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MONTAIGNE






Avec Montaigne, plus qu'avec n'importe quel autre auteur peut-être, il convient avant tout de se demander quand et comment il a commencé d'être vraiment ce qu'il est, c'est-à-dire l'auteur des Essais qu'il a élaborés.



Comment a-t-il commencé ? Quand est-il devenu réellement Montaigne ? Qu'était-il auparavant ? Si on se pose ces questions (que lui-même d'ailleurs se pose et auxquelles il ne peut toujours répondre avec précisioN), c'est que d'instinct on cherche à établir un lieu causal entre une période première où il serait supposé ne pas être complètement lui-même, et une autre période où il se serait pleinement réalisé. De l'une à l'autre de ces deux périodes serait-il possible de « faire le pont », de trouver une continuité quelconque ? ou faut-il voir de l'une à l'autre le contraire d'un L'en, quelque chose comme une coupure sans cesse réparée et Sans cesse réapparaissante ? Ce serait tentant d'imaginer chez Montaigne une continuité secrète, ne serait-ce que celle d'une pensée qui cherche à réaliser dans la maturité ce qu'elle a commencé de rêver dans l'inaction. Mais de l'inaction à l'action, de la conception à la réalisation, il n'y a pas nécessairement une progression continue. Cette hypothèse n'est donc pas la meilleure. Elle ne tient pas suffisamment compte des trous qui se manifestent à intervalles irréguliers mais fréquents dans l'activité mentale de Montaigne. Comme Jean Starobinski nous le démontre dans un très beau livre intitulé Montaigne en mouvement, il peut bien y avoir chez Montaigne une activité de l'esprit qui ne cesse jamais, mais qui procède par reprises répétées. Entre les reprises il y a des temps d'arrêt, des suspensions de la pensée et de la parole, une série de fuites dont il a parfaitement conscience. Montaigne est un être qui non seulement à chaque instant recommence d'être ce qu'il est (tout en progressant dans la connaissance de ce qu'il esT), mais qui aussi a le sentiment d'échapper sans relâche à sa propre figure. Il gémit de son inconstance. Pour un temps toujours très court mais mille fois répété, il se perd de vue avant de récupérer à grand-peine sa personne. Il y a donc beaucoup de discontinuité dans la continuité de pensée et de conduite présentée par l'auteur des Essais. Bien plus, ces hiatus, ces absences, ces déchirures brusques mais réitérées dans la trame de l'être, ne faut-il pas supposer qu'elles existaient depuis toujours, chez l'auteur, avant même que son ouvre ne prenne forme ? Hiatus qui tiennent une place si importante dans l'ensemble, qu'il est nécessaire de les considérer, en dépit de leur caractère toujours épisodique, comme reflétant un trait persistant de la personne et de l'ouvre. Bien des passages des Essais confirment cette hypothèse, qui conçoit l'existence de l'auteur comme se développant parallèlement sur deux fronts, l'un positif, l'autre négatif, agissant de concert quoique se présentant dans une étrange désunion. On pourrait même aller plus loin et avancer sous forme d'hypothèse (mais non sans preuves abondamment fournies par Montaigne lui-mêmE), que la face négative (je me perds, je m'échappE) de l'activité spirituelle chez Montaigne n'existe pas seulement dans le rôle parallèle qu'elle a joué sur le tard en tant qu'accompagnatrice de sa pensée positive, mais que, dès le début, longtemps même avant que cette pensée s'affirme comme activité positive, elle s'est trouvée présente et active, négativement active, chez lui. Tout se passe comme si l'absence, le vide, une sorte d'inertie profonde, existaient dans cette pensée avant la vie, avant le plein; ou, en d'autres termes comme si une certaine nullité de pensée formait chez lui dès l'abord l'état fondamental. Il le constate d'ailleurs et s'en plaint. Chose assez surprenante, la pensée active, positive, de l'auteur des Essais, semble être bâtie à la façon de ces édifices reposant périlleusement sur une base creuse, ou du moins, totalement informe et où la vie ne viendra que plus tard avec l'activité.





Ainsi au début de l'existence de Montaigne, dès longtemps avant les Essais, ne faudrait-il pas situer quelque chose d'essentiellement négatif, une sorte de pause presque indéfiniment prolongée ? Jean Starobinski, auteur du Montaigne en mouvement, me contredirait-il si je lui disais qu'un « Montaigne en mouvement » doit toujours nous apparaître non seulement comme accompagné mais comme précédé par un Montaigne immobile, un Montaigne qui attend de se mettre en mouvement dans une plus ou moins longue période d'inaction antécédente ?



Osons le dire, puisqu'il nous l'a dit lui-même, Montaigne commence par être inactif. Répétons rapidement les aspects pris par cette inactivité originelle. Montaigne paresse, fainéantise, languit d'une langueur qui lui paraît agréable et naturelle. Il est indolent, oisif, assez lourdaud, mou, souvent somnolent. S'il y a une façon d'être qu'il préfère entre toutes, c'est la nonchalance, une nonchalance si complètement négligente, qu'il arrive à Montaigne de garder pendant des jours son courrier sans l'ouvrir. S'il n'est pas aiguillé'par quelque motif, il tarde, il traîne. Sa complexion, c'est-à-dire son humeur, est lente. Sa pensée, il l'avoue, est parfois"inane. Bref, s'il veut sortir de cette vacance d'esprit, il lui faut le secours d' « occasions étrangères » qui, espère-t-il, viendront le tirer de sa négativité. Que dire de plus qu'il ne dit lui-même, de cet état premier, qui est à peine un état, puisqu'il n'a rien de positif et qu'on peut le définir comme simple absence d'être ?



Mais déjà, dans cette façon d'être presque entièrement négative, qui a précédé chez Montaigne toute autre façon et qui va plus tard, en sourdine, persister à rester l'un des deux pôles de sa vie, il est possible de percevoir, sinon une amorce d'activité, au moins un besoin obscur de demeurer ce qu'il est, de s'obstiner à être. Montaigne actif et s'affir-mant dans l'existence ne cessera jamais, au fond de lui-même, d'être quelque peu paresseux. Son activité nouvelle se trouvera toujours dans une association précaire avec sa nonchalance fondamentale. Cela ne se fera pas sans un certain conflit de tendances, qui se manifestera toujours, non de façon continue, mais spasmodiquement, parfois avec une force perturbatrice assez troublante, à l'occasion de tel ou tel événement insolite. Alors l'état négatif se trouve provisoirement remplacé par son contraire. Montaigne se confie à ce qu'il appelle « les occasions étrangères, présentes et fortuites ». Ces différentes épithètes, choisies sans doute avec soin par Montaigne, méritent d'être étudiées de près. En premier lieu 1' « occasion » est présentée comme « chose étrangère ». Elle n'appartient pas au régime de vie suivi par celui qui s'y trouve sujet. Elle bouleverse ce régime. Elle est « présente » en ce sens qu'elle est essentiellement chose « actuelle », sans rapport avec l'état antécédent. Enfin, elle est « fortuite », en ce sens qu'elle n'est pas reconnue comme faisant partie d'un ordre stable, auquel elle succède, mais qu'elle ne continue pas. Tous ces termes renforcent l'idée que l'occasion, et par conséquent aussi le mouvement qui en est la conséquence directe, ne sauraient être confondus avec l'état stable qui précède, ou introduisent dans cet état une manière de vivre nouvelle, provisoire peut-être, alternative sans doute, mais entièrement inassimilable avec l'ancienne, et qui a pour effet de créer dans la pensée de celui qui l'expérimente une rupture avec l'ordre antécédent.

Une rupture mais non une abolition. Quel que soit le mouvement disrupteur qui fait irruption dans l'existence intérieure de Montaigne, ce mouvement, ce réveil subit d'activité, ne peut lui apparaître - et par conséquent nous apparaîtra - que comme définissant par contraste l'état de non-activité et de passivité paisible qui était, disions-nous, l'état initial, l'état fondamental chez Montaigne.

On peut en tirer la remarque suivante, qui nous paraît importante : avant de concentrer notre attention sur la prodigieuse richesse dont fait montre l'activité mentale se révélant chez Montaigne, il faut se rappeler qu'elle survient, pour ainsi dire toujours, comme un intrus dans une façon de vivre foncièrement différente, si différente même qu'elle apparaît comme nulle, comme dénuée de forme, et curieusement exempte de toute détermination particulière. Toute réalité négative, prise en elle-même, ne peut être qu'indéterminée.



Une pensée indolente, languissante, paresseuse, fainéante même, figée dans sa torpeur, n'en reste pas moins chez Montaigne une pensée. Pensée assurément non définissable, non déterminable, mais qui n'en existe pas moins comme pensée, et même peut-être plus qu'une autre, en ce sens que n'étant pas sujette à de° déterminations précises, et constituant simplement le fond très sobre, très nu, de la vie mentale, elle est un sujet non encombré d'objets, ou, en d'autres termes, une pure conscience dégagée du souci d'être conscience de quelque chose.

Il est vrai que Montaigne, tout en multipliant les endroits privilégiés où il décrit cette conscience sans objet, ne s'efforce jamais de mettre dans un particulier relief le rôle immense mais discret joué par elle tout au long des Essais. On dirait que si l'ouvre dans toute sa variété formelle, dans les différentes modulations de ton et d'humeur, causées par les événements « occasionnels », s'étale indéfiniment devant nous comme un complexe infini de déterminations de toutes sortes, d'autre part le fond de cette ouvre, le fond de cette pensée se dispose comme une présence mentale toujours la même, un peu vague, proche du rêve, exempte de détails précis, non dénuée même d'une certaine monotonie : fond presque caché, sur lequel de façon répétée, apparaîtraient les mouvements alertes de la pensée éveillée.

Reste cependant à tirer quelques conclusions de cette association singulière de deux entités de natures exactement opposées, dont l'une a pour vocation à'essayer de se former sur de l'informe. L'une de ces conclusions c'est que cette formation des Essais n'arrive jamais à se réaliser définitivement. Elle est toujours ralentie, freinée, interrompue par l'informité même, ou la négativité - ces deux termes étant synonymes - de l'élément contraire avec lequel elle ne cesse jamais d'être liée. Chez Montaigne la pensée claire s'élabore dans le trouble. C'est en ce trouble qu'elle se fait jour. Rappelons-nous les paroles de Montaigne au sortir de son évanouissement : « Quand je commençai à y voir, ce fut d'une vue si trouble, si faible, et si morte, que je ne discernais encore rien que la lumière. » Et il ajoute : « Je ne savais ni d'où je venais, ni où j'allais. » Montaigne ne sait jamais d'un savoir distinct et définitif ce qu'il arrive à savoir. Le clair, le net, le distinct n'est jamais tout à fait dégagé chez lui du trouble, du vague, du confus. C'est pourquoi cette connaissance nous paraît si authentique. Ce qu'elle apporte de déterminé baigne dans de l'indéterminé.



MONTAIGNE : TEXTES



... Il me semblait ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit que de le laisser en pleine oisiveté s'entretenir soi-même, et s'arrêter et rassoir en soi. (I, 8; cité par Starobinski, Montaigne en mouvement, p. 341.)



... me trouvant entièrement dépourvu et vide de toute autre matière, je me suis présenté moi-même à moi pour argument et pour sujet. {Essais, II, 8 ; cit. Staro., p. 36.)





... me sentir engagé à une forme (ceci ne veut pas dire que « je ne conçoive pas mille contraires façons de vie »). {Essais, I, 37.)

J'ai mis tous mes efforts à former ma vie. Voilà mon métier et mon ouvrage. {Essais, II, 37.)



Je peins principalement mes cogitations, suj et informe qui ne peut tomber en production journalière, (II, 6.)

Staro observe que chez Montaigne on remarque souvent un mouvement qui de l'image de l'eau (écoulemenT) passe à celle de l'air « inanité pure, sans masse, sans direction ni courants constants. Au terme... cela devient agitation impalpable : le mouvement qui défait l'être se défait lui-même dans le désordre stationnaire de l'extrême légèreté. » (P. 275.)



A l'opposé de cette légèreté, il y a la lourdeur. Cf. Staro, p. 276 : « Il y a une mauvaise pesanteur, une mauvaise plénitude, qui est inertie, paralysie, encombrement. » « Je me trouve quasi toujours en ma place, comme font les corps lourds et pesants. » (III, 2.)... « Ici, le plénitude n'est plus possession actuelle, c'est un remplissage passif, où l'être s'alourdit de substance étrangère. » (P. 276.)



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