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LES POÈMES - Les groupements possibles






La centaine de textes parvenue jusqu'à nous révèle le souci qu'ont eu les jongleurs d'établir des liens entre les différents poèmes. Avant de présenter quelques chansons importantes, il faut envisager quelques principes de classement.



I. - Les groupements possibles



1. Classement thématique. - Par leur contenu, leur tonalité ou les rapports entretenus avec d'autres genres littéraires, les textes peuvent être répartis en trois groupes.



A) Poèmes où domine I'idéal de la croisade. - Les chansons les plus anciennes, comme le Roland, Gormonl et Isembart, la Chanson de Guillaume mettent au premier plan la lutte contre l'ennemi de la foi chrétienne, le Sarrasin. Se rattachent évidemment au même thème les épopées de la croisade, qui racontent la fondation et l'histoire du royaume de Jérusalem.





B) Chansons de révolte et de lignage. - Il s'agit des poèmes qui s'organisent autour des conflits qui prennent naissance au sein d'un système dominé par l'idéologie féodale : opposition entre seigneur (notamment le roI) et vassal, entre les devoirs vassaliques et ceux de la parenté, entre des lignages rivaux. Parmi les ouvres, souvent très belles, qui relèvent de cette thématique, on citera Raoul de Cambrai, où dominent les conflits entre féodalité et parenté, la Chevalerie Ogier et Renaut de Montauban, qui privilégient les luttes entre le roi et ses vassaux, enfin les poèmes qui mettent aux prises le clan des Lorrains avec celui des Bordelais (Garin le Lorrain, Gerbert de MetZ).



C) Chansons d'aventures. - Caractérisés par des structures qui mettent l'accent sur les péripéties affectant le destin des personnages, ces poèmes, influencés par le roman, organisent le parcours du héros en fonction des variations d'un destin capricieux, qui l'expose à des rencontres et à des séparations, et font une place au merveilleux et à l'amour. Ce type d'ouvre apparaît relativement tôt, avec Beuves de Hantonne (fin XIIe sièclE) ; elle trouve, soixante ans plus tard, un élan décisif avec Huon de Bordeaux.



2. L'organisation cyclique. - Les textes épiques eux-mêmes proposent une autre sorte de classement, qui associe famille de héros et événements fondateurs. Bertrand de Bar-sur-Aube, dans Girart de Vienne (vers 1180), énu-mère, sous le nom de gestes, trois ensembles épiques que nous désignons aussi sous le nom de cycles : les épopées « des rois de France », celles de Doon de Mayence, celles de Garin de Monglane.



Le troisième exemple cité par Bertrand est présenté par plusieurs familles de manuscrits - appelés manuscrits cycliques - et se développe suivant un principe généalogique. Guillaume d'Orange en est la figure essentielle et sans doute primitive ; les textes les plus anciens (Couronnement de Louis, Charroi de Nîmes, Prise d'Orange, Chanson de GuillaumE) célèbrent ses exploits. Il apparaît très tôt comme entouré d'un lignage, et le sacrifice de son neveu Vivien fait partie des premiers récits. Plus tard, des poèmes seront consacrés à son père (Aimeri de Nar-bonnE), ses frères (Les NarbonnaiS), son oncle (Girart de ViennE) ou son grand-père (Garin de MonglanE). L'introduction précoce d'un élément héroï-comique (le géant Renouart, beau-frère de GuillaumE), fait de ce cycle aux vingt-quatre chansons le plus vaste et plus riche de la littérature épique.

La Geste des rois est un ensemble plus flou, puisqu'on peut y faire entrer tous les poèmes où un souverain joue un rôle important, qu'il s'agisse d'un prince mérovingien (le fils de Clovis dans FloovenT), de Charles Martel (Girart de RoussilloN), de Pépin le Bref (Berthe aux grands piedS) ou de Charlemagne. La critique moderne désigne sous le nom de cycle du roi les ouvres qui s'organisent autour du grand empereur, mais les contours de cet ensemble restent imprécis : à l'exception des épopées de la croisade, la plupart des chansons de geste pourraient être rattachées à ce groupe qui ne se caractérise pas. contrairement à la Geste de Monglane, par des manuscrits cohérents.

On peut en dire autant de la Geste de Doon de Mayence, qui procède d'une vision très partielle. Le poème qui raconte les exploits de jeunesse du fondateur de la lignée, Doon de Mayence, est tardif (milieu du XIIIe sièclE), ainsi que l'histoire de son fils aîné (GaufreY). Bertrand de Bar-sur-Aube ne songe en réalité qu'à la famille de Ganelon, qui résume à ses yeux le lignage de Mayence ; les chansons tardives, et surtout les remaniements italiens de la fin du Moyen Age le suivront sur ce point, qui verront dans les « Mayençais » le lignage des traîtres par excellence.



En revanche, si l'on se fonde à la fois sur le contenu des ouvres et sur les manuscrits qui les ont transmises, on peut reconnaître d'autres ensembles cycliques d'envergure plus modeste. La Geste des Lorrains, fondée sur l'antagonisme de lignages rivaux, se déploie selon le principe généalogique. A partir de l'histoire du héros fondateur, Garin, on présente celle du fils, Gerbert, celle du père, Hervis, et enfin celle du petit-fils, Anséis. On peut identifier aussi un cycle de Renaut de Montauban : à l'histoire de Renaut (début du XIIIe sièclE) succède celle de son cousin Maugis, de Vivien, frère de celui-ci, et enfin le récit de la mort de Maugis. Cet ensemble sera élargi dans les remaniements ultérieurs. A la fin du XIIIe et au début du xrV siècle, un petit cycle s'organise également autour de Huon de Bordeaux, avec l'addition d'un prologue (AuberoN) et de suites consacrées à la descendance féminine et masculine du héros. On peut citer encore une Geste de Nanteuil, rattachée au cycle de Doon de Mayence, puisque le fondateur de la lignée, Doon, est le fils cadet de Doon de Mayence ; elle comprend quatre textes, dont le premier, Doon de Nanteuil, ne subsiste qu'à l'état de fragment.

Enfin des groupements sont parfois effectués entre deux poèmes, qui entendent se situer dans la continuité l'un de l'autre. Il en est ainsi d'Elie de Saint-Gilles et d'Aiol : les deux héros sont père et fils et les chansons, qui pourraient être du même auteur, sont contenues dans le même manuscrit. Des liens comparables associent Ami et Amile et Jourdain de Blaye.

Les principes de constitution du premier cycle de la croisade sont plus complexes. Il s'agit d'abord d'un principe chronologique, puisque les poèmes ont pour but de célébrer les événements de la première Croisade, d'où le récit de la prise d'Antioche, à laquelle succède celle de Jérusalem. Mais il s'agit aussi, selon les principes d'une geste comme celle de Monglane, de suivre un développement de type généalogique : avec l'histoire du Chevalier au Cygne et celle des Enfances Godefroy, le cycle déploie la fresque héroïque et merveilleuse de la généalogie du premier roi de Jérusalem et celle de ses premiers exploits. Le deuxième cycle (xrv sièclE) après avoir repris dans une énorme compilation (Le Chevalier au Cygne et Godefroid de BouilloN) les éléments essentiels du premier cycle, présente avec Baudoin de Sebourc et le Bas tard de Bouillon un récit imaginaire de l'accession de Baudoin du Bourg au trône de Jérusalem et fait de Saladin, dont il suit l'histoire dans une quatrième ouvre perdue, sauf dans sa version en prose, un héros de type chevaleresque. Une logique pseudo-historique guide ici la narration, puisque l'histoire se termine avec la fin de la troisième Croisade.



II. - Textes significatifs



Les poèmes retenus ici s'imposent, soit par leur qualité exceptionnelle, soit parce qu'ils traduisent des orientations significatives prises par les chansons de geste.



1. La « Chanson de Roland » et ses relectures. Premier texte parvenu jusqu'à nous, la Chanson de Roland est un chef-d'ouvre qui témoigne de la maîtrise parfaite de toutes les ressources de l'art épique.



Une première partie (1-791) noue le drame. Blancan-drin, envoyé de Marsile, convainc Charlemagne d'accep-ter une offre de paix qui n'est qu'un simulacre et Gane-lon, parâtre de Roland, est chargé de porter la réponse des Français. Sur le chemin de Saragosse, Blancandrin prépare à la trahison le cour de Ganelon et Marsile reçoit bientôt du félon la promesse de faire désigner Roland pour l'arrière-garde : tous les guerriers périront dans un guet-apens.

Sitôt le gros des troupes impériales parti, le piège se démasque. Roland, malgré l'avis de son compagnon Olivier, refuse d'appeler Charlemagne à l'aide, et la bataille s'engage. D'abord favorable aux chrétiens, elle conduit à l'anéantissement progressif de l'arrière-garde. Roland sonne enfin du cor, malgré le refus d'Olivier qui regrette que toute aide soit désormais inutile. Charlemagne entend l'appel, fait faire volte-face à l'armée et galope vers Roncevaux, malgré les mensonges de Ganelon qui tente de faire croire à une plaisanterie de Roland (792-1850). Il est trop tard ; tous les compagnons de Roland meurent les uns après les autres ; le héros les rassemble et Turpin, l'archevêque, les bénit. Resté seul, Roland tente de briser son épée, mais Durendal ne peut rompre. L'âme du héros abandonne son corps et les anges la recueillent, la portant à Dieu (1851-2396).



Charles poursuit vers Saragosse les païens survivants, et tous se noient dans l'Ebre. Marsile, qui a échappé au massacre, cède au désespoir mais Baligant, émir de Babylone, vient à son secours, et une terrible bataille se prépare pendant que Charlemagne, avant de ranger son armée en bataille, se lamente sur le corps de son neveu. Grâce à l'aide divine, l'empereur tue Baligant et prend Saragosse, où Marsile est mort de désespoir. Charlemagne revient en France, emmenant avec lui Brami-doine, veuve de Marsile, dont il espère la conversion (2397-3674).

Dans la dernière partie de la chanson (3675-4002) Charles, revenu à Aix-la-Chapelle, annonce la mort de Roland à Aude, sa fiancée, qui meurt de chagrin. D doit ensuite punir le traître, que la puissance de son clan pense un moment disculper ; mais Thierry d'Anjou s'offre à prouver la trahison en combattant Pinabel, champion de Ganclon, et Dieu soutient celui qui est du côté du droit. Ganelon est écartelé, Bramidoine baptisée, et l'ange de Dieu invite Charles à se préparer à défendre de nouveau la foi.

Bien qu'elle apparaisse comme le résultat d'une élaboration prolongée, cette première version du Roland est d'une cohésion et d'une beauté admirables. Non seulement les motifs caractéristiques - combats, scènes de conseil, planctus - sont d'une qualité narrative et lyrique exemplaires, mais les personnages trouvent dans des systèmes variés d'opposition les moyens d'une richesse exception- i nelle : le couple épique, associant deux figures complémentaires (Roland et OlivieR) ou opposées (Roland et GaneloN), permet d'explorer le champ des valeurs héroïques ou de leur perversion. 11 permet aussi l'élargissement du temps épique en confiant à chacun des personnages un savoir sur l'autre qui excède la durée de la diégèse. Aussi le premier de nos textes épiques, fondé sur un double conflit - lutte personnelle de Ganelon contre Roland, lutte collective de la chrétienté contre les païens - apparaît-il comme exemplaire.



Si sa préhistoire est hypothétique, le déploiement de la tradition rolandienne en Europe peut être cerné avec une relative précision. A côté du texte d'Oxford, une autre version assonancée (manuscrit V4 de VenisE) présente une partie ancienne associée à des données plus récentes (un récit de la prise de Narbonne notammenT). A la fin du XIIe et au XIIIe siècle, des versions rimées, regroupées en deux traditions, développent de nombreuses péripéties (fuite de GaneloN) et accentuent le pathétique : Aude devient l'émouvante héroïne d'un petit roman mélodramatique. Au XIIIe siècle également, Galien, dont nous n'avons conservé que des versions tardives, associe au drame de Roncevaux l'histoire du fils d'Olivier et de la fille de l'empereur de Constantinople, inspirée par un épisode du Voyage de Charlemagne à Jérusalem.

En dehors du domaine d'oïl, la tradition rolandienne est nombreuse et variée. Le Ronsasvals en langue d'oc (XIIIe sièclE) atteste la diffusion de la légende en France méridionale dès le xrr siècle. En Allemagne, la version d'Oxford est à l'origine du Ruolantes Liet du prêtre Kon-rad (1170), dont s'inspirent au xnr siècle le Karl der Grosse et le Karl Mainet. Une version proche d'Oxford et de V4 sert à l'auteur de la traduction norroise contenue dans la branche VIII de la Karlamagnussaga (vers 1250).

En Espagne, deux traditions se font face. L'une, inspirée par la chanson française, nous a laissé le fragment du Roncesvalles castillan (XIIIe sièclE) et de nombreuses allusions contenues dans des textes historiques et littéraires. La seconde, procédant d'une réaction contre la tradition rolandienne, fait de Bernardo del Carpio le héros de Roncevaux, où il inflige aux Français une sanglante défaite afin de lutter contre les prétentions hégémoniques de Charlemagne.

En Italie, la tradition rolandienne est précoce et multiforme. Outre le manuscrit V4, qui a conservé une version primitive, le manuscrit V7 présente une importante version rimée, qui a elle-même inspiré de nombreux remaniements, Fatli di Spagna, Rotta di Roncisvalle, Spagna in rima et in prosa des XIVe et XVe siècles.



Outre des versions galloises, anglaises et néerlandaises de la chanson, il convient encore de signaler deux ouvres latines. L'une, le Carmen de prodicione Guenonis (XIIIe sièclE), n'est qu'un exercice d'école. L'autre, l'Histo-ria Karoli Magni et Rotholandi (vers 1150), est connue sous le nom de Chronique de Turpin ou Pseudo-Turpin, puisque c'est à l'archevêque qu'en est attribuée la rédaction. Ce texte, dû à un moine clunisien, conte deux expéditions successives de Charlemagne en Espagne. La première, assez brève, se termine avec la fondation de l'église de Saint-Jacques ; la seconde contient dans sa dernière partie l'épisode de Roncevaux, avec la trahison de Gane-lon et la mort de Roland. Différente sur certains points du poème (Roland a un frère, Baudoin, qui l'assiste au moment de son agoniE), cette ouvre cléricale a d'abord une visée d'édification, dont Charlemagne et Roland se font les champions, prône une vie soumise aux préceptes de l'église et célèbre la dignité suprême du martyre. Ouvre de propagande en laveur du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Galice, elle trouvera naturellement sa place dans le Guide du Pèlerin, mais elle apporte surtout une caution historique précieuse à la tragédie de Roncevaux : les Grandes chroniques de France en font un chapitre de l'histoire de Charlemagne. Elle inspirera de nombreuses continuations épiques (L'entrée d'Espagne, au xrv sièclE) et sera souvent utilisée dans les imprimés, depuis la fin du xv siècle, pour transmettre le souvenir de l'expédition d'Espagne.



Outre des relectures multiples, des poèmes étrangers à l'histoire de Roncevaux attestent de manière diverse le caractère fondateur du Roland. Les uns sont inspirés par sa thématique : solitude du héros voué au martyre pour cause de fidélité à la parole donnée, comme Vivien dans la Chanson de Guillaume ; trahison perpétrée par Ganelon, autour duquel s'organise un « lignage des traîtres » repé-rable dans de nombreux poèmes (Renaut de Montauban, Geste de NanteuiL). D'autres chansons se donnent pour tâche d'éclairer l'histoire des protagonistes du Roland; Girart de Vienne présente la rencontre entre Olivier et Roland et narre le début des amours d'Aude et de Roland ; Aspremont raconte les premiers exploits de Roland, avec la conquête de l'olifant et de Durendal, tandis qu'Aumont, l'un des principaux adversaires du héros, mime la démesure de Roland à Roncevaux.



2. Le cycle de Guillaume d'Orange. - Le cycle le plus imposant de l'épopée médiévale repose sur le concept de geste, famille héroïque au sein de laquelle se détache le personnage de Guillaume, marqué par une blessure glorieuse (la boce sur le nez ou la mutilation de celui-cI), qui conquiert Orange sur le Sarrasin Tiébaut auquel il ravit aussi Orable, son épouse, devenue chrétienne sous le nom de Guibourc.



A) La Chanson de Guillaume. - Conserve dans une version profondément altérée, ce texte, qui n'est pas intégré au cycle, fait apparaître des éléments très anciens. Guillaume, comte de Barcelone, ne peut secourir à temps son neveu Vivien, engagé dans une lutte inégale contre les païens de Déramé. Battu lui-même deux fois de suite et ayant perdu, outre Vivien, deux de ses neveux, Guillaume obtient, en vue d'une revanche, l'aide du roi Louis. Grâce à son lignage, mais surtout au géant Renouait, frère de Guibourc, il met les païens en déroute. Ce récit, repris à la fin du xir siècle dans deux poèmes du cycle (Chevalerie Vivien et AliscanS) est d'abord une tragédie de la vaillance et du lignage. Abandonnés par leur chef, Tiébaut de Bourges, sur le champ de bataille, les chevaliers français se tournent vers Vivien : il fait partie du « lignage » qui garantit sa valeur. Mais le héros a juré (c'est le « vou de Vivien ») de ne jamais fuir au combat ; il est donc destiné à la mort, qui prend ici la forme d'une véritable Passion. Les parentés avec le Roland sont nombreuses, qu'il s'agisse du vou démesuré de Vivien et de sa mort exemplaire, ou de la témérité de Tiébaut de Bourges, face méprisable de celle de Roland. Le Guillaume est aussi le poème du renouvellement incessant de la vaillance : après chaque défaite, un jeune héros prend, aux côtés du personnage central (GuillaumE), la relève de ceux qui ont disparu. Le dernier, Renouait, figure atypique, développe la tonalité héroï-comique caractérisant par ailleurs le cycle.



B) Le premier noyau cyclique. - Trois chansons, le Couronnement de Louis, le Charroi de Nîmes, la Prise d'Orange (entre 1150 et 1160) constituent le point de départ du cycle. Les deux premiers poèmes développent le motif du soutien constant accordé par le lignage épique au souverain, dont le pouvoir n'est assuré que par la confiance qu'il accorde aux vassaux loyaux. Le Charroi développe le thème de l'ingratitude royale, dont la conséquence est l'expédition de Nîmes qui permettra la conquête d'une terre ennemie, et la Prise d'Orange accommode le souvenir de l'exploit fondateur - la conquête de la ville et d'Orable - au goût du romanesque : Guillaume, séduit par la beauté d'Orable, est devenu Guillaume « l'amiable » (le joli-couR).



C) Un second noyau cyclique est formé par les chansons qui racontent les luttes de Guillaume et de son lignage contre Déramé, père de Guibourc et de Renouait. Il s'agit d'abord d'Aliscans, texte dont les données sont en partie communes avec la Chanson de Guillaume. Sur ce poème viennent se greffer deux ouvres qui, dans des perspectives différentes, utilisent la veine héroï-comique à laquelle se rattache Renouart : Bataille Loquifer (duel du héros contre un redoutable géanT) et Moniage Renouart (heurts en tout genre provoqués par l'incompatibilité entre le héros et la communauté monastique dans laquelle il cherche à finir ses jourS). Plus ancienne que le Moniage Renouart, la chanson du Moniage Guillaume, dont nous connaissons deux versions, exploite elle aussi une tradition littéraire du Moniage du guerrier. Moins turbulent que Renouart, Guillaume se révèle pourtant « inassimilable » aux mours monastiques. Héros défricheur, sollicité à plusieurs reprises pour des expéditions guerrières, il termine son existence comme ermite, à l'image de son modèle historique, Guillaume de Toulouse, fondateur de Gellone.

En amont d'Aliscans, les poètes s'intéressent aux origines de Vivien, dont ils racontent les Enfances et le vou : la captivité du héros, livré à l'émir de Luiserne en échange de son père Garin, suscite la haine du jeune homme et son vou de ne jamais céder un pouce de terrain à l'ennemi ; la promesse est mise en pratique dans la Chevalerie Vivien, sorte de prologue à Aliscans.



D) Le cycle de Narbonne. - Autour du père de Guillaume, Aimeri, et des frères du héros - tous ces personnages sont connus dès la Chanson de Guillaume - se constitue, à la fin du XIIe siècle et au XIIIe siècle, un réseau de chansons. La prise de Narbonne, contée dans Aimeri de Narbonne, s'inscrit dans la suite du Roland. Après le désastre de Roncevaux, alors que les preux refusent de prendre une ville redoutable, un jeune inconnu, Aimeri, stimule les énergies et s'empare de Narbonne. Cette épopée de la jeunesse et du courage débouche sur une quête nuptiale : avec Hermenjart, sour du roi des Lombards, le héros fonde le lignage dont Guillaume sera le fleuron.

La deuxième chanson du cycle, les Narbonnais, présente les exploits d'enfances de la fratrie, regroupée autour de la défense de Narbonne assiégée par les Sarrasins. Dans cette ouvre qui, comme la précédente, date du XIIIe siècle, on a pu reconnaître les vestiges d'un Siège de Narbonne plus ancien.

Girart de Vienne (fin XIIE) se trouve également associé au cycle de Narbonne, car le héros est l'oncle d'Aimeri, dont la chanson conte aussi les enfances.

A partir de ces trois chansons s'organise, au cours du xnr siècle, un ensemble de poèmes qui content les exploits des frères ou des neveux de Guillaume : ainsi apparaissent le Siège de Barbastre, Guibert d'Andrenas et la Prise de Cordres et Sébile. La fin d'Aimeri fait l'objet d'un poème où des éléments merveilleux ont un rôle important (la Mort AimerI), tandis qu'en amont Garin de Monglane, père de Girart de Vienne, est célébré comme le fondateur de la lignée.

Ensemble unique par son étendue et sa cohérence, le cycle de Guillaume touche à la fois au passé carolingien et à l'époque de la croisade : Garin, Girart et Aimeri sont contemporains de Charlemagne, Guillaume se bat au service de Louis, tandis que Renier, petit-fils de Renouart, est donné comme l'ancêtre de Bohémond et Tancrède, fondateurs de la principauté d'Antioche.



3. Le cycle des Lorrains. - Cet ensemble de plus de 60 000 vers manifeste lui aussi une cohérence remarquable, à la fois par son thème majeur (l'histoire de deux lignages antagonisteS) et par sa tonalité sauvage.



A) Garin le Lorrain (fin XIIE) est le poème le plus ancien. Il s'ouvre avec les exploits d'Hervis contre les païens ; avant de trouver la mort au combat, ce vassal courageux assure le triomphe des chrétiens et fait couronner Pépin à la mort de son père Charles Martel. L'essentiel de la chanson est ensuite consacré à l'histoire des deux fils d'Hervis, Garin et Bégon, qui servent le roi et excitent rapidement la haine des Bordelais ; ceux-ci empêchent notamment Garin d'épouser Blanchefleur, fille de Thierry de Maurienne, qui devient reine de France et prendra constamment le parti des Lorrains. Une guerre inexpiable commence entre les deux lignages : Bégon et Garin y trouvent la mort.



B) Gerberl de Metz (début XIIIE) est l'histoire du fils de Garin. Devenu seigneur de Géronville, type de la forteresse médiévale, il poursuit la guerre contre le clan bordelais mais se comporte aussi en héros de croisade : il aide à deux reprises Anséis de Cologne, et ses luttes contre les païens le conduisent aussi à Saint-Gilles ou à Narbonne. Le Bordelais Fromont abjure, lui, la foi chrétienne et s'allie aux Sarrasins, qui finissent par le tuer, tandis que son fils Fromondin trouve la mort au moment où il veut traîtreusement faire périr Gerbert.



C) Anséis de Metz, postérieur à Gerbert, est consacré au petit-fils de Garin, Anséis. L'essentiel du poème est constitué par une bataille gigantesque entre Lorrains et Bordelais, que marque la présence d'une armée de femmes commandée par Ludie, sour de Fromondin. Anséis est tué à la fin du poème, mais la haine entre Lorrains et Bordelais ne s'éteindra jamais.



D) Antérieur à Anséis, mais postérieur à Gerbert, le poème d'Hervis de Metz se situe dans une optique toute différente. Fils d'un bourgeois - le prévôt de Metz - et de la fille du duc de Lorraine, le fondateur de la lignée des Lorrains parvient, en alliant la vaillance de la noblesse à l'habileté du marchand, à une ascension sociale remarquable : il conquiert et épouse Béatrice, fille du roi de Hongrie et devient duc de Lorraine et de Metz.



E) Si Hervis de Metz allie la tonalité guerrière à celle du roman d'aventures, les autres chansons, marquées par le thème de la vendetta, ne cessent de souligner la puissance du destin et le caractère inévitable de la guerre. Dans Garin, Bégon est tué, non par des chevaliers appartenant au clan ennemi, mais par des subalternes agissant à l'insu de leurs maîtres ; de même, dans Gerbert, la paix est rompue à cause de deux valets qui déclenchent une rixe : qui osera dès lors répondre du cours des choses ?

Hantées par une violence baroque, les chansons de la Geste des Lorrains mettent en scène des personnages exceptionnels, images de la gloire épique, comme Garin qui, une fois mort, dépasse encore ses meurtriers



Con fait li chaisne entre le bois petit (16561) ou figures pittoresques, tel Manuel Galopin, guerrier valeureux, mais qui aime la taverne, les dés et les prostituées.



4. Le premier cycle de la croisade. - Lorsque se constitue, à partir du récit de témoins oculaires et de chroniques, puis par des réécritures faisant place aux éléments merveilleux, le cycle épique qui entreprend de célébrer l'histoire du royaume de Jérusalem, deux pistes sont successivement suivies.



A) La première, représentée dans Antioche et Jérusalem. associe étroitement perspective hagiographique et perspective épique. Inauguré par la vision de Pierre l'Ermite auquel le Christ demande de délivrer les « reliques très saintes que les larrons tiennent prisonnières », le premier poème se veut méditation toujours actuelle (à la fin du XIIe sièclE) sur la nécessité de délivrer les Lieux saints. Dès lors, la chanson relate des étapes de ce grand « pèlerinage » : désastre de Civetot, victoire de Nicée et de Dory-lée, prise d'Antioche et levée du siège mis devant la ville par les païens. Il s'agit de libérer une terre marquée par la présence de Dieu, dont les traces ou les interventions sont fréquentes (découverte de la Sainte Lance, aide apportée par les saints combattants Georges et MauricE). Le lien avec la tradition épique carolingienne n'est pourtant pas oublié puisque, parmi les guerriers qui lèvent le siège d'Antioche, on trouve des chevaliers « de vielle antiquité » qui sont censés avoir combattu en Espagne, ce qui revient à faire d'eux les compagnons d'Olivier et de Roland.

Dans la Chanson de Jérusalem, le caractère exceptionnel de la lutte menée est mieux souligné encore. Se rendre dans la Ville, c'est rencontrer le sacré, puisque Jérusalem et ses environs sont témoins d'une histoire où le divin a, pour toujours, rencontré l'humain. Le temps de la croisade devient lui-même un temps sacré et apparaît comme une liturgie de la geste divine ; la progression des guerriers francs suit le déroulement des souffrances et de la mort du Sauveur, et l'entrée dans la Ville a lieu le Vendredi saint,



A l'ore que Jhesus soufri le passion

(1830).



Une autre rupture intervient dans l'ordre social ; sans que soit aboli le rôle de la noblesse, les pauperes (le peuplE), représentés par les Tafurs, jouent un rôle nouveau dans la hiérarchie des ordines : c'est le roi des Tafurs qui donne au premier roi chrétien l'investiture de la Ville sainte, en le couronnant de l'insigne de la Passion, la couronne d'épines.



B) La seconde piste est celle du roman dynastique, avec la volonté de célébrer l'histoire familiale de Gode-froi de Bouillon, en remontant jusqu'à ses trisaïeux. Deux orientations complémentaires sont suivies par les poèmes, l'épopée chevaleresque (Enfances GodefroI) et le conte merveilleux (l'histoire du Chevalier au CygnE). Représenté par deux versions, Elioxe et Beatrix, le conte de l'épouse persécutée et des enfants merveilleux accorde à la famille de Bouillon le prestige d'une origine mythique. L'épouse vertueuse met en effet au monde sept enfants nés avec une chaîne d'or au cou, qui deviennent cygnes lorsque la chaîne leur est ôtée. Privé de sa chaîne, l'un des enfants deviendra le guide du héros, grand-père de Godefroi.



5. Les grands poèmes de la révolte. - Quatre grands textes, dont deux (la Chevalerie Ogier, Renaut de Montau-baN) sont proches par l'époque de composition et le sujet traité, célèbrent un héros ou un groupe de héros en rupture avec certaines des règles qui fondent l'univers de représentation de l'épopée médiévale.



A) Il convient de faire une place à part à Girart de Ros-silho. Contrairement à tous les autres textes épiques, celui-ci est écrit, dans sa version la plus ancienne, en une langue distincte du parler d'oïl (provençal, avec quelques « poitevinismes »). La démesure, thème majeur des épopées de la révolte, affecte tour à tour le souverain et le vassal. Dans la première partie du poème, les torts sont du côté de Charles Martel, qui fait la guerre à Girart afin de s'emparer des riches terres de Roussillon et refuse la paix que lui offre son vassal. Plus tard, Girart se rendcoupable à son tour de démesure ; poussé par la colère, il massacre des ennemis réfugiés sous une croix et fait mourir dans un incendie une communauté monastique. D'autres personnages que les protagonistes cèdent eux aussi à l'hybris et relancent l'enchaînement des vengeances alors que la paix semble acquise : des membres du lignage de Girart, qui n'ont pas pardonné la mort de leurs proches, relancent par une vendetta la guerre entre Charles et Girart.

Conversion et sainteté sont par ailleurs associées au thème de la démesure. Abandonné de tous, Girart mène dans la forêt des Ardennes une rude vie de pénitent ; restauré dans ses possessions, il fonde le couvent de Sainte-Madeleine à Vézclay et finit par renoncer au monde.

Des personnages féminins de première importance interviennent dans la chanson, qui commence par un épisode amoureux : Girart ne peut épouser la belle Elissent, fille de l'empereur de Constantinople, que le roi de France, seigneur de Girart, revendique pour sienne. Mais le vassal ne perdra pas au change avec Berte, l'autre fille de l'empereur, qui lui est accordée, car celle-ci se révélera la plus aimante des épouses tandis qu'Elissent, devenue reine, ne cessera de venir en aide à Girart. Berte suit son seigneur dans les vicissitudes de l'exil et joue auprès de lui un rôle bénéfique ; elle l'encourage dans ses ouvres pieuses et voit, de son vivant, sa vertu signalée par un miracle.



Ce poème, que nous transmet aussi une version partielle et plus récente en langue d'oïl, célèbre un héros que deux autres chansons ont également mis en scène. De l'histoire de Gerardus, comte de Vienne au IXe siècle, Girart de Vienne retient essentiellement le siège de la ville ; Aspremont fait de Gérard d'Euphrate un auxiliaire indispensable de Charlemagne, mais aussi un vassal audacieux que l'empereur, à la fin du texte, se déclare prêt à châtier. Outre les remaniements ou mises en prose de Girart de Rossilho, qui fleurissent aux XIVe et XVe siècles, des récits tardifs, peut-être héritiers de versions perdues, célèbrent, comme le Myreur des Histors de Jean d'Outremeuse, la révolte de Gérard de Fraite, qui meurt dans l'impéni-tence : il s'agit de l'aboutissement ultime de la révolte du vassal.



B) Malgré le caractère disparate de la version dans laquelle nous est parvenu Raoul de Cambrai (fin XIIE), cette chanson, fondée sur la célébration du tragique de la démesure, est l'un des plus beaux textes de la révolte.

Raoul, l'héritier de Cambrai, est élevé avec soin par sa mère Aalais ; parvenu à l'âge adulte, il est adoubé par le roi Louis, mais réclame son droit - le fief de Cambrai dévolu à Gibouin le Manceau - et Louis le faible promet de lui donner le premier fief vacant. Dès que meurt Herbert de Vermandois, Raoul réclame la terre de celui-ci, bien que le duc ait laissé quatre héritiers. Malgré les réticences du roi et les supplications d'Aalais, le jeune homme s'engage dans une guerre avec le lignage de Vermandois.

Dès le début, le conflit est tragique. Le bourg d'Origny est incendié par les hommes de Raoul, et la mère de Ber-nier, ami et vassal du héros, trouve la mort dans la catastrophe. Insulté par Raoul, à qui il demande réparation, Bernier abandonne son seigneur et rejoint les fils d'Herbert, à qui l'unissent les liens du sang : à leurs côtés, il tue Raoul.

Poussés par Aalais, qui veut venger la mort de son fils, Guerri le Sor et Gautier, neveu de Raoul, reprennent la lutte contre Bernier ; elle est longue et cruelle, mais la paix est enfin conclue. Le roi Louis paie cher cette entente, puisque les barons se vengent des guerres qu'il n'a pas su empêcher en mettant Paris à sac (5555).



Cette première partie de la chanson, toute de bruit et de fureur, séduit par sa violence hyperbolique. Dès le début, la démesure du héros est présentée comme une vertu tragique, destinée à l'écraser. Engagé dans la guerre sans l'avoir prévu - c'est sur le conseil de Guerri qu'il a poussé le roi à une imprudente promesse - il se montre, plus que tout autre, saisi par une sorte defuror. C'est lui qui, à Origny, ordonne de mettre le feu au bourg et rompt, par sa brutalité à l'égard de Bernier, les liens qui l'unissaient au fils de Marsent. Dans la bataille finale, son obstination cause sa mort : il refuse de faire grâce à Emaut de Douai et s'offre ainsi aux coups de Bernier, qui aurait voulu l'épargner.

Guerri le Sor, seigneur d'Arras et oncle de Bernier, est de la même trempe que lui ; protecteur du héros dans sa jeunesse, il le pousse à l'intransigeance et, après sa mort, reste hanté par le désir de le venger. Il y parvient à la fin de la chanson, dans des circonstances particulièrement tragiques. Revenant avec Bernier, qui est devenu son gendre, d'un pèlerinage à Saint-Jacques, il tue Bernier, sans l'avoir défié, sur les lieux mêmes de la mort de Raoul.

Héros fragile - c'est le fils d'un bâtard - et pourtant fondateur de lignage, Bernier constitue avec Raoul un couple épique voué à la destruction. En ce personnage épris de mesure, les conflits qui opposent lignage et lien vassalique se résolvent par des actes démesurés, le meurtre de son ancien seigneur. 11 est aussi le héros d'une suite où les éléments romanesques dominent. La perspective féodale n'est cependant pas oubliée : il fonde une lignée, issue, par la fille de Guerri, de la parenté ennemie, mais est enfin rejoint par la vengeance.

Parmi les personnages féminins, la figure d'Aalais se détache avec éclat ; refuge de Raoul dans sa jeunesse, elle le maudit lorsqu'il refuse d'écouter ses conseils ; c'est à elle qu'il revient d'accueillir le corps mutilé de son fils, avant de se consacrer à la vengeance.



C) La Chevalerie Ogier de Danemarche (début du XIIIe sièclE) célèbre la révolte d'un héros solitaire contre Charlemagne. La partie la plus ancienne de la geste (3101-11155) commence par le meurtre du fils d'Ogier, Bauduinet, tué par Chariot, le fils de l'empereur. Ogier réclame la tête de Chariot et, comme Charlemagne refuse, il tue Lohier, neveu de la reine, et s'enfuit en Lombardie, auprès de Désier, qui lui remet deux forteresses et lui promet assistance. Charlemagne passe les Alpes et attaque Désier ; les Lombards lâchent bientôt pied et Ogier, suivi par quelques fidèles, se réfugie à Castel Fort, que lui a donné Désier. Charlemagne met le siège devant la forteresse, qui résistera longtemps : depuis ce repaire, Ogier et ses compagnons dirigeront contre les troupes adverses des sorties meurtrières. Mais au bout de sept ans le héros, qui a perdu tous les siens, doit quitter Castelfort. Epuisé par sa fuite et les privations endurées, il est capturé par Turpin, qui le trouve endormi au bord d'un chemin. L'archevêque soustrait Ogier à la colère de Charles, qui voudrait le faire périr, et le traite honorablement dans sa prison de Meaux.

Peu après, un géant sarrasin, Bréhier, vient mettre le siège devant Laon ; il est si fort qu'aucun guerrier français ne peut en venir à bout. Les barons de Charlemagne le pressent de faire appel à Ogier, mais ce dernier refuse d'intervenir avant d'avoir tué Chariot. Afin de sauver le pays, l'empereur accepte de sacrifier son fils, mais au moment où il va frapper Chariot, Ogier voit sa main retenue par un ange, qui ordonne au héros de se contenter d'une vengeance symbolique - un coup porté avec le poing - et de combattre Bréhier ; Ogier s'exécute et tue Bréhier, après un duel spectaculaire.



La chanson est introduite par un prologue de 3 100 vers, dont la tonalité dénote une facture plus récente. Il s'agit de conter les enfances du héros qui, foros-tagié par son père, c'est-à-dire abandonné par lui à la colère de Charles qu'il a outragé, devient, à la suite d'exploits remarquables, le porte-enseigne de l'empereur et conquiert Cortain son épée et Broiefort son cheval. Une atmosphère courtoise règne dans cette partie, avec la figure chevaleresque de Karaheu et les relations amicales qu'il entretient avec Ogier.

L'épilogue du poème (environ 1 000 verS) traduit aussi pour partie une élaboration plus tardive : après la victoire sur Bréhier, Ogier sauve du viol la fille du roi Angart d'Angleterre et l'épouse, avant de se retirer dans les terres léguées par Charlemagne, le Hainaut et le Brabant. A sa mort, le héros sera enseveli à Meaux, auprès de son compagnon Benoît.



Dans le personnage d'Ogier, solitude et démesure sont les caractéristiques essentielles, qui s'opposent aux émouvantes mais fugitives relations qu'il arrive au héros de nouer. Abandonné par les siens, séparé de la fille du châtelain de Saint-Omer immédiatement après être devenu son ami, privé de la joie paternelle alors que Bauduinet est dans la splendeur de la jeunesse, séparé par la mort de ceux qui lui ont consacré leur vie, ses amis Gerin et Ber-ron et surtout Benoît, Ogier parait destiné à n'entrer dans aucune relation stable. La haine seule paraît durable en lui, et le meurtrier qu'il cherche à écraser se substitue au fils ou à l'ami qu'il faudrait chérir : jusqu'au duel avec Bréhier, Ogier est le héros d'une seule passion, le désir de vengeance.

Des traits mythiques accordent pourtant au poème une tonalité héroï-comique. Le héros a une force et un appétit gigantesques : lorsque Turpin s'empare de lui, il combat ses adversaires avec la selle de son cheval et fait un carnage. Quant à Broiefort, le destrier qu'il a conquis sur un païen, sa force répond à celle de son maître : lui seul peut supporter le poids de son cavalier. Il est aussi d'une intelligence admirable, capable de reconnaître son maître sans la moindre difficulté.



Chanson de la démesure, la Chevalerie Ogier est moins sombre que Raoul de Cambrai : la bienveillance divine y est présente, délivrant le héros du fardeau terrible de la haine et la France de ses ennemis, tandis que certains passages sont éclairés par l'humour épique. L'histoire du héros, sous des formes diverses, est une des plus célèbres de l'épopée médiévale. Connu de la Nota Emilianense (Oggero spatacurtA), Ogier commande l'avant-garde de l'armée dans la Chanson de Roland; présent aux côtés de Charlemagne dans la plupart des chansons, il voit aussi, du XIIIe au XVe siècle, de nombreux textes étrangers conter ses aventures. Les plus anciens, Branche III de la Karla-magnussaga (1240) et Chevalerie Uçer (xiii' sièclE), texte franco-italien, utilisent et remanient la Chevalerie Ogier française.



D) Bien des éléments communs rapprochent Renaut de Montauhan de la chanson précédente : le thème de la guerre interminable qui oppose Charlemagne et ses vassaux, la fuite de ceux-ci de refuge en refuge (Montessor en Ardenne, Montauban en Gascogne, Trémoigne-Dort-mund en RhénaniE), la réconciliation finale des protagonistes. La guerre est également déclenchée par un meurtre, celui de Bertelai, neveu de Charlemagne, et Bayard, destrier de Renaud, est plus singulier encore que Broiefort.

Les données essentielles de la chanson de révolte ont pourtant été utilisées ici d'une manière très différente, qui pourrait expliquer le succès supérieur rencontré par Renaut.

Solitude du héros ? On la rencontre en effet dans la dernière partie du poème, mais c'est la solitude du martyre, plus proche des souffrances d'un Roland ou de la passion d'un Vivien que de l'isolement douloureux d'Ogier : Renaut expie ses fautes en collaborant à la construction de la cathédrale de Cologne et Dieu rassemble, dès l'assassinat du héros, la foule des chrétiens qui célébrera en lui un saint. Ailleurs, Renaut n'est jamais seul, puisque le héros est en fait un groupe, les quatre fils d'Aimon de Dordonne, auxquels se joint leur cousin Maugis (et BayarD). Même aux moments de la plus grande détresse - proscrits dans la forêt d'Ardenne, attaqués par d'innombrables ennemis à Vaucouleurs ou souffrant de la famine à Montauban - les Aimonides forment une phalange. Ce groupe peut être menacé blessure puis captivité de Richard, soupçon de trahison pesant sur Renaut à Vaucouleurs -, et la relation qui le constitue peut entrer en conflit avec d'autres, comme le lien filial, mis à mal par le devoir vassalique d'Aimon, ou l'amour conjugal, un moment compromis par la trahison de Yon de Gascogne, mais la structure subsiste.

Sa caractéristique est la souplesse. En son sein, des couples épiques peuvent se nouer ou se défaire ; Maugis, le cousin, peut être ou non associé à la fratrie, et sa présence apporte une tonalité nouvelle au récit. Avant d'être un enchanteur, Maugis est le spécialiste des gabs : rendant méconnaissables Renaut et Bayard, il leur permet de gagner la course organisée par l'empereur ; déguisé en pèlerin, il se fait nourrir de la main même de Charle-magne, alors que celui-ci désire plus que tout sa mort. La magie ne fait qu'ajouter du piquant à ces provocations : grâce à ses sortilèges, il endort l'empereur et tous les pairs, dérobant épées et couronne, avant d'emporter Charlemagne, endormi, dans un sac.



Démesure? Elle n'est plus du côté du héros. Sans doute le meurtre qui inaugure la guerre est l'ouvre de Renaut, mais cette mort est le résultat d'un enchaînement de violences dans lesquelles le héros est totalement innocent : meurtre de Lohicr, fils du roi, par Beuves d'Aigre-mont, puis mort de ce dernier, opérée avec l'assentiment de Charlemagne. C'est ce meurtre, surtout, que venge la mort de Bertelai. De plus, les quatre frères une fois à l'abri de la colère de Charles, aucun ressentiment ne les anime plus. Lors de l'épisode gascon, à mesure que s'affirment des liens d'estime et d'amitié entre Renaut et Roland, le vassal persécuté tente de mettre fin à la guerre, mais l'empereur ne cesse de poursuivre sa proie, n'acceptant de conclure la paix que parce que la vie de Richard de Normandie et celle de son fils sont en péril. Les acteurs de la démesure sont donc, par rapport à la Chevalerie Ogier, dans une position inverse, confirmée par la fin des deux chansons : Ogier pardonne à Chariot, alors que l'empereur, à défaut de pouvoir assouvir son ressentiment sur les Aimonides ou sur Maugis, se venge sur le cheval Bayard.



Mieux encore que la Chevalerie, Renaut semble enfin propre à rassembler en son sein des personnages ou des thèmes célèbres de l'épopée médiévale. Roland accomplit ici ses premiers exploits et devient, au fil des rencontres qui l'opposent à Renaut, un héros parèdre, et constitue avec lui un couple épique qui l'emporte sur celui qu'il forme avec Olivier. La dimension de la croisade est honorée dans l'avant-dernière partie de l'ouvre, puisque Renaut et Maugis prennent Jérusalem et la rendent à son roi ; quant à la mort du héros, elle s'inscrit dans une veine hagiographique.

La chanson apparaît donc comme un récit ouvert à de multiples variantes, que des textes ultérieurs exploiteront. En France, un cycle de Montauban se constitue dans le courant du XIIIe siècle. A la fin du XIV ou au début du xv, un remaniement amplifiera la chanson primitive, notamment par l'addition de multiples aventures outre-mer, où s'illustreront Yvon et Aymon, fils de Renaut.

A l'étranger, on connaît une version néerlandaise ancienne de la chanson, qui est elle-même à l'origine d'une version allemande. Mais c'est surtout en Espagne et en Italie que le succès de l'ouvre fut remarquable. Dans le Ro'ncesvalles castillan du XIIIe siècle, Renaut prend part à la bataille de Roncevaux et y trouve la mort. Plus tard, « Rinalde », « Renaldos » ou « Reinaldos de Montal-van » est le héros de nombreux romances, dans lesquels le personnage entre parfois dans une certaine rivalité avec Roland. A partir du XVIe siècle, la tradition reinaldienne espagnole s'inspirera de versions italiennes. Les exploits de Renaut sont en effet connus dans la Péninsule dès le xnr siècle, et deux textes du XIVe siècle, les Cantari di Rinaldo, en ottava rima, et Le Storie di Rinaldo en prose, assureront pour toujours la gloire du héros, que les romans chevaleresques de la Renaissance, de l'Orlando furioso de l'Arioste à la Gerusalemme liherata du Tasse, immortaliseront.



6. Chansons d'aventure et de merveilles. - L'influence du roman d'aventures et du conte folklorique sur la chanson de geste est sensible dès la fin du XIIe siècle, mais ne s'affirmera qu'au cours du siècle suivant. Elle se traduit par la multiplication de péripéties qui mettent en avant l'aptitude du héros à surmonter toutes les difficultés, et par l'introduction du merveilleux.



A) Connu avant la fin du XIIe siècle par une imitation provençale (Daurel et BétoN) et par des allusions figurant dans des poèmes de troubadours, Beuves de Han-tonne nous est transmis par une version fragmentaire en anglo-normand (fin xiF), et par trois rédactions continentales (xiiic sièclE). Cette chanson, que M. de Riquer a qualifiée de « pur roman d'aventures », est construite sur un schéma de conte, proche du type de la Famille dispersée (T 938), auquel elle associe de nombreux autres motifs.

Victime de l'infidélité de sa mère, qui a fait assassiner son mari par Doon de Mayence, son amant, le jeune Beuves est sauvé par son tuteur Soibaut, mais bientôt vendu au roi d'Arménie. Sa beauté et sa vaillance lui procurent l'amour de Josiane, la fille du roi, et la faveur de ce dernier, qu'il a aidé à venir à bout de ses ennemis. Devenu sénéchal du royaume, il est dénoncé par des jaloux comme l'amant de Josiane, et le roi Hermin envoie Beuves auprès du sultan de Damas avec une « lettre d'Urie », message ordonnant de le mettre à mort. Mais le jeune homme est seulement enfermé dans une prison infestée de bêtes venimeuses, dans laquelle il restera sept ans. Pendant ce temps, le père de Josiane la contraint d'épouser le roi sarrasin Yvorin de Monbranc ; mais, grâce à un sortilège, la jeune fille réussit à garder sa virginité. Beuves s'évade, parvient à Monbranc et retrouve Josiane ; les deux jeunes gens s'enfuient, accompagnés par le chambellan de la dame. Un moment séparés par des lions, qui ont enlevé Josiane et tué Bonnefoi, les jeunes gens parviennent à Cologne. Au terme de nombreuses péripéties, Beuves fait pendre Doon de Mayence et récupère sa terre de Hantonne.



Le bonheur n'est cependant que de courte durée, car la mort du fils du roi anglais, tué par Arondel, le cheval de Beuves dont il a voulu s'emparer, contraint le héros à quitter le pays. Il s'embarque avec Josiane, mais leur navire est poussé sur les côtes d'Afrique, non loin de Monbranc. Josiane accouche de deux enfants dans une forêt, tandis que la présence des fugitifs est dénoncée à Yvorin, qui les attaque avec une troupe nombreuse. Josiane force Beuves à s'enfuir avec son écuyer, et tombe elle-même aux mains des païens. Au cours de cette nouvelle séparation, Beuves trouve refuge à Siviele et porte secours à la reine de ce pays, qui le retient à son service. Beuves accomplit des exploits signalés, et la reine, sur le conseil de ses barons, contraint le héros à l'épouser.

Pendant ce temps, Josiane parvient à quitter Monbranc et rejoint Hantonne ; elle se met à la recherche de son époux et apprend son mariage avec la reine de Siviele. Déguisée en jongleresse, elle chante devant son mari leur histoire commune et se fait reconnaître de lui, avant de révéler la vérité à la reine, qui accepte de les laisser partir. Beuves retrouve sa terre, engendre de nouveaux enfants et termine sa vie comme roi de Jérusalem.

Comme on le voit, les péripéties sont très nombreuses ; elles procèdent d'un schéma narratif fécond, qui peut être indéfiniment repris : bannissement du héros, conquête d'une femme ou naissance d'enfants, dislocation de la cellule familiale et restauration de celle-ci, enfin consécration du héros. S'agit-il pourtant d'un véritable roman d'aventures ? Si le point de départ de l'action est de type romanesque - la trahison de la mère , les caractéristiques du héros et les formes de son action restent constamment épiques : Beuves est un guerrier, dont les adversaires les plus fréquents sont les Sarrasins ; il finira son existence comme roi de Jérusalem, ce qui confirme le souci épique de la défense de la foi. Du reste le cycle de Guillaume paraît avoir fourni le personnage du géant Achopart, double imparfait de Renouart. qui vient en aide un moment à Beuves.



Le succès de l'ouvre en France est attesté par les quatre rédactions, dont les dimensions ne cessent de s'accroître (10 610 vers pour la deuxième rédaction, plus de 16 000 pour la quatrièmE), par une mise en prose manuscrite du XVe siècle suivie de cinq éditions au XVIe siècle. Mais le rayonnement à l'étranger est beaucoup plus impressionnant encore, avec le Bovo d'Antona en vers de la collection épique du manuscrit Venise XIIIe et de très nombreuses adaptations en langues diverses, serbe, russe, moyen-anglais, norrois, gallois et irlandais.

B) Plus tardive (1260), et moins diffusée en Europe en dépit de son succès considérable, la chanson de Huon de Bordeaux marque une étape importante dans l'évolution de la conception de l'épopée médiévale, par l'utilisation qu'elle va faire d'éléments empruntés au conte merveilleux.

Le poème commence comme une épopée de la révolte, avec la mise en cause des héritiers du duc Seguin de Bordeaux. Accusés par le traître Amaury de refuser l'hommage qu'ils doivent à l'empereur, ils sont sommés par des messagers de se présenter à la cour. Ils acceptent de bonne grâce, mais le traître leur tend, en compagnie de Chariot, fils de Charlemagne, un guet-apens, au cours duquel Chariot est tué par Huon. Comment la colère de l'empereur pourrait-elle être apaisée ?

Huon obtient de combattre Amaury en champ clos, mais l'empereur n'a accepté de se laisser convaincre que par l'aveu du vaincu, or le traître est tué avant d'avoir fait un aveu public. Charlemagne impose alors au héros une épreuve qui équivaut, dans son esprit, à une condamnation à mort : il devra gagner Babylone, tuer devant l'émir le premier guerrier rencontré, donner trois baisers à la fille de Gaudisse, réclamer un immense tribut à l'émir, lui arracher quatre molaires et lui couper les moustaches.

Sur sa route, Huon reçoit l'aide d'Auberon, un nain doué de pouvoirs magiques, qui lui remet des talismans. Le succès de Huon ne doit pourtant pas tout à l'intervention du merveilleux, car son courage, mais aussi sa désobéissance aux recommandations d'Auberon le réduisent parfois à ses propres forces : ainsi, l'aide d'Auberon lui permet d'accomplir sa mission à Babylone, mais elle lui sera longtemps retirée lorsque, de retour vers la France, il s'unit à Esclarmonde, fille de l'émir, avant de l'avoir épousée.



Le thème de la trahison domine à nouveau la dernière partie de la chanson. Arrivé à proximité de Bordeaux, Huon est attaqué par son frère Gérard - dont il avait pourtant sauvé la vie autrefois : celui-ci s'empare des preuves que le héros peut montrer pour faire valoir le succès de sa mission et accuse Huon de trahison à l'égard de Charlemagne. Malgré l'opposition de Naimcs et des pairs de France, l'empereur veut faire périr Huon ; Auberon intervient alors et rétablit la vérité ; il appelle Huon à lui succéder bientôt au royaume de féerie.

Le poème réalise donc un étonnant syncrétisme entre l'univers épique et l'univers féerique. Là où on attendrait, comme dans la Chevalerie Ogier ou Renaul de Montauban, le récit d'une longue guerre entre seigneur et vassal, le poème bifurque vers le schéma du conte, lançant son héros dans la quête d'un objet particulièrement redoutable, l'exposant à affronter des agresseurs multiples - le géant Orgueilleux, l'émir Gaudisse - mais plaçant aussi sur son chemin des auxiliaires magiques, au premier rang desquels se place le nain Auberon. Ce dernier en vient à se substituer à Charlemagne dans la fonction de rendre la justice : l'empereur est tellement aveuglé par sa haine contre Huon qu'il est dupe de la trahison de Gérard. Le merveilleux est donc pleinement inséré dans le système des valeurs épiques ; il est du reste christianisé, puisque si les pouvoirs du nain résultent du don des fées, ils ont reçu l'agrément de Jésus.



Un tel syncrétisme semble avoir été perçu, à la fin du XIIIe siècle, comme une possibilité de renouvellement pour la chanson de geste. Un petit cycle se constitue autour de la chanson, qui sera mis en prose au milieu du xv siècle et imprimé sous cette forme depuis 1513 jusqu'à la fin du XIXe siècle. Adaptée en anglais par Lord Berner en 1540, la prose française est l'inspiratrice de Shakespeare pour le Songe d'une nuit d'été, tandis que la chanson du xnr siècle a influencé de nombreuses ouvres ultérieures, comme Gaufrey ou les remaniements de la Chevalerie Ogier et de Renaut de Montauban.






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