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LE CLASSICISME - De la critique à la sublimation






(1659-1666)



Du début du XIXe siècle au milieu du XXe, on étendait à tout le siècle, de Malherbe et Corneille à La Bruyère et Fénelon, malgré « attardés et égatés », un classicisme qui triomphait à partir de 1660. Puis on s'est limité à 1660-1680 ou 1685. Soyons plus précis. C'est en 1658-1659 et en 1662-1663 que les choses se mettent en place. Mais les auteurs indépendants, la perspective critique (1), la structure ouverte l'emportent jusqu'en 1666. C'est alors que l'intégration, la sublimation, la structure close triomphent. Ce classicisme s'arrête en 1678-1679 et dès 1682 apparaissent des ouvres fort différentes.



En 1658, La Rochefoucauld vient de commencer ses Maximes et Pascal fait un premier classement de ses Pensées. La Fontaine achève une première version d'Adonis (été 1658) et entreprend Le Songe de Vaux (début 1659). Molière (octobre 1658) et Bossuet (début 1659) s'installent à Paris. Corneille revient au théâtre [Odipe, 24 janvier 1659), Molière triomphe avec Les Précieuses (18 novembrE). Cette concentration de prémices, si importantes pour qui connaît la suite, n'est pas due au seul hasard. Six ans après la Fronde commence un nouvel épanouissement, encouragé par le mécénat de Fouquet et par la victoire des Dunes sur les Espagnols (14 juin 1658) qui conduit à la paix (7 novembre 1659) et à la suprématie française.



Soucieux de prestige, le nouveau gouvernement veut animer et orienter la vie de l'esprit. En novembre 1662, Colbert charge Chapelain de proposer les auteurs, artistes et savants français ou étrangers propres à « célébrer les vertus du Roi ». Chacun recevra une gratification annuelle. « Tout le Parnasse se remue » (ChapelaiN). Des listes circulent début 1663- Les paiements s'étalent de juin 1663 à août 1664. 77 500 livres au total dont 25 300 pour seize hommes de lettres (2). Chapelain détrompe ceux qui croient que les faveurs du Roi ne sont que le paiement de leur mérite. Ménage n'écrit pas ce qu'on attend de lui : sa gratification sera supprimée, comme celle de Mézeray, qui critique la politique fiscale. Cette agréable réquisition s'accompagne de mesures qui donnent un coup d'arrêt au développement de la propriété littéraire, c'est-à-dire à l'indépendance des auteurs (1659-1665).

Les remerciements des gratifiés, fussent-ils Racine ou Molière, sont médiocres. Mais en 1662 apparaissent les premiers chefs-d'ouvre vraiment classiques : le Carême du Louvre, La Princesse de Montpen-sier, L'École des femmes ; Arnauld et Nicole publient leur Logique ; Corneille retrouve l'héroïsme (SertoriuS) et s'installe à Paris. En 1663, La Rochefoucauld achève une première version des Maximes, Racine sa première tragédie, Boileau ses premières satires.

Néanmoins, la sublimation classique ne triomphe qu'à partir de 1666. Auparavant, la dimension critique reste importante et la discipline esthétique ne s'impose pas nettement. On ne peut confondre le temps du Roman bourgeois et celui de La Princesse de Clèves, le Boileau subversif des Satires et le législateur du Parnasse, le hardi militant du Tartuffe et l'auteur du Malade imaginaire, metteur en scène résigné de l'incurable comédie humaine. Entre la littérature satirique des années cinquante (Scarron, Cyrano, Les ProvincialeS) et le parfait classicisme, la période 1659-1666 forme transition. Pascal et La Rochefoucauld démasquent les prétentions humanistes, Molière attaque la tyrannie des faux dévots, Bossuet les vices de la vie mondaine, Boileau, Bussy, Furetière donnent dans la satire, La Fontaine publie des Contes et prépare ses Fables. Mais tous, sauf Pascal et Furetière, préparent l'esthétique rationnelle du classicisme.

Le maintien de la dimension critique est favorisé par d'importants conflits. On est encore marqué par la Fronde : Condé, Retz (revenus d'exil en 1660 et 1662), La Rochefoucauld. La querelle du jansénisme, où beaucoup d'intellectuels sont du côté de Port-Royal, est intense en 1661 et en 1664-1667 (3). Le roi est en conflit avec les dévots, qui entravent sa volonté d'absolutisme et s'opposent à sa politique envers le pape et à son adultère (ce qui nous a valu TartuffE). Le procès (jusqu'au 20 décembre 1664) de Fouquet, surintendant* et protecteur des lettres, arrêté le 5 septembre 1661, où le pouvoir multiplie pressions et manipulations pour obtenir une condamnation à mort, déchaîne l'opinion contre Colbert. Les débuts de Molière, Boileau, Racine donnent lieu à de vives querelles et les années 1665-1667 sont marquées par de violentes attaques contre le théâtre.

Néanmoins, à part le Roman bourgeois, les ouvres de 1659-1666 forment transition vers la sublimation et la maîtrise du classicisme. Les Satires sont subversives, mais leur pensée, leur esdiétique sont rationnelles, tout comme celles de Molière - hormis Dom Juan et les scènes de farce. Les Pensées s'élèvent d'une critique résolue à une sublimation religieuse. Les Maximes dépassent le pessimisme dans une sublimation esthétique. Bossuet, qui allie les deux solutions, est le premier en date des classiques. Dès 1660, il célèbre l'identité des diverses formes du système, exaltant un ordre à la fois nationaliste, absolutiste, chrétien, rationnel, rhétorique, où s'apaisent toutes contradictions.



A. LES « PENSÉES » DE PASCAL



1. Genèse et plan



A partir de la fin 1656, Pascal prépare une Apologie de la religion chrétienne. Il jette sur le papier des phrases elliptiques, des paragraphes, quelques développements de plusieurs pages. En 1658 (mai ?) il expose son dessein dans une conférence et répartit ses notes (417 fragmentS) en vingt-huit liasses, attachées chacune par un fil et regroupées en deux parties : une étude de l'homme, mélange incompréhensible de grandeur et de misère ; son explication par le christianisme. Certaines pensées ne sont pas intégrées à ce plan et par la suite Pascal en écrit encore autant.

Après sa mort, sa sour et son beau-frère conservent religieusement ces brouillons : plus de 900 réflexions, dont un cinquième ne concernait pas l'Apologie. Ils en font deux copies : les 27 ou 28 liasses de l'Apologie de 1658, puis les 33 ou 34 autres. Leur fils, le duc de Roannez, Filleau de la Chaise, Arnauld et Nicole font un choix, imaginent un classement logique, corrigent les brouillons, atténuent le style et publient les Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets (2 janvier 1670). La première édition complète du texte authentique ne paraît qu'en 1844. Chaque éditeur invente son classement : celui de Brunschvicg (1897) fait autorité. C'est seulement à partir de 1938 que l'on perçoit l'intérêt du classement de Pascal lui-même, confirmé par un plan conforme aux esquisses (6 et 12) et projets de préface (780-7811(1). Chaque pensée retrouve son contexte authentique, même s'il était provisoire. Restitution essentielle pour une ouvre méthodique. Pour lui redonner son authenticité, le titre apocryphe et aseptisé de Pensées cédera-t-il un jour la place à celui d'Apologie de la religion chrétienne ?



2. Le cour et la raison



Quel meilleur moyen pour l'Apologie que la démonstration scientifique ? Calcul des probabilités et théorie de la décision prouvent qu'il faut parier sur Dieu (418). Les hypothèses sont vérifiées expérimentalement dans l'analyse d'exemples paradigmatiques (44, 136...). Un raisonnement dialectique, découvrant la vérité sous les apparences trompeuses, le positivisme, explique l'homme comme union des contraires et la société par les « raisons des effets » (titre du chapitre 5) et saisit les desseins de la Providence à travers ses détours. Le savant nourrit le pédagogue. De « l'esprit géométrique » se déduit un « art de persuader » qui s'applique « à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions » (Ouvres pages 348-359). La dialectique transforme l'examen critique en dialogue et permet de reconnaître la vérité de l'opinion de l'adversaire tout en lui découvrant « le côté par où elle est fausse » (701).

La raison fournit une excellente méthode. Mais, ce n'est qu'un moyen. « Ployable à tout sens », elle ne maîtrise ni les principes ni les fins, définies par le besoin ou le désir : « tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment » (530). De plus, c'est par une illumination du « cour » que nous connaissons les vérités fondamentales. C'est « le cour [qui] sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace et que les nombres sont infinis » (110). A fortiori, « c'est le cour qui sent Dieu, et non la raison » (424). Quand elle vient « par raisonnement [...], la foi n'est qu'humaine, et inutile pour le salut » (110). Car « il y a loin de la connaissance de Dieu à l'aimer ! » (377). Pascal ne peut que préparer le terrain : inquiéter, obséder, puis convaincre et séduire.



3. Misère et grandeur



D'abord montrer les « contrariétés » de l'homme : « vanité », « misère », « ennui » mais aussi « grandeur » (titres des liasses 7, 2, 3, 4, 6). Seule la religion chrétienne - création, chute, rédemption - explique cette stupéfiante contradiction et y remédie. Pascal veut montrer que seule « elle a bien connu l'homme » (liasses 1-7), « la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu'elle fût vraie » (liasses 8-17) « et puis montrer qu'elle est vraie » (liasses 18-25) (12).

Au premier abord l'homme est misère : sa condition est de « vouloir et ne pouvoir » (75). Utilisant la tradition pyrrhonienne et particulièrement Montaigne contre la suffisance des stoïciens et autres humanistes, Pascal dénonce à la fois l'imagination « maîtresse d'erreur et de fausseté » et la « raison qu'un vent manie et à tout sens » (44). Il montre le règne de la force et de coutumes contraires sous le nom de justice et de vérité. « Plaisante justice qu'une rivière borne. Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (60). « Ne pouvant faire que la justice fût forte, on a fait que la force fût juste » (103). H dépeint avec une précision de géomètre et un lyrisme pathétique la condition tragique d'hommes avides et impuissants, perdus comme grains de sable absurdes dans l'infini, jouant la comédie alors qu'ils sont condamnés à mort (2) et « voués à l'horrible nécessité d'être éternellement anéantis ou malheureux » (427). Qu'on ne s'y trompe pas. Cette condition tragique de l'homme sans Dieu est un moyen pédagogique, le moment négatif d'une pensée dialectique dont l'aboutissement est tout le contraire du tragique : un élan mystique. Pascal veut nous rendre « malheureux et raisonnables » pour que nous devenions « raisonnables et heureux » (160) ; il veut que le « libertin » « tranquille et satisfait » (427) « entre en effroi salutaire » (198).

Frêle roseau, mais « roseau pensant » (113), l'homme est grand par la conscience de sa misère (114) et sa concupiscence même témoigne de sa grandeur perdue. « Qui se trouve malheureux de n'être pas roi, sinon un roi dépossédé ?» (117). Concluant le premier point de la démonstration, la liasse 7 insiste sur ces « contrariétés » - c'est son titre. Dans sa réalité actuelle, « l'homme est abject et vil » ; considéré selon le principe et «selon la fin [...], il est grand et incomparable » (127). « Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre ; dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur ; gloire et rebut de l'univers » (131). Voilà semée l'inquiétude salutaire : il faut maintenant écarter les fausses solutions.



4. Les fausses pistes



Du fond de sa misère, l'homme « veut être heureux, et ne veut être qu'heureux et ne peut ne vouloir pas l'être » (134). « C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre » (148). Des saints aux débauchés, « ils recherchent tous leur satisfaction et ne diffèrent qu'en l'objet où ils la placent » (275). Ce « souverain bien », les uns le cherchent dans le « divertissement », les autres chez les « philosophes » (titres des liasses 10, 8 et 9) : solutions terrestres qui ne font que flatter l'amour de soi.

Pascal expose la théorie augustinienne de l'amour-propre dès la lettre du 17 octobre 1651. « Dieu a créé l'homme avec deux amours, l'un pour Dieu, l'autre pour soi-même » ; le premier « infini », le second « fini et rapportant à Dieu [...]. Depuis, le péché étant arrivé, [...] et l'amour de soi-même étant resté seul dans cette grande âme capable d'un amour infini, [...] il s'est aimé seul et toutes choses pour soi ». « Il veut être l'objet de l'amour et de l'estime des hommes » alors que « chaque moi est l'ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres » (978 et 597). Mitton, Méré, les mondains y remédient par l'honnêteté (cf. p. 162-163). Pascal dénonce ce masque qui ôte « l'incommodité mais non pas l'injustice » profonde de l'auto-idolâtrie (597). « La vraie et unique vertu » de l'homme est de haïr « son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu » (271 et 617).

A l'époque humaniste, on trouvait sa satisfaction dans l'exercice de ses capacités. Plus tard, le dynamisme de l'époque libérale permettra à Voltaire de répondre à Pascal que « l'homme est né pour l'action » qui nous permet d'être heureux et « utiles » (1734).. Dans l'entre-deux, le compromis absolutiste condamne à l'inaction des hommes qui ne sont plus moteurs mais sujets du système : ce que justifie l'idéologie antihumaniste de l'impuissance de l'homme déchu. Les pragmatistes, épicuriens ou mondains, s'en tirent par le divertissement. « Pour vivre heureux, il faut faire peu de réflexion sur la vie, mais sortir souvent comme hors de soi [...]. Les divertissements ont tiré leur nom de la diversion qu'ils font faire des objets fâcheux et tristes sur les choses plaisantes et agréables » (Saint-Evremond, vers 1647). Pascal fait la même analyse, mais en sens inverse. Notre ardeur au travail, à la passion, à la chasse, au jeu, à la guerre, vient de notre besoin de nous di-vertir c'est-à-dire de détourner notre attention, par « une occupation violente et impétueuse », « de notre condition [...] si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près » (136). Funeste mirage. « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement et cependant c'est la plus grande de nos misères. Car c'est cela qui nous empêche principalement de songer à nous et qui nous fait perdre insensiblement » pour l'éternité (414).



De leur côté, « les philosophes n'ont fait autre chose que suivre une des trois concupiscences » (145), cherchant le souverain bien les uns « dans l'autorité [sur soi-même], les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés » (148). Pascal s'en prend surtout aux premiers, aux stoïciens dont l'idéal n'est qu'un funeste orgueil. La solution n'est pas de ce monde. Au passage, pourtant, Pascal salue l'ordre sociopolitique qui a su transformer la concupiscence en avidité féconde, l'amour de soi en respect d'autrui, la violence en puissance garante de la paix (211, 615).



5. L'unique solution



La première partie de l'ouvrage prévu posait le problème de l'homme pour conclure que « jamais personne sans la foi n'arrive à ce point où tous visent continuellement » : le bonheur (148). La seconde apporte la solution en opposant à la « fausseté des autres religions » le christianisme, qui seul explique notre grandeur par notre origine, notre misère par la chure et qui nous propose le salut (liasses 11 à 17).

Mais « il y a une opposition invincible entre Dieu et nous [...] sans un médiateur » (378) : le Christ rédempteur, « le centre où tout tend » (449). « Il est non seulement impossible, mais inutile de connaître Dieu sans Jésus-Christ » (191). Le Dieu de Pascal est bien différent de celui « des philosophes et des savants » (913), du Dieu physicien de Descartes (1001) : il « n'est autre chose que le réparateur de notre misère » (449 et 189). S'il est vrai que, dans sa conscience scrupuleuse, « le théologien conduit toujours la démarche du moraliste » (J. MesnarD), en dessous vibre une telle avidité de salut et de bonheur, que Brémond, dans une formule excessive mais éclairante, a pu opposer le Christ de Pascal, qui est « uniquement pour l'homme », à celui de la tradition, qui « est d'abord pour Dieu ».

Les derniers chapitres de 1658 sont consacrés aux « preuves » du christianisme : sa « perpétuité », ses « prophéties », ses miracles. « Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir et assez d'obscurité » pour les autres (149). La Bible n'est pas d'une vérité « littérale », mais d'une vérité « figurative », « spirituelle », « mystique » : chacun y « trouve de qu'il a dans le fond de son cour » (503). « Dieu s'est voulu cacher » (242) pour qu'on aspire à le trouver au lieu de s'endormir dans la certitude (234). Les preuves rationnelles ne peuvent être l'essentiel. Rien « ne peut nous changer et nous rendre capable de connaître et aimer Dieu que la vertu de la folie de la Croix » (291). Toutefois, l'inventeur du calcul des probabilités a un argument rigoureux et adapté aux mondains, qui sont grands joueurs. « Il faut parier. [...] Vous êtes embarqués. » Au bout, Dieu ou le néant, la mort éternelle ou « une infinité de vie infiniment heureuse ». Pariez sur Dieu : « si vous gagnez vous gagnez tout, et si vous perdez vous ne perdez rien » (418).



6. L'ouvre d'art



L'ardeur décapante de cette ouvre n'interroge pas seulement les croyants. Au moment où le classicisme va réduire l'homme à une cohérence rationnelle, Pascal fait éclater ses contradictions, dénonce par avance les solutions de l'honnêteté et du divertissement, pose les problèmes qu'on va masquer, appelle à un tout autre dépassement que la sublimation esthétique. Il fait pourtant ouvre littéraire : « l'art de persuader consiste autant en celui d'agréer qu'en celui de convaincre », car les « hommes sont presque toujours emportés à croire non par la preuve, mais par l'agrément » (Ouvres, p. 355-356).

A l'articulation de deux époques, sous le double signe de l'angoisse et de la raison, Pascal est encore baroque. Sa pensée paradoxale et anxieuse ranime la rhétorique expressionniste ; une ouvre au brouillon permet anacoluthes, raccourcis saisissants, hardiesse familière ou tourmentée. Cet expressionnisme est existentiel, expérimental, d'où ses multiples images concrètes. Mais il est fonctionnel : angoissé ou exalté, Pascal reste géomètre : précision, concision, antithèses ; répétitions obsédantes mais nécessaires ; frapper et séduire mais pour convaincre et entraîner, non pour plaire dans la gratuité. D'où le refus du style « trop luxuriant » (637) et du « jargon » affecté (586) pour « un discours naturel » où le lecteur se reconnaisse (652 ; cf. page 358) ; « tout ce qui n'est que pour l'auteur ne vaut rien ». (798). « Il faut de l'agréable et du réel, mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai » (667). Pascal est classique en ce qu'il privilégie la structure fonctionnelle : « ce n'est pas assez qu'une chose soit belle, il faut qu'elle soit propre au sujet, qu'il n'y ait rien de trop ni rien de manque ». Mais il en fait souvent un ordre expérimental par brusques rapprochements dont les angles vifs bousculent syntaxe et rhétorique. « Le nez de Cléopâtre s'il eût été plus court toute la face de la terre aurait changé » (413). Ou un ordre pédagogique, où l'ironie dialectique réfute « l'extravagance » des hommes « en la leur représentant à eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie » (428). «Je sais seulement [dit le libertin] qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le néant ou dans les mains d'un Dieu irrité [...] Je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m'arriver. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement » à cette « ignorance terrible », « mais je n'en veux pas prendre la peine » (427). La rigueur s'allie à l'émotion, brusque ou incantatoire, qui fait vibrer une imagination hardie, coulée dans un verbe concret. Passion et précision, ce style excède la transparence réductrice qui va bientôt s'imposer.



7. Une ouvre capitale



Pascal est une somme de culture et un modèle d'engagement. Augustinien, il est au cour de la tradition ; savant, il est à la pointe de ce progrès qui maîtrisera l'avenir : physique, calcul des probabilités (et des risques financierS), société par actions, service public. Son ouvre est la plus riche du siècle avec celle de Corneille, et la plus fascinante : encore baroque et déjà classique. Il nous offre, avec sa théorie du divertissement, une analyse de la vie mondaine supérieure à celle de Molière ; il ouvre le gouffre tragique bien avant Racine et, après nous avoir expliqué par avance les deux solutions de la littérature classique, il la dépasse dans une ardeur religieuse qu'elle n'osera pas aborder. Il est aussi étonnament moderne ; existentialiste, kafkaïen, structuraliste (3), dialecticien, voire freudien, avec ce moi narcissique entre la concupiscence et la grâce comme entre ça et surmoi. Ce « misanthrope sublime » (VoltairE), cet « effrayant génie » (ChateaubrianD), fut souvent mal compris, déformé, censuré. « On s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme » (675) avec ses profondeurs et ses engagements : de quoi effrayer ceux pour qui les ouvres ne sont que littérature.



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