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LE CLASSICISME UNE MAJESTÉ UNE ET DIVERSE






Enfin, Malherbe vint et, le premier en France,

Fit sentir dans les vers une juste cadence.

D'un mot mis à sa place enseigna le pouvoir

Et réduisit la muse aux règles du devoir...



On est en 1674 lorsque Nicolas Boileau (1636-1711) écrit ces vers. Louis XIV, sacré en 1654, exerce depuis 1661 un règne personnel qui est aussi raisonnable que poli, aussi théâtral qu'absolu. L'Art poétique de Boileau est quelque chose comme l'hypo-stase littéraire d'une politique sociale qui ordonne aussi bien la religion que la politique, le goût que les mours, les apparences de la vie que les structures de la pensée. André Maurois l'a justement souligné, on ne doit pas seulement à Malherbe la « juste cadence mais aussi la pureté de la langue, dont « le vocabulaire restreint, pauvre, sévèrement spirituel » sera « celui de Corneille et de Racine, de La Rochefoucauld, de Mme de La Fayette et de Bossuet ». Pour un peu, on ajouterait que Malherbe fut par avance pour quelque chose dans la géométrie dévitalisée des jardins à la française et dans la majesté rationnelle du dieu gallican.





Réduire la muse a aux règles du devoir » n'est-ce pas l'étrangler ? François de Malherbe (1555-1628) n'en a cure. Pour lui, qui rompt, en 1606, avec l'école de la Pléiade, tout ce que la Renaissance poétique a pu écrire n'est qu'un jargon archaïque, patoisant et pédantesque tout ensemble. Il faut que la poésie cesse de parler grec et latin, se « dégasconne », se débarbouille des sucs végétaux dont elle s'est nourrie, s'interdise de s'échauffer, de s'emballer, se fasse claire, rigoureuse, grammairienne, se dépouille du » goût du collège » pour s'arrêter à « celui du Louvre ». Malherbe ne se borne pas à éliminer des mots et des tournures qui sentent la province, l'atelier ou la rue, à faire la chasse aux épithètes et aux néologismes ronflants, à dissiper le flou de la conjugaison. Légiférant en prosodie, il interdit non seulement l'enjambement des vers mais l'hiatus, impose l'alternance des rimes masculines et féminines et, dans l'alexandrin, une pause médiane ; enfin, il préconise, plutôt que la rime riche, une rime « rare », génératrice d'idées, de sentiments, d'images que le poète n'eût peut-être pas trouvés de lui-même.



Cette recommandation mérite qu'on s'y arrête. En l'observant, Malherbe et ses disciples cessent d'être de simples versificateurs puisqu'ils en appellent au hasard et que la parfaite « machine de langage » à laquelle ils identifient le poème finit par leur imposer son automatisme. Certes, Malherbe est loin de reconnaître au langage cette « vie organique » que pressentira Novalis. Il n'en échappe pas moins - et avec lui le Classicisme - à la non-poésie par cette licence, donnée au langage, de prendre parfois l'homme par la main. Quand notre « regrat-teur de syllabes » écrit :



Les puissantes faveurs dont Parnasse m'honore

Non loin de mon berceau commencèrent leur cours.

Je les possédai jeune et les possède encore

A la fin de mes jours. il ne fait guère que mettre en vers ampoulés une pensée orgueilleuse et banale. Il est en revanche vraiment poète, quand il compose des vers comme :



Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine

A, comme l'océan, son flux et son reflux... et cela pour les raisons mêmes - phonèmes suggestifs, harmoniques signifiantes en soi, etc. - qui, sous la plume de Jean Racine (1639-1699), feront, d'une simple fiche d'état civil, le plus bel alexandrin, sans doute, de la langue française :



La fille de Minos et de Pasiphae.



Au demeurant, avant que Malherbe « vînt », ou plutôt régnât, il était déjà venu, si l'on peut dire, et dans un tout autre style. André Blanchard a cent fois raison d'écrire : « Nous voilà à Malherbe et nous avons cru dessiner une sorte d'épine dorsale de la poésie française. C'est une illusion ou plutôt une abstraction trompeuse » : toute la poésie de la première moitié du XVIIe siècle est, en vérité, occupée d'un conflit confus, aux phases fort diverses, entre deux courants qui se mélangent souvent. Nommer « baroque » le premier, et « classique » le second, n'est qu'une approximation commode.



Malherbe, tout le premier, a sacrifié aux grâces qu'il voulait proscrire et sombré dans l'amphigou-risme dont il faisait grief à Ronsard. Ses Larmes de saint Pierre, composées en 1587, ne 6ont guère après tout qu'un poème baroque :



L'Aurore d'une main en sortant de ses portes

Tient un vase de fleurs languissantes et mortes... et l'on ne voit guère en quoi, par la suite, tels de ses vers de circonstance sont moins précieux que ceux de Voiture, Cotin, Malleville, Benserade et autres ciseleurs auxquels servait d'atelier la « chambre bleue » de la marquise de Rambouillet, où il ne dédaignait point de fréquenter lui-même. Sa vraie personnalité n'est point là du reste mais, qu'on l'admire ou la dédaigne, dans l'ouvre proprement malherbienne qu'il entreprit à la fois en praticien et en théoricien (Vaugelas ne fera que le continuer à cet égarD). Chapelain, qui ne l'aimait guère, tenait ses poèmes pour de la prose rimée, mais disait inégalables certaines de ses « élévations, nettes et pompeuses dans le détail ». Sans doute pensait-il aux Odes majestueuses et « carrées » que Malherbe adressa tant à Louis XIII qu'à Henri IV, et à Marie de Médicis, ou encore au fameux :



Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle.



Quant à Mlle de Goumay, qui admirait la « spéculative, haute, impérieuse » poésie de Ronsard, elle trouvait en revanche celle de Malherbe « familière, suffragante et précaire ». Il revenait à un poète de notre temps, Francis Ponge, de faire le point ; pour lui, Malherbe a « retendu » la lyre française en donnant au langage poétique une précision extrême, voire une véritable autonomie ; Valéry et Mallarmé auraient pu souscrire à ce jugement.



Renchérissant but Malherbe dont il est le fervent disciple, François de Maynard (1582-1646) va jusqu'à exiger que chaque couple de vers, voire chaque vers, soit un tout en soi. Il risque ainsi d'assécher le courant lyrique mais, heureusement, il ne manque ni de fraîcheur, ni d'émotion, ni d'invention. Ce sont là - héritées de la Pléiade - des qualités parfaitement compatibles chez lui avec l'obsession formelle. Si l'on y ajoute l'ampleur et la plénitude, on n'est pas loin de reconnaître, avec Henri Mondor. que l'auteur de la Belle Vieille annonce à la fois Corneille et Racine :



L'âme pleine d'amour et de mélancolie.

Et couché sous des fleurs et sous des orangers.

J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie

Et fait dire ton nom aux échos étrangers.



Moins ample et plein peut-être, mais plus sensible encore que Maynard, Honorât de Racan (1589-1670), autre disciple d'élection de Malherbe, contredit paraillement celui-ci par cette sensibilité même et un sens très vif de la nature qui fait éclater l'appareil mythologique et pastoral dont il croit devoir l'affadir :



Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille,

La javelle à pleins poings tomber sous la faucille.

Le vendangeur ployer sous le faix des paniers...



C'est pourtant lui que Malherbe, non sans lui reprocher certaine mollesse prosodique, entend réduire, comme lui-même, à un rôle de grammairien-versificateur : « Si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous en pouvons espérer est qu'on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes. » Fort heureusement, Racan, jusque dans ses Bergeries, qui ne valent point ses Stances sur la retraite, et dans ses Odes sacrées, grnnd ouvre de sa vieillesse, qui sont une traduction fort libre des Psaumes, pousse la conscience de son art beaucoup plus loin que cet artisanat glacé.



Entre-temps, la discipline prêchée par Malherbe avait reçu bien d'autres démentis. Les poètes qui apparaissent à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle, loin de rompre violemment avec l'Ecole de la Pléiade, lui gardaient amitié, reconnaissance et continuaient peu ou prou de suivre son exemple. Jean de La Ceppède (1550-1622) n'est pas très éloigné, avec ses Théorèmes, de la cosmologie éloquente et baroque de du Bartas :



Le vase d'or (rempli de la vapeur liquide

Qui distille du cieL) dans la terre caché...



On peut en dire autant d'André Mage de Fiefmelin (1558-1603) et de Pierre Mathieu (1562-1621) ; tous deux occupés de supputations astronomiques dignes de Ronsard. Un étrange et précieux sonnet, Cosmologie, suffirait à sauver le premier de l'oubli :



Point de cercle invisible en terre sous les deux,

Fleur de prime mourant soudain que née aux yeux... alors que les Quatrains du second sont une préfiguration baroque des Stances de Moréas.

Baroque, précieux... Ces deux épithètes - auxquelles il faudra ajouter celle de burlesque à propos de certains de ces poètes anti-malherbiens - expriment assez mal ce qui est à la fois l'héritage de la Pléiade, y compris son « goût du collège », son plaisir aux mots, son appétit scientifique, voire même ses « fastes pédantesques », et un extrême souci de raffinement langagier. Une grande part de jeu, et de gratuité, entre dans les poèmes d'un Pierre de Mont-Gaillard (1550-1605) - qui fait aussi preuve de réalisme burlesque -, dans les Distiques de Jean de Boyssières (1555-1585) et dans ses poèmes « en pyramide renversée ». Charles-Timoléon de Sigogne (1560-1611) retrouve quant à lui dans ses Galimatias la verve saugrenue des fatrasies :



De soixante escargots accoucha Pampelune

Trois jeunes hérissons des loups gardent la lune



Jean Grisel (1567-1622) et Robert Angot de L'Eperonnière (1581-1637), à l'instar du Rabelais de la « Dive Bouteille », se plaisent à composer des calligrammes, en forme de hache ou de luth. Le dernier, publiant en 1631 un pastiche, en alexandrins, du fameux « Mignonne, allons voir si la rose », satisfait à la fois aux préceptes malherbiens et à son admiration pour Ronsard. Jean de Schélandre (1585-1635) qui avoue sa fidélité à ce dernier mais aussi à du Bartas ; Pierre de Mar-bouf (1596-1635), qui se plaît aux allitérations voire aux calembours :



Et la mer et l'amour ont Camer pour partage...

La mère de Vamour eut la mer pour berceau... mais aussi à des descriptions anatomiques d'une extrême précision, méritent, eux aussi, d'être mentionnés parmi les Baroques de quelque envergure.



Leur grandeur est toutefois bien moindre que celle d'un Théophile de Viau (1590-1626) ou d'un Tristan PHermitte (1601-1655) qui, allant, tout comme Ronsard, « où leur muse les mène », retrouvent la nature et le naturel, le bonheur de vivre et le bonheur d'expression. Le premier, en quatre petits vers, fait tenir tout un tableau, romantique et verlainien par avance, pour lequel on donnerait toutes les Odes qu'il lui arriva d'écrire pour faire pièce à Malherbe :



Dans ce val solitaire et sombre.

Le cerf qui brame au bruit de l'eau,

Penchant ses yeux dans un ruisseau

S'amuse à regarder son ombre.



Le second, n'eût-il écrit que le Promenoir des deux amants, s'inscrirait de même définitivement dans le fort courant que le Classicisme eut à vaincre :



L'ombre de cette fleur vermeille

Et celle de ces joncs pendants

Paraissent être là-dedans

Les songes de l'eau qui sommeille.



Ce courant, quand il traverse les salons dont de belles dames sont les régentes, s'attarde et se ramifie en préciosités qu'il serait vain de méconnaître car elles ne seront pas pour peu dans une religion de l'exigence formelle qui, débordant largement les postulats malherbiens, deviendra l'une des traditions les plus respectables de notre poésie. Nombre de nos métaphores et de nos précisions linguistiques sont sorties du « salon bleu » de la marquise de Rambouillet, pour ne nommer que le sien.

Voiture (1597-1648) et Isaac de Benserade (1613-1691) dominent le lot de ces poètes d'album ou d'éventail, sans cesse en quête de raretés lexiques et musicales, qui excellent finalement à ne rien dire. Molière aura beau jeu de les moquer et de moquer pareillement leur» inspiratrices o savantes > et a précieuses ». Aussi bien la querelle des Uraniens et Jobelins - provoquée par la comparaison entre un sonnet de Voiture sur Uranie et un sonnet de Benserade sur Job - fut-elle, en 1649, un véritable événement dans le monde des lettres et dans le grand monde, alors inséparables l'un de l'autre, au point. Corneille le soulignera dans un sonnet plein d'humour, de faire oublier la lutte, à peine éteinte, des Frondeurs et Mazarins .



Avec Mathurin Régnier (1573-1613), Saint-Amant (1594-1661), Scarron (1610-1660), qui fréquentent moins volontiers les salons que les cabarets, l'opposition à Malherbe et au Classicisme est plus violente. Ces satiriques et burlesques - mais ils ne sont pas que cela - renouent en fait avec une tradition bien antérieure à la Renaissance, celle de Rutebouf et de Villon. Régnier, neveu de Desportes avec qui Malherbe eut maille à partir, en veut d'autant plus à ce dernier et à ses disciples d'avoir domestiqué la poésie. Pour lui, il n'y a pas de poésie sans liberté, voire sans « nonchalances », et il entend mener la sienne comme il mène sa propre vie, en se laissant aller « à la bonne loi naturelle ». Si, dans ses pbis libres abandons, il ne craint ni d'être grossier, ni de « fatraser » jusqu'à l'absurde :



Je discours des neiges d'antan.

Je prends au nid le vent d'autan,

Je pète contre le tonnerre...

J'apprends aux ânes à voler.

Du bordel je fais la chronique... cela ne l'empêchera ni de devenir chanoine, ni d'écrire des Stances spirituelles d'une émouvante ferveur auxquelles on doit cependant préférer ses longues satires en alexandrins, où il ne recommande que pour les mieux combattre les turpitudes dont il est le témoin :



C'est gloire, et non pas honte, en cette douce peine

Des acquêts de son lit accroître son domaine.



Saint-Amant, à qui il arrive de chanter harmonieusement la solitude, la nuit, voire Moïse sauvé des eaux, n'est jamais plus à son aise que lorsqu'il décrit le melon, la vigne, les cabarets, exalte la jouissance et la débauche, tout cela dans une langue charnue, bigarrée, éprise de ses propres échos et tourbillons :



Par ce jambon couvert d'épice,

Par ce long pendant de saucisse,

Par la majesté de ce broc.

Par masse, toppe, cric et croc...



Scarron, dont l'épouse, fille d'Agrippa d'Aubigné, deviendra Mme de Maintenon, va lui aussi tout à fait à l'encontre des rigidités classiques, tant morales que formelles, avec des vers légers et même fripons qu'il interrompt soudain par, des parenthèses explicatives. Claude Quillet (1607-1661) peut égaler le libertinage, non la faconde de Scarron, amplement déployée dans Typhon et dans L'Enéide travestie. Dans « l'enfer des Classiques », cet infirme qui se rit de son malheur a droit à un cercle d'honneur.



Il est assez plaisant de voir les Classiques eux-mêmes fréquenter parfois cet « enfer » ! Tout comme Malherbe avait, à ses débuts, donné dans la poésie baroque, Boileau, dans Le Lutrin, donne dans le burlesque voire le grotesque, et ne fait pas mystère de l'avoir voulu. Le Repas ridicule et Les Embarras de Paris contiennent de même mille traits caricaturaux dont un Mathurin Régnier eut pu revendiquer l'acidité narquoise :



Le Prélat sert la soupe, et plein d'un saint respect

Demeure quelque temps muet à cet aspect... et qui font apparaître d'autant plus plats tels pseudo-vers où l'auteur de L'Art poétique s'essaie à vanter la verdure citadine, à défaut d'une nature non civilisée dont il n'a pas le moindre goût :



Paris est pour un riche un pays de cocagne ;

Sans sortir de la ville il trouve la campagne ;

Il peut dans son jardin, tout peuplé d'arbres verts.

Receler le printemps au milieu des hivers...



Pierre Corneille (1604-1684) lui-même, hôte assidu de la marquise de Rambouillet, ne craint pas de madrigaliser, concurremment avec Claude de Malleville, Georges de Scudéry et autres précieux, dans la Guirlande de Julie (1634), et il n'est pas moins précieux dans ses célèbres Stances à la Marquise, destinées, semble-t-il, à la Du Parc et non à la maîtresse du « salon bleu » :



Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux.

Souvenez-vous qu'à mon âge

Vous ne vaudrez guère mieux.



Mais l'auteur de ces petits vers, à vrai dire aussi grinçants que joliment tournés, n'est pas le vrai, le grand Corneille qui, dans le même temps, donne une nouvelle langue à la comédie et une langue nouvelle à la tragédie. Avant de devenir, d'un coup, célèbre avec Le Cid (1637), il a fait jouer plusieurs comédies, notamment Mêlite, L'Illusion comique, La Veuve, où il inaugurait un style familier, naturel et aisé, « naïf » pour tout dire, dont, préfaçant La Veuve, il s'excusait ainsi : « ici, tu ne trouveras en beaucoup d'endroits qu'une prose rimée », ajoutant, à propos de Mêlite : « étant demeuré provincial, ce n'est pas merveille si mon élocution en conserve quelquefois le caractère ».

Si, mis dans la bouche des « honnêtes gens », ce style naïf convient parfaitement, les princes et les héros en exigent un autre. Corneille erée-à leur intention un style qui, écrit Charles Bruneau, « demeure la langue noble de a tragédïe classique-Corneille distinguera d'ailleurs deux degrés de noblesse, correspondant en gros au genre tragi-comique et au genre tragédie ».



Voltaire sera bien injuste en reprochant à Corneille des barbarismes et solécismes qui n'en étaient point à l'époque où celui-ci composait ses pièces. Au demeurant le fait que Corneille, revoyant cellesci dix ou vingt ans après les avoir écrites, y ait apporté des corrections stylistiques fort sévères, quitte à recommencer certains alexandrins, est significatif de son souci de rajeunir la langue. Ce qu'on peut mettre en revanche à son passif, c'est de négh-ger les préceptes euphoniques de Malherbe. Il est _ plus occupé d'exprimer des idées et des sentiments, voire de frapper des maximes :



Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis...

Un peu de dureté sied bien aux grandes âmes... que de faire de « beaux vers. ». Et pourtant il lui arrive d'en faire d'admirables, où tient tout un tableau mouvant :



J'ai vu fuir tout un peuple en foule vers le port...



à moins que, suspendant pour un temps leur frappe héroïque, ils n'expriment, en l'imitant phonétiquement, l'indécision du cour humain :



Percé jusques au fond du cour

D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle...



Le XIXe siècle romantique saura parfaitement reconnaître la grandeur de ce Normand touché d'espagnolisme et de gréco-latinité. La Mennais vantera son dialogue, dont « les réparties soudaines se croisent, se choquent en montant toujours, telles que deux aigles qui se combattent en haut des airs », et sa « parole concise et nerveuse dont les muscles se dessinent comme ceux de l'athlète nu ». Et personne, au lendemain de la mort de Corneille, n'a sans doute mieux parlé de son ouvre tragique que Racine, son rival pourtant : « Il fit voir sur la scène la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornements dont notre langue est capable, accorda heureusement le vraisemblable et le merveilleux... Combien de rois, de princes, de héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu'ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes et jamais ne se ressemblant les uns aux autres. »



Voilà pour le Corneille dramaturge. Mai» rien n'est dit, là, de la grandeur lyrique du Corneille qui traduit les Psaumes du Bréviaire romain et paraphrase l'Imitation de Jésus-Christ. Il y a cependant des critiques pour estimer que l'auteur de Cinna, de Polyeucte et du Cid eût mérité la gloire même s'il n'avait écrit que ces textes religieux, moins éloquents et parfois plus musicaux que ses tragédies :



Sous la loi de Moïse et son rude esclavage,

La vie avait bien moins de quoi nous consoler ;

Le ciel toujours fermé laissait peu de passage

Par où jusque sur nous sa douceur pûfccouier.



On ne trouve point, dans le théâtre de Jean Racine £1639-1699), l'emphase que Corneille met dans le sien. Le poète de Bérénice, de Phèdre, d'Andromaque et d'Athalie reprend pourtant la « langue noble » de son aîné (son aîné de 35 anS) mais, bénéficiant à la fois de l'épuration dont le français a été favorisé tout au long de la carrière de celui-ci et, bien sûr, de ses propres dons, il porte cette langue à la perfection, en la simplifiant, en la faisant frémir, en lui donnant une-inflexion mélodieuse qui, cependant, ne la prive ni d'exactitude ni de majesté.



L'étonnant, c'est que la diction de Racine soit à tel point-suggestive alors que celui-ci, s'il est expert en comparaisons et métaphores, n'en use qu'avec mesure, n'en ajoute guère à celles qui avaient cours avant lui et pratique avec la même discrétion la métonymie où -il est pourtant passé maître. A quoi tient donc le charme de ce style qui s'efforce constamment de se faire oublier ? Sans doute à l'adéquation parfaite de ses mouvements aux mouvements psychologiques qu'il traduit, mais plus sûrement encore à la science avec laquelle le poète assemble voyelles et consonnes, jusqu'à créer des sortes d'entités sonores et visuelles qui doivent leur pouvoir bien moins au sens des mots qu'aux vertus évocatoires des phonèmes.



Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes...

Ariane, ma sour, de quelle amour blessée.

Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée...



Certes, Racine se souvient parfois d'avoir, vers ses vingt ans, sacrifié à la poésie précieuse, mais c'est, tout au plus, un clin d'oil qu'il adresse à sa jeunesse, assez maladroitement enflammée dans l'atmosphère raréfiée d'Uzès :



Madame, il vous souvient que mon cour en ces lieux

Reçut le premier trait qui partit de vos yeux...



Partout ailleurs, c'est avec une espèce de gravité, à la fois indulgente et complice, qu'il écarte les jeux et les ris galants pour sonder les reins et les cours en proie à l'amour :



J'aimais. Seigneur, j'aimais, je voulais être aimée...

Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire...

Je sentis tout mon corps et transir et brûler... et c'est avec la puissance d'un grand peintre, non l'amabilité d'un artiste de cour, qu'il représente ses héros et ses héroïnes dans le feu même de leur action :



L'essieu crie et se rompt : l'intrépide Hippolyte

Voit voler en éclats tout son char fracassé.



Ce qui nous séduit, jusqu'à l'envoûtement, c'est moins ce que « montre » Racine que ce qu'il donne à imaginer par la façon liquide et tendre dont il se sert de la langue et du vers et que seuls un Lamartine et un Nerval sauront plus tard retrouver. Assurément, il a parfaitement tenu son propos, qui était de représenter « une action simple, soutenue de la violence des passions ». Si plein d'admiration qu'on soit pour le courage - il en faut au temps du Roi-Soleil, où les sentiments et les idées doivent se pher en bonnet d'évêque ou en perruque de cour - avec lequel Racine met à jour des fureurs organiques inhérentes à la condition humaine, on donnerait tous ses Grecs et Romains pour «-L'élégance de l'expression » - le terme est de lui - avec laquelle il se donnait pour tâche de les mettre en scène.

Cette » élégance », qui, certes, finit par cliver les «êtes et les goufres de l'individu pour lui donner l'apparence de > l'honnête homme > mais, dans le même temps, tire d'une langue, c'est-à-dire d'un code, une autre langue, et c'est la poésie, capable d'exprimer l'indicible, n'exclut ni l'humour ni la foi de son champ d'application. Les Plaideurs l'emportent sur les comédies de Corneille pour ce qui est du style « naïf a qu'y avait appliqué celui-ci et les Cantiques spirituels, tout autant que les chours d'Eslher et d'Athalie, sont dignes du premier rang dans toute anthologie de notre poésie religieuse.



Molière (1622-1673), avec qui nous revenons par le biais~du" théâtre à la génération précédente, a-t-il sa place, quant à lui, dans une histoire de la poésie française ? Certes, on ne pourrait lui dire, à propos de son théâtre en vers, ce que dit Armande à Tris-sotin dans Les Femmes savantes :



En vérité, Nicolas Boileau (1636-1711) exagère en complaisance affectueuse quand il dit qu'Apollon tient « tous ses trésors ouverts » à Molière. A ce compte, Boileau lui-même mériterait d'être tenu pour un grand poète. Il passe en tout cas de loin les vertus poétiques, au sens bien restreint qu'il en a, dont il gratifie Molière, ne serait-ce que par sa façon humble et douloureuse - avouée dans sa Satire II - de quêter la véritable poésie dans « l'étroite prison » où la rime et la raison sont enchaînées.



Cette grâce, Jean de La Fontaine (1621-1695) la possède au point de n'en savoir que faire et de la prodigner en menus opéras et divertissements, avant de l'employer à une ouvre de fabuliste si parfaitement recevable par le génie français et si parfaitement réussie, qu'elle deviendra quelque chose comme un de ces monuments publics dont on oublie à la longue l'histoire, le matériau et, enfin, l'esprit - ou la grâce, précisément - qui suscita leur érection. Pour tout le monde, La Fontaine, et son nom même y a prêté, est devenu un « lieu commun », plein de fraîcheur et d'innocence, de verdure et de braves bêtes, où l'on se doit de conduire très tôt ses enfants car on s'y amuse et instruit tout ensemble sans le moindre danger. Une espèce de Disney,s land, en somme...

Pourtant, même s'il advient, mais c'est très rare, que La Fontaine s'attache à décrire les ani-maux qu'il met en scène - mais alors il les croque de main de maître :



Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,

Le héron an long bec emmanché d'un long cou... la « comédie aux cent actes divers » qu'il écrit de fable en fable est une comédie dont 1' « univers » se limite à celui des hommes, lesquels ne sont affublés de masques zoomorphiquès que par prudenee: Comédie pessimiste du reste et misanthropique (ce en quoi l'ouvre du pseudo- « bonhomme » La Fontaine n a pas grand-chose à voir avec la mission éducative dont on continue de la vouloir chargeR) puisque seules y triomphent la violence, la flatterie et la ruse. Pourquoi cette prudence ? Parce que La Fontaine sait trop ce qu'il en coûte de n'en pas avoir quand on vit sous l'absolutisme. Donner de l'homme une image véridique ne serait pas moins dangereux que de s'en prendre à l'autorité royale. La Fontaine, qui devra attendre trente ans pour que Louis XIV lui pardonne d'avoir pris la défense de Fouquet et moqué



Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour

Saluer à longs flots le Soleil de la Cour... trouve moins risqué de s'en prendre symboliquement au bon, au loup, au serpent ou au renard. Même si, dans la « moralité » de certaines de ses fables, il nomme carrément la cible qu'il vise et touche :



Selon que vous serez puissant ou misérable

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir, il a protégé son affût de tant de plumages et pelages qu'il prend de court sa victime. Et puis, il a un autre alibi : celui, tout à fait convenable et même recommandé, de l'imitation des Anciens, Esope en particuber, à qui il emprunte, en fait, beaucoup moins qu'il n'ajoute :



Mon imitation n'est point un esclavage.



Au vrai, La Fontaine n'imite personne. Certes, il ne cache pas ce qu'il doit dans ses Contes à Boccace et, pour d'aucuns, à Rabelais, ni ce que son Adonis, son Elégie aux nymphes de Vaux et toute son ouvre lyrique doivent à la fois, quant à leur précision de terme et à leur mélodie, à Malherbe, à Racan et à Maynard, et en quoi il est proche à la fois d'un Marot, d'un Théophile de Viau et d'un Tristan l'Hermine. Mais le génie de cet errant, tout ensemble bouillonnant et tranquille, est à tel point authentique, qu'il fait, de tout ce qu'il butine, un miel qui n'appartient qu'à lui. Le chicanerons-nous de n'aimer point Ronsard à qui il reproche d'être « dur, sans goût, sans choix ', alors qu'il avoue sa reconnaissance envers Voiture et lui emprunte quelques roulades hyper-précieuses ?



La vérité de La Fontaine est bien ailleurs qu'en ce genre d'acrobaties sur la carte du tendre. Elle est, par exemple, en son art inouï de la mise en scène, qui lui permet, en quelques mots seulement, de peindre tout un tableau mouvant, coloré et bruyant :



Dans un chemin montant, sablonneux, mal aisé

Et de tous les côtés au soleil exposé.

Six forts chevaux tiraient un coche... et il faut la chercher aussi, cette vérité de La Fontaine, dans l'espèce de « génie fantasque, brouillon, narquois, celui des vieux poètes français, du fabbau aux grotesques » que Claude Roy le voit maintenir « au prix de la disgrâce du roi et des foudres de son ami Boileau... dans ce siècle ratissé ». Il s'agit moins pour lui de moraliser que de reprendre, avec une liberté d'expression et d'animation qui se moque des précisions géographiques, zoologiques et chronologiques, la fable incongrue, merveilleuse et souriante à laquelle tous les peuples ont collaboré (1). Enfin, dans les Fables elles-mêmes aussi bien que dans Adonis ou Psyché, s'affirme, de préférence en longs vers coulés, dont Racine seul égalera l'envoûtante mélodie, ce qui est la plus secrète figure du plus vulgarisé de nos poètes : un romantisme avant-la-lettre, d'ores et déjà pétri de tous les rêves, d'ores et déjà vibrant d'un désir désespéré de se fondre dans le cosmos ; d'ores et déjà requis d'une nouvelle invention de l'amour :



... Jusqu'au «ombre plaisir d'un cour mélancolique...

... Celui de qui la tête an ciel était voisine

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.



... Jours devenus moments, moments filés de soie.

Agréables soupirs, pleurs enfants de la joie.

Voux, serments et regards, transports, ravissements.

Mélange dont se fait le bonheur des amants.



La Fontaine meurt en 1695. Boileau lui survivra seize ans. Louis XIV ne mourra qu'en 1715. Le soleil du Classicisme et les menus astres, qui - précieux et baroques - ajoutèrent à sa lumière bien plutôt qu'ils ne la contrarièrent, se sont alors bien estompés. Estompés seulement... Pour certains historiens de notre littérature, le Classicisme aurait rendu l'âme dès 1680. Pour d'autres, que nous rejoignons, Malherbe et Boileau n'ont nullement fini de légiférer. Suffit à le prouver le fait qu'avant Baudelaire nul n'ait osé sérieusement mettre en doute que « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » ; qu'avant Rimbaud, personne n'ait osé sérieusement « toucher au vers » ; que, de nos jours encore, tant de gens prennent pour de la poésie n'importe quelle maligne prose » habillée en vers. Et l'on prouverait également sans peine que ni la préciosité ni le baro-quisme n'ont disparu de notre poésie, voire même qu'ils n'ont jamais été plus vivants qu'aujourd'hui.



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