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Essais littéraire

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PÉGUY






Pour Péguy, ce qui importe avant tout, semble-t-il, ou ce qui le rend exceptionnel parmi presque tous les hommes, c'est la promptitude avec laquelle il participe au moment où il vit et à la richesse ou à la profondeur que celui-ci peut contenir. Personne, en effet, ne tient plus que lui à vivre dans un sentiment de coordination intense avec ce qui est en train d'avoir lieu. Cela peut consister dans la simultanéité parfaite qui se fait aussitôt en lui entre ce qu'il voit se passer et sa réaction propre, mais cela implique aussi le plus souvent un accord spontané qui se fait en lui à tout moment entre le monde extérieur tel qu'il se révèle à lui dans son actualité, et l'écho qu'il éveille sur-le-champ en lui-même et qui provoque aussitôt en lui une réaction de sympathie. Bien entendu, tout comme un autre, Péguy, dans tel ou tel cas, peut se sentir en désaccord avec tel événement particulier ou général dont il se trouverait témoin, mais la plupart du temps, il semble que, chez lui, le fond de sa pensée consiste dans un accord passionné, intense et immédiat avec ce qu'il distingue dans le sentiment général de son époque, saisi en quelque sorte au vol au moment où il lui est révélé. Chaque sentiment de ce genre ne lui apparaît, jamais tel qu'il serait souhaitable de le fixer pour toujours dans un état permanent de grâce, mais, au contraire, comme d'autant plus fascinant et digne d'être épousé, qu'il fait partie d'une longue liste de moments variés qui se succèdent les uns aux autres et avec chacun desquels, tour à tour, il convient de nouer des relations passionnées. Au fond, les seuls moments qui déplaisent à Péguy sont les moments isolés en eux-mêmes, ceux qui se cramponnent et se figent, qui prétendent ne pas céder la place à ceux qui peuvent et qui doivent suivre. Il les considère comme de faux-semblants, des présents arrêtés en cours de route, prétendant être toujours ce qu'ils ne sont déjà plus; sorte d'imposture que Péguy considère comme plus sévèrement condamnable qu'aucune autre, car elle nie ou vicie la vraie valeur des moments ou leur accorde un statut mensonger de permanence. Pour Péguy, aucun moment présent n'a le droit de s'installer « pour de bon », en plein milieu de la durée. Bref, aucun n'est destiné à durer. Le moment ne saurait être considéré comme une réalité stable ni proprement déterminée. C'est une chose non définissable, mais intensément vivante qui, en raison même de l'élan qui l'anime, ne peut que précipiter la venue du moment qui suivra.





Très proche, comme on le voit, de la pensée de Bergson, que, sur certains points, elle accentue, simplifie et popularise, la pensée de Péguy s'efforce donc de ne jamais se laisser prendre au piège des formes qu'en passant elle rencontre et adopte. C'est que la pensée, pour lui, toujours fluante, toujours prête à déborder ce qu'elle est, ne cesse qu'elle ne rejoigne ce qu'elle sait ne pas être encore. Point donc pouf elle de moment qui prétendrait pouvoir se relâcher en s'installant, comme on dit, dans ses meubles, c'est-à-dire dans un temps déterminé où elle pourrait s'établir et se détendre. Il faut que le moment ne s'arrête pas, ne se satisfasse pas de la portion exiguë qui semble lui être allouée. Il faut que la forme, aussitôt formée, soit dépassée, qu'elle se refasse sans cesse en allant de l'avant, avec l'énergie et l'aisance à la fois d'une rivière rapide. Aucun moment ne saurait être pris à part, fixé sur place et se trouver ainsi à demeure dans un lieu situé à distance régulière de ceux qui précèdent et de ceux qui suivent. Comme Bergson encore, mais avec une notable accélération du mouvement, tous les moments, pour Péguy, chacun à leur tour, se dépêchent de tenir leur rôle, en affirmant à la fois leurs affinités et leur individualité distincte, dans une action qui reste indécomposable. D'où, parfois, dans leur défilé continu, une sorte de bousculade. Telle est la raison de la répugnance marquée par Péguy pour l'hypothèse parfois formulée selon laquelle l'être humain se trouverait tour à tour enfermé dans une série d'étapes distinctes faite de lieux temporels déterminés, de l'un à l'autre desquels il ne pourrait jamais progresser que par saccades. Entre deux moments isolés d'une même pensée, entre deux similitudes fraternelles qui ne demanderaient qu'à se joindre et à se confondre, Péguy constate, le plus souvent avec impatience, mais le plus souvent aussi avec une sorte d'allégresse un peu perverse, les obstacles qui rendent les rapprochements difficiles ou impossibles. Ce qu'il aimerait, ce sont les pensées nerveuses, mais liantes, issues continûment les unes des autres, mais sans jamais pourtant se confondre. Il faut qu'il s'afflige ou s'offusque des discontinuités ou des interruptions que hautement il dénonce. Il est perpétuellement choqué, mais en même temps excité par la constatation des absences d'accord. Aucun être ne désirerait plus passionnément pouvoir marcher toujours du même pas que ceux qu'il admire et qu'il aime. Mais point d'être aussi, inversement, qui ne se sente plus mortifié en constatant la désharmonie, pourtant si féconde, qui se découvre entre une pensée et une autre. En un mot, personne n'existe qui, comme Péguy, en dépit des efforts qu'il multiplie pour établir la bonne entente et éliminer les distances, ne se reconnaisse plus insupportablement astreint à se heurter à des obstacles et à endurer des séparations déchirantes.

Les dissociations sont, en effet, pour Péguy, de toutes les situations humaines, celles qui lui causent le plus de souffrance. Son ouvre est un appel inlassable à la fraternisation des êtres, mais elle est marquée aussi par le constat d'une disjonction réitérée qui s'y répercute partout, entre les mondes, entre les moi, entre les personnes; sans parler du désaccord mystérieux et infiniment plus grave, qui se révèle en quelque sorte perpétuellement entre le moi de quelque créature que ce soit, et d'autre part le moi, à ses yeux le plus personnel de tous, celui du Créateur.



Mais en même temps aussi, à travers ces désaccords dont il souffre, l'être humain tel que Péguy le conçoit et se sent être, éprouve une grande pitié, d'abord pour lui-même, mais aussi pour tous ceux qui, comme lui, inévitablement, endurent le choc, le trouble, le désordre, le déchirement causés par une séparation qui ne se révèle jamais aussi cruellement que lorsque le besoin d'un accord devient insupportable. Il met les êtres qui en sont victimes en présence d'une coupure le plus souvent sans remède. La séparation refoule ceux qui en sont frappés, sur eux-mêmes. Elle leur fait prendre une conscience plus vive de leur isolement : « Mon âme se lasse de rester seule », fait dire Péguy à Jeanne d'Arc, la plus chère de ses héroïnes, au moment où il la décrit juste avant sa « grande partance ». Plus tard, il montre Jeanne encore, suppliant Dieu de maintenir entre tous les êtres aimés et elle-même le lien essentiel, celui d'accordance. « O mon Dieu, fait-il dire à Jeanne, faudra-t-il que je sois seule ? Faut-il que tous les êtres fassent partance de moi ? »

Même au milieu des autres êtres, même au cour de la foule, même environnée par les siens, Jeanne, dans la pensée de Péguy, est condamnée, comme Péguy lui-même, à souffrir de la privation essentielle, qui, pour l'un comme pour l'autre, consiste à se découvrir séparé. Il en est ainsi pour Jésus au milieu de ses apôtres. C'est en prenant douloureusement conscience de l'imperfection des liens qui le rattachent à lui, qu'il mesure la distance qui les sépare de lui. Péguy suit ces exemples. Il réserve un nom particulier à ceux qui sont victimes de la séparation. Il les appelle « les abandonnés de la désespérance commune ». Péguy se sent profondément semblable à eux, et cela pourtant non par l'expérience d'une alliance directe, d'un compagnonnage facile. Lui aussi a dû plus d'une fois souhaiter retrouver la communication, entrer en contact étroit avec la collectivité environnante, refaire l'alliance. Son cri est un cri d'appel, c'est aussi un cri d'angoisse. Toutes les ouvres de Péguy ne cessent de le montrer se soumettant à l'expérience de la séparation. Si solitaire que soit celle-ci par nature, elle n'est jamais une expérience unique. C'est une expérience multipliée par le renouvellement incessant des privations qu'elle entraîne, comme par l'augmentation continue du nombre de ceux avec qui on se sentait lié, et dont la vie ou la mort nous séparent. En sorte que toute souffrance endurée par cette expérience ne fait que se multiplier, elle aussi, et en agrandissant son cercle, devenir plus vaste, plus trouble, plus indéterminée et presque anonyme.



L'anonymité et l'universalité finale de ce sentiment, si solitairement qu'il puisse être vécu, impliquent donc un élargissement progressif du champ où il s'applique. Elles entraînent, de ce fait, une sorte de sacrifice : le renoncement, au moins partiel, au caractère individuel et déterminé de la peine qu'on endure. Pour ceux qui vont jusqu'au bout du sentiment de séparation ou d'isolement, il se fait comme une mise en commun de toutes les pertes dont ils souffrent, et ddnt ils ont souffert, et, par là, une espèce d'apaisement. Dans la foule, ou, tout au moins, dans le nombre de ceux avec qui, processionncllement, l'on poursuit une action de prière collective, se découvre un chemin qui n'est pas seulement celui de la consolation, mais de la vigueur retrouvée. De toutes les formes d'union tant cherchées et pratiquées par Péguy, il n'en est pas qu'il ait plus solennellement recommandée. Car la procession est une association d'êtres en qui le mouvement commun des pensées partagées ne s'arrête pas, ne se fixe pas, ne se détermine pas dans le cadre de limites précises. La pensée de Péguy devient ainsi la pensée du pèlerin faisant pèlerinage. Elle va indéfinitivement de l'avant. Si elle a une fin, cette fin, contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, n'est elle-même déterminée par aucun lien particulier. On pourrait même soutenir que cette marche, dès avant son début, prend déjà un aspect difficilement précisable, et même profondément négatif, en ce sens qu'elle comporte le renoncement à toute pensée individuelle. Il est sans doute des processions de toutes sortes, les unes, bien entendu, religieuses, d'autres, dans leurs fins, sociales, humanitaires. Mais dans l'esprit de Péguy, quelles que soient les fins positives qu'elles poursuivent, les processions ne ramènent jamais l'être qui y participe à des objectifs particuliers nettement déterminés. La procession de l'humanité tout entière - car c'est bien de cela que finalement il s'agit - est évidemment différente des groupements limités, fixés sur un but précis. C'est une union d'êtres dans laquelle les individualités se trouvent fondues, fondues si complètement que les particularités et individualités de ceux qui la composent se trouvent graduellement effacées, rien n'en subsistant plus à la fin qu'un ensemble vivant dans lequel, plus ou moins confusément, tous se trouvent joints. Tous, comme dit Péguy, formant cortège, « se tiennent par la main ». L'on n'y distingue plus de personnes, mais seulement un long tissu humain qui se prolonge sans interruption ni couture. Ainsi l'image finale que laisse subsister le cortège des êtres confondus dans une foule presque indistincte, tend à effacer toute différenciation, à ne plus présenter qu'une réalité humaine dont les parties composantes seraient intégrées les unes dans les autres, au point de perdre, au moins pour le temps où l'association perdure, les traits personnels que chacun des membres conservait dans le privé. La représentation que donne Péguy de la procession a donc incontestablement, pour une grande part, une apparence plus négative que positive. Elle ne semble pas présenter de forme nettement précise, puisque, prises dans leur ensemble, toutes les formes individuelles, si elles se distinguent vaguement encore, tendent à n'en former plus qu'une. L'unité du groupe s'affirme encore, mais elle est elle-même aussi indéterminée que peut l'être l'ensemble d'une troupe humaine, d'où toute individualité est, sinon éliminée, au moins minimisée et réduite physiquement à une simple masse confuse. Reste cependant la présence, presque purement morale, d'une association d'êtres humains se mouvant en commun vers un terme qui s'abstient - sinon parfois par un murmure de prières unies - de donner à son déplacement une destination et une signification explicites. De sorte que cet assemblage apparaîtrait presque amorphe, sans caractère précis d'aucune sorte, s'il ne s'en dégageait quelque chose d'indicible, un accord profond également vécu par les êtres qui le composent, et qui, en le composant, lui confèrent collectivement ce qu'ils ne pourraient lui donner isolément. Or, cette unité elle-même n'apparaît nullement comme pouvant avoir été atteinte par une conjonction de créatures individuelles gardant chacune sa particularité exclusive. Il faut que leur conjonction, pareille à celle que la nuit étend sur tout le champ qu'elle couvre, impose à cette multitude d'êtres une profondeur qui ne peut apparaître que lorsque le spectacle qu'elle révèle se trouve, non pas enrichi et augmenté, mais simplifié au contraire par la disparition des formes individuelles ou par un pouvoir unifiant semblable à celui que confère à l'ensemble d'un paysage le vaste tissu unificateur de la nuit. Alors la procession apparaît, non plus comme un assenîblage fortuit de formes séparées, mais comme un grand mouvement humain s'avançant vers un but encore voilé par la nuit.



C'est donc sur l'image de la nuit, si la nuit contient encore des images, que la pensée du grand rêveur qu'était Péguy paraît déboucher - comme un fleuve débouchant dans une mer dont les eaux baignent dans l'ombre. « Les nuits fouies ensemble se rejoignent », a-t-il écrit. Les nuits forment en elles-mêmes une grande muraille, derrière laquelle le croyant qu'était Péguy devait situer la transcendance.



PEGUY : TEXTES



Quand on a vu que les renforts allaient arriver de Blois, on est tous allé devant eux, dans la plaine, avec madame Jeanne... Alors on s'est mis tous ensemble, pêle-mêle...



On s'en allait tous ensemble, avec madame Jeanne.

Ensemble avec lui, à l'imitation de lui sur terre, sur nos chemins de la terre... Ce qui partout ailleurs est de dispersion N'est ici que l'effet d'un beau rassemblement.



Celui qui s'abandonne, je l'aime. Celui qui ne s'abandonne pas, je ne l'aime pas, et c'est pourtant simple. Mon Dieu, pardonnez-moi si j'ai l'âme si lasse, Mais mon âme se lasse à rester seule aussi... Ce qui partout ailleurs est un effondrement N'est ici qu'une lente et courbe inclinaison.



Et tout cet immense cortège des prières, tout ce sillage immense s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre. C'est la nuit qui est continue, où se retrempe l'être, c'est la nuit qui fait un long tissu continu.

Au lieu de considérer le présent lui-même, au lieu de considérer le présent présent, on considérait au contraire un présent passé, un présent figé et fixé, un présent arrêté, inscrit, un présent rendu déterminé, un présent historique.



Ensemble avec Lui, à l'imitation de Lui sur terre.



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