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L'EXPÉRIENCE DE L'ALIENATION AMOUREUSE DANS LE ROMAN DU XXe SIECLE






Introduction



Le choix des écrivains dans la présente étude peut sembler un peu forcé. Notre intention est dîdentifier des modèles existentiels communs à travers différentes cultures, d'établir une typologie des relations amoureuses qui connaissent l'expérience d'une déchirure, d'analyser le drame éternel des rapports de l'homme et de la femme et l'impossible accord de deux natures et de deux passions différentes. Nous tenterons de tracer le portrait de ces vies et de reconstituer le puzzle de ces relations hors norme. Les titres mêmes que les auteurs choisissent pour leurs romans - Franz Hellens La Femme partagée1, Simone de Beauvoir L'invitée2 et La femme rompue3, Henri-Pierre Roche Jules et Jim4 et Alberto Moravia L'ennuP - ont une signification à part, ils annoncent un lexique de la faillite, de l'échec du couple. Le titre signale par lui-même la thématique de la rupture : le partage, le tiers, le déchirement de l'âme, la dualité. Tout un réseau souterrain de ressemblances est tissé entre les cinq textes et il rend d'autant plus claires les similitudes des diverses mentalités européennes. En comparant les points de vue masculins et féminins des écrivains, il faut souligner un inversement des rapports sexuels vis-à-vis des personnages. Chez Simone de Beauvoir, 1'homme détient le pouvoir dans le couple, c'est lui qui prend les décisions et la femme lui est aveuglément soumise. Par contre, les écrivains hommes virilisent les personnages féminins et soumettent l'homme à leurs désirs et caprices.





Si puissantes que soient les armes dont un couple dispose pour conserver son intégrité, il y a des facteurs externes très forts qui le menacent sans cesse et guettent ses moments de faiblesse pour le détruire. Nos auteurs présentent dans les ouvres que nous avons choisies des histoires d'amour particulières, dans lesquelles les couples sont tous ébranlés par une tierce personne qui intervient dans leur vie. Notre discours est divisé en trois parties vouées à mettre en exergue les étapes qui marquent le trajet final de l'existence du couple. La première partie analyse les moments de crise entre les partenaires, le clivage qui naît de lïncongruité avec soi et avec l'autre. La crise du couple crée la faille par laquelle un tiers se fraye le chemin et menace de le détruire irrévocablement. L'agressivité émotionnelle que celui-ci provoque installe la blessure au sein du couple déjà ébloui par l'illusion du bonheur. La deuxième partie expose la relation triangulaire, le tiers intervenant étant le catalyseur de la faillite. Notre démarche vise à exhiber, en nous aidant du matériel fourni par les cinq romans, les stratégies, sinon tout le processus psychologique soutenu par le tiers afin de sïnsinuer au sein du couple, tout en transgressant les frontières de la fidélité. Par son insinuation, les frontières entre les partenaires sont modifiées, subverties, voire niées, car il devient le rival pour un membre du couple et ramant-confident pour l'autre. La troisième et dernière partie vise à présenter les conséquences de la destruction du couple, les facettes du désastre qui marque la destinée des personnages.



Ce qui retient notre attention dans le cas d'un tel manège destructeur du couple, c'est la métamorphose d'une apparente relation adultérine dans un véritable ménage à trois et la disponibilité des trois personnages impliqués à partager la personne aimée. Il y a un double aspect de la relation dans ce triangle de possession : d'une part l'amour et d'autre part la crainte de perdre la personne aimée. Dans trois des romans choisis - La Femme partagée, L'invitée, Jules et Jim -il y a une symétrie de la relation triangulaire. Ici la triangularité est absolue, les personnages vivent effectivement le ménage à trois, malgré les problèmes de conscience qulls se font. Dans les deux autres romans - L'ennui, La femme rompue - la triangularité est vue comme un adultère accepté et pardonné et par cela même comme un partage toléré et consenti. C'est précisément le thème du consentement au partage de la personne aimée qui rapproche les romans choisis et que nous essayerons d'analyser dans le présent article.



La crise du couple



Tous les couples présentés ont des difficultés à maintenir une relation qui est de plus en plus engloutie soit par la monotonie et la recherche de la passion dissolue (les couples de Jules et Jim, L'Invitée, La femme rompuE), soit par la méfiance et la peur de l'abandon (les couples de La Femme partagée, L'ennuI). Les gestes des actants sont, dans les deux cas, gouvernés par la peur, et c'est cela qui, en réalité, permettra la dissolution et la faillite du couple amoureux. Un autre élément qui mènera à l'échec relève de la routinisation de chaque geste amoureux. Voici donc deux sources de la faillite : la crainte de l'abandon (le signe du manque d'amouR) et la banalité (l'oubli de l'amour aux dépens du quotidieN).



Les marques de la crise



On observe le plus clairement les marques de la crise dans Jules et Jim, où Jules s'avère être un mauvais époux et ce n'est que l'accomplissement d'un présage fatal de son ami, fondé sur leur expérience amoureuse. Ce présage est étayé par les propos d'une fille avec laquelle il a déjà vécu l'échec du couple. Après tout, la communion des âmes et des désirs doit constituer l'espace sacré de l'amour et, en son absence, l'évidement des individus est inévitable. Il y a ici une sorte de philosophie misandre (opposée à la misogynie, mais tout aussi dangereuse que celle-cI) qui bascule la responsabilité de l'abandon du côté de l'homme et de son incapacité d'aimer totalement. La même philosophie misandre s'insinue au cas du couple de La femme rompue. Les personnages semblent ne pas vivre à l'unisson. Après beaucoup d'années de mariage, ils sont encore en quête de l'axe vital de leur existence : l'amour. L'homme et la femme se cherchent toujours, mais ils s'esquivent continuellement. Un calme quotidien apparent règne dans leur couple, ils mènent leur vie comme des mécanismes qui fonctionnent par inertie et se retrouvent sans passion. Des faits insignifiants perturbent de temps en temps ce calme et font naître l'inquiétude, ce premier sentiment qui tire le signal d'alarme dans la vie paisible du couple. C'est le moment du déclenchement d'une nouvelle vie plus trouble, plus méditative, plus résolue et plus consciente à la fois.



Le couple de L'Invitée est l'un des plus équilibrés, mais l'un des plus non-conformistes aussi. L'équilibre provient de la fidélité émotionnelle et non pas de la fidélité sexuelle. Pierre a des relations avec d'autres femmes, Françoise le sait et le tolère, parce qu'elle est sûre de leur union spirituelle, de leur bonne communication, de leur fond intérieur commun. Il n'y a presque pas de passion entre eux, mais un équilibre des sentiments et des idées. On reconnaît ici la conception existentielle de l'amour, où l'essentiel c'est la communication de deux êtres libres, qui renoncent à toute forme de possession, de dépendance. Il ny a aucune barrière entre eux, pas de mariage, pas de promesses, pas d'engagements. Geneviève Gennari résume très bien cette idée philosophique dans son ouvrage sur l'oeuvre de Simone de Beauvoir : « Donc, effacement de chaque conscience devant les droits de l'autre, absence de jalousie, reconnaissance de la liberté de l'autre même si elle s'exerce contre soi ».



Dans la deuxième catégorie de romans on assiste aux conflits internes irréconciliables des personnages. Le couple de La Femme partagée semble bien soudé et heureux. Pourtant, le doute de Lucien sur les conséquences du retour d'un ex-amant de Léa, le doute sur les sentiments de la femme, ainsi que son propre caractère paniquard représentent une menace constante pour leur relation. Les symptômes de l'amour sont plus évidents dans ce roman. Crises de pleurs, contrastes émotionnels, manifestations de douleur, ce sont les dévoilements des ténèbres de ces âmes toujours sujettes aux dilemmes.

Chez Moravia, on a affaire à un couple des plus bizarres, dont l'union est fondée sur le sexe, non pas sur le sentiment. Outre la grande différence d'âge, Dino et Cecilia se laissent entraîner dans un obscur labyrinthe du sensuel, dans une tentation de déchiffrement des secrets du corps. Leur moi est mutilé par l'incomplétude. Être agonique, Dino est conscient de son échec amoureux, du manque de la possession totale - physique et spirituelle - qu'il désire ; néanmoins, il est aveugle â l'impossibilité de l'obtenir. Cela explique sa persévérance absolument ridicule dans la continuation de cette relation. S'il est vrai que dans l'amour c'est la découverte d'un autre univers qui fascine, Dino ne se lasse pas de le chercher, il dynamite ses principes les plus solides et perd l'empire sur ses sentiments. La communication sexuelle ne suffit plus et la crise ne tarde pas à commencer. Il déclenche son mécanisme autodestructif et s'abandonne dans une souffrance sans remède. Le couple dont il fait partie est fondé sur un transfert inégal d'affection et le sentiment de la discordance s'intensifie chaque jour.



La menace de l'harmonie du couple



Sur le terrain déjà miné par les faiblesses du couple, l'apparition du tiers constitue une menace fatale pour sa stabilité. Le tiers devient un adversaire à craindre et lance des signaux d'alarme pour ces personnages qui languissaient dans la monotonie, dans l'ennui, dans l'incapacité d'éveiller la passion du début. Tout comme René Girard l'expose dans Mensonge romantique et vérité romanesque7, l'amant rachète la banalité du couple, en le restituant à l'amour. C'est-à-dire, dans le couple, l'amour est déclenché de nouveau au moment de l'apparition d'un tiers qui désire l'un de ses sujets. Nous désirons toujours davantage une personne qui est convoitée par un autre. C'est le mécanisme triangulaire du désir : l'objet de l'amour devient désirable s'il désire un autre ou s'il est désiré par un autre. La concurrence intensifie le désir et en quelque sorte le manipule, car la peur de voir l'objet de l'amour possédé par un autre brise les frontières de la pudeur et pousse à des combats pour l'exclusivité, pour la propriété même.



Chez Franz Hellens, l'anticipation de la présence du tiers est marquée par un souvenir amer du narrateur. En rentrant pour la deuxième fois dans la maison d'une amie, le couple Léa - Lucien connaît Arnold, qui deviendra vite leur meilleur ami et peu après le rival, ramant, le facteur précis de désunion.

Dans L'Invitée, la stabilité est de nouveau mise sous le signe de l'interrogation au fur et à mesure que Xavière, l'invitée, commence à revendiquer des droits qu'elle ne devrait pas avoir. Elle transgresse sans scrupules les bords de l'amitié, sans se soucier de celle qui la protège et la soutient. Non seulement elle veut à tout prix séduire Pierre, l'amant de sa protectrice, mais elle accable celle-ci de son mépris, en faisant usage de son atout le plus fort, la jeunesse. Oubliant que son statut dïnvitée est dû à la bienveillance et à l'amitié que Françoise lui porte, Xavière use de toutes ses forces pour conquérir Pierre. D'autre part, à mesure que Pierre connaît l'invitée et passe son temps avec elle, Françoise se rend compte qu'il commence à revendiquer son indépendance, à se détacher du couple qulls forment, même s'il continue à l'aimer. Les rapports personnels entre Pierre et Xavière sont chaque jour plus intenses et au début ils semblent mis sous le signe d'une belle amitié. C'est l'intruse qui viole les lois de l'amitié et ce qui est dramatique, c'est qu'elle ne le fait pas par hasard, mais de façon bien délibérée et calculée. Si lïnfidélité de Pierre ne rompt pas l'harmonie du couple, l'intrusion de Xavière devient un obstacle à sa tranquillité. À ce moment, l'enjeu pour le couple est de garder son intégrité devant les perfidies de l'invitée.



Dans La Femme partagée, le moment où l'amour du tiers est dévoilé ouvertement est très accentué, car c'est le facteur déclencheur de l'intrigue. L'aveu de l'amour pour Léa de la part d'Arnold tombe comme un tonnerre sur Lucien qui, aveuglé par son propre amour, n'a rien soupçonné, bien qu'il eût lui-même encouragé maintes fois les deux à passer le temps ensemble, à se forger une relation toujours plus solide. Les troubles deviennent presque insupportables pour Lucien qui, à part la souffrance d'envisager Arnold comme un rival, se sent coupable d'être aimé au détriment de celui-ci. Des détails apparemment banals soulignent les combats internes qui déchirent le cour des personnages. Par exemple, l'écrivain décrit les manifestations d'affection du couple en présence d'Arnold. Lucien surtout se comporte par rapport à Arnold comme un frère. Il donne à Léa des témoignages de sa tendresse en l'embrassant et en la caressant publiquement. Il n'observe pas la souffrance d'Arnold, due à son égoïsme, à son manque de discrétion. À partir du moment où il se rend compte de l'effet que sa conduite envers Léa a sur Arnold, Lucien fait des efforts pour la changer. C'est une décision hâtive, qu'il regrettera maintes fois, car le rival déclenche en lui la jalousie, le besoin d'obtenir des preuves d'amour pour s'apaiser, la lutte contre la dépossession de son amour.



Si une telle mutilation émotionnelle marque la vie de ce couple tranquille et heureux, la situation est différente dans Jules et Jim, où le tiers apparaît en pleine crise du ménage. Il faut remonter en arrière pour comprendre la mentalité et les actions hors du commun des deux amis qui donnent le titre du roman. Pour eux, échanger des filles n'est pas quelque chose de nouveau, ils l'ont toujours fait avant le mariage de Jules. C'est pourquoi, à la différence des autres couples, Jim intervient dans celui-ci comme un sauveur. Le ménage, qui se laissait depuis longtemps languir dans une grisaille sans fin, accueille le jeune Jim - plein de vie et de passion, tout le contraire de Jules - avec enthousiasme. Déjà habitué avec les escapades amoureuses de sa femme, Jules se contente de la tenir près de lui, de la regarder, de lui parler, comme un fétiche dont il ne peut pas se séparer. Pour l'empêcher de le quitter, Jules ne dispose d'aucun moyen personnel et il voit son salut en Jim, qui, de son côté, tombe amoureux de Kathe à mesure qu'il passe le temps avec le couple. Jules encourage Jim à avoir une relation avec sa femme, car ainsi il l'aura près de lui tout le temps, il pourra la voir n'importe quand et il sera content de la savoir dans la compagnie de son meilleur ami.

Mis en face du désastre de leur relation de couple, les personnages perçoivent comme une évidence la nécessité de faire une analyse profonde d'eux-mêmes, de leurs éventuelles erreurs et de la façon de les remédier à tout prix. Ils s'efforcent de comprendre où est la faille dans leur relation et pourquoi elle s'est créée. Dans leur désir d'objectivité, ils essaient de ne pas accuser l'autre, mais plutôt de s'attribuer la majorité des fautes. Tout comme Jules, qui accepte et assume son échec dans le mariage, Monique, le personnage de La femme rompue, s'attribue la faute de l'échec et croit qu'elle aurait pu prévenir la catastrophe, si elle avait eu plus de confiance en elle-même, si elle avait eu le courage d'admettre à temps qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, si elle n'avait pas vécu avec la fausse certitude que tout était bien. L'amour, la faiblesse, et la commodité des personnages trompés sont parmi les raisons qui les empêchent de prendre l'unique décision logique, celle de la séparation. L'acceptation de lïnfidélité et donc le pardon de cet acte minent davantage leur position et n'attirent sur eux que la pitié, l'indifférence et la perte du respect. Ce fait tourne contre eux comme un boomerang, car ils n'obtiennent du partenaire ni le retour à la vie antérieure ni l'exclusivité espérée, mais une aliénation encore plus aiguë. Kathe se réfugie dans des aventures et Maurice fréquente une amante. L'alternative à un mariage sans flamme, sans passion est l'abandon à un débordement sexuel.

L'amour pour le tiers est bientôt partagé et la situation devient encore plus compliquée. Chez Hellens, ce fait arrive par l'aveu même que Léa fait à Lucien, comme une confirmation de ce qu'il craignait le plus : « Oui, soupira Léa, il y a quelque chose, tu l'as senti, aucun de nous n'est coupable... Tu le savais, je ne te l'ai pas caché... »e

Chez Roche, avant même que Kathe tombe amoureuse de Jim, ce dernier subit le coup de foudre pour elle et pense mettre en oeuvre la proposition de Jules de la retenir par la force de l'amour : « Il ne fallait pas que Kathe parte ! Dans quelle proportion Jim allait-il agir pour Jules ? Dans quelle proportion pour lui-même ? Il ne le saurait jamais. »9

Le tiers est de plus en plus présent dans la vie du couple. Il devient cette ombre qui l'accompagne partout, voire en son absence. Les pensées de Léa semblent s'adresser à Arnold comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. La présence de l'intruse est accablante pour Françoise et Pierre aussi, dans L'Invitée. Même en son absence, le couple ne fait que parler d'elle, elle devient une vraie obsession.

Si dans les cas précédents, l'autre est intervenu d'une manière en quelque sorte naturelle, étant donné l'amitié avec le couple, dans La femme rompue et dans L'Ennui, il apparaît comme un adversaire qui séduit l'un des membres du couple et l'attire dans la trahison. Il viole l'intimité des deux et par cela il nous laisse présager llmminence de la catastrophe. La nouvelle de la trahison vient comme un choc qui paralyse tant Monique que Dino, et les laisse dans l'incertitude et l'incompréhension. C'est comme une preuve de leur infaillibilité, un coup définitif à leur confiance en eux-mêmes. Après le choc de la nouvelle, la rupture se manifeste par des actes paroxystiques, des gestes désespérés, des manifestations de la douleur. La vie du couple devient un cauchemar. Il n'y a plus de communication entre les partenaires. Des querelles toujours plus fréquentes et intenses détruisent toute trace de stabilité. Ils arrivent aux pires humiliations, se lancent des accusations, mêmes si infondées. La vie en couple se transforme parfois en torture, elle aboutit à une situation limite : le traître mène une vie double sans pouvoir choisir. Les raisons en sont diverses. Dans le trio Maurice-Monique-Noëllie, Maurice se débat entre les exigences de sa femme à l'égard des droits légaux, d'une part, et l'espoir d'un commencement à zéro, promis par son amante, d'autre. Dans le trio Dino-Cecilia-Luciani, Cecilia ne se décide pas entre l'argent de son partenaire officiel et la vie sexuelle tumultueuse qu'ils ont et la jeunesse et les perspectives de son amant. Les traîtres tentent tous les deux de réconcilier vie familiale/officielle et affaire.



La coexistence triangulaire



Le trio que l'on prévoyait dès l'apparition de l'autre éclate presque naturellement. Les protagonistes s'étaient familiarisés en quelque sorte à lïdée. Les événements les avaient déjà placés dans des situations où ils s'étaient rendu compte que leur unique choix, afin de ne pas perdre la personne aimée, c'était d'accepter de la partager avec un autre. Le partage est proposé ou toléré par le personnage qui est en danger d'être abandonné, dans une tentative désespérée d'éviter une séparation qui se laisse prévoir.



Le triangle amoureux



Dans La Femme partagée, le couple Léa-Lucien reçoit Arnold dans sa vie dès le moment de leur connaissance. Après avoir partagé des chambres contiguës dans la maison d'une amie, les trois déménagent dans un appartement à deux chambres, pour se trouver encore plus près. L'évolution des faits porte Léa à aller chaque soir, après le dîner, passer son temps avec Arnold dans la chambre de ce dernier, pendant que Lucien l'attend fiévreusement dans leur chambre commune, pour passer ensemble le reste de la nuit. Souvent, en rentrant de la chambre d'Arnold, Léa montre beaucoup de froideur envers Lucien, l'embrasse à la hâte et se déclare trop fatiguée pour se laisser embrasser. Des silences toujours plus embarrassants se glissent entre eux et cachent des sous-entendus douloureux. Dans le trio les moments de refus et les moments de pardon se succèdent tout le temps et, au lieu d'apporter du soulagement, ceux-ci intensifient la douleur, le doute, la jalousie et le sentiment de culpabilité. Si Lucien est jaloux des soirées que Léa passe en compagnie d'Arnold, celui-ci, à son tour, est jaloux des nuits pendant lesquelles Léa couche à côté de son bien-aimé.

Le moment arrive où les relations dans le trio amoureux sont sur le point de basculer dans le charnel. Graduellement, le besoin de l'amour physique se fait sentir et réclame sa part. Le triangle consenti s'annonce. Après dînterminables angoisses et inquiétudes, Lucien envisage lunique situation à même de sauver sa relation d'amour tout en y incluant son rival : il propose un pacte à Léa, un accord qu'il trouve merveilleux et rassurant pour le moment, le ménage à trois :



« Léa! m'écriai-je, écoute-moi bien: lorsque deux êtres sont unis comme lui et moi, lorsqu'ils sont plus que des amis, presque des frères... Des frères, non... Quand ils sont à la fois semblables et différents... Te souviens-tu, te souviens-tu ? Tu me l'as dit toi-même si souvent, c'est une chose incroyable, une maladie, nous ne pouvons pas plus nous passer l'un de l'autre que tu ne pourrais te passer de nous... Lorsque deux hommes en sont à ce point, penses-tu qu'il soit surhumain qu'une femme puisse les aimer tous les deux ? Une femme ne peut-elle accomplir ce miracle? »

Jamais je ne parlai avec une passion aussi véritable. Je me sentais illuminé. «Je le crois ! » répondit doucement Léa. Sa figure s'était subitement éclairée.



La réaction d'Arnold, simple et tacite, exprime son acceptation, sa joie et sa reconnaissance :



Il avança vers moi, comme elle, souriant, de ce pas court et vivant qu'il prenait toujours, mais qui semblait aujourd'hui chanceler, posa ses mains sur mes épaules et sans prononcer une parole me serra contre sa poitrine.



Dans Jules et Jim, le ménage à trois s'installe comme une conséquence logique de la crise du couple. Après la tentative échouée de Jules de vivre une relation exclusive («... pas celle-là?... n'est-ce pas, Jim ? / - Pas celle-là, Jules, répondit Jim. »12), il renonce à cette aspiration et propose lui-même le partage de la femme. Cette habitude est typique pour Jules. Si on retourne en arrière à un autre épisode d'amour intense vécu par Jules, qui finit par un refus de la part de la femme, on revoit celui-ci agir de la même manière : « - Jim, dit-il, Lucie ne veut pas de moi. J'ai la terreur de la perdre et qu'elle sorte tout à fait de ma vie. Jim, aimez-la, épousez-la, et laissez-moi la voir. Je veux dire : si vous l'aimez, cessez de penser que je suis un obstacle. »13 Jim devient l'amant de Kathe, il est même soutenu par la famille de Jules et reçoit la bénédiction de ce dernier.

Dans L'Invitée de Simone de Beauvoir, c'est Françoise qui propose le trio à sa rivale, pour éviter de perdre Pierre :



(...) un long moment Françoise contempla avec des yeux d'amoureuse cette femme que Pierre aimait.

« Tout pourrait être si bien au contraire, dit-elle. Un couple bien uni, c'est déjà beau, mais comme c'est plus riche encore trois personnes qui s'aiment les unes les autres de toutes leurs forces ».



Contrairement aux autres couples, leur arrangement prévoit que Françoise et Pierre passent à tour de rôle du temps avec Xavière, mais en tête-à-tête qui doivent rester des tabous pour l'autre. Leurs rencontres communes manquent d'essence, car entre eux régnent des secrets qu'ils se cachent réciproquement.

Pour Monique de La femme rompue, même si elle ne le veut pas, l'unique solution possible pour garder son mari à côté d'elle c'est d'accepter de le partager avec sa rivale. Elle se considère coupable de ne pas avoir su offrir à son mari ce qu'il est allé chercher dans une autre relation et c'est sur cette culpabilité-là qu'elle fonde la justification de sa tolérance envers l'autre.

Quant à Dino de L'Ennui, il tolère la présence de Luciani dans sa vie, comme amant de Cecilia, après que la fille lui avoue qu'elle ne quittera pas ce dernier. Il ne lui reste que d'accepter le partage, avec une amère résignation à la fatalité :



Je lui déclarai enfin, avec un sentiment mêlé de rage et de lassitude : « Bon, c'est entendu, tu nous auras tous les deux, faisons l'essai. Mais tu verras toi-même qu'il est impossible d'aimer deux hommes à la fois. - Et moi je te dis au contraire que c'est tout à fait possible. »



Les personnages qui proposent ou tolèrent le partage de l'objet amoureux cherchent toujours à justifier leurs actions, à se revaloriser dans leurs propres yeux. Leur complaisance dans le mal accentue le sens tragique de leur existence. Ils veulent se défendre comme pour diminuer la gravité de leur erreur, comme pour justifier leur péché. La perfection à laquelle ils aspirent est maculée par l'hésitation, la faiblesse, la déchéance morale qu'ils démontrent. Leurs étranges aventures spirituelles les transforment en épaves qui flottent à la dérive, en quête de l'union idéale. Le couple quïls constituent est faux, forgé sur des mensonges, donc plus facile à déconstruire.



La jalousie



Le partage de la personne aimée, entrevu comme une solution de la crise, mène à l'aggravation du conflit. La jalousie que les personnages éprouvaient déjà s'intensifie et les pousse à des réactions incontrôlées. Ils se lancent réciproquement des accuses, se blessent par des paroles douloureuses, pour implorer la pitié immédiatement après. La détérioration des relations de couple est accentuée par un langage très bien construit, qui vise à la rupture. Les mots sont très dangereux, ils peuvent facilement détruire l'amour. Dans La Femme partagée, Lucien tolère le partage, mais il en souffre. Il s'autosuggestionne en se disant qu'il tient la place la plus importante à côté de Léa, mais il se tourmente pendant les heures de solitude et se laisse gagner par la rancune. Les nuits passées ensemble par Léa et Arnold deviennent pour Lucien un vrai poids. Chaque jour, le chaos des pensées et des sentiments accable davantage Lucien, qui ne finit pas d'examiner son rôle et sa part dans ce triangle. D'une part, il est bien conscient de sa place bien figée à côté de Léa, il est sûr de l'amitié partagée d'Arnold, de l'autre, il s'avoue jaloux, malgré l'accord qu'il donne. Des querelles de plus en plus fréquentes naissent au sein du couple, initiées d'habitude par Lucien, qui fait des reproches constants à Léa, pour la couvrir ensuite de caresses, de baisers et de promesses de compréhension.



Simone de Beauvoir accentue elle aussi, dans L'Invitée, les controverses qui naissent entre les personnages à la suite de l'acceptation de l'étrange trio. Dans ses tentatives de s'approcher Xavière, Pierre confesse à Françoise : « tu es quand même le plus grand obstacle entre elle et moi » {p. 139). Pour Françoise, tout devient un jeu dangereux dans lequel son esprit est déchiré entre l'amour et l'amitié, entre la passion et l'altruisme, sentiments qu'elle ressent pour les deux êtres les plus importants de sa vie. Cependant, elle ne peut pas s'empêcher de remarquer le stratagème perfide de l'invitée de l'écarter totalement de sa place légitime :

Françoise s'arrêta sur le bord du trottoir : elle avait la pénible impression d'être en exil. D'ordinaire, le centre de Paris, c'était juste l'endroit où elle se trouvait. Aujourd'hui, tout était changé. Le centre de Paris, c'était ce café où Pierre et Xavière étaient attablés et Françoise errait dans de vagues banlieues.



La relation d'amitié entre les deux femmes est marquée par la jalousie, voire la haine de Xavière contre sa protectrice. Finalement, Pierre examine objectivement le caractère méchant de l'invitée et il lui reproche violemment sa conduite envers lui. Pour eux, c'est le commencement de la fin. Pierre la repousse justement à cause de la méchanceté avec laquelle elle envenime tout contact humain.



Dans l'autre roman analysé, La femme rompue, Simone de Beauvoir rend également les tristes effets de l'accord au partage. Monique provoque des querelles pour des raisons menues, elle guette tous les gestes de Maurice, examine à fond toutes les décisions qu'il prend et exploite les concessions qu'il accorde à l'autre, en menant celui-ci à l'exaspération. Néanmoins, elle s'efforce de montrer une réaction conciliante, ce qui donne à Maurice toujours plus de courage à passer son temps avec l'autre. Monique crée des tensions, des scandales, mais elle n'est pas capable de prendre une décision radicale, parce qu'elle comprend que ce serait à son détriment. Elle se torture avec des questions douloureuses : « [...] que font-ils, où sont-ils, que se dissent-ils, comment se regardent-ils? J'ai cru que je saurais me garder de la jalousie : mais non. J'ai fouillé dans ses poches et dans ses papiers, sans rien trouver bien entendu. »17 et en échange Maurice lui exige la liberté de vivre comme il veut : « - Puisque tu acceptes que j'aie cette histoire, laisse-moi la vivre correctement. »18

Monique arrive à la conclusion, renforcée par l'histoire d'un autre couple connu, que si Maurice et elle avaient misé sur la liberté et non pas sur la fidélité, ils auraient pu sauver leur relation. C'est cela la cause majeure de leur rupture. Monique est rongée par la rancune à cause de la trahison de Maurice et surtout à cause de lïgnorance dans laquelle il l'a laissée vivre depuis tant d'années. La rancune est parfois plus forte que la souffrance. En imaginant s'établir entre Maurice et l'autre l'intimité qui jusque-là lui appartenait exclusivement, elle sent qu'on lui « scie le cour avec une scie aux dents très fines. »



Chez Moravia, la jalousie de Dino apparaît seulement au moment où il voit Cecilia avec un autre homme dans la rue, car c'est alors qu'il comprend son amour.

Je compris que si jusqu'alors Cecilia n'avait rien été pour moi, ce retard la faisait devenir quelque chose. [...] Je m'efforçai de mettre plus de clarté dans mes pensées, mais sentis que cela m'était difficile parce que je souffrais.



Le couple de l'Ennui est le couple le plus étrange dont nous avons affaire. On assiste ici â des scènes terribles de jalousie sur le fond de la tolérance du partage. L'amour sïntensifie pour l'homme à mesure que lïndifférence de la femme s'accroît. D ny a rien au monde que Dino désire plus que la séparation de Cecilia, mais il veut que cela arrive dans ses termes à lui. Abandonner une fille qui ne l'aime pas heurterait son orgueil masculin. C'est pourquoi il cherche par tous les moyens à obtenir son amour avant de la quitter. Et ce n'est pas tout. Pour compliquer les choses, le rival dont Cecilia tombe vraiment amoureuse fait augmenter l'amour de Dino pour elle, car le regard de l'autre fait renforcer l'amour pour le partenaire. La douleur provoquée par la morsure de la jalousie s'intensifie jusqu'à des débordements de rage destructrice. Le pouvoir de la jalousie pousse Dino à des gestes extrêmes : une tentative de meurtre et une tentative d'assassinat, pour échapper à l'impuissance de posséder la fille qu'il désire. En même temps, la jalousie devient pour Dino plus forte que l'ennui, plus forte que le mal qui l'a accablé toute la vie. Dans ce roman, la majorité des crises du couple sont résolues par l'amour physique. C'est une idée très bien développée par Pierre Brunel dans l'analyse de La sonate à Kreutzer, où il démontre que la jalousie est une exacerbation du désir. Après des épisodes de haine, la réconciliation charnelle résout le conflit.

À la différence des contextes antérieurs, dans Jules et Jim, la jalousie se manifeste non pas entre les membres rivaux du trio, mais vis-à-vis des potentiels amants de la femme en dehors du trio. Jules n'est pas jaloux de Jim, car il comprend les affinités qui l'unissent à Kathe et, en tant qu'ami, il se réjouit de leur bonheur. Jim non plus, il n'est pas jaloux des faveurs que la femme accorde de temps en temps à Jules, encore le mari officiel. C'est l'unique relation triangulaire où les personnages ne portent pas de masque et vivent un ménage à trois complet, âme et chair. Pourtant, ils ne sont pas heureux. Kathe est une femme difficile à garder, elle a sa propre philosophie de vie, selon laquelle n'importe quelle offense doit être payée d'une trahison, pour liquider l'impair et repartir à zéro. Si Jules tolère la trahison, Jim en est vexé et, pour punir à son tour, il vole et trahit lui aussi.



La résolution des conflits



La faillite de tous ces couples est inévitable. La tension accumulée, les angoisses, les doutes ont affaibli les forces des personnages et leur confiance dans la pérennité de leur relation. Des dénouements tragiques mettent fin aux troubles, aux malheurs qui ont dominé ces destins uniques. La plupart des fois, l'amour en agonie est une voie vers la mort. Celle-ci emprunte le visage de l'amour, l'Éros donne naissance au Thanatos. Une fois la passion épuisée, l'amour est consommé et ne peut plus être rallumé. Finalement, l'amour possessif est illusoire, car l'être aimé ne peut être totalement conquis.



La mort



La fin la plus douloureuse et paradoxalement la plus heureuse est envisagée dans Jules et Jim. C'est la femme qui prend la décision finale, comme toutes les décisions majeures, d'ailleurs. Pour éviter une éventuelle séparation déchirante, due aux crises toujours plus aiguës, Kathe ne voit d'autre solution que la mort : la mort - pour elle et pour 1'homme qu'elle aime. Elle prend la liberté de décider pour lui, dans l'espoir d'une possible transgression de la vie par la, mort. Une fin préméditée qui semble d'autant plus cruelle devrait conférer au couple l'union éternelle non pas sur terre, mais dans les Cieux. Jules regarde Kathe et Jim, pendant que la femme conduit la voiture dans la Seine. La quête d'un ailleurs plus heureux prend fin dans la mort.

La mort marque le destin du couple de La Femme partagée aussi. La femme meurt à la suite d'un accouchement prématuré d'une fillette mort-née. Le couple fait faillite, tout comme la relation triangulaire avec Arnold. La solitude et l'amertume, c'est ce qui reste à la suite de cette histoire. Lucien, seul, tout comme Jules, s'interroge sur le sens de sa vie passée et future. Le schisme ne sera jamais dépassé par eux.

Dans L'Invitée, c'est l'intruse qui meurt, étant soumise par l'auteur à un dénouement tragique. Après avoir perdu l'amour de Pierre et l'amitié de Françoise, elle perd la vie même pour laisser libre chemin à l'amour du couple. Sa mort n'est pas accidentelle, elle est provoquée par Françoise, qui l'élimine ainsi de sa voie comme le plus difficile obstacle à sa félicité. Même si gagnante dans la lutte contre l'intruse, car Pierre et elle se sont réconciliés, Françoise ne peut pas supporter limage monstrueuse que la jeune fille se fait d'elle et la haine qui transparaît dans tous les gestes de cette dernière. Le conflit est résolu encore une fois par la mort. Françoise n'a d'autre choix que le meurtre, en tant que réaction désespérée contre le regard d'autrui, contre le regard ennemi. Dans une discussion sur l'amitié, où ils la définissent de manière très suggestive (« En somme, c'est ça l'amitié: chacun renonce à sa propre prépondérancE ), Pierre et Françoise arrivent à la conclusion que cela n'est pas possible entre eux trois, car Xavière refuse dy renoncer. C'est à ce moment-là que dans un accès de révolte et de rire amer, Françoise est traversée pour la première fois par l'idée de tuer Xavière, comme unique remède à la dégradation de leur rapport. Elle est dégoûtée d'elle-même, mais à la fois elle justifie son choix de sauver son amour au détriment de Xavière. Une réconciliation est impossible. La décision de se sauver coïncide donc pour Françoise avec celle de tuer Xavière, « cette présence ennemie qui depuis si longtemps l'écrasait de son ombre aveugle s22. Les paroles « elle ou moi i»23, « [e]lle avait enfin choisi. Elle s'était choisie s24 annoncent l'avenir libre, sans entraves à l'amour.

L'échec du couple, ainsi que l'échec du triangle puisent dans le partage conscient de l'objet de l'amour, parce que c'est un apaisement apparent qu'il apporte aux protagonistes, pendant qu'il les soumet à une torture mentale constante et à un examen objectif et lucide de leurs limites. Il ny a pas de remède dans une telle situation qui ne fait que déclencher le mécanisme destructif et autodestructif des personnages et les entraîner dans des contradictions intérieures sans solution. Cela provoque l'éclatement final, la faillite définitive de toute relation. L'échec de l'amour, tout comme l'échec de l'amitié sont résolus par la grande séparation qui est la mort et également par la dissolution de l'amitié.



La mort de l'âme, une mort tout aussi cruelle que celle physique, est réservée à Monique de La femme rompue. La séparation, déjà prévue le long des événements, marque la fin logique de son mariage. Ses réflexions là-dessus sont très lucides et laissent à peine entrevoir son désespoir. Monique lutte jusqu'à la fin pour éviter que Maurice la quitte, elle use de stratagèmes féminins qui restent sans effet, car cette fois-ci c'est la rivale qui gagne. La solitude, l'abîme, l'amertume, c'est tout ce qui reste à Monique. Réaliste à la fin, elle rumine comme dans un cauchemar la faillite officielle de son mariage, car il ne faut pas oublier que le mari ne l'aimait plus depuis dix ans. L'amour ne subsiste pas à l'épreuve du temps, à l'épreuve de l'incompatibilité entre les désirs et les besoins des époux. La fin de ce personnage est justifiée par l'auteur même : « La femme rompue est la victime stupéfaite de la vie qu'elle s'est choisie : une dépendance conjugale qui la laisse dépouillée de tout et de son être même quand l'amour lui est refusé



L'espoir



L'espoir apparaît comme un paradigme du salut. Il est voué à apporter un équilibre précaire au sein du couple tellement ébranlé par les épreuves du destin. Il annonce un avenir possible, où les êtres se retrouvent dans le pardon, mais non pas dans l'oubli.

Pour le couple de L'Invitée on entrevoit un possible avenir heureux. Le couple initial se réconcilie sur les ruines de la faillite du triangle. De toute façon, l'avenir sera forgé sur le mensonge, sur une mort humaine qui aurait peut-être pu être évitée. Pierre ne connaît pas encore la mort de l'intruse, il est possible qu'il ne l'apprenne jamais. Elle restera quand même un stigmate sur l'avenir.

La continuation semble possible dans le roman de Moravia aussi. Après l'essai d'une résolution radicale - une tentative de suicide - Dino accepte la réalité. L'accident de voiture qu'il provoque ne lui apporte pas la mort, sinon un apaisement inespéré. Il se rend compte de son amour pour Cecilia et de sa capacité d'accepter la dualité de celle-ci. Sa dernière chance est de l'aimer sans prétendre rien en échange. La continuation est donc possible dans les mêmes conditions qu'auparavant, c'est un simulacre d'amour, mais l'unique possible.



Ces individus croisent leurs solitudes dans une recherche désespérée de l'apaisement de leurs plaies intérieures. Dans l'architecture compliquée de leurs âmes, le salut est permis.



En guise de conclusion



Dans sa polysémie, le thème du couple et du triangle amoureux montre le caractère aléatoire du sexe et celui du hasard. Masculin et féminin se constituent dans de multiples interactions qui mettent en évidence les facettes complémentaires de l'amour. La torture réciproque qui se déclenche entre les personnages prouve que l'amour fait quand même violence à l'esprit et que le goût des transgressions laisse choir les personnages dans une promiscuité destructive. Les tabous sexuels cèdent, les distances imposées par la morale sont abolies et les troubles erotiques finissent en catastrophe. Les personnages s'épuisent dans llnterminable quête de leur être complémentaire. La guerre des sexes se termine par un schisme infranchissable. Le dénouement des conflits envisagés par les cinq écrivains montre que la pulsion de lÉros et la pulsion du Thanatos sont inextricablement nouées pour annoncer le désastre. Les héros ne connaissent pas d'heureux dénouements à leurs intrigues, ils s'enlisent dans des expériences plutôt folles que raisonnables d'où ils sortent mutilés, aliénés. La disharmonie, le mécontentement et même le désastre deviennent des invariants de l'espace affectif où ils vivent. Les diverses typologies que les écrivains présentent - l'ami, l'amant, le traître - retracent les profils des chercheurs du paradis terrestre impossible à atteindre, car gouverné par des lois humaines. D'où le drame.

À travers les expériences de tous ces personnages, nous avons essayé de démontrer l'impossibilité de vivre au-delà de certaines limites imposées par le bon sens et la morale. Le dénouement coïncide le plus souvent avec la mort, la solitude, l'abîme intérieur. Le naufrage est prévisible et inévitable.






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