côté comme de l'autre, la même indétermination se manifeste. Nous sommes ici beaucoup plus près des néo-platoniciens de la Renaissance que de Boehme. On pense même à Giordano Bruno. En effet, un univers doublement infini est doublement indéterminé, puisque cette indétermination se découvre aussi bien du côté du centre que du côté de la circonférence. Comme Poiret nous l'explique lui-même, il s'agit là de ce qu'il appelle une « contemplation infiniment multiple ». En tant que telle, elle échappe à toute détermination. Dieu lui-même est « liberté infinie », et la pensée que nous pouvons nous former de lui, nous ne pouvons la concevoir, elle aussi, que « dans un fond de liberté infinie ». C'est déjà vrai dans toute méditation où se plonge le mystique. Ce le sera plus encore, dit toujours Poiret, là où règne « le bonheur des Elus ». Et ce bonheur, il le décrit de la façon suivante : « Rien de limité, rien de déterminé, mais un pur choix, une libre disposition à l'égard de tous les trésors de Dieu. »



POIRET : TEXTES



Je vois que je ne suis qu'un principe de désirs et de recherches, qui, a vrai dire, se porte à être éclairé et apaisé, qui s'y porte invinciblement et naturellement, mais qui s'y porte obscurément, d'une manière générale, vague et confuse, qui ne sait distinctement et vivement ce qu'il veut; une source de pensées informes, confuses, ténébreuses, embrouillées... {(Economie divine, I, p. 47.)

L'âme ne doit pas être inagissante absolument et physiquement... mais son inaction est de ne pas se déterminer à des choses bornées et particulières. L'âme ne doit pas de son choix déterminer ses actes... (La paix des bonnes âmes, Amsterdam, 1687, p. 242.)

(Il fauT) se défaire de tous attachements, de toutes idées, de toutes les opérations particulières de la volonté, de l'esprit, et de toutes les puissances, et se recueillir en silence, en vacuité et en ténèbres dans le centre de l'âme en la présence de la Divinité. ((Economie, I, p. 175.)

L'éternité... abîme la contemplation de la Divinité dans un centre indivisible et très profond... dans un silence uniforme, où il n'y a aucune forme... Ce sont les silencieuses et adorables ténèbres de la Divinité. (Ibid., I, P- 345-)



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