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L'expression de l'espace






1. La description de l'espace



1.1. Décrire ou ne pas décrire



Il est difficile de concevoir un récit sans un minimum d'indications descriptives ; "selon la formule de Gérard Genette, « // est plus facile de décrire sans raconter que de raconter sans décrire » (Figures II, p. 57). Les modalités et les fonctions de la description dans le roman varient selon les époques et les auteurs. Le morceau descriptif est un héritage de l'épopée antique : Homère décrit le bouclier d'Achille, Virgile le bouclier d'Ence. Les romanciers n'ont pas toujours ressenti la nécessité et le goût de décrire. Mme de La Fayette n'use que de formules banales pour évoquer les beaux visages et l'élégante tournure de ses personnages. Comme elle, Prévost s'en remet la plupart du temps à l'imagination de ses lecteurs. C'est avec Walter Scott, puis avec Balzac que la description fait une entrée en force dans le roman. Stendhal, comme on sait, détestait les descriptions. « J'ai oublié de peindre ce salon, écrit-il dans ses Souvenirs d'égotisme. Sir Walter Scott et ses imitateurs eussent sagement commencé par là. mais moi j'abhorre la description matérielle. L'ennui de la faire m'empêche défaire des romans. » Notre époque a fait de cette question d"esthélique un problème : le romancier doit-il décrire ou ne pas décrire ? Les surréalistes ont décrété l'abolition des développements descriptifs. Montherlant fondait son refus de décrire sur des considérations esthétiques fort pertinentes, en y ajoutant une pointe de désinvolture : « Nous ne décrirons pas le bureau, dit-il, car nous savons que le public, lorsqu'il lit un roman, saule toujours les descriptions » .' André Gide, à travers le Journal d'Edouard dans Les Faux-Mon-nayeurs, voulait « dépouiller le roman de tous les éléments qui n 'appartiennent pas spécifiquement au roman ». « Même la description des personnages, observe-t-il, ne me paraît pas appartenir proprement au genre (...). Le romancier, d'ordinaire, ne fait point suffisamment crédit à l'imagination du lecteur. »





1.2. Le descriptif et le narratif



Tout récit impliquant un minimum d'indications descriptives, la vraie question qui se pose au romancier n'est pas de savoir s'il faut ou non décrire, mais quelle place et quel usage il faut réserver à la description : doit-elle être décorative ou documentaire ? Encore que la rhétorique classique, comme le montre Philippe Hamon {Introduction à l'analyse du descriptif. Hachette . I981), exigeât de la description qu'elle ne fût pas une digression ni un hors-d'ouvre, mais qu'elle fût soumise au personnage et subordonnée à l'ensemble de l'ouvre, les romanciers ont été parfois tentés de s'arrêter pour décrire, de concevoir leurs descriptions comme autant de pauses du récit ; mais le plus souvent, loin d'utiliser la description des lieux et des objets comme l'occasion d'une leçon de choses, ils s'attachent à la justifier, par exemple, par l'harmonie qu'ils établissent entre la nature et les sentiments du héros. Chez Flaubert, la description est souvent en rapport direct avec l'état d'âme de son personnage : dans la cathédrale où il a donné rendez-vous à Emma, Léon a la vision sacrilège d'un immense boudoir. Le romancier doit surtout choisir entre le morceau descriptif et les indications descriptives égrenées au fil du texte et plus ou moins soumises à l'optique du protagoniste. A une lignée qui va de Balzac à Zola, où l'on recourt volontiers à la description constituée, facilement repérable - pause dans le récit, même si elle est liée à lui par de nombreux rapports -, on opposerait aisément la lignée de Stendhal, Flaubert. Goncourt :fces romanciers pratiquent volontiers un « réalisme subjectif » qui consiste à ne décrire du réel que ce que le héros peut en voir./Marcel Schwob proposait, à la fin du xixc siècle, l'expression de « descriptiortprogressive » pour désigner l'éclatement du morceau descriptif en indications descriptives données au fil du texte. Ces scrupules tendent à intégrer davantage le descriptif au narratif.

Bien d'autres distinctions seraient nécessaires : le morceau descriptif lui-même peut consister en une énumération documentaire ou être esthétiquement agencé selon le modèle pictural. Il est de fait que beaucoup de pages descriptives dans le roman sont élaborées selon l'idéal du tableau : la mise en relief des contrastes, l'opposition des premiers plans et des lointains, la délimitation même du spectacle par un cadre strict (par exemple, celui d'une fenêtrE), autant de critères qui permettent de déceler l'influence de la peinture sur l'art littéraire.



1.3. La description balzacienne



Balzac justifie la description par l'action que le milieu (paysages, ville, maison, appartemenT) exerce sur les êtres. Conférant à ses descriptions une valeur explicative ou symbolique, il rompt lui-même avec la tradition du morceau descriptif purement ornemental. La description de Saumur et de la maison de Grandet n'a pas seulement une valeur pittoresque : elle aide à comprendre. Dès 1830, avec les Scènes de la vie privée, Balzac découvrait l'unité du personnage el de son milieu. Il écrivait dans Une double famille : « S'il est vrai, d'après un adage, qu'on puisse juger une femme en voyant la porte de sa maison, les appartements doivent traduire son esprit avec encore plus de fidélité. » La description devenait une explication des caractères. Le portrait, celui de Gobseck, cherchait à saisir, au-delà de l'exactitude pittoresque, l'expression fugitive de sa vie profonde. C'est en parlant de Gobseck et de sa demeure que Balzac dit : « Vous eussiez dit de l'huître et de son rocher. » Il déclare à propos de Mme Vauquer que « toute sa personne explique la pension comme la pension implique sa personne ». Décrire une maison ou un appartement, ce n'est pas seulement procéder à un état des lieux avant que ne débute l'action : c'est rendre le lecteur sensible à la qualité d'une existence qui a modelé à son image l'espace dans lequel elle s'est accomplie. D y a l'empreinte d'une vie dans l'atmosphère d'une maison. C'est pourquoi les descriptions annoncent l'action ; elles la contiennent virtuellement, elles en sont comme la figure matérielle : le drame est inscrit sur les visages et dans les lieux avant de constituer le déroulement d'une aventure.

Il y a chez Balzac bien des manières de procéder à la description : quand il évoque la nature, il hérite de Rousseau et de Chateaubriand, et il construit de majestueux développements soutenus par des mots clefs : « Imaginez., encadrez le tout, vous eussiez dit. tantôt, tantôt, à gauche, à droite », etc. Sans être aussi sensible au modèle pictural que le seront Flaubert, les Goncourt et Zola, il confère une allure à la fois romantique et esthétique à son évocation. Quand il s'agit au contraire d'un quartier, d'une maison, d'une pension de famille, d'une étude d'avoué, il procède par énumération : l'accumulation des détails peut brouiller parfois la vision précise du décor, elle constitue un apport documentaire qui annonce l'esthétique réaliste et naturaliste. Ces « inventaires », ces « états des lieux », ces « portraits » rassortissent à son désir de s'approprier les choses et les gens pour les faire entrer dans son univers imaginaire. À côté de ces longues et minutieuses descriptions. Balzac sait aussi procéder à des reprises savantes et subtiles du même motif : Raymonde Debray-Genette a montré (Métamorphoses du récit, 1988) comment il savait faire varier les descriptions du jardin d'Eugénie Grandet selon l'état d'âme du personnage et les moments du récit : ces descriptions « morcelées », « modulées », « parsemées » représentent un des aspects de son art.



La description des lieux et le portrait des personnages sont généralement donnés au début du roman, où ils constituent d'amples développements. Au début d'Eugénie Grandet, Balzac use d'un procédé répandu, celui de Stendhal dans l'évocation de Verrières, de Flaubert plus tard dans la présentation de Yonville, de beaucoup d'autres romanciers : « l'approche progressive » (ibid.), non qu'il s'agisse ici d'une découverte liée à l'optique d'un personnage, mais d'un simple procédé dans l'évocation de l'espace : d'abord, on a une description générale de Saumur, puis, après une biographie rétrospective de Grandet, voici la maison du vigneron et l'on va de l'extérieur à l'intérieur : le porche, la grille de la porte, le jardin, les murs de la maison, la salle principale, explorée dans ses recoins - jusqu'à ce qu'on voie enfin « la chaise de paille » surélevée qui permet à Mme Grandet de regarder par la fenêtre, et la « travailleuse en bois de merisier » ainsi que le « le petit fauteuil » d'Eugénie. On glisse ainsi des objets rencontrés en fin de parcours aux personnes qui les utilisent et que le romancier montre aussitôt occupées à entretenir le linge de la maison. Ainsi la description conduit-elle à l'action romanesque.



1.4. Le modèle pictural



C'est avec Flaubert, qui par ailleurs sait si bien moduler les descriptions au fil de son récit, qu'apparaît la description-tableau : Rouen, aperçu par Emma d'une hauteur, apparaît soudain « descendant tout en amphithéâtre et noyée dans le brouillard ». Ainsi vu d'en haut, conclut Flaubert au terme de son évocation, « le paysage tout entier avait l'air immobile comme une peinture ». Les Goncourt, héritiers de Gautier, sont des hommes pour qui le monde extérieur existe ; leurs descriptions adoptent volontiers une sorte de parti pris pictural. Ils s'appliquent à reproduire des effets de clair-obscur dans le théâtre où l'on répète une pièce de Demailly. La synagogue vue par Coriolis dans Manette Salomon évoque pour lui un tableau de Rembrandt, avec cette « obscurité crépusculaire venant d'en haut ». Dans ce roman de la peinture, les Goncourt ont employé toutes les ressources de leur prose à « rendre » des ouvres picturales, comme ce Bain turc, sur lequel ils voient « cette bande de ciel ouatée de blanc, martelée d'azur ». Réalisme esthétique et impressionniste que celui qui s'attache à faire voir une ouvre d'art et à suggérer les impressions qu'elle suscite. Ils sont sensibles, avant Proust et le port de Car-quethuit, aux étonnants et cocasses rapprochements que l'artiste opère sur sa toile, quand il entend être fidèle à la réalité première de sa perception et non à la construction intellectuelle qui la prive de son étrangeté.



1.5. La description proustienne



Il y a dans la Recherche très peu de descriptions d'intérieurs : à peine trouve-t-on quelques indications descriptives : le salon de Mme de Villeparisis est « tendu de soie jaune », ses canapés et « d'admirables fauteuils en tapisserie de Beauvais » sont « d'une couleur rose, presque violette » ; on y voit aussi un petit bureau devant lequel se tient la marquise occupée à peindre des roses ; sur les murs figurent des portraits des Guermantes. C'est peu de choses à côté des descriptions balzaciennes ! Chez Charlus, le narrateur se rappelle seulement que le salon était « immense et verdâtre », avec « quelques portraits ». En revanche, dans les intérieurs, Proust est sensible au temps qu'il fait dehors, à la saison et à l'heure de la journée. Avant Proust, c'est chez Alphonse Daudet qu'on trouve une telle sensibilité au temps qu'il fait, au rayonnement comme au déclin du jour. Proust, d'autre part, est romancier plus que peintre quand, à défaut d'inventaire, il s'attache à suggérer l'espace (la hauteur des plafonds, l'immensité des salons, les recoins que constituent les embrasures des fenêtreS). Il renouvelle à sa manière ce que Marcel Schwob appelait la « description progressive ». Il contribue puissamment à lier le descriptif au diégé-tique.

Raymonde Debray-Genette a montré, dans une étude génétique ( Recherche de Proust. Seuil, 1980), que toute ligne de démarcation, chez lui, « entre description et narration proprement dite tend à disparaître » ; et Gérard Genette a observé à juste titre que «la description prousiienne est moins une description de l'objet contemplé qu'un récit et une analyse de l'activité perceptive du personnage contemplant ».

Il faudrait distinguer, chez Proust, perception et description. Toute perception n'aboutit pas à une description, elle donne, tout au plus, une indication descriptive. Dans ce domaine incertain, on pourrait établir, à tout le moins, que'plus l'écrivain détaille une perception, plus il tend vers la descripiiorïy En quoiH'on rejoindrait la définition du XVIIIe siècle citée par Philippe Hamon : « La description est une figure de pensée par développement qui, au lieu (/'indiquer simplement un objet, le rend en quelque sorte visible, par l'exposition vive et animée des propriétés et des circonstances les plus intéressantes » top. cit., p. 9). Alber-tine se détache de la bande des jeunes filles quand le narrateur perçoit en elle « une fille aux yeux brillants, rieurs, aux grosses joues mates, sous un polo noir enfoncé sur sa tête, qui poussait une bicyclette avec un dandinement de hanches (...) dégingandé». On pourrait prendre en compte aussi le souci qu'a parfois l'écrivain d'organiser en tableau les indications descriptives qu'il nous donne. La perception du narrateur a tendance à devenir une description quand l'auteur souligne des contrastes, des jeux de couleurs : ainsi, de la « tache singulière » que font de loin les jeunes filles, voit-il émerger un ovale blanc, des yeux noirs, des yeux verts, - « ensemble merveilleux », « beauté fluide, collective et mobile » qui se détache sur fond de mer.



1.6. La description progressive



C'est avec Flaubert et les Goncourt qu'apparaît dans le roman, outre les tableaux conçus selon le modèle pictural, un type particulier de description, liée au mouvement d'un personnage qui se déplace. Robert Ricatte a parlé de «description ambulatoire » à propos de Germinie Lacerteux : la marche de Germinie fait jaillir de l'ombre une série capricieuse d'objets hétéroclites. Dans L'Éducation sentimentale s'affirme, au détriment de l'action, une exploration progressive de l'espace qui aboutit à une mise en mouvement du décor. Claude Ollier devait dire beaucoup plus tard : « // ne faut pas dire qu 'un homme marche, il faut montrer ce qui défile à gauche et à droite du marcheur. » Pendant les promenades de Frédéric. « les maisons se succèdent » avec « leurs façades grises et leurs fenêtres closes ». Dans le mouvement régulier du train, du bateau, de la calèche, c'est le monde qui bouge. Ce glissement du décor est un des leitmotive de l'ouvre. Sur la Seine, de Paris à Nogent, « les deux berges (...) filèrent comme deux larges rubans que l'on déroule ». Le romancier ne compose plus un tableau, il raconte un incessant changement de décor à vue : « Les brumes errantes se fendirent, le soleil parut, la colline peu à peu s'abaissa et il en surprit une autre, plus proche, sur la rive opposée. » l.a description dans L'Éducation sentimentale n'a pas seulement une valeur psychologique par les couleurs que le personnage prête à la réalité qu'il perçoit. Elle dit le monde, elle dit la suite des apparitions qui surgissent.



1.7. Proust et la « vision perspective de l'espace »



Proust hérite de cette tradition. La nouveauté est que parfois, chez lui, l'automobile, à cause de sa vitesse, s'engouffre dans l'espace : « Les maisons anciennes et rustiques accoururent », « les sapins de la Raspelière (...) coururent dans tous les sens pour nous éviter ». Vision de l'espace balayé par le regard et exploré par le mouvement en avant. Curtius insistait à juste titre sur « les rapports mystérieux entre le spirituel et le spatial chez Proust », et il évoquait sa « vision perspective de l'espace ». C'est le fait d'une stricte soumission à l'optique du narrateur, et d'un narrateur qui peut bénéficier des moyens modernes de locomotion, à une époque où le modèle de la prise de vues, photographique ou cinégraphique, tend à se substituer au modèle pictural. En tout cas, dans l'histoire littéraire du paysage, par rapport aux panoramas de Chateaubriand ou aux descriptions naturalistes. Proust opère une révolution et invente, au moment où naît le cinéma, la beauté d'une plastique mouvante : l'observateur devient mobile au lieu de s'arrêter pour contempler, et - nouveauté par rapport à Flaubert - à cause des tournants de la route ou de la voie de chemin de fer, le paysage prend à chaque instant une figure nouvelle, non parce qu'on passe d'un lieu dans un autre, mais parce qu'on découvre le même lieu sous plusieurs angles. C'est le cas des deux clochers de Martinvillc : « le mouvement de notre voiture et les lacets de chemin avaient l'air de (leS) faire changer de place », et c'est à la faveur de cette mobilité que le clocher de Vieuxvicq semble les rejoindre, et qu'il constitue avec eux une figure nouvelle. De la même façon, un lever de soleil, vu du train, est plein d'imprévu : il suffit que la voie tourne et la scène matinale est remplacée, « dans le cadre de la fenêtre » par « un village aux toits bleus de clair de lune ».



1.8. La description, de Malraux au nouveau roman



La description n'a pas disparu du roman après Proust ; elle est généralement fragmentée en notations égrenées au fil du récit. L'influence du cinéma est évidente chez Malraux : dans L'Espoir, par exemple, la fragmentation des « vues » qu'il nous propose est extrême. Il nous livre des « plans » restitués dans le tout-venant de leur présence. Il est attentif aux jeux de lumière dans le tableau fugitif qu'il enregistre au vol : « Les points de lumière qui venaient toujours des trous de brique accrochaient les fusils croisés dans le dos. » Ou encore, avec une allusion picturale explicite : « Les assiettes et les carafes (...) réverbéraient comme des vers luisants les mille points de lumière des briques trouées à travers l'énorme nature morte. » Ici nature morte où le soleil joue avec des objets familiers ; ailleurs, vaste panorama : «Dans une grande déchirure de rochers, venait d'apparaître l'autre versant de la Sierra : au-dessus de Madrid, peu visible dans l'étendue grise, d'immenses fumées sombres montaient avec une lenteur désolée (...). La ville disparaissait derrière son incendie. »



La description systématique a fait une réapparition fracassante avec le nouveau roman. D'abord parce que beaucoup d'auteurs qui se réclament de cette tendance procèdent en priorité à une description quasi phénoménologique d'un espace immédiatement saisi. Ensuite parce que le modèle du cinéma est de plus en plus influent : on ne peut plus raconter sans montrer en même temps des objets, et même il peut suffire de montrer des objets pour raconter : Robbc-Grillet s'est expliqué sur ce point avec une parfaite netteté dans L'Express du 8 octobre 1959 :

« Je crois que tout ce que l'homme ressent est supporté à chaque instant par des formes matérielles de ce monde. Le désir qu'un enfant a d'une bicyclette c'est déjà l'image nickelée des roues et du guidon. La peur qu'un automobiliste a éprouvée à un croisement conservera toujours la forme d'un capot noir surgi tout à coup avec le bruit des freins qui crissent et le paysage qui bascule dans la glace. »



Enfin, en troisième lieu, le travelling de la caméra subjective a constitué un nouveau modèle. Quand Wallas marche, dans los Gommes, « de chaque côté s'alignent des maisons de briques » et « bientôt reprend l'enfilade des maisons de briques. » L'arrivée de Garinati dans la maison où il a blessé Dupont est présentée comme un véritable travelling cinématographique. Il y a un bel effet de « caméra subjective » dans 1m Jalousie, quand le jaloux quitte la terrasse pour se rendre à l'office :



«(...) le plus simple est de traverser la maison. Dès la porte franchie, une . sensation de fraîcheur accompagne la demi-obscurité. À droite la porte du bureau est entrebâillée. Les chaussures légères à semelles de caoutchouc ne font aucun bruit sur le carrelage du couloir. Le battant de la porte tourne sans grincer sur ses gonds (...). Deux des fenêtres donnent sur la partie centrale de la terrasse. La première, celle de droite, laisse voir par sa plus basse fente (...) la chevelure noire, le haut de celle-ci du moins. (...). » et il faudrait citer les lignes suivantes où le travelling s'accompagne de restriction de champ, puisque les lamelles de la jalousie jouent comme un cache qui ne permet d'apercevoir dans l'encadrement de la fenêtre qu'une partie du spectacle.



2. La thématique de l'espace



2.1. £e resserrement de l'intimité et la représentation de l'étendue



L'espace n'est pas seulement vu par les yeux. C'est un milieu charge de valeurs qui ne doivent rien à l'évocation des formes et des couleurs. On ne peut sur ce point que renvoyer aux belles analyses de Gaston Bachelard. « La clôture et l'ouverture. observe Robert Ricattc. ont un sens qui transcende Vutilité romanesque » (Introduction aux Ouvres romanesques de Giono, Pléiade, t. L)Un des personnages de Giono, Pauline, à la fin d'Angelo, s'est retirée dans une pièce ceinte de paravents et elle dit : «Au fond, ce que je n'aime plus, c'est l'espace. » Un peu après, seule le soir avec Angelo, dans la pièce où ils se tiennent : « C'est la première fois, dit-elle, que la paix me permet d'entendre toute la profondeur du pays. »'Les héros de roman, comme les lecteurs, se plaisent au resserrement d'une intimité close et à la représentation de l'étendue./Le narrateur des Grands Chemins, l'hiver, se calfeutre avec délice dans la salle Basse de son moulin, heureux d'entendre le vent siffler dehors. En revanche, GionoTnous propose maints exemples des joies qu'on peut tirer des grands espaces, des vues plongeantes, despanoramas superbes, voire de l'effroi délicieux qui peut naître de la hantise du vide!)Un de ses personnages, aveugle, dit qu'« il suffit de la première inspiration pouf connaître la profondeur des abîmes de l'univers ».

« Longtemps je me suis couché de bonne heure. » Le célèbre incipit d'À la recherche du Temps perdu laisse deviner, dans les lignes qui suivent, l'obscurité douce et reposante d'une chambre; le confort d'un lit où l'on appuie_ses joues contre les « belles joues de l'oreiller »Jla sécurité paisible d'un lieu qui n'est pas décrit puisqu'il est une sorte d'espace originaire : on sait seulement qu'il y a des meubles ; on entend le craquement des boiseries ;^on entend le sifflement des trains qui « décrit l'étendue de la campagne déserte ».)Ce lieu spécifique qui est intime et familier, rassurant dans son resserrement, d'où l'on peut imaginer l'étendue du dehors, c'est la chambre de l'insomnie et de l'écriture, de la mémoire et du travail. D'autres chambres apparaissent aussitôt dans le souvenir : celle de Balbec est ouverte sur le spectacle du « vaste cirque éblouissant et montagneux » et le monde extérieur vient se refléter en elle démultiplié dans les glaces de la bibliothèque - de telle sorte que l'intérieur est tout entier occupé par le dehors et qu'on a l'impression de vivre là au milieu des « images de la mer». La chambre prous-tienne offre souvent un point de vue : la chambre que Robert prête au narrateur à Doncières a l'air d'un « centre optique pour regarder la colline ». Centre non plus optique, mais auditif, la chambre de La Prisonnière : le matin, dehors, ce sont des thèmes populaires, « depuis la corne du raccotnmodeur de porcelaine ou la trompette du rempailleur de chaises jusqu 'à la flûte du chevrier .


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