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MOLIÈRE À PARTIR DU « MISANTHROPE »






1. « Le Misanthrope » (4 juin 1666 — 24 décembre 1666) a. L'amertume de Molière



Depuis 1663, Molière est accablé de difficultés : cabale contre L'École des femmes ; accusé de mariage incestueux (novembre 1663) puis d'être cocu ; mort de son fils (10 novembre 1664) ; interdiction de Tartuffe puis de Dom Juan. Trahison de Racine qui, quinze jours après la première, fait jouer Alexandre par la troupe rivale (18 décembre 1665) ; grave maladie (29 décembre 1665 — 21 février 1666 et peut-être avril-mai 1666) ; probables infidélités de sa femme (1).

Mais Le Misanthrope procède moins des difficultés personnelles de J.-B. Poquelin que de celles de l'auteur qui voulait corriger les mœurs.





Le monde par vos soins ne se changera pas

Et c'est une folie à nulle autre seconde

De vouloir se mêler de corriger le monde (103 et 157-158)



Tartuffe était une anomalie : la raison, le ridicule, le rejetaient ; le pouvoir l'éliminait. Avec Dom Juan, la gangrène est devenue solidarité des fourbes, dans des milieux proches du pouvoir, qui n'intervient plus. C'est la société même qui produit la fausseté. Coquettes, fourbes et profiteurs triomphent, avec la complaisance des braves gens qui savent qu'être raisonnable, c'est s'accommoder aux réalités. « Les uns [...] sont méchants et malfaisants » et « les autres [...] aux méchants complaisants» (119-120). Dans une telle société, c'est le réformateur, Alceste, qui est inadapté, c'est-à-dire ridicule sinon fou.

La nature même est en cause. Notre principe n'est plus la raison, mais l'amour de soi, égocentrisme impérialiste, encore plus fort chez Alceste que chez les autres. Molière passe d'une satire sûre d'elle-même à une (autO)critique fondamentale. L'auteur de pièces qui se voulaient des « écoles » où le rire corrigeait le vice prend conscience de l'impossibilité de son entreprise. b. Structure et signification



La structure des pièces antérieures à Dom Juan était manichéenne : les bons contre les mauvais. Ici, ce n'est plus aussi simple. D'où trois pôles, tous traversés par une contradiction. A une extrémité (entourée de sa cour et de son double vieilli, Arsinoé), Céli-mène, brillante et perfide mondaine, incarnation des charmes et des « vices du temps » (234 ; cf. 219-220).

A l'autre, redoublé par la même Arsinoé reconvertie en censeur (2), Alceste, champion de la franchise et fougueux ennemi des « mœurs du temps » (107, 145). Au milieu, le sage Philinte et « la sincère Éliante » (215). Mais l'acte I (3), antérieur à l'apparition de Célimène, fonctionne sur la contradiction entre Alceste et Philinte, qui du coup n'y est pas le juste milieu mais l'un des extrêmes : d'où les divergences à son sujet.

Les protagonistes sont d'autant plus dramatiques qu'ils sont contradictoires. Célimène, cynique reine de l'illusion, transforme une existence vide en divertissement (p. 190), jouit de séduire des pantins qu'elle méprise et refuse de se donner aux désirs qu'elle allume. Philinte est toute complaisance pour un monde qu'il condamne. Arsinoé n'a d'autre mobile que son avidité impuissante pour ce qu'elle prétend abhorrer. Alceste, amoureux de celle qui incarne ce qu'il déteste, prend pour pure vertu son égocentrisme tyrannique. c. Complaisance et amour de soi



Toute vie sociale exige un compromis entre l'affirmation de soi et l'adaptation aux autres, entre l'authenticité et la complaisance. Problème aigu en ce milieu du XVII siècle où l'on passe soudain du Frondeur au courtisan, du généreux à l'honnête homme, de l'héroïsme à la bienséance, de la nature à l'an de plaire. « Une complaisance raisonnable [...] est nécessaire à la société»; «sans complaisance, on serait toujours en guerre et en chagrin », dit Mlle de Scudéry (Clelie, 1660), approuvée par la Rochefoucauld (Reflexions II).

La complaisance de Philinte est conciliante ; celle des mondains (Oronte, les marquiS), gens tout « gonflé[s] de l'amour de soi-même » (619) est intéressée. Art d'utiliser les autres à son profit dans un monde de concurrence pour la faveur, de les séduire pour les dominer et s'en moquer (CélimènE). Mais l'amour de soi est aussi le principe d'Alceste et d'Arsinoé : impulsif chez l'un, dépité chez l'autre et accompagné de



Ce grand aveuglement où chacun est pour soi. (968) d. Célimène et Arsinoé



Élégance, distinction, souveraine maîtrise, finesse d'analyse, de répartie, de stratégie, Célimène subjugue le misanthrope et pulvérise la dévote. Portrait flatteur et satirique à la fois. L'art mondain est perfidie et son brio se gaspille en des riens : parade narcissique contre le néant. Reine d'amour mentalement frigide, Célimène s'étourdit dans la séduction d'amants qu'elle refuse et ne peut jouir que de son image admirée ou jalousée. Vain divertissement : € je ne me divertis pas toujours si bien que vous pensez » (V, 4). Elle sera victime de ses propres machinations. Est-ce pour enrichir son portrait, pour le plaisir du renversement dramatique, pour mieux accuser un système social qui réduit aux vanités du paraître une personne qui a tant de qualités ? Célimène ruinée fait son autocritique. «J'ai ton» et «ne cherche [...] aucune vaine excuse » (1737-40). Mon « âme » n'est pas « assez grande, assez forte » pour « renoncer au monde avant que de vieillir » (1769-75).

Du brio de l'hypocrisie mondaine aux rancœurs de l'hypocrisie bigote : Arsinoé, c'est l'avenir de Célimène, qui le sait (976-84). Son zèle moral et dévot est la nourriture de son orgueil (931), le masque de son avarice, de sa violence (940), de son mépris (932-933), de sa haine (992), de sa sensualité (943-944), toutes formes du « jaloux dépit » de son amour-propre (869). Nécessité pathétique dans un monde qui n'offre le choix qu'entre l'intrigue et une « affreuse solitude » (862), l'hypocrisie d'Arsinoé, qui veut assassiner sa rivale sous couvert d'« amitié» (879, 884, 1113), est plus haineuse et plus excusable que celle de Tartuffe. Mais alors que le pouvoir éliminait celui-ci, Arsinoé est bien intégrée au système. La cabale des dévots, les tout-puissants Jésuites (qui excusent les gens sur leur « intention » et font « à tout un chemin assez doux », v. 895 et 1080) lui permettent un pouvoir à la Cour (1076-80). e. Alceste



Le texte fait une présentation plutôt défavorable du misanthrope, terme péjoratif (4). Son premier ressort n'est pas la rigueur morale mais un tempérament fâcheux. Pour le xvil' siècle, le caractère dépend du dosage des quatre humeurs : sang, flegme ou pituite, bile, bile noire ou mélancolie. Celle-ci l'emporte chez Alceste, « l'atrabilaire » (sous-titre initiaL), sujet à « une humeur noire » et dont un rien peut « échauffer la bile » (90-91). Avant d'être une réaction vertueuse, son « chagrin philosophe » (97) est une « maladie » (105). Gouverné par les « noirs accès » (98) d'un dérèglement humoral, il est incapable d'être raisonnable, de se contrôler (1573-76), de vivre socialement, de tenir compte des autres.

Ce tempérament impulsif se traduit par un égocentrisme totalitaire : d'un côté, l'unique exception de sa vertu, de l'autre, les vices de « tout le genre humain » (96). En fait, il ne tient aucun compte des autres : ingrat envers Philinte dont il ne voit même pas le dévouement, odieux envers Éliante à laquelle il offre « le rebut. » d'une autre (1793). Amoureux « d'une étrange manière » (1433), il ne sait que critiquer :



Plus on aime quelqu 'un, moins il faut qu 'on le flatte :

A ne rien pardonner le pur amour éclate. (701-702)



En fait, comme Arsinoé (859-60), il souffre de ne pas être reconnu autant que le voudrait son amour-propre : « je veux qu'on me distingue » (68).

Enfin — ce n'est pas, au théâtre, la moindre condamnation — ce « Don Quichotte de vertu » (NapoléoN) « donne la comédie » (98) par son comportement « ridicule » (108), ses « incartades » (102), ses répétitions mécaniques (« je ne dis pas cela ») et des proclamations qui parfois se retournent contre lui (196-202, 1540-50). « Atrabilaire amoureux » (sous-titre initiaL), il a malgré lui un « attachement terrible » (518) pour l'incarnation de ce qu'il déteste. Il dénonce les scandales mais refuse de « faire un pas » (191) pour arranger les choses (1133-62, 1538-50). Il rejette le possible et réclame l'impossible pour récolter le scandale qui lui donne « droit de pester contre l'iniquité de la nature humaine » (1548-1549).

Voilà ce que dit le texte et qu'accentuait le jeu de Molière, spécialisé dans les personnages ridicules. Mais l'œuvre est un appel. Son sens n'est pas la somme inerte de ses parties : les réactions du public fixent leur poids respectif. Dans le texte inerte, Philinte l'emporte. Mais Alceste, frère d'Antigone et de Prométhée, en appelle à l'indignation qui peut renverser le sens littéral. Molière, homme de théâtre, l'a-t-il voulu ? Faut-il (comme pour Candide, ou l'Ingénu, caractères naïfs et rôles malinS) distinguer le caractère d'Alceste de sa véritable fonction ? Il faut un inadapté pour dénoncer ce que les gens raisonnables acceptent, puisqu'ils se définissent par l'intégration des normes. Et, après l'interdiction de Tartuffe et Dom Juan, n'était-il pas nécessaire de présenter comme excessif un dénonciateur trop hardi ? L'auteur du Misanthrope met en scène à la fois son réalisme et, avec une hargne amère, son idéal devenu illusoire. Nous donne-t-il un conseil, par la bouche d'Éliante qui au-delà du comportement « fort singulier » d'Alceste, voit en lui « quelque chose, en soi, de noble et d'héroïque » (1763-1768) ? f. Une œuvre audacieuse



Avec Dom Juan et Le Malade imaginaire, Le Misanthrope est la seule pièce de Molière qui ne fut pas représentée à la Cour. Elle critiquait trop ce monde où celui qui veut « réussir » doit « jouer les hommes en parlant », « cacher ce qu'il pense », flâner et « souffrir mille rebuts cruels » (1086-95). Jamais, en dehors de Dom Juan, Molière n'a tant joué les nobles. Certes, Acaste et Clitandre ne sont que des « marquis » (cf. p. 207). Mais est-ce seulement par hâblerie qu'ils se disent de haute naissance (783-85), « bien auprès du maître » (802), admis « au levé » et « au petit couché » du Roi (567, 739) ? Ces caricatures éclaboussent la noblesse réelle. Plus généralement, Le Misanthrope dénonce une société d'injustice animée par l'intérêt et propice aux fourbes. Alceste n'est pas le seul à ne trouver



.......... partout que lâche flatterie,

Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie. (93-94)



De l'aveu même du bienveillant Philinte :



Tout marche par cabale et par pur intérêt. (1556)



On vous calomnie « pour avoir vos biens » (170). La grimace » par son « artifice [...] renverse le bon droit » (1497-98).



J'ai pour moi la justice et je perds mon procès (1492) pour n'avoir pas acheté mes juges. L'accusation, « d'une fausseté noire » (1494), venait d'un « scélérat » (1532) : mais il a des moyens. Et c'est Alceste qui est menacé d'arrestation (1466, 1501 et suivantS). Dans cette société, un « franc scélérat » (124) reconnu comme tel, est partout bien accueilli.

De telles accusations mettent en cause tout le système social, sinon le gouvernement. g. Le sage Philinte



Philinte a deux rôles et par conséquent deux attitudes, deux caractères. Les reproches qu'on lui adresse reposent exclusivement sur l'acte I, où il est l'antipode d'Alceste, c'est-à-dire très complaisant. Par la suite, il occupe le juste milieu : ses interventions sont celles d'un amant respectueux (1209-16) et généreux (1799-1800), d'un ami discret et dévoué qui veut sauver Alceste de lui-même malgré les rebuffades (II, 6 ; IV, 1-2 ; V, 1) et le pousser vers Eliante malgré sa propre inclination (215, 245-6, 1189-90, 1203-4, 1581-6). Seul, avec Eliante, il échappe au règne de l'égocentrisme, jusqu'à « trouver sa joie par l'oubli de lui-même » (R. JasinskI) : « souffrir [...] l'injustice d'autrui » « est le plus bel emploi que trouve la vertu » (1568 et 1563). Comment Rousseau a-t-il pu l'assimiler à ces gens « qui, de leur maison bien fermée, verraient piller, égorger, massacrer tout le genre humain sans se plaindre » ?

Philinte voit comme Alceste les défauts scandaleux des hommes et de la société (173-78, 1556-57). Mais il est réaliste : « un homme fourbe » est tout aussi normal que « des loups pleins de rage » (177,178) ; les scandales sont « vices unis à l'humaine nature » (174). On n'y peut rien (157-8). Ne nous hâtons pas de l'accuser d'abdication. Il ne cesse d'agir pour le mieux, tandis qu'Alceste se borne à vitupérer pour le pire. Le texte lui est favorable : voyez sa place au juste milieu, son bonheur au dénouement, sa lucidité, sa générosité, ses heureuses formules. « La sincère Eliante » (215), favorable aux « gens qui disent leur pensée » (1162), est son double. La Lettre de Visé, placée en tête de la pièce, loue cet « homme sage et prudent », « si raisonnable que tout le monde devrait l'imiter ».

Son accommodante modération définit l'idéal de l'honnête homme et du classicisme :



La parfaite raison fuit toute extrémité

Et veut que l'on soit sage avec sobriété. (151-152)



On croirait entendre Boileau ou Méré. Mais aussi des libres penseurs réalistes comparables à Molière : le monde est mauvais mais « il faut s'assujettir à ses maximes parce qu'il n'y a pas de manie plus inutile que la sagesse de ces gens qui s'érigent en réformateurs du siècle » (Saint-Evremond, vers 1651-1653). C'est notamment l'avis de La Mothe le Vayer, l'un des maîtres à penser de Molière. Il « ne voit rien qui ne choque sa raison » dans un monde « où souvent la folie, l'injustice ou quelque violente cabale » l'emportent sur « l'intégrité, sur le bon sens et sur la plus haute vertu », d'où d'abord « une parfaite misanthropie » et la tentation d'une retraite dans un « désert » « propre à la contemplation ». Mais l'« indulgence » est préférable pour réduire, « en s'accommodant doucement » « les disgrâces de la vie », au lieu de les multiplier » « par un chagrin déraisonnable » (1661).

Les contemporains ont approuvé Philinte. « C'est une grande folie de vouloir être sage tout seul » (La Rochefoucauld, M. 231, septembre 1666). La Fontaine accentue sa distinction entre dénonciation critique et adaptation pratique h. Une œuvre classique

Après le défi anarchiste de Dom Juan, voici l'adaptation sociale et la conformité esthétique. Après le principe de plaisir, Alceste ou le surmoi et Philinte ou le principe de réalité. Les œuvres militantes n'avaient pas leur but en elles-mêmes : d'où l'irrégularité de Dom Juan, à la rencontre du défi libertin et de la satire subversive. Mais à partir du moment où l'œuvre n'espère plus transformer le monde, elle devient autotélique : Le Misanthrope se console dans l'équilibre de ses structures et sa juste mesure est aussi une forme de soumission. Un problème universel, incarné dans l'opposition des caractères ; une intrigue sobre, qui se développe par le jeu de ses propres contradictions et se dénoue sans reconnaissance accidentelle ni deus ex machina. Des personnages nobles, un style soutenu, une seule scène de farce. Plus de fermeté que d'invention. Une haute comédie, presque une tragédie à sujet contemporain. Bref, ce pessimisme sublimé qui caractérise le classicisme.



2. Du militant optimiste à l'amuseur amer



Le premier Molière, à contre-courant de l'antihumanisme dominant, est foncièrement optimiste. Notre nature est bonne. « Le ridicule est la forme extérieure et sensible que la providence de la nature a attachée à tout ce qui est déraisonnable » {Lettre sur L'Imposteur, 1667). La comédie, aidée par un pouvoir normatif (dans l'homme la raison, dans la société la justice, dans le public le goût et le sens des bienséanceS) peut disqualifier le vice, ramener les égarés, neutraliset les irrécupérables. Les difficultés personnelles (5) et le dur combat de Tartuffe transforment sa vision. Les coquins triomphent (Dom JuaN), favorisés par la complaisance (Le MisanthropE). La raison n'est plus l'idéal gouvernant le téel : elle éclate en deux ; d'un côté l'exigence a priori d'Alceste, censeur utopiste ; de l'autre, Philinte, le sage « raisonnable », dont les aspirations désabusées se sont « fait une taison. « Le Misanthrope était-il un appel au public ? Il n'a qu'un succès honnête, avec une préférence marquée pour Philinte. Bon gré mal gré, Molière va renoncer. «Je m'accoutume insensiblement [...] à ne regarder toutes les choses [...] que comme les diverses scènes de la grande comédie qui se joue sur la terre entre les hommes » {Lettre sur l'Imposteur, 1667, dernière phtasE).

L'ordre établi triomphe, fût-il imposture. Au roi justicier de Tartuffe succède le dieu profiteur à'Amphitryon, où Mercure, par le droit de la force, est un peu plus Sosie que Sosie lui-même. Les problèmes sociaux sont évoqués, mais de façon grinçante (Dandin, Pourceau-gnaC), voire réactionnaire (Le Bourgeois gentilhomme, Les Femmes savanteS). Tout en nous invitant à l'indignation, Molière s'aligne sur la tendance dominante d'une société où triomphent l'habileté des flatteurs et intrigants et l'élégance des faux honnêtes gens. « Moralement dans son droit, Dandin est esthétiquement dans son tort » (J. BrodY), tout comme Alceste, Sosie, Poutceaugnac et Mme Jourdain.

Abandonnant le terrain politique, Molière se replie sur la médecine et sut la famille bourgeoise (L'Avare, Le Bourgeois gentilhomme, Scapin, Les Femmes savantes, Le Malade imaginairE), les problèmes conjugaux (Amphitryon, DandiN) ou matrimoniaux (Pourceaugnac, La Comtesse d'EscarbagnaS). Les nouveaux protagonistes (Harpagon, Jourdain, Philaminte, ArgaN) sont des maniaques tyranniques sur lesquels ni raison ni vérité n'ont de ptise. Jusqu'aux Femmes savantes, le raisonneur disparaît. Les protagonistes de jadis, Arnolphe, Tartuffe, le dernier Dom Juan, avaient pout principe une ambition redoutable. Les nouveaux, Harpagon, Jourdain, Argan, sont enfermés dans leurs manies. Le fou remplace le coquin, cantonné à un niveau auxilaire : escrocs des pièces noires (Lisette, Claudine, Frosine, Sbrigani, Nérine, LucettE) puis servantes dégourdies des facéties (Nicole, ToinettE) : Scapin participe des deux.



L'évolution de Molière est indissociable de celle du pouvoir, qui n'a plus besoin d'un auxiliaire critique, mais d'un amuseur de comédies-ballets en musique. De janvier 1664 à août 1666, deux œuvres sur sept sont conçues pour cela, de décembre 1666 à décembre 1671, dix sur treize.



De L'Amour médecin à M. de Pourceaugnac, l'amuseur est amer. Sous les flatteries, Amphitryon est dur pour les puissants. Dandin est « une École des femmes où Hotace serait un fourbe et Agnès une vicieuse » (A. AdaM). L'Avare est cynique comme une autopsie.



Ne songeons qu'à nous réjouir

La grande affaire est le plaisir.



Ainsi s'achève Pourceaugnac. Mais à lire la pièce, on comprend qu'il s'agit « de rire de tout de peur d'être obligé d'en pleurer », comme dira Beaumarchais.

Dans Amphitryon (1668), le désir l'emporte par la force et l'imposture. Plaisante revanche de Dom Juan et triomphe de la fantaisie poétique : quiproquos, machines, mélange des tons et des mètres, des dieux et des hommes. Dans George Dandin (1668), l'adresse d'Angélique, incarnation du désir sans scrupule, retourne à son avantage toutes les justes accusations de son mari. Pièce amère et rosse sans aucun personnage sympathique.

L'Avare (1668) est féroce. Un monde dénué de sentiments humains, qui « pue [...] l'argent et le cadavre » (G. CoutoN). Le tyran Harpagon est un pauvre fou dévoré d'angoisse. Le tragique s'y marie fort bien à la bouffonnerie ; mais ce fut un échec. M. de Pourceaugnac (1669) stigmatise l'escroquerie — notamment celle des médecins. Mais c'est aussi un spectacle total, hilarant et bouffon, où se mêlent danse, chant, dialogue, musique et décors fastueux. Il faut « vous accommoder aux chimères » des hommes répète (6) l'ancien champion de la raison, qui va transformer l'incurable folie en ivresse joyeuse : une forme originale de la sublimation classique. Dans Le Bourgeois gentilhomme (1670), la fête théâtrale a plus d'importance qu'un message ambigu : critique d'une bourgeoisie en pleine ascension, mais incapable de finesse et de belles manières ou satire d'un prétentieux ridicule qui veut quitter une condition solide (bien représentée par Cléonte et Mme JourdaiN) pour la chimère d'une noblesse dont la réalité même est malmenée à travers Dorante, gentilhomme escroc ?

L'art de Molière est devenu libre. Si l'on divise sa carrière en trois, on trouve deux farces et un ballet sur dix pièces, puis trois et cinq sur dix, enfin cinq et sept sur dix. Ses « mots » les plus célèbres sont de cette dernière période. En 1671, il refait son théâtre, installe à grands frais machines et décors, engage douze violons. Au même momenr naît l'opéra.



3. « Les Femmes savantes » (11 mars 1672-10 décembre 1672)



Pour une fois, Molière a pris son temps. Par plaisir ou par manque de motivation ? Le 31 décembre 1670, il obtient un privilège pour cette pièce préparée peut-être depuis 1668. Résultat : style et dramaturgie soignés ; des rôles mieux équilibrés que d'habitude. Mais une œuvre un peu froide, académique, compassée. Succès moyen.

La question du mariage est le pivot d'une pièce centrée sur les rapports du corps et de l'esprit dans un milieu qui rappelle Les Précieuses : des femmes ridicules à force de prétention intellectuelle et de refus des réalités physiques, admiratrices de pédants quelque peu escrocs. Trois points de vue. Le bon bourgeois Chrysale est platement militariste. Les trois savantes et les deux pédants, « traitant de mépris les sens et la matière » (35), n'apprécient au contraire que les nourriture de l'esprit. Ariste, Clitandre et Henriette occupent le juste milieu : ils ont « un corps tout comme une âme », qui « marchent de compagnie », et aiment avec tout leur être (1213-1234). A l'arrière-plan, le dualisme cartésien (616-617, 880-884, 1685-1686). Spontanément et en disciple de Gassendi, Molière y oppose notre unité psychophysiologique dans une perspective matérialiste.

Jamais Molière n'a pourfendu tant de ricidules : utilitarisme et faiblesse de Chrysale, impérieuse prétention de Philaminte, angélisme de la fofolle Bélise, « intoxiquée de littérature romanesque » (G. CoutoN), prétention stupide des pédants, Ménage-Vadius et Cotin-Trissotin, le triple sot. Tous se détruisent par leurs contradictions. Chrysale est un vrai chef... dès que sa femme a le dos_tourné. Vadius critique ceux qui vantent leurs vers et propose aussitôt les siens. Le «philosophe» Trissotin n'est qu'une «âme mercenaire» (1727-28), un coureur de dot. L'amour platonique d'Armande, démenti d'emblée par son jaloux dépit (87-128, 155-198), finit, mais trop tard, par accepter les « sentiments brutaux » et les « nœuds de chair » (1238).



Antifeminisme ?



L'aureur de L'École des maris, de L'École des femmes, le pourfendeur des jaloux, le défenseur du libre choix des jeunes filles (Agnès, Mariane, Lucile, Élise, Angélique...), le peintre des servantes efficaces pour la bonne cause est-il, pour une fois, antiféministe, alors que paraissent plusieurs ouvrages favorables aux femmes (7) ?

Armande a-t-elle tort quand elle refuse de se « claquemurer aux choses du ménage » et aux « marmots » (30) et « d'être aux lois d'un homme en esclave asservie » (43) ? Philaminte de laisser « borner » ses « talents à des futilités » (855), « aux soins matériels » (537) ?

Ces affirmations sont englobées dans un ridicule imputable à un platonisme, à un romanesque, à une préciosité linguistique qui ne sont plus représentatifs depuis douze ou quinze ans. Quand Chrysale leur demande de brûler leurs livres, et dit qu'« il n'est pas bien honnête [...] qu'une femme étudie » (561-72), son ridicule discrédite ses propos. Mais il n'en est pas de même quand Ariste déclare qu'« être un homme », c'est faire obéir sa femme (684-86). Les mises au point de Cli-tandre sont solidement équilibrées (215-226, 1215-34). Mais a-t-il entièrement raison contre Trissotin (IV, 3) ? Enfin, Henriette, proposée comme modèle, se veut un peu bornée (1054-58). Elle ne fait pas l'unanimité : « faite pour la cuisine, les enfants, le ménage et rien d'autre, surtout rien d'autre » (Cl. RoY) ; « du pot-au-feu mis en formules, du catéchisme matrimonial » (P. BuissoN) ; « une fille haïssable ; son ironie acide, sa fausse humilité, sa vulgarité de pensée nous exaspèrent » (A. AdaM). Nous rencontrons ici les limites du naturalisme de Molière. Il prônait en Agnès l'émancipation du désir. Il refuse celle de l'esprit, par laquelle la femme échapperait au statut d'épouse et de mère.



4. « Le Malade imaginaire » (11 février 1673)



La vie de cour est devenue fastueuse. Le triomphe des pièces à grand spectacle est prévisible. Molière s'y est préparé. Mais Lulli obtient le monopole des représentations avec chant et musique. Les autres ne pourront employer que six chanteurs et douze instrumentistes. Molière réagit par Le Malade imaginaire, « comédie mêlée de musique et de danse ». Faste exceptionnel, vif succès, mais la mort à la quatrième représentation.

La pièce n'a guère d'autres sources que l'expérience personnelle de l'auteur et ses pièces antérieures. C'est un couronnement de son art. Une vision amère, une construction dynamique et contrastée, un style vigoureux, des nouveautés remarquables : Béline, charognarde doucereuse, et surtout la petite Louison. Au centre, encore un chef de famille bourgeoise monomaniaque. « Malgré toutes les médecines », il n'y a « point d'homme qui soit moins malade que lui » (III, 3), sinon dans son imagination terrorisée par la peur de la mort, qui le rend monstrueusement égoïste et le livre à l'avidité des médecins, des apothicaires, de l'épouse qui attend sa fin. Côté jardin, heureusement secondée par l'énergique Toinette, l'innocence d'Angélique et la fraîcheur de la petite Louison, accentuées pour faire contraste. Côté cour, la cupidité de Béline, de M. Bonnefoy, qui sait l'art de « rendre juste ce qui n'est pas permis » (I, 7), et des médecins, dont la bêtise culmine chez Thomas Diafoirus. La vile comédie humaine, agrémentée d'histoires d'intestins (8) et gravée à l'eau-forte par un vrai malade qui n'espère plus rien changer.



A la fin de la quatrième représentation, Molière vomit du sang. Transporté chez lui, il demande un prêtre. Deux refusent, un troisième arrive trop tard. Le curé n'accorde pas la sépulture. La veuve supplie le Roi, puis l'archevêque qui autorise un enterrement de nuit.





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